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TRAITEMENT STRICTO SENSU

Section 1. L’interdiction de la discrimination directe

B) Le motif non-explicité

67. Dans la directive 2000/43, la discrimination directe se produit quand le traitement est

moins favorable « pour des raisons de race ou d'origine ethnique », dans les directives 2004/113 et 2006/54, c’est « en raison de son sexe » que l’individu doit avoir été défavorisé et dans la directive 2000/78, c’est « sur la base de l’un des motifs » visés328. Ces trois formulations,

proches en français et identiques en anglais329, ne donnent pas beaucoup d’éléments pour

déterminer si, en dehors des cas où le critère est explicitement présent dans la mesure ou la pratique, une discrimination peut ou non être qualifiée de directe. Ainsi la Cour s’est-elle autorisée à ne pas se limiter à ce seul cas de figure.

68. En procédant à un tel élargissement, la Cour a parfois rendu très ténue la frontière

entre discrimination directe et indirecte. Les juges semblent vouloir conférer à la discrimination directe la plus large portée possible, pour des raisons que nous expliqueront par la suite, par rapport à la discrimination indirecte, qui apparaît comme plus restrictive dans son sens. La Cour peut qualifier de discrimination directe des situations où le critère utilisé est indissociablement lié au motif protégé (1), ou lorsqu’une pratique n’explicite pas sa motivation mais que celle-ci est manifestement un motif interdit (2).

1- La discrimination directe par critère indissociablement lié

69. Cette première situation est celle où le critère utilisé par l’autorité normative n’est

pas le motif protégé mais il produit le même résultat, à savoir traiter moins favorablement une catégorie protégée. Ici la frontière se brouille avec la discrimination indirecte du fait que c’est un autre critère que celui qui est prohibé qui est utilisé. Déjà, dans le cadre de son interprétation de la directive 76/207, la Cour avait décidé que constituait une discrimination directement fondée sur le sexe le fait de traiter différemment une femme en raison de sa grossesse. Le raisonnement est simple : les hommes ne pouvant pas être concernés par cet état et bien que toutes les femmes ne le soient pas nécessairement, seules les femmes peuvent potentiellement subir un traitement moins favorable qui aurait comme seul motif la grossesse. La Cour a ainsi qualifié le licenciement330 et le refus d’embauche331 en raison de la grossesse de discriminations

directes. La Cour a eu l’occasion de montrer que la plupart des motifs étaient possiblement

328 Souligné par nous.

329 Dans les versions anglaises des textes, l’expression est systématiquement « on the grounds of ». 330 CJCE, 8 novembre 1990, Hertz, C-179/88.

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concernés par une telle analyse. Par exemple, fonder une différence de traitement sur le fait d’être éligible à la pension de retraite aboutit à une discrimination directe fondée sur l’âge, puisque l’éligibilité à la pension de retraite ne dépend que de l’âge332.

70. L’orientation sexuelle peut aussi être directement visée à l’occasion de différences

de traitement fondées sur le statut de l’union du couple, mariage ou partenariat. Mais cette jurisprudence est complexe, voire énigmatique. Lorsque la législation d’un État n’autorise pas le mariage entre les personnes de même sexe mais ouvre pour eux une autre forme légale de partenariat, il est fréquent qu’elle établisse des différences entre les régimes de ces deux types d’union. A priori, la différence de traitement est fondée sur le critère du statut juridique de l’union et non sur celle de l’orientation sexuelle des individus. Un tel critère, qui a généralement pour but de favoriser les personnes mariées, semble davantage relever de la définition de la discrimination indirecte333 que directe.

71. Pourtant, dans les arrêts Maruko334 et Hay335, la Cour a posé le principe que toute

règlementation « n’ouvrant le droit à des avantages en termes de rémunération ou de conditions de travail qu’aux travailleurs mariés, alors que le mariage n’est légalement possible dans cet État membre qu’entre personnes de sexe différent, crée une discrimination directe fondée sur l’orientation sexuelle à l’encontre des travailleurs salariés homosexuels titulaires d’un PACS qui se trouvent dans une situation comparable »336. En d’autres termes, un tel critère est

indissociablement lié à l’orientation sexuelle si par ailleurs la législation nationale refuse le mariage aux couples de même sexe. Il faut considérer que cette « jurisprudence se limite sans doute à des cas où un motif neutre conduit avec certitude à une discrimination »337, qui révèle

l’absence totale de neutralité d’un tel critère et permet donc de se placer sur le registre de la discrimination directe.

