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La séduction de l’investisseur par le droit international

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Section 2. La protection des investissements économiques

A. La séduction de l’investisseur par le droit international

129. Les principales sources internationales du droit de l’investissement sont, par

ordre d’importance, les conventions, la coutume et les principes généraux du droit. Sans prétendre à l’exhaustivité267, nous nous concentrerons sur les règles, majoritairement conventionnelles aujourd’hui, grâce auxquelles les États parviennent à attirer des investisseurs étrangers en leur garantissant un certain nombre de protections. Aux principes traditionnels liés à la prohibition de la discrimination (1) s’ajoute un certain nombre de clauses substantielles devenues de styles (2).

1. Les clauses relatives à la prohibition de la discrimination

130. Deux clauses majeures apparaissant dans les traités bilatéraux ou

multilatéraux d’investissement interdisent de discriminer l’investisseur étranger. La clause de traitement national impose de traiter ce dernier comme n’importe quel opérateur national (a). La clause de la nation la plus favorisée interdit de le traiter d’une façon moins favorable que les autres investisseurs étrangers plus favorisés (b). Ces deux techniques sont analysées distinctement des clauses dites « substantielles », car elles traversent le droit international de l’investissement et produisent leurs effets lors de la mise en œuvre des autres standards de protection.

a. La clause du traitement national

131. La clause du traitement national est d’abord née de la doctrine Calvo en

Amérique latine, qui entendait soumettre les investisseurs étrangers au seul droit local et, à l’inverse, leur refuser toute protection diplomatique ou application de standards minimums internationaux. Depuis lors, la conception du traitement national a évolué, celle-ci prenant aujourd’hui un autre sens, à savoir celui de l’interdiction d’une discrimination de l’investisseur étranger par rapport à l’opérateur

267 Pour ce faire, V. Arnaud de NANTEUIL, Droit international de l’investissement, 3e éd., coll. Etudes internationales, Paris, Pedone, 2020.

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national. Le traitement national constitue donc une protection supplémentaire à celles qu’apportent les standards minimums définis internationalement268. On trouve la clause du traitement national dans des accords commerciaux269 régionaux270 ou bilatéraux271. Elle peut prendre la forme suivante :

« Les produits originaires du territoire de toute partie contractante importés sur le territoire de toute autre partie contractante ne seront pas soumis à un traitement moins favorable que les produits similaires d’origine nationale en ce qui concerne toutes lois, tous règlements et toutes prescriptions affectant la vente, la mise en vente, l’achat, le transport, la distribution et l’utilisation de ces produits sur le marché intérieur […] »272

132. Mais le contenu de cette clause ainsi que sa portée peuvent différer en

fonction du régime juridique dans lequel elle s’inscrit. Parmi les questions que soulève la pratique du traitement national figure celle de la comparabilité des situations de l’investisseur étranger et de l’opérateur national. La plupart des accords, mais non la totalité, prévoient que la clause ne joue qu’en présence de « circonstances similaires ». Dans ce cas, l’interprétation donnée à cette réserve n’est pas toujours la même. L’Organe de règlement des différends de l’OMC semble exiger une identité de secteur économique tandis que plusieurs sentences arbitrales rendues sur le fondement de traités bilatéraux d’investissement semblent retenir une conception plus large en s’intéressant à l’objet de l’activité273. D’autres traités bilatéraux n’exigent pas, par ailleurs, l’existence de « circonstances similaires ».

268 Pour un rappel historique plus précis, V. Id., no 622 et suiv.

269 Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, Genève, 30 oct. 1947 (entré en vigueur le 1er janv. 1948), « GATT » en son acronyme anglais, RTNU, 1950, Vol. 55, p. 187 et suiv., article III, al. 2 ; Accord général sur le commerce de services, Marrakech, 15 avr. 1994 (entré en vigueur le 1er janv. 1995) « GATS » en son acronyme anglais, RTNU, 1995, Vol. 1867, p. 4 et suiv., article XVII.

270 Par exemple à l’article 1102 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), 17 déc. 1992 (entré en vigueur le 1er janv. 1994), ILM, 1993, p. 289 et suiv. L’ALENA est devenu, depuis le 30 nov. 2018, l’Accord Canada-États-Unis-Mexique.

271 Plus de 2 000 traités bilatéraux d’investissements prévoient une telle clause post-investissement. V. <https://investmentpolicy.unctad.org/international-investment-agreements/iia-mapping> (consulté le 8 juin 2019). Pour ne prendre qu’un exemple, v. l’article 4 paragraphe 1 de l’Accord entre le Canada et la Mongolie entré en vigueur le 24 févr. 2017.

