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Les incidences du forum non conveniens sur l’accès des travailleurs à la justice

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Section 2. Des conditions d’accès à la juridiction en réalité défavorables aux travailleurs

B. Les incidences du forum non conveniens sur l’accès des travailleurs à la justice

300. Il faut d’abord préciser quels sont les effets de la doctrine du forum non

conveniens sur la procédure (1) avant de voir en quoi cela peut nuire aux actions

engagées à l’encontre d’entreprises transnationales par des travailleurs résidant en dehors du for saisi (2).

1. Les conséquences du forum non conveniens sur la procédure

301. Lorsque le juge saisi est convaincu que la saisine d’un tribunal étranger serait

plus appropriée, la procédure est arrêtée. La renonciation de la juridiction à exercer

592 Article 3-9 de la Loi n° 36 du 2 mai 2011 portant sur la réforme partielle du Code de procédure civile et de

la loi sur les mesures provisoires, V. B. ELBATI et D. YOKOMIZO, préc., note 469. 593 G. GOLDSTEIN, préc., note 589.

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sa compétence peut néanmoins revêtir deux formes différentes. Premièrement, l’aspect le plus radical est le rejet de l’action. Le demandeur est débouté et l’instance est close, ce qui signifie qu’en principe, l’affaire ne pourra plus être traitée devant la juridiction initialement saisie. C’est le cas aux États-Unis et au Québec. L’article 3135 du Code civil du Québec dispose ainsi clairement que l’autorité peut « décliner cette compétence ». Quant aux tribunaux américains, ils ont tendance à assortir ce rejet d’un certain nombre de conditions à la charge du défendeur, afin de s’assurer que le demandeur n’essuiera pas un déni de justice. En effet, bien que le dessaisissement ait été justifié par la détermination d’un forum plus approprié, il n’en reste pas moins que tant que l’autorité alternative ne s’est pas concrètement prononcée sur sa compétence et a fortiori sur l’affaire, son caractère plus approprié reste virtuel. C’est ainsi que le juge américain a pu subordonner le rejet de la demande à plusieurs exigences : consentement du défendeur à la compétence du juge étranger, renonciation à la prescription, soumission de preuves, traduction de documents, garantie d’une sûreté sur le sol américain en vue de l’exécution de la décision étrangère, respect d’un calendrier afin de ne pas enliser l’affaire, etc594. La jurisprudence québécoise tend également, sous l’influence du droit de common law, à assortir la déclinaison de compétence d’un certain nombre de conditions, en vue précisément d’éviter un déni de justice, et sur le fondement explicite de l’article 3138 du Code civil relatif aux mesures provisoires et conservatoires595. En cas de non- respect des exigences posées par le for dessaisi, le demandeur pourra introduire devant cette même autorité une nouvelle action. La demande sera logiquement limitée à la défaillance du défendeur, mais présentera l’avantage de ne pas être soumise aux conditions parfois difficiles à réunir pour justifier d’un déni de justice596.

302. La deuxième forme que peut revêtir le forum non conveniens dans ses

conséquences est le sursis à statuer. C’est le cas en Angleterre et dans de nombreux systèmes juridiques qu’elle a influencés : le juge invoque un « stay of

proceedings ». À la différence du rejet pur et simple de l’action, le demandeur peut,

594 V. les exemples à l’appui de jurisprudences donnés par A. NUYTS, préc., note 571, no 345. 595 G. GOLDSTEIN (dir.), préc., note 414, par. 3135 565.

596 Sur lesquelles V. supra, n° 248 et suiv.

lorsqu’il existe des « motifs appropriés »597 ressaisir la justice anglaise. Cela a pu être le cas dans des hypothèses où le juge étranger s’est dit incompétent ou lorsque le demandeur ne pouvait, de facto, avoir accès à une justice effective598. Cette dernière situation fut reconnue dans un litige opposant un ancien salarié d’une filiale namibienne d’un groupe britannique, le demandeur n’ayant pu bénéficier d’une assistance juridictionnelle risquait de ne jamais recevoir réparation dans une affaire particulièrement complexe599. Ici aussi, les juges anglais, sous l’influence de la pratique américaine, ont pu admettre l’octroi d’un certain nombre de conditions au sursis600.