72. L’arrêt Römer, intervenu entre les deux précédents, a cependant introduit une

incertitude338. L’une des questions posées était précisément de savoir si l’utilisation d’un tel

critère était constitutive d’une discrimination directe ou indirecte339. La Cour, conformément à

l’arrêt Maruko, conclut qu’il s’agit bien d’une discrimination directe fondée sur l’orientation

332 CJUE, 12 octobre 2010, Ingeniørforeningen i Danmark, C-499/08, pt 46. 333 Article 2 § 1 c) de la directive 2000/78.

334 CJCE, 1er avril 2008, Maruko, C-267/06. 335 CJUE, 12 décembre 2013, Hay, C-267/12.

336 CJCE, 1er avril 2008, Maruko, C-267/06, pt 73 ; CJUE, 12 décembre 2013, Hay, C-267/12, pt 41. 337 T. AUBERT-MONPEYSSEN, N. MOIZARD, « Égalité : des exigences trop fortes ? », RDT, 2012, p. 128. 338 Qui confirme la solution déjà dégagée dans l’arrêt CJCE, 1er avril 2008, Maruko, C-267/06.

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sexuelle340. Toutefois, la Cour prend en compte dans son analyse le fait que, dans le contexte

juridique national, non seulement le mariage était réservé aux personnes de sexes différents, mais en plus le partenariat de vie était réservé aux personnes de même sexe341. Dans un tel

contexte, l’on se rapproche effectivement de la logique de la discrimination fondée sur l’état de grossesse, qui ne peut concerner que des femmes, sans les concerner toutes. Si le partenariat est réservé aux couples de même sexe, la différence de traitement ne concernera de facto que les couples de même sexe, sans concerner ceux qui n’auraient pas enregistré de partenariat. L’arrêt

Hay revenant à l’interprétation de Maruko, puisqu’il n’exige pas que le partenariat soit réservé

aux couples de même sexe, laisse à penser qu’il ne s’agissait qu’il s’agit d’un égarement ponctuel et non d’une condition supplémentaire. Le fait que le mariage soit réservé aux personnes hétérosexuelles suffit.

73. D’un point de vue purement juridique, cette position est regrettable. Considérer que

le critère du statut de l’union est in abstracto constitutif d’une discrimination directe, tant que les couples mariés et pacsés sont placés dans une situation comparable, n’est pas très rigoureux par rapport aux définitions des deux types de discriminations. Quand le partenariat n’est pas réservé aux couples homosexuels, le fait est que des couples hétérosexuels pacsés subiront la différence de traitement, probablement dans une moindre proportion. D’ailleurs, dans l’arrêt

Nikoloudi342, l’on apprenait que si le critère de l’emploi à temps partiel est plutôt de nature à faire suspecter une discrimination indirectement liée au sexe, il peut être à l’origine d’une discrimination directe si la législation réserve en pratique le travail à temps partiel aux seules femmes343. Entre les arrêts Nikoloudi, Römer et la jurisprudence sur le motif de la grossesse, il

y a une logique claire, on se concentre sur le fait que l’effet discriminatoire ne porte de facto que sur des individus appartenant à la catégorie protégée, à titre exclusif. Dans les arrêts Maruko et Hay, si le partenariat est aussi ouvert aux couples de sexes différents, alors la seule démonstration valable devrait être celle d’un désavantage particulier pour les couples de même sexe, s’ils sont exclus du mariage. La discrimination devrait alors n’être qu’indirecte.

340 CJUE, 10 mai 2011, Römer, C-147/08, pt 42. 341 Ibid., pt 52.

342 CJCE, 10 mars 2005, Nikoloudi, C-196/02.

343 Ibid. pt 36 : « […] le critère d’emploi à plein temps, en tant que condition préalable à la titularisation, tout en

étant apparemment neutre quant au sexe du travailleur, revient à exclure une catégorie de travailleurs qui, en vertu des règles nationales ayant force de loi, ne peut être composée autrement que de femmes. Dès lors qu’un tel critère ne rend pas incomparable, au regard de la titularisation, deux situations qui sont, pour le reste, comparables, il constitue une discrimination directe fondée sur le sexe ».

