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La discrimination indirectement fondée sur les motifs de la directive 2000/

TRAITEMENT STRICTO SENSU

Section 2. L’interdiction de la discrimination indirecte

B) L’interprétation jurisprudentielle de la définition

2- La discrimination indirectement fondée sur les motifs de la directive 2000/

139. Il nous faut ici nous intéresser aux différents motifs protégés par la directive

2000/78 : d’abord la discrimination indirecte fondée sur l’âge ou le handicap (a), ensuite celle qui est fondée sur l’orientation sexuelle (b), pour terminer par celle liée à la religion ou aux convictions (c).

a- La discrimination indirecte fondée sur l’âge ou le handicap

140. Bien que le motif de l’âge ait généré l’essentiel du contentieux né de la mise en

œuvre de la directive 2000/78 devant la Cour de justice536, il n’est presque jamais question de

532 Ibid., pt 67.

533 CJUE, 6 avril 2017, Jyske Finans, op. cit., pt 31. 534 Ibid., pt 32.

535 CJUE, 15 novembre 2018, Maniero, C-457/17.

536 Laurence BURGORGUE-LARSEN écrit que « c'est surtout la question de l'âge et toutes les discriminations que

subissent dans l'univers professionnel tantôt les seniors - pour employer un terme politiquement correct - tantôt les plus jeunes, qui a engendré une ébullition interprétative révélatrice des problèmes communs auxquels sont confrontées les sociétés des États membres, toutes déboussolées par la crise économique ». In « Quand la CJUE prend au sérieux la Charte des droits fondamentaux, le droit de l'Union est déclaré invalide » AJDA 2011 p. 967 .

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discrimination indirecte. Les apports de la jurisprudence sur la discrimination indirecte par rapport au critère de l’âge restent donc modestes et très casuistiques537. On peut en apprendre

davantage sur ce que n’est pas la discrimination indirecte que sur ce qu’elle est. Nous retrouvons ici notre idée que, dans l’analyse de la Cour, l’interprétation de la définition de la discrimination indirecte est plutôt restrictive, contrairement à celle de la discrimination directe.

141. Une différence de traitement fondée sur l’éligibilité à une pension de vieillesse est

bien une discrimination directe puisqu’elle repose sur un critère indissociablement lié à celui- ci538. Traiter différemment ses employés du fait de leur différence d’expérience

professionnelle539, ou du fait de la réalisation de périodes de scolarité différentes540 n’entraîne

pas une discrimination directe car de tels critères ne sont pas indissociablement liés à l’âge, mais pas de discrimination indirecte non plus, malgré le risque qu’ils produisent un désavantage pour certaines catégories d’âge, étant donné que l’objectif de tels critères paraît légitime541 dans

le cadre de la gestion des ressources humaines de son entreprise. Un autre exemple qui s’est présenté est le critère de l’ancienneté comme pouvant générer une discrimination indirecte. « Bien que l'ancienneté constitue une variable d'éviction redoutable de certaines catégories de travailleurs en fonction de leur âge, il est difficile de faire établir par le juge qu'elle est constitutive d'une discrimination indirecte fondée sur l'âge »542, car « l'ancienneté va de pair

avec l'expérience »543 selon la Cour de justice. Ainsi, l’objectif est jugé encore une fois légitime,

malgré le désavantage potentiellement produit pour les jeunes travailleurs.

142. La massivité du contentieux de l’âge se révèle décevante sur la question de la

discrimination indirecte mais cela ne doit pas surprendre544. À travers ces renvois préjudiciels

multiples, ce sont les politiques sociales mises en place par les États ou, à plus petite échelle, par les stratégies d’entreprise, qui sont passées au peigne fin par les juridictions nationales et incidemment par la Cour de justice. Or, le critère de l’âge est largement utilisé et de manière

Au jour où nous écrivons, la Cour a rendu plus de 30 arrêts en interprétation de la directive 2000/78 dans le cadre de différences de traitement fondées sur l’âge.

537 M. MERCAT-BRUNS, « Âge et discrimination indirecte : une jurisprudence en gestation », RDT, n°7-8, 2011,

pp. 441-444. Elle étudie des arrêts de la Cour de cassation française mais revient sur les éléments du droit de l’Union européenne.

538 CJUE, 12 octobre 2010, Ingeniorforeiningen i Danmark, C-499/08. 539 CJUE, 7 juin 2012, Tyrolean Airways, C-132/11.

540 CJUE, 21 décembre 2016, Bowman, C-539/15.

541 Comme nous le verrons par la suite, la discrimination indirecte peut toujours être justifiée par un objectif

légitime, si les moyens sont appropriés et nécessaires.