303. Dans une étude publiée en 1987601, un auteur américain proposa, sur la base d’une enquête menée auprès d’avocats de plaignants dont la demande fut rejetée sur le fondement du forum non conveniens, un bilan du sort réservé à ces plaintes. Selon lui, sur 85 affaires analysées, 16 avaient été soumises à un juge étranger et une seule a été conclue par une victoire pour le demandeur ; 36 par une transaction dont le montant était bien inférieur à celui espéré devant le juge américain ; 18 ont finalement été abandonnées par le demandeur ; et 15 autres n’avaient pas encore fait l’objet de suite par les protagonistes. Ces résultats, particulièrement défavorables aux demandeurs, font dire à l’auteur et à d’autres commentateurs, que la doctrine du forum non conveniens serait finalement moins une règle de droit international privé permettant d’identifier le for le plus approprié qu’une règle matérielle déterminant l’issue du litige602. Dans les faits, les nouveaux frais à engager par le demandeur ainsi que la perte du bénéfice des avantages procéduraux existant aux États-Unis expliquent sûrement le nombre important d’abandons et de transactions figurant dans les résultats de l’enquête. C’est à la

597 Mohammed v. Bank of Kuwait and the Middel East KSC, [1996] 1 W.L.R. 1483. 598 A. NUYTS, préc., note 570, n° 347.

599 Connelly v. RTZ Corporation [1998] A.C. 854 (HL). 600 A. NUYTS, préc., note 571, no 348.

601 David W. ROBERTSON, « Forum non conveniens in America and England : “A Rather Fantastic Fiction” », Law Q. Rev., 1987, Vol. 103, pp. 398 – 432 à la page 418 et suiv., cité par A. NUYTS, préc., note 571, no 352. 602 Selon un autre auteur, mais qui ne cite pas précisément ses sources, 99 % des plaintes rejetées par le for américain sur la base du forum non conveniens ne seraient jamais réintroduites. V. John F. MOLLOY, « Miami Conference Summary of Presentations », Ariz. J. Int'l & Comp. L., 2003, Vol. 20, pp. 47 – 98 à la page 93. Cité par G. SKINNER, R. MCCORQUODALE et O. DE SCHUTTER, préc., note 553, p. 37.

lumière de ce contexte juridique et factuel que l’obstacle constitué par le forum non

conveniens dans les litiges opposant les salariés de filiales aux sociétés d’un groupe

peut désormais être bien saisi.

2. Les conséquences du forum non conveniens sur l’accès des travailleurs à la justice

304. Dans plusieurs affaires opposant les travailleurs ou la population locale de

l’État d’accueil de l’investissement à une entreprise transnationale, le forum non

conveniens a constitué une barrière à l’accès à la justice603. La majorité des contentieux s’étant déroulés aux États-Unis, c’est dans la jurisprudence américaine que l’on trouve le plus grand nombre d’illustrations.

305. La doctrine s’accorde pour dire que le forum non conveniens n’a pas été un

obstacle majeur aux poursuites intentées par des demandeurs étrangers sur le fondement de l’Alien Tort Statute604 dès lors que celui-ci fonde expressément la compétence des juridictions américaines pour les litiges entre étrangers605. Pour autant, un certain nombre de contre-exemples doivent être relevés. Au niveau fédéral, un précédent tristement célèbre fait figure d’exception. Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, l’usine de pesticides Union Carbide située dans la ville de Bhopal, en Inde, explosa, laissant échapper 24 tonnes d’isocyanate de méthyle, substance extrêmement toxique606. Cette pollution causa le décès direct et indirect de 7 000 personnes en l’espace de 3 ans, et de 20 à 30 000 dans les vingt ans qui suivirent607.

603 V. déjà Antonio OJEDA AVILES et Lance COMPA, « Globalisation, class actions et droit du travail », dans Isabelle DAUGAREILH (dir.), Mondialisation, travail et droits fondamentaux, Bruxelles, Bruylant ; LGDJ, 2005, pp. 265 – 307.

