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La séduction de l’investisseur par le droit interne

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Section 2. La protection des investissements économiques

B. La séduction de l’investisseur par le droit interne

310 Accord entre le gouvernement du Burkina Faso et le gouvernement du Canada pour la promotion et la protection des investissements, 20 avr. 2015 (entré en vigueur le 11 oct. 2017).

311 Id. Nous soulignons.

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157. Les intérêts de l’État pour attirer l’investissement étranger sont nombreux :

développement économique, transfert de technologie, création d’emplois, rentrées fiscales, etc. Plusieurs mesures incitatives sont donc adoptées afin de faciliter l’implantation des opérateurs étrangers sur le territoire national. Sans prétendre, là non plus, à l’exhaustivité, dans la mesure où il est impossible de faire le tour des législations nationales, c’est en général un « Code de l’investissement » qui énonce les règles applicables. Deux principales séries de mesures sont adoptées : celles relatives à l’installation de l’investisseur (1) et celles concernant l’activité en tant que telle (2).

1. Les facilités d’installation

158. La plupart des législations nationales facilitent aujourd’hui l’implantation des

investisseurs étrangers en n’exigeant aucune autorisation préalable. Ainsi est-il possible, par exemple, de subordonner l’investissement à une seule obligation de déclaration. C’est le cas du droit français pour toutes les opérations d’acquisition par un résident étranger d’une partie du capital ou de prise de contrôle d’une société dont le siège social se situe sur le territoire français, encore que des exceptions à cette règle soient prévues à l’article R. 152-5 du Code monétaire et financier. Seuls les secteurs d’activités jugés cruciaux font l’objet d’une autorisation préalable. Il s’agit, en France des jeux d’argent, de la sécurité privée, des moyens d’interception des correspondances privées, etc312. Une même position est adoptée aux États- Unis où la liberté d’installation est de principe, mais où les autorités gouvernementales peuvent diligenter des enquêtes pour tout investissement dans un secteur jugé « critique »313. L’Inde présente également un régime similaire. La liberté d’installation y est de principe, associée à une obligation de déclaration, mais les secteurs tels que les boissons alcoolisées, le tabac, les équipements électroniques ou le matériel militaire sont soumis à une autorisation préalable314.

312 Article R. 153-2 du Code monétaire et financier. 313 A. de NANTEUIL, préc., note 273, no 121.

314 Anne-Sophie CHARPENTIER, Les clés de l’implantation en Inde, BusinessFrance, 2017, p. 14.

159. Plusieurs indicateurs témoignent de la facilitation généralisée de l’installation

des opérateurs étrangers. Selon la Banque Mondiale, qui publie chaque année le fameux rapport Doing Business dans lequel les économies nationales sont classées en fonction des facilités qu’elles présentent pour y faire des affaires, le temps nécessaire pour démarrer une entreprise serait passé, en moyenne, de plus de 50 jours en 2003 à 20 jours en 2018315. Bien sûr, des différences subsistent. Pour ne prendre que quelques exemples, au Bénin, ce délai serait passé, sur la même période, de 35 à 8 jours ; au Costa Rica, de 90 à 23 jours, etc316. Le même constat prévaut pour le coût des procédures de démarrage d’une entreprise qui serait passé, en pourcentage du revenu national brut par habitant, de plus de 100 % en 2003 à 23 % en 2018317. Le nombre de procédures de création d’une entreprise aurait chuté, sur la même période, de plus de 10 à 6 en moyenne318.

160. Enfin, sauf exception, la plupart des législations nationales ne prévoient plus

de restrictions à l’acquisition de la propriété. Mais c’est surtout par une politique d’incitation fiscale que les États promeuvent l’investissement étranger.

2. Les facilités d’exploitation

161. Trois types d’incitation fiscale peuvent être adoptés afin d’attirer les

investisseurs étrangers. Le premier consiste à exonérer d’impôts un certain nombre d’activités sur une période déterminée en fonction de plusieurs conditions. Les Codes de l’investissement ivoirien et burkinabè peuvent ici servir d’exemples. Les deux procèdent à une classification des investissements en fonction du montant

315 En ligne :

https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/IC.REG.DURS?end=2018&start=2003&view=chart (consulté le 13 juin 2019).

