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La possibilité d’agir contre la société mère ou donneuse d’ordres

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Section 1. Un choix de juridiction en apparence favorable aux travailleurs 196 Plusieurs critères de compétence juridictionnelle peuvent permettre au salarié

A. La possibilité d’agir contre la société mère ou donneuse d’ordres

198. Le domicile du défendeur comme critère général de compétence des

juridictions est prévu en Europe et au Québec (1) aussi bien qu’au Japon et en Chine (2). L’ensemble de ces pays partage, avec certes des différences, une conception législative du droit. Les pays de common law, eux, font davantage la part belle à un test réalisé par les juges403.

1. Le critère du domicile en Union européenne et au Québec

199. Commençons par étudier le droit de l’Union européenne (a) avant de voir le

droit québécois (b).

a. En droit de l’Union européenne

200. Le principe actor sequitur forum rei, qui désigne la compétence des tribunaux

du domicile du défendeur, existe en droit de l’Union européenne de longue date. L’article 2 de la Convention de Bruxelles de 1968 le prévoyait déjà404. Les textes postérieurs, le Règlement Bruxelles I405 puis le Règlement Bruxelles I bis406 actuellement en vigueur, reprennent cette solution. C’est ainsi désormais l’article 4

402 C’est, du reste, la position notamment défendue par Louis D’AVOUT, L’entreprise et les conflits internationaux de lois, coll. Académie de Droit International de La Haye, Boston, Brill, 2019, no 242 et suiv. 403 V. infra, n° 268 et suiv.

404 Convention de Bruxelles de 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, 27 juin 1968 (entrée en vigueur le 1er févr. 1973), J.O.C.E. du 31 déc. 1972, L 299, p. 32, art. 2.

405 Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la

reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, J.O.U.E. du 16 janv. 2001, L 012, p. 1, art. 2 par. 1 (entré en vigueur le 1er mars 2002).

406 Règlement (UE) n ° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la

compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, J.O.U.E. du 20 déc. 2012, L 351, p. 1 (entré en vigueur le 10 janv. 2015).

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de ce dernier Règlement, dont l’application s’impose aux législations nationales des États membres en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, qui fonde la compétence des juridictions de l’État dans lequel le défendeur est domicilié. Ainsi que l’a précisé l’arrêt Group Josi de la CJCE rendu le 13 juillet 2000407, le recours au critère du domicile du défendeur ne dépend en rien du lieu où se situe le domicile du demandeur. Il est donc parfaitement acceptable qu’un travailleur d’une filiale ou d’un sous-traitant étranger attrait une société ayant son siège social sur le territoire d’un État membre devant le juge de cet État. C’est du reste, ce que firent plusieurs demandeurs agissant à l’encontre d’entreprises transnationales française408 et anglaise409. À la différence de la Convention de Bruxelles, qui renvoyait aux règles de droit international privé de chaque État membre le soin de déterminer le domicile d’une personne morale, les règlements Bruxelles 1 (article 60 § 1) et Bruxelles 1 bis (article 63 § 1) apportent une définition commune410. Le demandeur a désormais le choix entre le siège statutaire, le lieu où se situe l’administration centrale ou le principal établissement de la société, ce qui élargit les possibilités d’attrait d’une société devant le juge d’un État membre de l’Union européenne.

201. Il n’y a pas vraiment de difficultés de définition du siège statutaire. Pour

l’Irlande, Chypre et le Royaume-Uni, la nouvelle règlementation précise que par siège statutaire, il faut entendre une inscription de la personne morale au « registered office », à défaut, le « place of incorporation ». En revanche, l’identification de l’administration centrale et du principal établissement est parfois plus délicate. Ces deux notions ne sont pas synonymes. Si l’on s’en tient aux

407 CJCE, 13 juill. 2000, aff. C-412/98, Group Josi Reinsurance Company SA c. Universal General Insurance Company (UGIC), RDA, 2000, n° 3, note V. HEUZE.

408 Cass.soc. 28 janv. 2015, n° 13-22994, Comilog, Gilles AUZERO, « Co-emploi et compétence juridictionnelle », Lexbase Hebdo édition sociale, 2015, n° 601 ; J. PORTA, préc., note 100 ; É. PATAUT, préc., note 156.