604 Sur l’Alien Tort Statute, V. infra, n° 672 et suiv.

605 V. Carrington WESLEY V., « Corporate liability for violations of labor rights under the Alien Tort Claims Act », Iowa L. Rev., 2009, Vol. 94, n° 4, pp. 1381 – 1418 à la page 1401 ; B. STEPHENS (dir.), préc., note 586, p. 395 ; G. SKINNER, R. MCCORQUODALE et O. DE SCHUTTER, préc., note 553, p. 37.

606 Pour un résumé de l’affaire, V. Upendra BAXI, « Mass torts, multinational enterprise liability and private international law », RCADI, 1999, Vol. 276, pp. 297 – 428 aux pages 354 – 364 ; C. BRIGHT, préc., note 150, pp. 101 – 103.

607 Selon les chiffres donnés par la Résolution du Parlement européen sur Bhopal, Doc. P6_TA(2004)0114, jeudi 16 déc. 2004, J.O.U.E., 15 sept. 2005, C 226 E/239. Dans ce texte, le Parlement « souligne que tous les efforts déployés par les survivants pour obtenir véritablement justice auprès des juridictions des États-Unis ou de l’Inde ont été vains jusqu’à présent », et « est d’avis que, si l’on veut éviter qu’une telle catastrophe se 304

En 2003, un demi-million d’habitants avaient perçu une compensation par le gouvernement indien pour une maladie contractée en raison de cette catastrophe, 100 000 autres n’avaient toujours rien reçu608. Un auteur est allé jusqu’à décrire cet évènement comme un « Hiroshima industriel »609. La société qui détenait cette usine se trouvait être une filiale de la société américaine Union Carbide Corporation située à New York610. Plusieurs actions collectives furent alors intentées par les victimes ou leurs ayants droit devant le juge américain. Selon les demandeurs, la responsabilité de la société mère devait être engagée dans la mesure où la construction de l’usine et la formation du personnel de sécurité avaient été supervisées par des employés américains. Le tribunal du district de New York ne fut pourtant pas de cet avis. Constatant que plusieurs éléments indiquaient l’Inde comme étant le for le plus approprié en l’espèce – localisation des preuves, des témoins et des victimes en Inde, utilisation du sanskrit, application de la loi indienne – le tribunal insista surtout sur l’intérêt public à ne pas voir se dérouler une telle procédure sur le sol américain. Selon lui, « toute tentative de détermination des règlementations et standards applicables dans un pays étranger représenterait une attitude paternaliste malheureuse et déplacée »611. De plus, « l’intérêt indien dans la création et le respect des standards de prudence et dans la protection de ses citoyens est significativement plus important que l’intérêt [américain] qui consiste à dissuader les sociétés multinationales d’exporter des technologies prétendument dangereuses »612. La Cour conditionna son dessaisissement au respect de plusieurs conditions par la société défenderesse : consentir à la compétence des juridictions indiennes, respecter la décision éventuellement rendue en première instance et en appel, et accepter de se soumettre aux règles procédurales américaines tenant à l’obtention des preuves – discovery.

produise de nouveau à l’avenir, les principes de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail doivent être respectés impérativement par toutes les entreprises qui investissent dans les pays en développement ». 608 Id.

609 U. BAXI, préc., note 606, p. 355.

610 La société fait partie du groupe américain Dow Chemical depuis 2001.

611 In re. Union Carbide Corp. Gas Plant Disaster at Bhopal, India, 364 F. Supp. 842 (S.D.N.Y. 1986), p. 864. Traduction française de A. NUYTS, préc., note 571, p. 358.

612 Id., p. 865. Traduction de A. NUYTS, Id.

306. La Cour d’appel devait confirmer cette décision, censurant néanmoins la

troisième condition posée, eu égard au respect du droit indien de la procédure613. Il est à noter que dans cette affaire, le gouvernement indien avait expressément indiqué à la juridiction américaine l’impossibilité pour son système judiciaire de traiter une telle affaire. Sans succès. Une transaction fut finalement conclue entre les victimes et la société américaine, dont le montant – 470 millions de dollars – serait bien moins important que les dommages-intérêts qu’auraient pu obtenir les demandeurs aux États-Unis614. L’affaire Bhopal est ainsi un exemple frappant des conséquences que peut avoir la prépondérance du critère de l’intérêt public dans l’analyse du forum non conveniens.