542 F. MICHÉA, « Le traitement judiciaire du critère discriminatoire de l'âge », Droit social, 2010, p. 1060. 543 CJCE, 17 octobre 1989, Danfoss, 109/88, pt 24.

544 M. MERCAT-BRUNS, « Âge et discrimination indirecte : une jurisprudence en gestation », Droit social, 2009,

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tout à fait directe dans le cadre de ces politiques et stratégies. Il s’ensuit que ce sont bien davantage des cas de discriminations directes qui sont éventuellement être découverts par la Cour que de discriminations indirectes.

143. Il en va de même pour le handicap où la plupart des difficultés contentieuses sont

nées de l’absence de définition de la notion de handicap dans la directive545. Toutefois, l’arrêt

HK Danmark en 2013 a été l’occasion de quelques précisions sur la discrimination indirecte.

Le critère utilisé pour fonder une différence de traitement dans les préavis de licenciement était les absences pour cause de maladie, et par extension, la maladie elle-même. Après avoir établi que la maladie ne se confond pas avec le handicap tel qu’il a été défini dans l’arrêt Chacon

Navas546, en ajoutant qu’il faut une « durabilité de l'entrave à la vie professionnelle »547 pour que

la maladie entre éventuellement dans sa définition548, la Cour refuse de faire de la maladie un

critère en soi prohibé par la directive 2000/78549 ou un critère indissociablement lié au handicap,

ce qui aurait produit un effet de stigmatisation du handicap inacceptable.

144. En revanche, elle pourrait bien produire une discrimination indirecte fondée sur le

handicap, car « si le travailleur handicapé est confronté comme les autres travailleurs au risque de tomber malade, son état l'expose davantage aux maladies qui sont liées à son handicap »550.

Le critère de la maladie est donc susceptible « d’entraîner une différence de traitement indirectement fondée sur le handicap »551, ce qui, selon certains auteurs, « véhicule un double

préjugé condamnable »552 sur les personnes handicapées, portant atteinte à leur dignité. Il est

vrai que tout lien, même indirect, entre la maladie et le handicap, risque de ramener le handicap

545 La Cour a rendu dix arrêts sur ce motif : CJUE, 19 septembre 2018, Bedi, C-312/17 ; CJUE, 18 janvier 2018, Ruiz Conejero, C-270/16 ; CJUE, 9 mars 2017, Milkova, C-406/15 ; CJUE, 1er décembre 2016, Daouidi, C-

395/15 ; CJUE, 11 avril 2013, HK Danmark, C-335/11 et C-337/11 ; CJUE, 8 décembre 2014, FOA, C-354/13 ; CJUE, 18 mars 2014, Z., C-363/12 ; CJCE, 17 juillet 2008, Coleman, C-303/06 ; CJCE, 11 juillet 2006, Chacon

Navas, C-13/05. Sur le fondement de l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux : CJUE, 22 mai 2014, Glatzel, C-356/12.

546 CJCE, 11 juillet 2006, Chacon Navas, op. cit., pt 43 : cette notion doit être entendue comme visant une

limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques et entravant la participation de la personne concernée à la vie professionnelle. Cité au pt 36 de l’arrêt CJUE, 11 avril 2013, HK Danmark, op. cit.

547 H. RIHAL, J. CHARRUAU, « La notion de handicap et ses conséquences : les apports peu éclairants de la Cour

de justice de l'Union européenne », RDSS, 2013, p. 843.

548 CJUE, 11 avril 2013, HK Danmark, op. cit., pt 41.

549 Ibid., pt 42. On peut sans doute voir-là l’influence de la ratification intervenue entre l’arrêt Chacon Navas et HK Danmark de la Convention relative aux droits des personnes handicapées par l’Union européenne en 2011. 550 J. CAVALLINI, « Maladie et discrimination indirecte fondée sur le handicap », JCP S, n° 23, 2013, p. 1238. 551 CJUE, 11 avril 2013, HK Danmark, op. cit., pt 76.

552 H. RIHAL, J. CHARRUAU, « La notion de handicap et ses conséquences : les apports peu éclairants de la Cour

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à une conception médicalisée, qui n’est pas celle qu’entend promouvoir la Convention relative aux droits des personnes handicapées553, à laquelle l’Union est partie.