409 Connelly v. RTZ Corp. Plc, [1997] 3 WLR 373 ; Ngcobo and others v. Thor Chemicals Holdings Ltd. and another, [1995] TLR 579 ; Lubbe v. Cape plc, [1999] Int’l Litigation Procedure 113, CA. V. Richard MEERAN, « Liability of multinational corporations: a critical stage in the UK », dans Menno T. KAMMINGA et Saman ZIA- ZARIFI (dir.), Liability of multinational corporations under international law, coll. Studies and materials on the settlement of international disputes, v. 7, The Hague ; Boston, Kluwer Law International, 2000, pp. 251 – 264. 410 Hélène GAUDEMET-TALLON et Marie-Élodie ANCEL, Compétence et exécution des jugements en Europe : matières civile et commerciale : règlements 44/2001 et 1215/2012, Conventions de Bruxelles (1968) et de Lugano (1988 et 2007), 6e éd., coll. Droit des affaires, Paris, LGDJ-Lextenso, 2018, no 88.

jurisprudences anglaise411 et française412, l’administration centrale correspondrait au lieu où l’on trouve les organes de la société compétents pour prendre des décisions essentielles. À l’inverse, un établissement chargé de la comptabilité du groupe, des questions fiscales ou du management ne serait pas considéré comme une administration centrale. Quant au principal établissement de la société, il devrait s’agir de l’établissement où ou à partir duquel la société déploie la majeure partie de ses activités, celle-ci pouvant être identifiée par la quantité de salariés présents, la part du capital détenu ou le nombre de transactions effectuées à cet endroit. Le simple fait que de nombreux salariés soient rattachés à un établissement dirigé par un directeur ayant le pouvoir d’engager juridiquement la société ne suffit pas, selon la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, à caractériser l’existence du principal établissement de la société413. L’avantage, pour les demandeurs, est de pouvoir profiter de l’organisation transnationale de la société.

b. Au Québec

202. L’article 3148 du Code civil du Québec indique que :

« Dans les actions personnelles à caractère patrimonial, les autorités québécoises sont compétentes dans les cas suivants :

1° Le défendeur a son domicile ou sa résidence au Québec ;

2° Le défendeur est une personne morale qui n’est pas domiciliée au Québec, mais y a un établissement et la contestation est relative à son activité au Québec […]. »

203. La situation visée par l’article 3148, 1°) renvoie à la compétence générale

subsidiaire des autorités du Québec comme le prévoit l’article 3134 du Code civil selon lequel « [e] n l’absence de disposition particulière, les autorités du Québec sont compétentes lorsque le défendeur a son domicile au Québec ». En ce qui

411 Peter STONE, Stone on private international law in the European union, 4e éd., coll. Elgar european law and practice series, Northampton, MA, Edward Elgar Pub., Inc, 2018, nos 3.57 et 3.58.

412 David SINDRES, « Article 4 du règlement (UE) n° 1215/2012 », J.-Cl Droit international, 2018, Fasc. 584- 125, no 12.

413 Cass. 1re civ., 22 févr. 2017, n° 16-12408, D., 2017, p. 1011, obs. F. JAULT-SESEKE, cité par Id.

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concerne les personnes morales, celles-ci ont leur domicile aux lieu et adresse de leur siège, au regard de l’article 307 du Code civil. La saisine du juge québécois par une personne travaillant dans un État tiers à l’encontre d’une société domiciliée au Québec est donc envisageable414.

204. Une analyse similaire peut être portée des droits japonais et chinois.

2. Le critère du domicile au Japon et en Chine

205. Le Japon et la Chine sont deux États où la tradition juridique civiliste a été

plus influente que la common law415. Il est intéressant de les étudier dans la mesure où, d’une part, ce sont aujourd’hui deux pays dans lesquels de nombreuses entreprises transnationales ont leur siège social, et où, d’autre part, cela permet d’éviter une vision purement occidentale du sujet. La réforme japonaise du 2 mai 2011 (a) et l’article 265 du Code de procédure civil chinois (b) font également la part belle au principe « acto sequitur forum rei ».

a. La loi n° 36 du 2 mai 2011 au Japon

206. La Loi n° 36 du 2 mai 2011 portant sur la réforme partielle du Code de

procédure civile et de la loi sur les mesures provisoires envisage plusieurs critères

de compétence internationale générale des juridictions japonaises. Le premier retient le critère du domicile du défendeur. En ce qui concerne les personnes morales, leur domicile s’entend de la présence sur le territoire japonais de leur siège central d’administration ou de leur établissement principal, à défaut lorsque le représentant de la société a élu domicile au Japon416. Le défaut de domicile ou de résidence et de siège central ou d’administration centrale est entendu comme un

414 Gérald GOLDSTEIN (dir.), Compétence internationale des autorités québécoises et effets des décisions étrangères: (art. 3134 à 3168 C.c.Q), coll. Droit international privé, extraits de La référence Droit civil/réd. par Gérald Goldstein, Vol. 2, Cowansville, Québec, Blais, 2012, p. 5 et suiv.