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2- La discrimination directe fondée sur le mobile de l’auteur

74. Toujours parce que la différence de traitement se fait en fonction du motif prohibé,

la Cour a ouvert la possibilité avec l’arrêt CHEZ Razpredelenie Bulgaria de fonder une discrimination directe sur les motivations manifestes de l’auteur de la différence de traitement344, sans toutefois trancher elle-même la question en l’espèce. La pratique en cause

avait ceci de singulier que son auteur n’avait pas exprimé son mobile. La différence de traitement pouvait se constater aisément mais il n’y avait aucune explication de l’auteur.

75. En cause au principal se trouvait la pratique d’un fournisseur d’électricité bulgare

consistant à placer les compteurs électriques des abonnés d’un quartier peuplé en majorité d’individus d’origine rom à une hauteur de sept mètres, sur les piliers en béton du réseau électrique. Dans les autres quartiers de la ville, les compteurs étaient placés à une hauteur accessible pour les habitants. L’avocate générale Juliane Kokott proposait à la Cour de qualifier une telle pratique de discrimination indirecte, puisqu’elle produisait un désavantage particulier pour les Roms345. Pour elle, « ni la décision de renvoi ni les observations présentées par les

parties ne fournissent d’éléments concrets susceptibles d’indiquer que la pratique litigieuse soit choisie précisément en raison de l’origine ethnique des habitants de Gizdova Mahala ou se rattache à une particularité indissociable de leur origine ethnique ». Elle renvoie ici aux deux cas que nous avons vus précédemment : la discrimination directe parce qu’elle est explicite ou parce qu’elle est fondée sur un critère indissociablement lié. Elle voit deux impossibilités à reconnaître une discrimination directe. D’abord le fait que la pratique litigieuse ne concerne pas

exclusivement les Roms, en se fondant sur la jurisprudence passée sur les femmes enceintes346,

ensuite, le fait qu’il n’y ait aucun motif exprimé.

76. De manière surprenante, la Cour de justice ne suit pas les conclusions de l’avocate

générale et s’engage plutôt dans la voie de la discrimination directe. Elle précise « qu’il suffit, pour qu’il existe une discrimination directe au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/43, que [l’]origine ethnique ait déterminé la décision d’instituer ledit traitement »347. Elle se fonde sur le fait que la juridiction a relevé que la pratique litigieuse est,

de manière constante et incontestée, observée dans les quartiers « notoirement peuplés

344 CJUE, 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria, op. cit.

345 Conclusions de l’avocate générale Mme Juliane KOKOTT, présentées le 12 mars 2015, aff. C-83/14. 346 Ibid., pts 86-87.

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majoritairement de ressortissants bulgares d’origine rom »348. La Cour conclut que, s’il est établi

par la juridiction que la pratique a été « instituée et/ou maintenue pour des raisons liées à l’origine ethnique »349, il faudrait la qualifier de discrimination directe, ce qu’elle ne fait pas

elle-même350. Celle-ci « ne suppose plus que l’auteur de la discrimination stigmatise

ouvertement sa victime du doigt en lui faisant savoir que c’est son origine ethnique qui lui pose problème »351. En fait, même si les conclusions de l’avocate générale étaient convaincantes, la

solution proposée par la Cour repose davantage sur une interprétation littérale de la discrimination indirecte que sur une volonté d’élargir à l’infini la discrimination directe. L’interprétation de la discrimination directe revient presque à lui donner pour fonction de qualifier toute situation qui n’est pas une discrimination indirecte mais produit un effet discriminatoire.

77. La discrimination indirecte suppose l’existence d’une disposition, d’un critère ou

d’une pratique en apparence neutre, c’est-à-dire qui serait justifiée par des éléments étrangers au motif protégé352. Mais encore faut-il que de tels éléments existent ou soient au moins

imaginables. Dans l’affaire CHEZ, la possibilité de justifier la différence de traitement d’une quelconque manière que ce soit, autrement que par la discrimination ethnique, fait défaut. C’est en raison du mobile, ou plutôt l’absence de mobile « en apparence neutre », que la Cour propose la qualification de discrimination directe davantage que de discrimination indirecte353.

78. La deuxième étape de l’analyse d’une différence de traitement directe est celle de la

recherche du comparateur mieux traité354. « L’opération intellectuelle de comparaison »355 n’est

pas une spécificité de la discrimination directe, contrairement à ce que l’on vient de développer. Elle est absolument fondamentale dans la lutte contre toutes les formes de discrimination356. Le

348 Ibid., pt 81. 349 Ibid., pt 91.

350 F. BENOIT-ROHMER, « Chronique Union européenne et droits fondamentaux - Discrimination fondée sur

l'origine ethnique (art. 21 de la Charte) », op. cit. : « la Cour reste prudente et ne se prononce pas sur la nature de la discrimination en cause ».

