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L’articulation temporaire des deux dispositions en matière d’égalité des sexes

D’ACTION POSITIVE DÉROGATOIRES

Section 1. La coexistence de mesures dérogatoires et non-dérogatoires

A) La première évolution textuelle

2- L’articulation temporaire des deux dispositions en matière d’égalité des sexes

315. La proximité entre l’article 2 §4 de la directive 76/207 et l’article 141 §4 du TCE

est évidente puisque leur champ d’application est le même. Pourtant, ces deux dispositions ont cohabité durant sept années. Devaient-elles être considérées comme parfaitement redondantes ou fallait-il donner une portée différente à la nouvelle disposition du Traité ? Le juge devait-il envisager deux contrôles distincts des mesures nationales en cause, au regard des deux bases juridiques ? Dans une certaine mesure, la jurisprudence s’est révélée énigmatique voire décevante. Elle oscille entre la différenciation (a) et l’assimilation (b) des bases juridiques.

a- La différenciation théorique des deux bases juridiques

316. Marc de Vos déplore en 2008 que la Cour de justice n’ait « eu affaire à la nouvelle

formulation de l’article 141, paragraphe 4, du traité CE que de façon indirecte et en tant qu’obiter dictum », l’empêchant « d’adopter une position claire et univoque »991. Malgré

quelques arrêts portant directement sur l’article 141 §4 TCE intervenus depuis, sa remarque reste pertinente aujourd'hui.

317. À première vue, la Cour a fait le choix clair de traiter les deux dispositions de

manière distincte. Le choix de l’assimilation pure et simple n’était sans doute pas envisageable étant donné l’importance de leurs différences textuelles. Dans l’arrêt Abrahamson et Anderson où la Cour devait évaluer la compatibilité d’une discrimination positive à l’embauche en faveur des candidats appartenant au sexe sous-représenté dans le secteur de l’enseignement supérieur, la juridiction de renvoi ne mentionnait pas dans ses questions préjudicielles l’article 141 §4

990 M. de VOS, Au-delà de l’égalité formelle, op. cit., p. 22. 991 Ibid., p. 23.

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TCE992. Or, la Cour ne se prononce en principe que sur les éléments constitutifs du renvoi bien

qu’elle parvienne à jouir en pratique d’une assez grande liberté pour fixer le cadre de ses réponses, en reformulant les questions par exemple. La Cour intégra ainsi l’obiter dictum suivant : « l’interprétation de l’article 141, paragraphe 4, CE, qui concerne de telles mesures, ne présente une utilité pour la solution du litige au principal que pour le cas où la Cour considérerait que ledit article 2 s’oppose à une règlementation nationale telle que celle de l’espèce au principal »993. Le sens de cette remarque incidente n’est pas très clair mais elle

semble suggérer qu’une mesure incompatible avec l’article 2§4 de la directive pourrait l’être avec l’article 141 §4. La portée dérogatoire de l’action positive pourrait-elle être élargie et des discriminations positives plus ambitieuses autorisées ?

318. La mesure nationale étant jugée contraire à l’article 2 §4, la Cour, conformément à

son annonce, examine si la discrimination positive « est justifiée par l’article 141, paragraphe 4, CE »994. Si cet arrêt promettait un éclaircissement, la promesse n’est malheureusement pas

tenue. Ce second examen est expédié en un paragraphe par la Cour995, qui se résume en fait à

un contrôle de proportionnalité très elliptique. Il ne saurait être déduit de cet article qu’il « permet une méthode de sélection telle que celle en cause au principal, qui s’avère, en toute hypothèse, disproportionnée par rapport au but poursuivi »996. La Cour calque sa conclusion

tirée des conditions établies dans sa jurisprudence sur l’article 2 §4 à l’article 141 §4 sans que l’on sache ce qui distingue les deux régimes et pourquoi ce choix de procéder à des contrôles séparés.

319. L’indétermination quant aux conditions de mises en œuvre de l’article 141 TCE par

rapport à l’article 2 §4 de la directive ne se résout pas plus dans les autres arrêts. Dans l’arrêt

Briheche997, la Cour évacue de nouveau le problème. Pourtant, l’avocat général Poiares Maduro

dans ses conclusions avait bien pris le parti de l’aborder998. Selon lui, « il n’est pas exclu que

des mesures positives qui sortent du champ d’application de la directive 76/207 puissent être

992 Pour cette raison, l’avocat général M. Antonio SAGGIO ne s’en préoccupe pas dans ses conclusions présentées

le 16 novembre 1999, aff. C-407/98, pt 4 : l’article 141 TCE n’est mentionné que dans la partie relative au cadre législatif communautaire.