415 Herbert M. KRITZER (dir.), Legal systems of the world : a political, social, and cultural encyclopedia, Santa Barbara, Calif, ABC-CLIO, 2002, v° « Japan » ; Herbert M. KRITZER, Legal systems of the world : a political, social, and cultural encyclopedia, Santa Barbara, Calif, ABC-CLIO, 2002, v° « China ».

416 Article 3-3, iii).

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défaut non seulement au Japon, mais également dans tout autre État étranger. Il faudra donc établir l’absence de domicile du défendeur-personne morale partout dans le monde avant de pouvoir se référer au critère du domicile du représentant de la société, hypothèse que l’on imagine assez rare dans les faits417. Le droit japonais est donc en définitive assez proche du droit de l’UE sur la définition du domicile du défendeur.

b. L’article 265 du Code de procédure civil chinois

207. La première codification des règles de droit international privé par la Chine en

2010 n’a pas inclus, à la déception de la doctrine, les critères de compétence juridictionnelle internationale418. Dès lors, il faut se reporter aux règles éparses adoptées avant cette codification par la République populaire dans les années 1980, et, plus précisément, à la quatrième partie du Code de procédure civile adopté en 1991 et amendé à deux reprises, en 2007 et en 2012419. La portée des dispositions concernant la compétence internationale des juridictions chinoises a été précisée par l’avis prononcé par la Cour Populaire Suprême, plus haute juridiction de l’État, en 2015420. L’article 265 du Code de procédure civile dispose que la compétence générale des juridictions chinoises est fondée sur le domicile du défendeur. Il est fait application de la lex fori afin d’identifier ce domicile. Dans son avis, la Cour suprême privilégie le recours au siège réel des personnes morales. Ce n’est qu’à défaut de pouvoir localiser un centre principal d’activités de la société qu’il faudra se référer à

417 Yuko NISHITANI, « International jurisdiction of japanese courts in a comparative perspective », NILR, 2013, Vol. 60, n° 2, pp. 251 – 277 à la page 255.

418 En sa traduction anglaise : « Law of Application of Law for Foreign-Related Civil Relations » (LAL), V. Yuanshi BU, Chinese civil law, 1e éd., Freiburg, Beck ; Hart ; Nomos, 2013, p. 239 et suiv., et Zhengxin HUO, « Highlights of China’s New Private International Law Act : from the perspective of Comparative Law », RJT, 2011, Vol. 45, n° 3, pp. 637 – 684.

419 Civil Procedure Law adoptée le 9 avril 1991. Rappelons que la Chine a une tradition juridique davantage civiliste, à la différence, par exemple, de Hong Kong, dont la présence pendant de nombreuses années de la puissance britannique a légué à ce territoire une tradition de common law. V. Y. BU, préc., note 418, p. 240 et suiv.

420 SPC Opinion on Interpretation about the Application of the CPL, entré en vigueur le 4 févr. 2015. Cet avis doit être suivi par les Cours inférieures, V. Zheng Sophia TANG, Yongping XIAO et Zhengxin HUO, Conflict of laws in the People’s Republic of China, coll. Elgar Asian commercial law and practice, Cheltenham, UK, Edward Elgar Publishing, 2016, p. 51 et suiv.

son lieu d’incorporation421. La logique est donc inversée par rapport au droit de l’UE puisque c’est ici le siège réel qui fait figure de principe, et non le siège statutaire.

208. Quoi qu’il en soit, il est possible, dans l’ensemble de ces ordres juridiques, de

saisir les tribunaux nationaux d’une demande dirigée contre une personne morale qui y est domiciliée. Ce qui correspond a priori aux attentes de travailleurs qui n’auront pas obtenu justice face aux juges du lieu de travail. À cela s’ajoute que dans la plupart de ces pays, il est, de plus, possible d’attraire un codéfendeur au litige.

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