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Les indices en faveur d’une interprétation harmonisée

D’ACTION POSITIVE DÉROGATOIRES

Section 1. La coexistence de mesures dérogatoires et non-dérogatoires

B) La seconde évolution textuelle

2- Les indices en faveur d’une interprétation harmonisée

335. Le préambule de la directive 2004/113 ne fait aucune hiérarchie : « La

discrimination fondée sur le sexe, en ce compris le harcèlement et le harcèlement sexuel, a également lieu dans des domaines ne relevant pas du marché du travail. Cette discrimination peut être tout aussi dommageable en faisant obstacle à l’intégration complète et réussie des hommes et des femmes dans la vie économique et sociale »1020. Si la discrimination est tout

aussi dommageable en dehors de l’emploi, il n’y a aucune raison pour que les « mesures spécifiques » correctrices pouvant être adoptées par les États doivent exclure la discrimination positive au sens des « avantages spécifiques » de l’article 157 §4 du TFUE.

336. Dans ce sens, la Commission européenne estimait, dans l’exposé des motifs de la

proposition ayant conduit à l’adoption de la directive 2000/78, que les principes posés par la jurisprudence en matière d’égalité hommes femmes devraient être utilisés pour apprécier le bien-fondé de toute action positive1021. « La commission a pu légitimement supposer que les

difficultés présentées par les actions positives au regard du principe d’égalité seront examinées par le juge communautaire de façon similaire, quel que soit l’objet des discriminations à corriger »1022. Elle confirma encore l’idée d’un régime uniforme de l’action positive et de la

non-discrimination en général dans sa proposition de directive qui devint finalement la directive 2006/541023. Il « est […] très probable que l’acquis relatif à l’action positive dans le domaine du

genre ait façonné l’interprétation des dispositions d’action positive » dans les autres directives1024.

1020 Préambule de la directive 2000/113, pt 9.

1021 Proposition de directive du conseil portant sur la création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement

en matière d'emploi et de travail, COM/99/0565 final. Commentaire de l’article 6 « comme les mesures d'action positive constituent une dérogation au principe d'égalité, elles doivent être interprétées au sens strict, à la lumière de la jurisprudence actuelle en matière de discrimination fondée sur le sexe ».

1022 A. HAQUET, « L’action positive, instrument de l’égalité des chances entre hommes et femmes », RTDE, 2001,

p. 305.

1023 Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de

l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail (refonte), COM/2004/0279 final : « La législation garantissant l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail qui a été adoptée en vertu de l’article 141 ou qui est visée par cet article doit, dans tous les domaines, recourir aux mêmes concepts que ceux qui sont utilisés dans les textes législatifs adoptés récemment, tels que la directive 2002/73/CE, modifiant la directive 76/207/CEE, et dans les textes législatifs similaires adoptés au titre de l’article 13 et destinés à lutter contre les discriminations fondées sur d’autres motifs que le sexe, dans la mesure où lesdits textes concernent également l'emploi, de manière à assurer une cohérence juridique et politique entre les éléments de la législation qui poursuivent des objectifs semblables ».

1024 M. de VOS, Au-delà de l’égalité formelle, op. cit., p. 31. Dans le même sens M. BENNETT, S. ROBERTS, H.

DAVIS, « The Way Forward - Positive Discrimination or Positive Action ? », International Journal of

Discrimination and the Law, vol. 6, n° 3, 2005, p. 230 ; D. SCHIEK, « Positive Action before the European Court of Justice - New Conceptions of Equality in Community Law ? From Kalanke to Badeck », International Journal

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337. Dans la résolution législative du Parlement amendant la proposition de directive de

la Commission de 20081025, deux amendements suggèrent que des mesures octroyant des

avantages spécifiques, donc des discriminations positives, pourraient être valides dans le cadre des motifs visés par la directive 2000/78 et donc, a fortiori, pour le motif de la race ou l’origine ethnique. « Des mesures concernant l'âge et le handicap qui fixent des conditions plus favorables que celles applicables à d'autres personnes, telles que l'utilisation gratuite ou à tarif réduit des transports publics ou l'entrée gratuite ou à tarif réduit dans les musées ou les infrastructures sportives, sont réputées compatibles avec le principe de non-discrimination »1026.

La seule mesure qui permet d’adopter des mesures spécifiques sur le fondement de l’âge comme du handicap est l’article 5 consacré à l’action positive dans la proposition de directive. Les mesures énoncées sont clairement des discriminations positives puisque pratiquer des tarifs différents plus favorables en fonction de l’âge ou du handicap revient à instaurer un traitement préférentiel dans le domaine de l’accès aux biens et services. C’est bien la répartition de ressources qui est atteinte dans son principe égalitaire, l’égalité formelle exigerait au contraire que chaque usager ou bénéficiaire soit traité indistinctement et paye la même somme pour profiter d’un même bien ou service.

338. Le second amendement porte sur le préambule et concerne expressément l’action

positive. Le Parlement parle « du maintien ou de l'adoption, par les États membres, de mesures destinées à prévenir ou à compenser les désavantages que connaissent les personnes ayant une religion ou des convictions particulières, un handicap, un certain âge, ou une orientation sexuelle particulière », et « des d'actions positives ayant pour objet de satisfaire les besoins spécifiques de personnes, ou de catégories de personnes, qui, du fait de leurs caractéristiques, éprouvent la nécessité de structures, de services ou d'aides non nécessaires à d'autres »1027.

