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L’absence de contrôle systématique de l’objectif de la différence de traitement directe

TRAITEMENT LÉGITIMES

Section 2. Les dérogations justifiées par l’objectif poursu

A) L’absence de contrôle systématique de l’objectif de la différence de traitement directe

243. L’absence de contrôle systématique de l’objectif des discriminations directes a pour

conséquence que la discrimination directe est établie en principe dès la réunion des trois conditions présentées. Si aucun régime particulier n’est invoqué par l’auteur de la différence de traitement, la Cour ne demandera pas au juge national de vérifier les justifications du défendeur. Le juge peut donc passer directement de la présomption de discrimination à la qualification de discrimination et donc à son interdiction816.

244. Dans l’arrêt Kleist, la Cour précisa bien que la directive 76/207, alors même que ce

texte aujourd’hui abrogé ne précisait rien de tel, opérait « une distinction entre, d’une part, les discriminations directement fondées sur le sexe et, d’autre part, celles dites "indirectes", en ce sens que seules les dispositions, critères ou pratiques susceptibles de constituer des discriminations indirectes peuvent […] échapper à la qualification de discrimination à condition d’être "objectivement justifié[s] par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires". Une telle possibilité n’est, en revanche, pas prévue pour les différences de traitement susceptibles de constituer des discriminations directes au sens de

816 Voir par exemple CJCE, 21 juillet 2005, Vergani, C-207/04 : « il y a lieu de conclure que cette différence de

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l’article 2, paragraphe 2, premier tiret, de cette directive »817. L’idée d’« échapper à la

qualification », par l’application d’un élément de définition supplémentaire pour la discrimination indirecte818 est explicitée.

245. En l’espèce, la Cour de justice décida de qualifier la différence de traitement de

discrimination directe fondée sur le sexe. Le fait que l’auteur de la discrimination invoquait un « objectif de promotion de l’emploi de personnes plus jeunes »819 n’a aucune conséquence sur

cette qualification, étant donné qu’aucun régime particulier ne contraint la Cour à prendre en considération l’objectif de la mesure en l’espèce. Stéphane Gervasoni déplore des hésitations et des confusions et écrit que l’on « pourrait penser par exemple que le recours à l’une des critères les plus "suspects" permette au juge de se dispenser de l’examen des justifications, pourtant non. Dans certains cas, le critère du sexe est considéré comme en tant que tel insusceptible de justifier une différence de traitement, dans d’autres le même critère donne malgré tout à l’examen d’éventuelles justifications »820, il se fonde en réalité sur un exemple de

discrimination directe et sur un exemple de discrimination indirecte821, ce qui explique les

positions divergentes de la Cour de justice.

246. Il ne faut toutefois pas confondre le contrôle systématique de l’objectif pour le

discrimination indirecte et non systématique pour la discrimination directe avec les aménagements de la charge de la preuve. « Le plus souvent, la discrimination directe est pratiquée de la façon la plus discrète possible : interdite en droit, elle subsiste dans les faits »822.

Elle peut être, dès lors, tout aussi complexe à prouver que la discrimination indirecte. Des auteurs ont eu l’impression que la Cour semblait « admettre des justifications aux discriminations directes en raison du sexe »823 dans l’arrêt Brunnhofer en 2001824. Était

817 CJUE, 18 novembre 2010, Kleist, C-356/09, pt 41. Elle l’avait déjà dit dans l’arrêt CJCE, 8 novembre 1990, Dekker, C-177/88, pts 12 et 13.

818 Voir notre Schéma explicatif n° 1, p. 131.

819 CJUE, 18 novembre 2010, Kleist, pt 46. C’était l’argument invoqué par la caisse d’assurance vieillesse en

l’espèce pour justifier la différence de traitement, qu’elle qualifiait de présomption de discrimination indirecte (pt 22 de l’arrêt).

820 S. GERVASONI « Principe d’égalité et principe de non-discrimination : quelques considérations tirées de la

jurisprudence de la Cour de justice », in L. POTVIN-SOLIS (dir.), Le principe de non-discrimination face aux

inégalités de traitement entre les personnes dans l'Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 91-107 821 L’arrêt CJCE, 7 juin 1972, Bertoni/Parlement, 20/71, qu’il donne comme exemple de cas où il n’y a pas de

justification possible, vise une discrimination directement fondée sur le sexe ; tandis que l’arrêt CJCE, 27 juin 1990, Kowalska, C-33/89, est un cas de différence de traitement fondé sur le critère du travail à temps partiel, constitutif d’une présomption de discrimination indirecte et partant, susceptible d’être justifiée.