307. Au niveau étatique, plusieurs plaintes ont été rejetées sur ce fondement615. Cette différence par rapport au niveau fédéral peut s’expliquer par les différences de conception de la doctrine en fonction des États616. Un exemple est l’affaire Aldana

v. Fresh Del Monte Produce617. En 1999, plusieurs dirigeants syndicaux

guatémaltèques qui revendiquaient une amélioration des conditions de travail dans leur entreprise, filiale du groupe américain Del Monte, furent séquestrés et torturés par les forces de sécurité locale. La police refusa de prendre en compte leur plainte et, avec l’appui de l’ambassade américaine, ils s’exilèrent aux États-Unis. Les syndicalistes saisirent le tribunal du district de Floride de plusieurs demandes formulées sur la base du droit étatique et du droit fédéral, notamment du Torture

Victims Protection Act (TVPA). En 2003, les juges rejetèrent l’argument en forum

non conveniens avancé par la société américaine, pour la raison que les victimes

613 In re. Union Carbide Corp. Gas Plant Disaster at Bhopal, India, 809 F. 2d 195, pp. 205-206. V. David EPSTEIN et Charles S. BALDWIN, International litigation: a guide to jurisdiction, practice, and strategy, 4e éd., Leiden ; Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2010, pp. 118 – 119.

614 C. BRIGHT, préc., note 150, p. 102.

615 V. G. SKINNER, R. MCCORQUODALE et O. DE SCHUTTER, préc., note 553, p. 38 et suiv. ; B. STEPHENS (dir.), préc., note 586, p. 395 et suiv. ; D. EPSTEIN et C. S. BALDWIN, préc., note 613, p. 120 et suiv. ; OXFORD PRO BONO PUBLICO, Obstacles to justice and redress for victimes of corporate human rights abuse, University of Oxford, 2008.

616 V. supra, n° 294. À ce sujet, il est probable que la réduction du champ d’application de l’ATS par l’arrêt Kiobel en 2013 ait pour conséquence d’orienter les plaignants vers les règles étatiques de responsabilité civile, engageant par la même occasion les conceptions étatiques du forum non conveniens. L’obstacle que constitue cette technique pour les demandeurs étrangers risque donc d’être conforté. V. G. SKINNER, R. MCCORQUODALE et O. DE SCHUTTER, préc., note 553, p. 38.

617 V. le résumé de l’affaire en ligne: http://iradvocates.org/case/latin-america-guatemala/aldana-v-fresh-del-

monte-produce (consulté le 18 déc. 2017). 307

avaient le statut d’exilés américains, et qu’ils ne pourraient, de ce fait, recevoir justice dans leur pays d’origine618. Mais après un enchevêtrement de procédures, à la fois devant les juridictions étatiques et fédérales, le même tribunal estima, le 16 octobre 2007, que la juridiction guatémaltèque était plus appropriée619. L’intérêt public eut, à l’instar de l’affaire Bhopal, un poids important en l’espèce. Les juges notent, en effet, que, bien qu’il y ait intérêt à donner effet aux dispositions du TVPA sur le sol américain, il y a un intérêt politique plus important encore à éviter le forum shopping. De plus, il s’agit d’une des plus grandes entreprises et d’un syndicat des plus importants au Guatemala. Enfin, ce serait un « lourd fardeau » pour la population floridienne que d’admettre la compétence des juridictions locales620. Cette décision fut confirmée en appel et par la Cour suprême. Déboutés, les syndicalistes saisirent la justice guatémaltèque, mais cette dernière déclina sa compétence au motif que les juridictions américaines avaient déjà été saisies. De nouveau saisi, le tribunal du district de Floride déclina sa compétence malgré les nouvelles circonstances, ce qui fut confirmé par la Cour d’appel en 2014621. Le risque de déni de justice auquel peut conduire la doctrine du forum non conveniens pour les salariés de filiales étrangères est ici clairement mis en évidence.