272 Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, article III, al. 2.

273 A. de NANTEUIL, préc., note 267, no 631 et suiv. et Matteo SARZO, « The national treatment obligation », dans Andrea GATTINI, Attila TANZI et Filippo FONTANELLI (dir.), General principles of law and international 132

133. C’est le cas, par exemple, du TBI signé entre l’Italie et l’Iran dont l’article 4

stipule que :

« Les investissements des personnes physiques et morales de l’une des Parties contractantes effectués sur le territoire de l’autre Partie contractante bénéficieront de la pleine protection juridique et du traitement équitable de la Partie contractante hôte non moins favorable que celui accordé aux investissements effectués par ses propres investisseurs ou les investisseurs de tout État tiers. »274

134. Dans cette hypothèse, la protection assurée à l’investisseur est alors plus

large puisque la comparaison des situations n’est plus soumise à l’existence de « circonstances analogues ». C’est pourquoi le choix opéré par les négociateurs dans la formulation de la clause est crucial pour la détermination de la portée du traitement national275. Néanmoins, dans la pratique, certains tribunaux ont fait de cette comparabilité une condition sine qua non du traitement national. Dans l’affaire

RFCC c. Maroc concernant le TBI Maroc/Italie l’organe arbitral déclare que :

« le contenu de cette disposition qui se rencontre systématiquement dans les traités de protection des investissements ne pose pas de problème d’interprétation particulier » et que « la principale difficulté réside […] dans la nécessité de déterminer si la situation de l’investisseur étranger était identique à celle de l’investisseur national. »276

135. Enfin, la pratique récente de négociation des accords commerciaux tend à

inclure, précisément en raison de l’insécurité à laquelle peuvent conduire ces diverses interprétations, une liste de secteurs exclus du traitement national. Elle peut

investment arbitration, coll. Nijhoff international investment law series, Vol. 12, Leiden ; Boston, Brill Nijhoff, 2018, pp. 378 – 397.

274 Agreement on reciprocal promotion and protection of investments, 10 mars 1999 (entré en vigueur le 8 août 2003), art. 4, par. 1.

275 Martín MOLINUEVO, Protecting investment in services: investor-state arbitration versus WTO dispute settlement, coll. Global trade law series, Vol. 38, Alphen aan den Rijn : Frederick, MD, Kluwer Law International ; Sold and distributed in North, Central, and South America by Aspen Publishers, 2012, pp. 104 – 105.

276 Consortium R.F.C.C. v. Kingdom of Morocco ICSID Case No. ARB/00/6, Sentence arbitrale, 22 déc. 2003, Section 53, p. 35. V. également la sentence Total s.a. v. Argentine Republic, Decision on Liability, icsid Case No. ARB/04/1, 27 déc. 2010, Section 210, p. 97, dans le cadre du TBI France/Argentine dont l’article 4 est également muet quant à l’exigence de circonstances analogues.

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être plus ou moins large. L’article 17 de l’ASEAN Comprehensive Investment

Agreement entré en vigueur en 2012 vise ainsi un nombre relativement important de

domaines mis à l’abri du traitement national quand le dernier Accord Canada-États- Unis-Mexique qui n’est pas encore entré en vigueur, liste de façon protectionniste un nombre réduit d’activités protégées telles que la pêche pour le Canada, la production d’hydrocarbures pour le Mexique ou la commercialisation de billes de bois pour les États-Unis277.

136. La pratique de la clause du traitement national n’est donc pas homogène. De

l’avis des commentateurs autorisés, il est donc difficile d’en déduire l’existence d’un principe général278. Il convient, en revanche, de rappeler que de façon générale, elle joue en combinaison avec d’autres clauses de protection des investissements. C’est surtout à ce moment-là qu’elle peut s’avérer particulièrement utile pour l’investisseur.

b. La clause de la nation la plus favorisée

137. La clause de la nation la plus favorisée vise, comme le traitement national, à

prohiber toute discrimination à l’égard de l’investisseur étranger, cette fois-ci non pas au regard des opérateurs nationaux, mais des autres investisseurs étrangers. En d’autres termes, les avantages concédés par l’État A aux investisseurs de l’État B doivent également, en théorie, bénéficier aux investisseurs de l’État C avec lequel l’État A aura conclu un accord. Il s’agirait donc, en réalité, d’une harmonisation par le haut au profit des investisseurs279.