316 Id.

317 Il s’agit des coûts d’enregistrement de l’entreprise. https://donnees.banquemondiale.org/indicator/IC.REG.

COST.PC.ZS?end=2018&start=2003&view=chart (consulté le 13 juin 2019).

318 Il s’agit « notamment [d] es interactions pour obtenir les permis et licences requis et pour compléter toutes les inscriptions, vérifications et publications d’avis nécessaires pour lancer les opérations ».

https://donnees.banquemondiale.org/indicator/IC.REG.PROC.MA?end=2018&start=2003&view=chart

(consulté le 13 juin 2019).

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et/ou de la localisation et du secteur d’activité pour en déduire plusieurs avantages fiscaux.

162. Ainsi de l’exemple ivoirien. Trois zones géographiques sont distinguées : la

zone A – district d’Abidjan —, la zone B – Chefs-lieux de régions, Bonoua et Grand- Bassam – et la zone C – autres agglomérations hors zones A et B319. Cette classification servira, on le verra, à promouvoir l’investissement en milieu rural. Deux secteurs d’activité distincts sont identifiés : la catégorie 1 comprend l’agriculture, l’agro-industrie, la santé et l’hôtellerie ; la catégorie 2 regroupe les secteurs d’activité ne relevant pas de la catégorie 1 ainsi que les secteurs d’activité qui ne sont pas exclus du Code de l’investissement320. Enfin, il faut faire la part entre les grandes entreprises dont l’investissement est d’au moins 200 millions de francs CFA, les PME — 50 millions de francs CFA – les grands centres commerciaux – 10 milliards pour la zone A et 5 milliards pour les zones B et C – l’hôtellerie – 5 milliards en zone A et 2 milliards en zones B et C — et, enfin, les projets structurants — 100 milliards en zone A, 75 milliards en zone B, 50 milliards en zone C321. Les avantages accordés diffèrent selon que l’on se trouve en phase d’implantation ou en phase d’exploitation. Dans les deux cas, le Code de l’investissement ivoirien opère une combinaison minutieuse des variables définies précédemment et prévoit des exemptions fiscales et sociales croissantes à mesure que l’investissement est important, qu’il intervient dans une zone géographique reculée et dans un secteur d’activité privilégié. À titre d’exemple, l’article 17 du Code dispose que :

« Les grandes entreprises appartenant aux secteurs d’activités relevant de la catégorie 1 […] bénéficient des avantages ci-après :

1. En zone A

Une exonération d’une durée de cinq ans, de cinquante pour cent et portant sur :

- l’impôt sur les bénéfices, y compris l’impôt minimum forfaitaire ;

319 Décret n° 2018-647 du 1er août 2018 fixant les modalités d’application de l’ordonnance n° 2018-646 du 1er

août 2018 portant code des investissements, article 27.

320 Ordonnance n° 2018-646 du 1er août 2018 portant code des investissements, article 5. Les activités exclues

du Code de l’investissement sont le secteur du commerce, les secteurs bancaires et financiers, le secteur du bâtiment à usage non industriel et le secteur des professions libérales (article 6).

321 Id., art. 13.

- la contribution des patentes et licences ;

- la contribution à la charge des employeurs, concernant les employés nationaux, à l’exclusion de la taxe d’apprentissage et de la taxe additionnelle à la formation professionnelle continue ;

- l’impôt sur le patrimoine foncier. 2. En zone B

Une exonération d’une durée de dix ans, totale sur les cinq premières années, de cinquante pour cent sur les cinq années suivantes et portant sur :

- l’impôt sur les bénéfices, y compris l’impôt minimum forfaitaire ; - la contribution des patentes et licences ;

- la contribution à la charge des employeurs, concernant les employés nationaux, à l’exclusion de la taxe d’apprentissage et de la taxe additionnelle à la formation professionnelle continue ;

- l’impôt sur le patrimoine foncier ;

- l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières pour les dividendes versés aux actionnaires nationaux.

