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L’incidence de l’arbitrage investisseur/État sur l’accès des travailleurs à la justice

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Section 2. La protection des investissements économiques

B. L’incidence de l’arbitrage investisseur/État sur l’accès des travailleurs à la justice

180. Une des premières conséquences de l’arbitrage international est de mettre

en tension les obligations de l’État en matière d’investissement, d’une part, et ses engagements internationaux hors investissement, d’autre part369. En ce sens, il est

366 V. Pascal de VAREILLES-SOMMIÈRES, « La sentence arbitrale étrangère contraire à une loi d’ordre public du for (remarques en marge des solutions françaises envisagées sous le rapport de l’ordre public substantiel) », JDI, 2014, n° 3, doctr. p. 12 ; Luca RADICATI DI BROZOLO, « À propos de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 novembre 2004, l’illicéité “qui crève les yeux” : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international », Revue de l’arbitrage, 2005, p. 543.

367 J.-B. RACINE, préc., note 346, n° 954 et suiv. ; B. AUDIT et L. d’AVOUT, préc., note 350, no 1432 suiv. ; C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, préc., note 350, no 944.

368 Expression reprise de Gilles LHUILIER, Le droit transnational, coll. Méthodes du droit, Paris, Dalloz, 2016, p. 322.

369 V. not. Moshe HIRSCH, « Interactions Between Investment and Non-investment Obligations », dans Peter MUCHLINSKI, Federico ORTINO et Christoph SCHREUER (dir.), The Oxford handbook of international investment law, 1e éd., Oxford ; New York, Oxford University Press, 2008, pp. 155 – 180. Et, plus largement, l’abondante bibliographie citée par Juan Pablo BOHOSLAVSKY et Juan Bautista JUSTO, « Compatibilizando derechos de los inversores extranjeros y derechos humanos : ¿Por qué? ¿ Cómo ? ¿ Quién ? ¿ Cuándo ? », dans Attila TANZI (dir.), International investment law in Latin America: problems and prospects = Derecho internacional de las 179

régulièrement souligné par la doctrine que l’organe arbitral n’étant compétent que pour veiller au respect du contenu de son texte fondateur, ses sentences peuvent dissuader les États d’accueil de mener des politiques sociales éventuellement préjudiciables aux intérêts des investisseurs370. Plusieurs affaires ont ainsi convaincu des États de dénoncer les TBI pour cette raison précise371. L’incidence concrète de cette forme de justice privée sur l’accès à la justice étatique se présente de deux façons : d’une part, en barrant a priori la route à la saisine des tribunaux locaux (1), et, d’autre, part, en intervenant a posteriori dans la procédure judiciaire nationale (2).

1. L’inhibition a priori du juge national

181. La combinaison des règles procédurales de l’arbitrage international emporte

des conséquences sur la capacité des juridictions nationales à accueillir des demandes venant de travailleurs. Deux types de dispositions arbitrales méritent d’être rappelées ici. La première renvoie aux conditions établies par les États signataires de TBI pour que le tribunal arbitral désigné soit régulièrement saisi par les parties. Certains accords imposent d’épuiser les voies de recours interne, d’autres imposent un choix irréversible comme l’article 26 de la Convention CIRDI372.

182. Les commentateurs autorisés constatent que, si l’épuisement des voies de

recours interne est une obligation de moins en moins envisagée par les parties, en

inversiones en America Latina: problemas y perspectivas, coll. Nijhoff international investment law series, Vol. 5, Leiden, Brill Nijhoff, 2016, pp. 673 – 710, note de bas de page n° 3.

370 J. P. BOHOSLAVSKY et J. B. JUSTO, préc., note 369.

371 Oliver THOMAS JOHNSON et Catherine H.GIBSON, « The Objections of Developed and Developing States to Investor-State Dispute Settlement, and What They Are Doing about Them », dans Arthur W. ROVINE (dir.), Contemporary issues in international arbitration and mediation : the Fordham papers 2013, coll. Contemporary Issues in International Arbitration and Mediation, Vol. 7, Leiden ; Boston, Brill ; Nijhoff, 2014, pp. 253 – 269.

372 Qui dispose explicitement que « le consentement des parties à l’arbitrage dans le cadre de la présente Convention est, sauf stipulation contraire, considéré comme impliquant renonciation à l’exercice de tout autre recours ».