822 O. de SCHUTTER, Discrimination et marché du travail. Liberté et égalité dans les rapports d'emploi, op. cit.,

p. 82.

823 Voir N. MOIZARD, « Justification d'une discrimination directe et exercice du pouvoir de direction » RDT, 2012,

p. 159, note n° 6.

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présumée une discrimination directe fondée sur le sexe, en matière de rémunérations. La Cour donna des éléments au juge national pour déterminer si les situations étaient comparables et si le travail était bien de « valeur égale », comme l’article 157 §1 du TFUE le requiert. Mais la Cour de justice ne tira aucune conclusion elle-même à ce sujet. Les considérations dégagées par la Cour de justice restaient donc très générales.

247. Elle rappela que si, dans la discrimination directe, la charge de la preuve incombe

en principe à la personne qui s’estime victime de la discrimination, « la charge de la preuve peut être déplacée lorsque cela s'avère nécessaire pour ne pas priver les travailleurs victimes d'une discrimination apparente de tout moyen efficace de faire respecter le principe de l'égalité des rémunérations »825. Ce n’est que dans un tel cas, parce que « les travailleurs féminins sont

dans l'impossibilité de comparer les différentes composantes de leur salaire avec celles de la rémunération de leurs collègues masculins »826 par exemple, que l’inversion de la charge de la

preuve827 peut amener l'employeur à « justifier la différence de rémunération constatée par des

facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe »828.

248. La Cour précisa que tel n’était pas le cas dans l’affaire au principal. En

conséquence, si la partie requérante démontrait que les conditions de la discrimination directe étaient réunies, l’employeur ne pourrait pas apporter des justifications quant à son objectif, mais « contester que les conditions d'application dudit principe sont réunies, en établissant par toute voie de droit, notamment, que les activités réellement exercées par les deux travailleurs concernés ne sont en fait pas comparables »829. L’arrêt Brunnhofer n’introduit nullement une

possibilité générale de déroger à l’interdiction de discriminer directement fondée sur l’objectif poursuivi, il rappelle une évidence : la partie défenderesse peut toujours essayer de démontrer que les conditions de la discrimination directe ne sont pas réunies. L’arrêt Römer830 est une

confirmation de plus puisque l’une des questions de la juridiction allemande était de savoir si « la discrimination directe (PACS/mariage orientation sexuelle) pou[v]ait être justifiée ». La Cour ne répond pas à cette question, précisément parce qu’elle retient la qualification de discrimination directe.

249. La différence de régime entre discrimination directe et indirecte ayant des

conséquences contentieuses très importantes, la qualification initiale retenue par le juge est un

825 Ibid., pt 53. Voir aussi CJCE, 7 octobre 1993, Enderby, C-127/92, pt 14. 826 CJCE, 6 juin 2001, Brunnhofer, op. cit., pt 55.

827 Ibid., pt 54 : « l'employeur a la charge de prouver que sa pratique salariale n'est pas discriminatoire » 828 Ibid., pt 62.

829 Ibid., pt 61.

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enjeu fondamental. Or, rappelons-nous que nous avons vu, à l’issue du chapitre précédent, qu’une telle distinction était loin d’être aisée à réaliser en pratique. Dans certaines situations présentant des ambigüités831, la Cour peut soit s’affranchir du contrôle systématique des

justifications, soit au contraire ouvrir cette possibilité à l’auteur par la voie de la présomption de discrimination indirecte. Dans les affaires Bougnaoui et ADDH et G4S Secure Solutions832,

« la qualification de la discrimination (directe ou indirecte) était la principale difficulté qui méritait une attention particulière de la part de la juridiction européenne et ce d'autant plus que les conclusions des avocats généraux divergeaient sur ce point »833. À partir du moment où la

Cour tranche dans le sens d’une discrimination directe potentielle, la question qui se pose surtout est celle de l’applicabilité d’éventuels régimes dérogatoires permettant de vérifier l’objectif poursuivi. Ce sont ces régimes que nous allons maintenant présenter.

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