3. En zone C

Une exonération d’une durée de quinze ans, totale sur les dix premières années, de soixante-quinze pour cent sur les cinq années suivantes et portant sur :

- l’impôt sur les bénéfices, y compris l’impôt minimum forfaitaire ; - la contribution des patentes et licences ;

- la contribution à la charge des employeurs, concernant les employés nationaux, à l’exclusion de la taxe d’apprentissage et de la taxe additionnelle à la formation professionnelle continue ;

- l’impôt sur le patrimoine foncier ;

- l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières pour les dividendes versés aux actionnaires nationaux. »322

163. S’ajoute à cela la possibilité, pour les grandes entreprises, de bénéficier de

crédits d’impôt supplémentaires en cas de recrutement substantiel de ses cadres parmi des Ivoiriens, de sous-traitance avec des entreprises locales, ou d’ouverture

322 Nous soulignons.

du capital social à des nationaux323. Le droit burkinabè est similaire, mais la classification qu’il opère tient uniquement compte de l’importance de l’investissement à l’exclusion des secteurs d’activité et de la zone géographique324.

164. Le deuxième type d’incitations existant est relatif aux zones franches. Il s’agit

d’un périmètre géographique et sectoriel précis dans lequel les investisseurs bénéficient d’exonérations fiscales. En plus des impôts classiques tels que les impôts sur le revenu et sur les sociétés, les zones franches incluent également des facilités concernant l’importation et l’exportation des marchandises comme l’exonération partielle ou totale des droits de douane. C’est le cas, par exemple, de l’Inde, qui a créé plus de 200 zones franches, certaines étant propres à un secteur d’activités, d’autres étant multisecteurs325. Les entreprises implantées dans une

Special Economic Zone (SEZ) bénéficient d’une exemption de l’impôt sur les

bénéfices de manière dégressive durant 15 ans ainsi que d’une exonération des droits d’importation sur l’achat et la vente de biens ou services et de taxes diverses et variées sur les biens et services produits. L’importation de matières premières et de biens d’équipements en franchise fait également l’objet de plusieurs exonérations. Des dérogations au droit du travail local peuvent également être appliquées dans ces zones326.

165. Enfin, le dernier type d’incitations existant concerne les conventions de

double imposition. Comme leur nom le suggère, leur objectif est d’attirer les investisseurs en leur garantissant que les bénéfices qu’ils réaliseront dans l’État d’accueil ne seront pas doublement imposés, d’abord dans cet État et ensuite dans l’État d’origine. Ce type de conventions bénéficie le plus souvent uniquement aux investisseurs disposant d’un « établissement stable » dans l’État d’accueil. La définition de la notion emporte donc de sérieux enjeux. Là où la Convention modèle

323 Ordonnance n° 2018-646, article 21.

324 Loi n° 038-2018/AN portant code des investissements au Burkina Faso, 30 oct. 2018, articles 17 et 27.

325 A.-S. CHARPENTIER, préc., note 314, p. 17 et suiv. V. également, pour la Colombie, Olivier PRADET, Guide des affaires Colombie, BusinessFrance, 2016, p. 53.

326 V. par exemple le cas du Pérou : Andrea Carolina SÁNCHEZ MATOS, « Régimen laboral especial de la ley de

exportación no tradicional » (14 avril 2011), en ligne :

<http://andreasanchezmatos.blogspot.fr/2011/04/regimen-laboral-especial-de-la-ley-de.html> (consulté le 7 mai 2020).

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de l’OCDE identifie six critères327 – un siège de direction, une succursale, un bureau, une usine, un atelier et une mine, un puits de pétrole ou de gaz, une carrière ou tout autre lieu d’extraction de ressources naturelles —, la Convention conclue entre la France et le Niger y ajoute un chantier de construction ou de montage, une installation fixe d’affaires utilisée aux fins de stockage, un dépôt de marchandises, une installation fixe d’affaires utilisée aux fins d’acheter des marchandises, et, enfin, une installation fixe d’affaires utilisée à des fins de publicité328. Le champ d’application personnel de l’exemption du double impôt y est donc d’autant plus large. En France, cette exonération est concrétisée par l’octroi d’un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt payé dans l’autre État, étant entendu que les revenus ne sont imposables que dans l’État sur le territoire duquel se trouve un établissement stable329.

166. La combinaison des règles internes d’exonération fiscale et des conventions

de double imposition constituent alors un cadre particulièrement attractif pour l’investisseur étranger.