181

revanche, la règle dite du « Fork-in-the-road »373 serait, elle, devenue plus banale. On en trouve un exemple dans le TBI conclu entre la France et l’Argentine :

« Si le différend n’a pu être réglé dans un délai de six mois à partir du moment où il a été soulevé par l’une ou l’autre des parties concernées, il est soumis, à la demande de l’investisseur :

o soit aux juridictions nationales de la Partie contractante impliquée dans le différend ;

o soit à l’arbitrage international dans les conditions décrites au paragraphe 3 ci-dessous.

Une fois qu’un investisseur a soumis le différend soit aux juridictions de la Partie contractante concernée, soit à l’arbitrage international, le choix de l’une

ou de l’autre des procédures reste définitif. »374

183. La raison d’être de cette disposition est d’éviter de faire du tribunal arbitral un

organe d’appel du juge local, ou l’inverse en fonction des situations. Or, le tribunal CIRDI, réuni en Comité ad hoc dans une procédure d’annulation375, fit une interprétation large d’une telle clause dans une affaire opposant précisément la France à l’Argentine376. Était en cause un contrat de privatisation de la distribution des eaux conclu entre la société française Vivendi Universal — anciennement Compagnie Générale des Eaux — et la province argentine de Tucumán. L’article 16 paragraphe 4 dudit contrat renvoyait à la compétence exclusive de la cour administrative locale en cas de différend. Un litige éclata entre les parties, les autorités reprochant à l’investisseur le prix de revente opéré auprès de la population, l’investisseur reprochant aux autorités leur obstruction dans le développement de la concession. Mais la société Vivendi refusa de saisir la Cour, par peur d’épuiser la règle « Fork-in-the-Road », et, ainsi, de ne plus avoir accès au tribunal international. Le Comité ad hoc réuni au sein du CIRDI estima que l’expression utilisée dans le TBI entre la France et l’Argentine, visant « [t]out différend relatif aux

373 Christoph SCHREUER, « Travelling the BIT Route : Of Waiting Periods, Umbrella Clauses and Forks in the Road », J. World Invest. Trade, 2004, Vol. 5, n° 2, pp. 231 – 256.

374 Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République argentine sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements, 3 juill. 1991, entré en vigueur le 3 mars 1993, 1728 RTNU 282. Article 8 par. 2. C’est nous qui soulignons.

375 Article 52 du Règlement CIRDI.

376 CIRDI, Vivendi v. Argentina, 21 nov. 2000, aff. n° ARB/97/3, ILM, 2001, Vol. 40, n° 2, pp. 426 – 453.

investissements »377 englobait également les contrats conclus entre une société et un État. Le caractère irréversible du choix de l’autorité de règlement du différend ne se limite donc pas uniquement aux dispositions contenues dans un TBI, mais également aux obligations contractuelles de la société et de l’État. Une telle interprétation se rapproche d’une autre règle procédurale, dite « clause umbrella » ou « traité de couverture »378. En vertu de cette disposition, l’éventuel manquement contractuel de l’État d’accueil, fût-il causé par une réforme législative ou règlementaire ou bien encore par une décision judiciaire, engage automatiquement sa responsabilité internationale et est ainsi soumis à l’arbitrage prévu dans un TBI. Cette mesure est d’une importance cruciale pour les investisseurs, notamment en cas de contrat de privatisation. L’augmentation du salaire minimum par voie nationale peut ainsi faire l’objet d’une contestation devant l’arbitre par la société, cette dernière étant lésée dans ses intérêts379. Le second type de disposition à rappeler est l’exclusion de principe des tiers à l’instance arbitrale. Sauf – rare – consentement des parties, les populations de l’État hôte, et par analogie les travailleurs, ne peuvent pas faire valoir l’éventuel dommage subi du fait de l’investissement devant le tribunal arbitral. Leur seul moyen est la production d’un

amicus curiae, lequel ne saurait ouvrir droit à l’obtention d’une quelconque

réparation380.

184. En un mot, le produit de la combinaison de ces règles est le suivant : d’un

côté, si le contrat conclu entre un investisseur et l’État – ou un de ses démembrements – contient des obligations sociales à la charge de ce premier – maintien des emplois, recrutement de main d’œuvre locale, respect d’une convention collective, etc. – leur inexécution pourra être exclusivement analysée par l’arbitre international, en référence au cadre défini en amont dans le TBI381 et en

377 Article 8 par. 1.

378 Traduction par Prosper WEIL, « Problèmes relatifs aux contrats passés entre un État et un particulier », RCADI, 1969, Vol. 128, p. 130, cité par C. SCHREUER, préc., note 373, pp. 250 – 251.