145. Une discrimination indirectement fondée sur le handicap pourrait bien être

constiuée également par une mesure telle que celle qui était en cause dans l’affaire Bedi554. Une

convention collective conclue entre l’Allemagne et différents syndicats prévoyait le versement d’une allocation complémentaire temporaire pour les travailleurs âgés, longtemps dans l’emploi, se faisant licencier pour une cause économique, en cas de réemploi ou de chômage. La question de la discrimination indirecte sur le fondement du handicap intervient étant donné que le droit allemand permet par ailleurs que les travailleurs « gravement handicapés se voient octroyer une pension de retraite anticipée au titre du régime légal d’assurance pension, en fonction de leur année de naissance »555. La conséquence est que ces travailleurs-là bénéficient

de l’allocation complémentaire moins longtemps, étant donné qu’ils parviennent plus tôt à l’éligibilité à une pension de retraite. Ces éléments établissent l’existence d’une présomption de discrimination indirecte, sans qu’il soit nécessaire d’examiner plus concrètement les effets de la mesure sur un grand nombre de travailleurs handicapés. Le simple fait que le requérant ait effectivement subi un traitement désavantageux suffit à établir cette présomption.

b- La discrimination indirecte fondée sur l’orientation sexuelle

146. L’orientation sexuelle, « motif inépuisable de discrimination »556, n’a pourtant pas

encore été au cœur d’un grand nombre d’arrêts dans le cadre de la directive 2000/78557. L’âge

et le sexe sont utilisés fréquemment pour fonder directement des différences de traitement dans les politiques sociales des États, tandis que l’orientation sexuelle serait davantage le prétexte de distinctions dans des domaines comme la santé, le droit au mariage et les droits reproductifs, qui ne font pas partie du champ d’application de la directive 2000/78. En revanche, l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux prohibe toute discrimination, sans précision sur leur nature, fondée sur l’orientation sexuelle, dans tous les domaines. Nous avons vu que la plupart

553 La Convention relative aux droits des personnes handicapées de 2006 cherche précisément à « faire place à une

conception non entièrement médicale du handicap mais sociologique fondée sur la relation entre la personne et son environnement », selon H. RIHAL, J. CHARRUAU, « La notion de handicap et ses conséquences : les apports peu éclairants de la Cour de justice de l'Union européenne », op. cit.

554 CJUE, 19 septembre 2018, Bedi, C-312/17. 555 Ibid., pt 51.

556 F. SUDRE, « L'orientation sexuelle, motif inépuisable de discrimination pour la Cour EDH », JCP, 2016, p.

897.

557 Seulement cinq arrêts à ce jour : CJUE, 1er avril 2008, Maruko, C-267/06 ; CJUE, 10 mai 2011, Römer, C-

147/08 ; CJUE, 25 avril 2013, Asociaţia Accept, C-81/12 ; CJUE, 12 décembre 2013, Hay, C-267/12 ; CJUE, 24 novembre 2016, Parris, C-443/15.

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des arrêts dans lesquels sont apparus des cas de discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, dans le cadre de la directive 2000/78, avait pour origine des allégations de discriminations du fait des différences de traitement instaurées entre les statuts d’unions du couple. De telles allégations s’expliquent par le fait que les États autorisant le mariage pour les couples de même sexe sont restés longtemps très minoritaires, même si leur nombre a largement progressé aujourd’hui558. Le Parlement européen a recommandé aux États membres à plusieurs

reprises de mettre fin à « l’interdiction faite aux couples homosexuels de se marier ou de bénéficier de dispositions juridiques équivalentes » et de « leur garantir l’ensemble des droits et des avantages du mariage, ainsi qu’autoriser l’enregistrement des partenariats »559.

147. Nous avons vu que dans trois des cas qui s’étaient présentés à la Cour de Justice560,

les juges avaient considéré ce critère comme étant indissociablement lié au motif de l’orientation sexuelle, s’engageant donc dans la logique de la discrimination directe. Il nous faut dire à présent quelques mots du quatrième cas qui s’est présenté à la Cour. Le contexte de l’arrêt Parris561 mérite d’abord d’être rappelé. Une mesure irlandaise accordait le bénéfice d’une

prestation de survie pour le conjoint survivant dans le cadre du mariage, à la condition que le mariage ait été conclu avant le soixantième anniversaire du bénéficiaire de la pension de retraite décédé. À partir du 19 juillet 2010, la loi sur les partenariats civils ayant été adoptée en Irlande, le régime de la prestation de survie fut étendu pour bénéficier au survivant conjoint comme partenaire. Le cas particulier de la mesure en cause est son application indistincte au mariage et au partenariat, dès le 19 juillet 2010, ce qui différencie l’affaire Parris des précédentes. Ainsi la Cour confirme que la mesure est « formulée de manière neutre et vise, par ailleurs, les travailleurs homosexuels autant que les travailleurs hétérosexuels, et exclut, sans distinction, leurs partenaires du bénéfice d’une pension de survie lorsque le mariage ou le partenariat enregistré n’a pas été conclu avant le soixantième anniversaire du travailleur »562.