351 A. POPOV, « Mise au point et nouveaux développements européens sur la discrimination directe et la

discrimination par association », op. cit.

352 La discrimination indirecte sera présentée en détails dans la section suivante.

353 CJUE, 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria, op. cit., pt 105 : la Cour laisse la possibilité au cas où la

juridiction nationale conclurait qu’il ne s’agit pas d’une discrimination directe qu’elle puisse reconnaître qu’il s’agit d’une discrimination indirecte.

354 O. LECLERC, « Égalité des personnes et modes de preuve », in I. VACARIE, G. BORENFREUND (dir.), Le droit social, l'égalité et les discriminations, Paris, Dalloz, 2013, p. 84 : « dès lors qu’un salarié entend prouver une

discrimination […] se pose au premier chef la question de savoir comment constituer l’échantillon de comparaison au regard duquel confronter sa situation ».

355 R. HERNU, Principe d’égalité et principe de non-discrimination dans la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes, Paris, LGDJ, 2003, p. 423.

356 La Cour européenne des droits de l’Homme rappelle aussi « que la discrimination découlait du fait de traiter de

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juge de l’Union développe une approche pragmatique de la comparabilité des situations dans le cadre de la discrimination directe, mais cette méthode est transposable puisque la discrimination indirecte « suppose également une comparaison concrète »357.

§2) L’approche pragmatique de l’opération de comparaison

79. La discrimination est détectable grâce à cet exercice de mise en rapport de deux

choses, qui comporte trois aspects déterminants. D’abord il faut identifier le « périmètre de comparaison »358, c’est-à-dire les situations que l’on compare359, ensuite le critère « qui oriente

le regard du "comparatiste" »360 et enfin, la méthode selon laquelle on compare. La question du

critère est en principe réglée puisque c’est en fonction de l’un des motifs de discrimination interdits que s’effectue l’opération de comparaison. La Cour exige une appréciation concrète des situations comparées, car il est « impossible de déterminer a priori en quoi consistent la similarité et la singularité »361. (A). L’objectif de cette approche concrète des situations est de

révéler s’il y a ou non une comparabilité des situations, « élément déterminant »362 pour

conclure à « l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement »363 (B).

2006, Zarb Adami c. Malte, n° 17209/02, §71 et CEDH, 11 juin 2002, Willis c. Royaume-Uni, n° 36042/97, § 48. La Cour précise bien « toute différence de traitement n’emporte toutefois pas automatiquement violation […]. Il faut établir que des personnes placées dans des situations analogues ou comparables en la matière jouissent d’un traitement préférentiel ». Voir aussi CEDH, 16 novembre 2004, Ünal Tekeli c. Turquie, n° 29865/96, § 49 ; CEDH, 23 octobre 1997, National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building

Society c. Royaume-Uni, n° 21319/93, 21449/93, 21675/93, § 88.

357 M. SWEENEY, « La diversité des sources de l’exigence d’égalité », in I. VACARIE, G. BORENFREUND (dir.), Le droit social, l'égalité et les discriminations, Paris, Dalloz, 2013, p. 45.

358 G. AUZERO, « L’application du principe d’égalité de traitement dans l’entreprise », Droit social, 2006, p. 822. 359 D. THARAUD, Contribution à une théorie générale des discriminations positives, op. cit., § 45 : « l’élément

central de la réflexion égalitaire est la notion de situation ».

360 M. SWEENEY, L’exigence d’égalité à l’épreuve du dialogue des juges : essai en droit social, Toulouse, Editions

l’Epitoge, 2016, p. 39.

361 R. HERNU, « Le juge communautaire », in F. SUDRE, H. SURREL (dir.), Le droit à la non-discrimination au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 263.

362 H. SURREL, « Les juges européens confrontés à l’interprétation des différences de traitement fondées sur le

sexe », RTDH, n° 57, 2004, p. 141.

363 Arrêt CJUE, 9 mars 2017, Milkova, op. cit., pt 56 ; CJUE, 1er octobre 2015, O., C-432/14, pt 31 ; CJUE, 16

juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria, C-83/14, pt 89 ; CJCE, 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et

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