308. En conclusion, quand bien même une juridiction de l’État d’origine de

l’investissement ou d’un État tiers admettrait sa compétence, les demandeurs ne seraient pas à l’abri d’une suspension de procédure par le jeu du forum non

conveniens. À l’inverse, la doctrine du forum necessitatis autorise le juge à affirmer

sa compétence lorsqu’il est établi que la victime subirait autrement un déni de justice. Mais l’étude des législations nationales connaissant ce chef de compétence subsidiaire conduit à penser que leur utilisation par les tribunaux est aujourd’hui trop restrictive pour garantir aux travailleurs un accès à la justice.

618 Aldana v. Fresh Del Monte Produce, Inc., 305 F.Supp.2d 1285, N° 013399 (S.D.Fla.2003).

619 Aldana v. Fresh Del Monte Produce, Inc., No. 01-3399-CIV, 2007 WL 3054986, (S.D.Fla. Oct. 16, 2007). 620 Id.

621 Aldana v. Del Monte Fresh Produce N.A., Inc., N° 12-16143 (6 févr. 2014).

Conclusion du second Chapitre

309. Il ne faut pas s’y méprendre : en dépit de l’existence de nombreux critères de

compétence internationale qui peuvent, le cas échéant, permettre aux travailleurs d’accéder à la justice d’un autre État que celui sur le territoire duquel ils ont travaillé, les conditions d’accès au juge sont encore fortement empreintes de territorialisme. Il est en effet encore aujourd’hui impossible, par principe, de porter le différend qui oppose le salarié A contre la société B sise dans le pays x devant les tribunaux du pays y, sauf aménagement conventionnel comme c’est le cas au sein de l’UE ou sauf aménagement constitutionnel comme c’est le cas dans les États fédéraux. Cela reste possible, mais tout en relevant alors de l’exception, au gré de l’interprétation donnée par les juges aux règles de droit locales. L’accès au juge dans ces pays est donc aujourd’hui incertain ou aléatoire. Le risque de déni de justice des travailleurs d’une entreprise transnationale n’est ainsi pas écarté du seul fait du déplacement géographique. Au contraire, il perdure.

Conclusion du premier Titre

310. Le premier juge à être saisi en cas de contentieux du travail sera celui de

l’État sur le territoire duquel le contrat de travail aura été exécuté. Mais sa compétence risque bien de n’être que virtuelle. En effet, il est très peu probable que celui-ci veuille ou puisse accueillir des plaintes venant de travailleurs et dirigées contre des sociétés dont l’investissement dans le pays a fait l’objet d’efforts colossaux par l’État d’accueil – efforts juridiques, fiscaux, sociaux. Quand bien même la juridiction locale accepterait de donner une suite favorable aux plaintes de ces travailleurs, c’est à un défendeur d’une organisation incroyablement complexe que le juge se heurtera. Et, dans de très nombreuses situations, l’employeur visé n’aura juridiquement aucun lien avec le lieu de pouvoir. Si bien que l’action en justice devant le juge du lieu de travail aura peu de chances de prospérer. À défaut, la réparation pourrait être recherchée ailleurs, devant les juridictions d’un autre État, pourvu que les règles de droit international privé le permettent. Or, ce n’est pas vraiment le cas. Certes, de nombreux critères de compétence internationale existent dans les législations nationales aussi bien que dans les règlementations internationales. Mais leur mise en œuvre est systématiquement soumise à l’existence d’un lien de rattachement relativement fort entre les parties et le juge saisi. Par conséquent, les critères du domicile du défendeur, de son activité voire de la faute qu’il aurait commise, ou bien encore le chef de for de nécessité sont aujourd’hui d’une aide extrêmement limitée pour les travailleurs d’entreprises transnationales. Ces derniers sont donc, en l’état actuel du droit, exposés à un risque de déni de justice. Face à cette « nudité » subie des travailleurs dans un contexte marqué par l’absence d’un juge international, de nombreuses initiatives ont été prises depuis le début des années 1970 afin de leur garantir une protection minimale. Mais l’ensemble des efforts déployés par le courant de la « responsabilité sociale des entreprises » ne permet pas encore réellement d’abolir ce risque de déni de justice. Ces dispositifs sont insuffisants.

Titre 2. L’insuffisance des dispositifs de lutte contre le risque de

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