379 V. l’affaire Veolia c. Égypte, pendante devant le CIRDI : le groupe français agit contre la « nouvelle loi sur le travail » adoptée par l’État africain au lendemain des « printemps arabes », laquelle augmente le salaire minimum de 400 à 700 livres par mois (41 à 72 euros). CIRDI, 25 juin 2012, aff. n° ARB/12/15.

380 Ursula KRIEBAUM, « Human Rights of the Population of the Host State in International Investment Arbitration », J. World Invest. Trade, 2009, Vol. 10, n° 5, pp. 653 – 677 à la page 658 et suiv.

381 V. supra, n° 171 et suiv.

l’absence de salariés ou d’organisations représentatives du personnel à l’instance. De l’autre, le déploiement de mesures sociales par voie législative, règlementaire ou judiciaire pourra faire l’objet d’une contestation de la part de l’investisseur – et éventuellement d’un dédommagement – exclusivement devant l’arbitre international et en l’absence de partie représentant l’intérêt des destinataires de ces mesures. On perçoit ici l’inégalité des armes entre, d’une part, l’investisseur étranger, et, d’autre part, la population de l’État hôte dont les travailleurs.

185. Cette combinaison n’est pas un cas d’école puisqu’une affaire opposant la

Roumanie à un investisseur américain permet d’en donner illustration. Le 23 décembre 2003, un contrat de privatisation dans le secteur de la presse fut conclu entre la société Magnar détenue en majorité par un ressortissant américain, M. Hassan Awdi, et l’autorité roumaine de recouvrement des biens de l’État (AVAS)382. Le contrat mettait plusieurs obligations à la charge des cocontractants. À ce titre, l’investisseur avait contracté deux engagements sociaux : maintenir pendant au moins cinq ans l’ensemble des salariés de la société d’État privatisée (un peu plus de trois mille), et assurer la mise en œuvre effective de la convention collective existante. Or, dès 2005, la société Magnar procéda à l’externalisation de la majeure partie de ses activités, avec pour conséquence une détérioration substantielle des conditions de travail – l’inspection du travail relevait notamment que les salaires, les cotisations sociales et contributions à l’assurance chômage n’étaient plus payés383. À cela s’est ajoutée une plainte au pénal pour travail forcé déposée par plusieurs anciens salariés de nationalité hondurienne. Le 13 juillet 2009, l’autorité roumaine signifia à la société Magnar la rupture du contrat de concession sur le fondement de son article 10 § 10 sanctionnant le manquement aux obligations sociales. Pour sa part, l’investisseur américain reprochait au gouvernement roumain le manquement à ses obligations contractuelles de concession, suite à un arrêt rendu par la Cour suprême roumaine annulant la loi sur laquelle était fondé le contrat. Le CIRDI fut ainsi saisi sur la base du TBI conclu entre la Roumaine et les États-Unis en 1992, dans lequel est insérée une clause umbrella.

382 CIRDI, Awdi v. Romania, aff. n° ARB/10/13, MJIEL, 2015, n° 3, p. 367, note David COLLINS. 383 Final Award, 2 mars 2015, par. 80.

Le tribunal eut alors à connaître du contrat de concession. Mais son analyse s’en tient aux griefs formulés par la société Magnar, à savoir la violation par la Roumanie d’un traitement juste et équitable, de l’interdiction de mesures discriminatoires et déraisonnables, de la prohibition d’expropriations et de ses engagements contractuels. Le volet social du contrat de concession ne sera aucunement abordé par le tribunal, à l’exception de considérations portant sur la règle « Fork-in-the-

road », estimant que les éléments de preuve avancés par l’inspection du travail dans

le procès pénal ne lient pas l’arbitre384. Mais les préjudices allégués par les salariés devant l’inspection du travail – manquement au respect des dispositions conventionnelles, rupture de contrats de travail et non-paiement de plusieurs prestations – ne trouveront pas, en l’espèce, de juge : les tribunaux nationaux écartés, l’arbitre international ne se fait pas garant des normes sociales, quand bien même celles-ci résulteraient d’un contrat d’État. Le cadre de référence normatif dans lequel s’inscrit l’organe arbitral est strictement défini : il s’agit de la promotion et de la protection de l’investissement. Dès lors, le jeu des règles procédurales de l’arbitrage investisseur/État peut, concrètement, annihiler la capacité du juge local à accueillir les prétentions de travailleurs, lesquels avaient, en outre, perdu la qualité de salarié direct de l’investisseur après une stratégie d’externalisation385. De façon peut-être plus grave encore, plusieurs sentences arbitrales n’ont pas hésité à s’immiscer dans une procédure judiciaire nationale.