558 14 États membres de l’Union européenne ont ouvert le droit au mariage au couple homosexuel. En 2017,

l'Allemagne, Malte, la Finlande et l'Autriche ont été les derniers à le faire. Par ordre chonologique ensuite : les Pays-Bas (2001), la Belgique (2003), l'Espagne (2005), la Suède (2009), le Portugal (2010), le Danemark (2012), la France (2013), le Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles en 2013, Ecosse en 2014), le Luxembourg et l'Irlande (2015). En Slovénie, le référendum du 20 décembre 2015 par référendum a rejeté la loi autorisant le mariage homosexuel adoptée par le Parlement.

559 Résolution du Parlement Européen du 8 février 1994 sur l'égalité des droits des homosexuels et des lesbiennes

dans la Communauté Européenne, JOCE C 61 du 28.2.1994, p. 40 ; Résolution du Parlement européen du 17 décembre 1998 sur l’égalité du droit pour les homosexuels et les lesbiennes dans l’Union Européenne, JOCE C 313, 12.10.1998, p. 186.

560 CJUE, 1er avril 2008, Maruko, C-267/06 ; CJUE, 10 mai 2011, Römer, C-147/08 ; CJUE, 12 décembre 2013, Hay, C-267/12.

561 CJUE, 24 novembre 2016, Parris, C-443/15. 562 Ibid., pt 49.

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148. Toutefois, le requérant faisait valoir au principal que, le régime ayant été réservé

aux seuls mariés jusqu’en 2010, il avait été dans l’impossibilité d’en bénéficier, avant d’atteindre l’âge de 60 ans. Il y aurait donc eu, selon lui une discrimination « multiple »563

fondée sur l’orientation sexuelle et l’âge, car les travailleurs homosexuels de plus de 60 ans en 2010 étaient de facto exclus de la prestation. Ce raisonnement convainquit l’avocate générale pour qui, malgré la neutralité du critère retenu, « cette limite d’âge a affecté un grand nombre de travailleurs homosexuels d’une manière plus sensible et plus désavantageuse que leurs collègues hétérosexuels »564. Or, un tel « constat est suffisant pour conclure que l’on est en

présence d’une discrimination indirecte en raison de l’orientation sexuelle »565.

149. Une fois de plus, la possibilité d’un effet discriminatoire est considérée comme la

seule condition nécessaire à la révélation d’une discrimination indirecte. Elle développe des points intéressants : « le constat d’une discrimination indirecte ne suppose pas, en effet, que tous les travailleurs homosexuels soient défavorisés, pas plus qu’elle ne dépend du fait que des travailleurs hétérosexuels ne le soient jamais »566. La Cour n’a pourtant pas retenu cette

conclusion logique, pour une raison extérieure à la logique discriminatoire. En effet, il n’était guère possible de ne pas conclure à une discrimination indirecte fondée sur l’orientation sexuelle, mais la Cour estime être ici tenue par le fait que la directive 2000/78 ne saurait avoir pour effet d’obliger les États à reconnaître le mariage ou une quelconque forme d’union pour les personnes de même sexe567. L’efficacité de la lutte contre les discriminations indirectes

fondées sur l’orientation sexuelle est mise en échec par la répartition des compétences et une « déférence inédite »568 de la Cour pour la liberté des États de ne pas autoriser le mariage pour

les couples de même sexe.

150. Un dernier cas s’est présenté à la Cour, cette fois-ci en interprétation de l’article 21

de la Charte des droits fondamentaux, qui interdit les discriminations mais sans précision sur leur forme directe ou indirecte. Cela n’empêcha pourtant pas l’avocat général Mengozzi de déceler, dans l’affaire Geoffrey Léger du 29 avril 2015569, une différence de traitement

indirectement fondée sur le sexe et l’orientation sexuelle, dans le fait d’interdire à vie pour les

563 Nous étudierons cette question plus tard. Voir sur cet arrêt, N. MOIZARD, « La CJUE limite la reconnaissance

de la discrimination multiple », RDT, 2017, p. 267.

564 Conclusions de l’avocate générale Mme Juliane KOKOTT, présentées le 30 juin 2016, C-443/15. 565 Ibid.

566 Ibid., pt 61.

567 Ibid., pts 59-61. Elle renvoie au considérant 22 de la directive 2000/78 qui garantit la liberté des États de ne pas

reconnaître le mariage pour les personnes de même sexe.