993 CJCE, 6 juillet 2000, Abrahamsson et Anderson, C-407/98, pt 40. 994 Ibid., pt 54.

995 Contre 9 paragraphes pour l’article 2 §4. Ici encore, cela s’explique par le fait que le cadre est établi par les

questions préjudicielles posées à la Cour par la juridiction nationale, qui ne visent que l’article 2§4 de la directive 76/207/CEE.

996 CJCE, 6 juillet 2000, Abrahamsson et Anderson, op cit., pt 55. 997 CJCE, 30 septembre 2004, Briheche, C-319/03.

998 Conclusions de l'avocat général M. M. POIARES MADURO présentées le 29 juin 2004, C-319/03. Les pts 48 à

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autorisées par » l’article 141 §4 et d’ajouter qu’« on ne saurait exclure que la référence contenue à l’article 141, paragraphe 4, CE à un objectif de compensation vise à offrir aux États membres une plus grande latitude pour adopter des mesures de discrimination positive »999. Mais la Cour

continue, après avoir conclu à l’incompatibilité de la mesure française en cause au regard de l’article 2 §41000, à se fonder sur la disproportion manifeste de la mesure pour écarter aussi

l’article 141 §4, « indépendamment de la question de savoir si des actions positives qui ne sont pas de nature à être admises au titre de l’article 2, paragraphe 4, de la directive pourraient l’être en vertu de l’article 141, paragraphe 4, CE »1001. Elle refusa donc de saisir la perche lancée par

l’avocat général.

320. La Cour confirma pourtant de nouveau en 2010 que les deux dispositions visent des

mesures différentes. Elle distingua les « mesure[s] ayant pour effet d’éliminer ou de réduire les inégalité de fait pouvant exister, pour les femmes, dans la réalité sociale au sens de l’art 2 §4 de la directive 76/207 » et celles « visant à déboucher sur une égalité substantielle et non formelle en réduisant les inégalités de fait pouvant survenir dans la vie sociale, et ainsi, à prévenir ou compenser, conformément à l’article 157 §4 TFUE, des désavantages dans la carrière professionnelle des personnes concernées »1002. Il y a bien là deux définitions différentes

mais aucune illustration casuistique de la portée de l’élargissement produit par le Traité. L’assimilation des deux mesures se révèle dès lors tentant, les éléments permettant de les différencier manquant.

b- L’assimilation pratique des deux bases juridiques

321. Deux arrêts en constatation de manquement, l’un contre l’Italie et l’autre contre la

Grèce, ont porté sur les législations fixant l’âge de départ en retraite pour les fonctionnaires, différencié selon le sexe des individus dans les deux États1003. L’enjeu pour la Cour était

d’établir si de telles différences de traitement constituaient un manquement par rapport à l’article 141 du TCE ou si elles pouvaient être éventuellement justifiées par le paragraphe 4. Il est intéressant de noter que la Grèce soutenait effectivement que « les mesures compensatrices qui sont permises dans les États membres, conformément à l’article 141, paragraphe 4, CE, doivent être considérées selon une interprétation large, afin qu’elles puissent compenser les

999 Ibid., pt 48.

1000 CJCE, 30 septembre 2004, Briheche, op. cit., pts 27 et 28. 1001 Ibid., pt 31.

1002 CJUE, 30 septembre 2010, Pedro Manuel Roca Alvarez, C-104/09, pt 38.

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désavantages que les femmes pourraient subir en fin de vie professionnelle »1004. Cette fois, ce

n’est pas par le contrôle de proportionnalité que la Cour parvient à exclure ce type de mesures du champ d’application de l’article 141 §4, mais par le contrôle de la nature même de la norme. Incidemment, elle donne ainsi des éléments sur la nature des mesures autorisées.