2. La censure du juge national a posteriori

186. Dans plusieurs affaires, l’arbitrage investisseur/État a conduit à revenir sur

une décision rendue par un juge national. Cette immixtion dans la sphère de compétence de la juridiction se réalise de deux façons : en révisant l’interprétation du droit international voire du droit national retenue par le juge, ou en décidant en lieu et place de ce dernier du montant de dommages et intérêts à accorder au

384 Decision on the Admissibility of the Respondent's Third Objection to Jurisdiction and Admissibility of Claimants, 26 juill. 2013.

385 Sur laquelle V. supra, n° 90 et suiv.

plaignant. Dans les deux cas, le principe selon lequel un organe arbitral ne saurait agir comme instance d’appel d’une décision rendue par un tribunal national est mis à mal. Quatre sentences permettent d’illustrer ce phénomène386.

187. L’affaire Saipem contre Bangladesh387. En 1990, la société bangladaise Petrobangla conclut un contrat de partenariat avec la société italienne Saipem afin de construire un gazoduc. Un litige éclata en 1993, et, conformément aux dispositions conventionnelles, Saipem saisit la Chambre de Commerce International de Dacca au Bangladesh, auprès de laquelle elle obtint raison. En désaccord avec la Chambre, la société Petrobangla demanda, avec succès, à la Cour suprême du Bangladesh, puis au juge inférieur de Dacca, d’empêcher la mise en œuvre d’une telle sentence et de l’annuler. Se trouvant dans l’impossibilité de bénéficier de l’exequatur de la sentence rendue en sa faveur, la société italienne saisit le CIRDI en 2004 sur le fondement du TBI signé entre le Bangladesh et l’Italie en 1990. La requérante estimait avoir été victime d’une expropriation de son droit à l’arbitrage. Si le tribunal admit qu’en principe, une décision de justice pouvait être constitutive d’une expropriation, deux conditions alternatives devaient être réunies : soit que l’habilitation du juge à annuler une sentence fasse défaut, soit que l’annulation ne soit pas justifiée. Le CIRDI admet rapidement que le juge bangladais est compétent pour révoquer une sentence arbitrale, mais reconnaît qu’en l’espèce, la révocation fut insuffisamment justifiée. La société Saipem a donc bien été victime d’expropriation et son dédommagement doit correspondre à ce dont elle aurait eu droit si la sentence rendue par la Chambre n’avait pas été annulée. Ce faisant, le CIRDI se fait juge de la façon dont les tribunaux bangladais auraient dû interpréter le droit international et la législation nationale. Dans le premier cas, l’arbitre estime que les juges auraient dû prendre en compte l’obligation prévue par la Convention de New York de donner effet aux sentences arbitrales. Dans le second cas, l’arbitre se fait l’interprète du Bangladeshi Arbitration Act de 1940 en considérant que la

386 Louis Yves FORTIER, « Investor-State Tribunals and National Courts : A Harmony of Spheres? », dans David D. CARON, Stephan SCHILL, Abby Cohen SMUTNY et Epaminontas E. TRIANTAFILOU (dir.), Practising virtue : inside international arbitration, 1e éd., New York, Oxford University Press, 2015, pp. 292 – 307.

387 CIRDI, Saipem v. Bangladesh, 30 juin 2009, aff. n° ARB/05/7.

révocation prononcée par la Cour inférieure n’était « pas suffisamment justifiée »388. On retrouve cette fonction d’appel dans l’affaire ATA contre Jordanie389 où, à l’occasion d’un contrat de concession portant sur la construction d’une digue, le CIRDI reprocha à la Cour de cassation jordanienne d’avoir appliqué une loi plutôt qu’une autre, décevant ainsi les « attentes raisonnables » de l’investisseur, lequel devait alors être dédommagé par l’État du Moyen-Orient.