167. La séduction des investisseurs étrangers par les pouvoirs publics est loin

d’être sans conséquence. L’effet combiné des mesures de droit international et de droit interne sur l’économie d’un pays peut être illustré avec le cas camerounais. Dans cet État d’Afrique centrale, le secteur de l’industrie extractive a contribué, pour l’année 2016, à 17,96 % du budget total nationalsoit 3,33 % du PIB330. Cette manne considérable est majoritairement composée de paiements en nature – 473,81 milliards de francs CFA – contre 176,99 milliards de francs CFA pour les paiements en numéraire. Cela signifie que ce sont bien moins les rentrées fiscales qui créent la richesse pour l’État que le transfert de barils de pétrole et de minerais aux autorités

327 OCDE, Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune, 22 juill. 2010. Disponible en ligne :

https://www.oecd.org/fr/ctp/conventions/47213777.pdf (consulté le 13 juin 2019).

328 Convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Niger tendant à éliminer les doubles impositions et à établir des règles d’assistance mutuelle administratives en matière fiscale (ensemble un protocole), Niamey, 1er juin 1965 (entrée en vigueur le 1er juill. 1966), art. 3. 329 Art. 10, par. 1.

330 Initiative pour la transparence dans les industries extractives au Cameroun, Rapport ITIE 2016, ITIE, 2019, p. 12.

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gouvernementales qui seront par la suite exportés331. À ce titre, le secteur extractif a contribué, pour la même année, à 24 % des exportations nationales. Il faut rappeler que ce sont majoritairement six sociétés qui opéraient dans le secteur en 2016. En participant au capital des sociétés étrangères à hauteur de 20 %, les sociétés d’État paraissent comme premiers contributeurs aux revenus du secteur. Le soutien du secteur à l’emploi détonne en revanche avec ce qui précède. Le secteur extractif aura contribué à 0,3 % de l’emploi total au Cameroun332. Seules 2 000 personnes auront été recrutées sur tout le territoire. Les cotisations employeurs auront été moindres pour les sociétés privées que pour le gouvernement333. Au total, les cotisations patronales payées par les sociétés privées ne représentent que 0,52 % de l’ensemble des richesses créées par le secteur des hydrocarbures334.

168. En conséquence, bien qu’il ne soit pas possible de dresser un lien de

causalité entre, d’une part, les mesures incitatives destinées à l’investissement, et, d’autre part, l’impossibilité pour les travailleurs d’une entreprise transnationale d’obtenir justice devant les tribunaux du lieu de travail, le contexte juridique décrit précédemment tend à penser que le juge saisi aura bien du mal, politiquement, à rendre une décision contraire à d’intérêts si protégés par les droits interne et international de l’investissement. De plus, quand bien même le voudrait-il, d’autres obstacles peuvent survenir, encore une fois organisés par le droit international de l’investissement. Il s’agit des tribunaux d’arbitrage mis en place par les traités bilatéraux d’investissement au bénéfice des investisseurs.

331 L’impôt sur les sociétés représente ainsi uniquement 4,11 % des richesses créés par le secteur extractif, Id., p. 74.

332 Id., p. 129.

333 Les cotisations des investisseurs dans le secteur pétrolier s’élèvent à 2 628 316 918 francs CFA contre 2 807 778 588 francs CFA pour le Gouvernement, Id., p. 27.

334 Id., p. 85. On lira avec intérêt l’annexe 5 du rapport relatif aux « paiements sociaux volontaires en nature » par les investisseurs étrangers qui détaille leurs initiatives RSE. Id., p. 110 et suiv.

Paragraphe 2. La soustraction des investisseurs économiques à l’autorité judiciaire

169. L’arbitrage, en tant que règlement alternatif des différends, joue un rôle

principal en droit international de l’investissement. En effet, les sentences arbitrales constituent une source très importante en la matière. Or, la fonction arbitrale n’est pas sans conséquence sur l’office du juge national, et partant, sur la capacité des tiers, dont les travailleurs, à se plaindre à l’encontre d’une entreprise transnationale. La pratique de l’arbitrage investisseur/État (A) entame la capacité des juridictions nationales à garantir le respect de droits fondamentaux (B).

A. Les clauses d’arbitrage investisseur/État dans les traités bilatéraux

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