339. Enfin, on peut noter qu’avant que l’action positive n’entre dans le droit dérivé pour

le motif du handicap, elle était présente depuis longtemps dans le droit de l’Union dans un texte de droit souple. Dans sa recommandation 86/379/CEE, le Conseil incitait déjà les États membres à adopter ce type de mesures correctrices et indiquait que, parmi ces mesures, les

of Comparative Labour Law and Industrial Relations, vol. 16, n° 3, 2000, p. 270 ; P. SKIDMORE, « EC Framework Directive on Equal Treatment in Employment : Towards a Comprehensive Community Anti-Discrimination Policy? », Industrial Law Journal, n° 30, 2001, p. 131 ; L. WADDINGTON, M. BELL « More equal than others: Distinguishing European Union Equality Directives », Common Market Law Review, n° 38, 2001, p. 602.

1025 Résolution législative du Parlement européen du 2 avril 2009 sur la proposition de directive du Conseil relative

à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d'âge ou d'orientation sexuelle (COM (2008) 0426), P6_TA(2009) 0211.

1026 Ibid. 24e amendement insérant un considérant 14(bis).

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politiques de quotas, qui constituent sans aucun doute de la discrimination positive, étaient tout à fait envisageables1028. Il y a peu de raisons d’imaginer que l’action positive permise dans le

cadre de la directive 2000/78, quand bien même des « avantages spécifiques » ne sont pas expressément visés, ne laisse pas la possibilité aux États de recourir à la discrimination positive.

340. L’arrêt Milkova du 9 mars 2017 le confirme, pour l’article 7 §2 de la directive

2000/78. Il « conforte cette possibilité de prendre des mesures d’actions positives plus spécialement en faveur des personnes handicapées, lorsque de telles mesures ont pour objectif la protection de leur santé et de leur sécurité sur le lieu de travail ou la promotion de leur insertion dans le monde du travail »1029. Selon la Cour, cette disposition « a pour but d’autoriser

des mesures spécifiques qui visent effectivement à éliminer ou à réduire les inégalités de fait affectant les personnes handicapées, pouvant exister dans leur vie sociale et, en particulier, dans leur vie professionnelle, ainsi qu’à parvenir à une égalité substantielle, et non formelle, en réduisant ces inégalités ».1030 L’action positive fondée sur le handicap ne se résume pas à la

discrimination positive mais elle ne l’empêche pas non plus. Il n’y a pas lieu de penser que l’action positive autorisée pour le handicap, ainsi interprétée par la Cour, dans une formulation qui renvoie clairement à la jurisprudence développée en matière d’égalité des sexes, soit différente de celle que la directive autorise pour les autres motifs.

341. Pour conclure, il y a une volonté, au-delà de la seule action positive, de créer un

droit de la non-discrimination homogène et performant, en droit de l’Union. La Commission, dans l’exposé des motifs de sa proposition modifiant la directive 76/207 en 20001031, rappelait

que la Communauté a acquis de nouvelles compétences avec l’article 13 TCE. L’objet de cette modification est autant de tenir compte de « l'expérience acquise dans le domaine de la lutte contre la discrimination fondée sur le sexe » que d’« assurer la cohérence de la législation secondaire sur des questions identiques, telles que le concept de discrimination indirecte »1032.

1028 Recommandation 86/379/CEE, I. b) i) « la fixation par les États membres […] d'objectifs chiffrés réalistes

d'emploi pour des personnes handicapées dans des entreprises publiques ou privées ».

1029 Conclusions de l’avocat général M. Henrik SAUGMANDSGAARDØE, présentées le 27 octobre 2016, aff. C-

406/15, pt 71.

1030 CJUE, 9 mars 2017, Milkova, C-406/15, pt 47.

1031 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 76/207/CEE du Conseil

relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, COM/2000/0334 final Journal officiel n° C 337 E du 28 novembre 2000, pp. 204-206. Cette proposition a abouti à la directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 modifiant la directive 76/207/CEE du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, OJ L 269, 5 octobre 2002, pp. 15-20, abrogée par la directive 2006/54.

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Et les institutions garantissent en effet à une évolution sans à-coups du droit de la non- discrimination, chaque directive nouvelle cherchant à s’inscrire « dans le prolongement » des précédentes1033. Si les définitions de la discrimination directe et indirecte, ou des exigences

professionnelles essentielles et déterminantes sont identiques d’une directive à l’autre1034, il y a

tout lieu de penser que l’action positive doit faire l’objet d’une interprétation également identique.

342. Les mesures de discrimination positive sont donc autorisées pour tous les motifs.

Vu leur dimension dérogatorie par rapport à l’égalité de traitement, elles sont les mesures d’action positive qui pose le plus de difficultés de légitimité et de clarté. Il faut bien rechercher, dans le droit de l’Union, un moyen de faire cohabiter la règle générale de l’égalité de traitement et l’instauration d’une discrimination dite « positive » parce qu’elle veut favoriser un groupe désavantagé dans la société. L’égalité des chances semble représenter ce principe conciliateur ou régulateur entre la norme et son exception.

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