188. Plus proche de notre sujet, et plus « attentatoire » encore à l’office du juge

national, l’affaire Texaco-Chevron contre Équateur doit être citée390. En 1991 et 1993, la société américaine saisit les cours équatoriennes de sept recours différents pour des faits liés à l’inexécution prétendue de contrats de concession pétrolière. Au même moment, plus de 30 000 citoyens du pays andin saisirent les juridictions de l’État de New York afin d’obtenir, sans succès, la réparation des dommages causés par la pollution de plus de 450 000 hectares de forêt en Amazonie par la société américaine, provoquant le décès de centaines de personnes et la disparition de plusieurs peuples autochtones. En 2006, sur les sept recours intentés par Texaco en Équateur, six étaient encore pendants, et un faisait l’objet d’un recours en appel. Le 21 décembre 2006, la société entama une procédure d’arbitrage sur le fondement du TBI signé entre les États-Unis et l’Équateur en 1993, afin de réclamer réparation du préjudice causé par la durée de la procédure judiciaire, qui contreviendrait à l’article II paragraphe 7 du Traité, selon lequel : « [c] haque Partie fournira des moyens efficaces pour faire valoir ses droits en matière d’investissement, d’accords d’investissement et d’autorisations d’investissement ». Le tribunal fit droit aux demandes de la société et condamna l’État au paiement d’une indemnité d’un montant de près de 112 millions de dollars. En parallèle à la procédure d’arbitrage, la Cour nationale d’Équateur condamna le 12 novembre 2013 la société Texaco à

388 Par. 155.

389 CIRDI, ATA Construction v. Jordan, 18 mai 2010, aff. n° ARB/08/2.

390 Cour Permanente d’Arbitrage, Chevron Corporation (USA) and Texaco Petroleum Company (USA) v. The Republic of Ecuador, 31 août 2011, aff. n° 34877. V. le résumé de l’affaire proposé par l’ONG « Business and Human Rights », en ligne : https://business-humanrights.org/en/texacochevron-lawsuits-re-ecuador (consulté le 2 oct. 2017). V. également Horatia MUIR-WATT, « Chevron, l’enchevêtrement des fors. Un combat sans issue ? », RCDIP, 2011, n° 2, pp. 339 – 352 ; Horatia MUIR-WATT, « Revenus provenant de l’exécution du jugement de l’exequatur », RCDIP, 2014, n° 2, pp. 397 – 403.

une amende de 9 milliards de dollars pour les faits liés à la pollution, mais son

exequatur fut refusé en mars 2014 par une juridiction fédérale de New York, laquelle

fut confirmée en appel le 8 août 2016 et par la Cour suprême le 19 juin 2017.

189. Les demandeurs équatoriens ont, depuis, saisi plusieurs juridictions

notamment au Canada et au Brésil afin de voir exécuter la décision rendue par la Cour nationale d’Équateur. Deux éléments méritent ici une attention particulière. La première correspond à l’immixtion de l’arbitre dans le fond de l’affaire, et l’autre correspond davantage à une immixtion dans la procédure. Dans le premier cas, l’arbitre estime que l’inaction des tribunaux locaux durant treize ans constitue une violation de l’article II § 7 du TBI commise par l’État. Jusque-là, l’arbitre reste dans son rôle de garant du respect des dispositions du Traité. En revanche, c’est dans la détermination du montant de l’indemnité due à l’investisseur que la sphère de compétence du juge national semble envahie. Ne se contentant pas d’une simple interprétation du droit international visant à déterminer ce que doivent être les « moyens effectifs » à déployer pour garantir le respect des droits liés à l’investissement, l’arbitre entend « statuer sur le bien-fondé des affaires soumises comme l’aurait fait, selon lui, une Cour équatorienne honnête, indépendante et impartiale »391. Ce faisant, non seulement l’arbitre se prononce en lieu et place du juge national, sur le fondement du droit national, pour purger un litige, mais il dénature en plus une décision déjà rendue et soumise au moment même à une juridiction d’appel. La justification avancée par l’arbitre est aussi laconique qu’étayée : c’est « […] le manque de volonté apparent des tribunaux équatoriens »392 pour résoudre les litiges qui est jugé déraisonnable. L’impression d’« intrusion »393 dans la justice étatique est encore plus forte à la lecture des premières sentences provisoires. Le 25 janvier 2012, le tribunal arbitral précise que : « […] toute perte causée par l’exécution du verdict du tribunal de Sucumbios [qui eut à connaître des plaintes relatives aux faits de pollution en Amazonie] serait une perte dont l’État équatorien serait responsable auprès de Chevron, selon le droit

391 CPA, Partial Award on the Merits, 30 mars 2010, par. 377. 392 CPA, Partial Award on the Merits, 30 mars 2010, par. 262. 393 L. Y. FORTIER, préc., note 386 à la page 304.

international »394. L’État se montrant sourd à cette menace, le tribunal réitère le 16 février 2012 :

« Le défendeur [l’État équatorien] s’engage à prendre toutes les mesures à sa portée pour suspendre ou faire suspendre l’exécution ou la

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