322. Dans les deux affaires, la Cour affirme que « les mesures nationales couvertes par

cette disposition doivent, en tout état de cause, contribuer à aider les femmes à mener leur vie professionnelle sur un pied d’égalité avec les hommes »1005. Elle estime que « la fixation, pour

le départ à la retraite, d’une condition d’âge différente selon le sexe n’est pas de nature à compenser les désavantages auxquels sont exposées les carrières des fonctionnaires féminins en aidant ces femmes dans leur vie professionnelle et en remédiant aux problèmes qu’elles peuvent rencontrer durant leur carrière professionnelle »1006. Il n’y a ici aucune différence par

rapport à la solution déjà dégagée à l’occasion de l’arrêt Griesmar du 29 novembre 2001, fondée à la fois sur la directive 76/207 et sur l’article 6 §3 de l’accord sur la politique sociale (pareillement formulé à l’article 141 §4 TCE)1007. De manière plus générale, des mesures

contribuant à « aider les femmes à mener leur vie professionnelle sur un pied d’égalité avec les hommes » ne semblent guère indiquer une nature différente de celles de l’article 2 §4 ayant vocation à « remédier aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes ».

323. Dans toutes les affaires que nous avons évoquées, « la Cour englobe ces deux

dispositions relatives à l’action positive dans la même approche sans reconnaître de différence significative dans leur champ d’application substantiel »1008. L’examen qu’elle effectue, alors

même qu’elle annonce que les deux dispositions sont bien distinctes, est le même1009. La

différence de nature des mesures potentiellement autorisées par l’article 141 §4 par rapport à l’article 2 §4 de la directive, si elle existe, est a priori sans conséquence et donc illusoire. Le contrôle effectué se met en place de la même manière et les conclusions tirées quant à la validité

1004 CJCE, 26 mars 2009, Commission/Grèce, op. cit., pt 65.

1005 Ibid., pt 67 et CJCE, 13 novembre 2008, Commission/Italie, op. cit., pt 57. 1006 CJCE, 13 novembre 2008, Commission/Italie, op. cit., pt 58.

1007 CJCE, 29 novembre 2001, Griesmar, op. cit., pts 65-66. Cette solution est également confirmée par l’arrêt

CJUE, 17 juillet 2014, Leone, C-173/13, pts 101 et 103 dans les mêmes termes et sur le fondement de l’article 141 §4 TCE.

1008 M. de VOS, Au-delà de l’égalité formelle, op. cit. Dans le même sens L. JOLY, Emploi des personnes handicapées, Paris, Dalloz, p. 357 : « Si la formulation de l’art 141 §4 semblait aller plus loin que la directive

initiale sur l’égalité de traitement, cette différence textuelle ne s’est pas traduite par une extension sensible du champ d’application de l’action positive dans la jurisprudence de la Cour de Justice » et L. WADDINGTON, M.

BELL, « More equal than others: Distinguishing European Union Equality Directives », Common Market Law

Review, n° 38, 2001, p. 601.

1009 Dans CJCE, 6 juillet 2000, Abrahamsson et Anderson, op. cit. et CJCE, 30 septembre 2004, Briheche, C-

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sont systématiquement identiques. Sans doute la Cour de justice cherche-t-elle à assurer une continuité dans sa ligne jurisprudentielle en matière d’actions positives et éviter que le changement de base juridique ne soit synonyme de changement radical de régime. Il est possible que telle n’ait pourtant pas été la volonté des États membres.

324. La Cour crée même une sorte de relation de conformité entre les deux dispositions

dans l’arrêt Briheche : l’article 2 §4 de la directive « vise à déboucher sur une égalité substantielle et non formelle en réduisant les inégalités de fait pouvant survenir dans la vie sociale et, ainsi, à prévenir ou à compenser, conformément à l’article 141, paragraphe 4, CE, des désavantages dans la carrière professionnelle des personnes concernées »1010. Cette mise en

cohérence des deux dispositions est nécessaire et une relation conflictuelle n’aurait guère de sens au regard de l’objectif poursuivi : la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans le domaine de l’emploi.

325. Si la situation paraissait déjà complexe pour la période où existaient seulement deux

fondements à l’action positive, dans le même domaine et pour le même motif, l’état du droit est encore plus problématique après l’adoption des directives 2000/43, 2000/78 et 2004/113. La jurisprudence ne fournit guère d’éléments sur la question de l’articulation de ces nouveaux textes par rapport à l’action positive dans l’emploi pour le sexe sous-représenté.

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