568 E. BRIBOSIA, I. RORIVE, « Droit de l’égalité et de la non-discrimination », JEDH, n° 2, 2017, p. 204. 569 CJUE, 29 avril 2015, Geoffrey Léger, C-528/13.

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« hommes ayant eu des rapports sexuels avec un homme », de donner leur sang en France570.

Tout l’enjeu de l’arrêt Léger était en effet de déterminer si « l’exclusion permanente pour les hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme [vise] à affecter une orientation sexuelle particulière ou plutôt un véritable comportement, à proprement parler »571. Il existe a priori un

lien très direct entre le fait qu’un homme ait eu des relations sexuelles avec un homme et son orientation sexuelle, si direct d’ailleurs que l’on aurait pu s’attendre à un raisonnement sur le critère indissociablement lié et la discrimination directe dans les conclusions.

151. Contrairement à l’avocat général, et de manière d’ailleurs plus fidèle à la formule

générale de l’article 21 de la Charte, la Cour n’utilise pas explicitement la dichotomie discrimination directe/indirecte. Elle précise simplement que la règlementation française est « susceptible de comporter, à l’égard des personnes homosexuelles, une discrimination au sens de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte »572. Même si l’article 21 de la Charte ne prévoit pas

de dérogations à l’interdiction de discriminer, la Cour se fonde sur l’article 52 §1 qui autorise des limitations aux droits fondamentaux reconnus par la Charte, si elles sont prévues par la loi, « nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général »573. La Cour estime

que tel est le cas ici, l’objectif étant de « protéger la santé des receveurs », la santé publique574.

La caractérisation de la mesure comme étant « susceptible de comporter une discrimination » et la vérification des justifications peuvent laisser penser que la Cour voit dans une telle mesure une discrimination indirecte potentielle, et non directe. Ou bien doit-on penser que toute discrimination dans les domaines couverts par la Charte et non couverts par les directives, est justifiable, qu’elle soit directe ou non, vu l’article 52 §1 ? Il n’est pas évident qu’il faille voir dans l’arrêt Léger un cas de discrimination indirecte fondée sur l’orientation sexuelle, et ce malgré les conclusions de l’avocat général.

c- La discrimination indirecte fondée sur la religion ou les convictions

152. La Cour n’a rendu que quatre arrêts en interprétation du motif de la religion ou des

convictions de la directive 2000/78, dont deux en relation avec l’exigence de neutralité dans

570 Conclusions de l’avocat général M. Paolo MENGOZZI, présentées le 17 juillet 2014, aff. C-528/13. Cf. sur ces

conclusions C. DEMUNCK, « Vers la fin de l'exclusion française du don de sang des homosexuels ? », Dalloz

actualité, 29 juillet 2014.

571 Ibid., pt 34 : « en pratique, c’est essentiellement, si ce n’est exclusivement, la totalité de la population masculine

homosexuelle et bisexuelle qui se retrouve, de fait, exclue pour toujours du don pour la seule raison que ces hommes ont eu ou ont actuellement des rapports sexuels avec un autre homme ».

572 Ibid., pt 50. 573 Ibid., pt 52. 574 Ibid., pts 54-59.

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l’entreprise575. Dans l’arrêt G4S Secure Solutions du 14 mars 2017, l’analyse s’est portée sur la

discrimination indirecte, d’ailleurs soulevée par la Cour de justice elle-même576. Une disposition

du règlement intérieur d’une entreprise belge interdisait à ses employés « de porter sur le lieu de travail des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses ou d’accomplir tout rite qui en découle »577. La Cour part de la considération première, en soi

discutable comme nous aurons l’occasion de le montrer plus tard dans notre travail578, qu’un tel

règlement ne saurait être perçu comme une discrimination directe, parce qu’il viserait « indifféremment toute manifestation de telles convictions »579. En revanche, selon la Cour, si

cette règle ne vise pas directement une catégorie particulière d’individus sur le fondement d’une religion ou conviction particulière, elle pourrait bien constituer une discrimination indirecte si une catégorie d’individus subissait un désavantage particulier, en raison de sa religion ou de ses convictions.

153. Une question se pose alors : faut-il considérer qu’une règle de neutralité dans

l’entreprise, même « indifférenciée », est en soi susceptible d’entraîner une discrimination indirecte fondée sur la religion ou les convictions ? La Cour n’exclut pas qu’une telle règle de

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