138. Le champ d’application de la clause de la nation la plus favorisée pose un

certain nombre de questions. La principale tension provient du fait que cette clause peut potentiellement avoir pour conséquence de ruiner les relations bilatérales en ayant pour effet d’appliquer l’ensemble des traités conclus par un État à un

277 Accord Canada-États-Unis-Mexique, Annexe 2-A. 278 M. SARZO, préc., note 273 à la page 397.

279 Selon les mots de Arnaud DE NANTEUIL, il s’agit d’« élever le plus possible la protection que l’État est tenu d’accorder aux investisseurs étrangers, tout en harmonisant la teneur de cette dernière », V. A. de NANTEUIL, préc., note 273, no 647.

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investisseur étranger280. La pratique judiciaire et arbitrale a donc dû dégager un certain nombre de principes d’interprétation. Parmi eux, le plus important est sans doute le principe ejusdem generis, affirmé et défini pour la première fois par la Commission d’arbitrage dans l’affaire Ambatielos281. Selon la Commission, la clause de la nation la plus favorisée ne peut attirer que des matières appartenant à la même catégorie que celle à laquelle elle se rapporte, ce qui signifie que la clause de la nation la plus favorisée ne peut produire ses effets qu’à l’égard des traitements portant sur le même objet. Il faudra donc que les avantages désignés soient, d’une part, issus d’un traité bilatéral d’investissement, et, d’autre part, qu’ils portent sur un même objet. La création d’un droit absent du traité de base est donc, a priori, à exclure. Seule sa modification serait possible282. Mais la mise en œuvre de ce principe n’a pas toujours été égale. Ainsi dans l’affaire Maffezini283, le tribunal arbitral a accepté de faire jouer une telle clause pour une disposition procédurale et non pas substantielle. L’investisseur argentin, qui devait respecter un délai de dix-huit mois avant de pouvoir saisir un arbitre – et durant lesquels il ne pouvait saisir que les tribunaux espagnols – excipa du traité conclu par l’Espagne avec le Chili pour bénéficier d’un délai plus court, à savoir six mois. Le tribunal arbitral l’accepte dans la mesure où la clause était rédigée en des termes généraux. La sentence Plama284 rendue plus tard retiendra une conception plus restrictive. Selon le tribunal arbitral, à la coïncidence d’objet des mesures comparées doit s’ajouter une intention explicite des parties.

280 Arnaud DE NANTEUIL en tire comme conclusion que la clause aurait alors pour effet de remettre en cause le principe de l’effet relatif des conventions, V. A. de NANTEUIL, préc., note 267, n° 648. Mais comme l’avait déjà noté en son temps la Cour internationale de justice, si un État peut se prévaloir des dispositions d’un autre traité que celui qu’il aura conclu avec un État, c’est bien en vertu de la clause de la nation la plus favorisée, en conséquence de quoi cette clause ne constitue pas, en réalité, une exception au principe de l’effet relatif des conventions. V. CIJ, Affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co. (compétence), Arrêt du 22 juillet 1952: C.I.J. Recueil 1952, p. 93 à la page 109 : « Un traité avec un État tiers, indépendamment et isolément du traité de base, ne peut produire aucun effet juridique entre le Royaume-Uni et l’Iran: il est res inter alios acta ».

281 Commission d’arbitrage, Ambatielos (Grèce, Royaume-Uni et Irlande du Nord), 6 mars 1956, Recueil des sentences arbitrales, Vol. XII, pp. 83 – 153 à la page 107.

282 A. de NANTEUIL, préc., note 273, no 663.

283 Maffezini v. Spain, ICSID Case n° ARB/97/7, Decision of the Tribunal on the Objections of Jurisdiction, 25 janv. 2000.

284 Plama Consortium Ltd. v. Bulgaria, Decision on Jurisdiction, ICSID Case N° ARB/03/24, 8 févr. 2005.

139. D’autres principes d’interprétation ont été dégagés par la pratique285. Mais il en ressort que la portée de la clause dépendra entièrement de sa rédaction. La France, par exemple, reste dans l’ambiguïté quant à savoir si la clause jouera aussi pour le règlement des différends en ne l’abordant pas explicitement286. D’autres États l’incluent explicitement287 et d’autres, encore, l’excluent explicitement288.

140. Quoi qu’il en soit, de la même façon que pour le traitement national, la clause

de la nation la plus favorisée ne produira pleinement ses effets qu’en combinaison avec une des nombreuses clauses substantielles figurant dans les accords commerciaux.

2. Les clauses substantielles

141. De nombreuses mesures substantielles, c’est-à-dire qui se suffisent à elles-

mêmes pour pouvoir produire leurs effets, à la différence du traitement national et de la clause de la nation la plus favorisée, peuvent être introduites dans les accords commerciaux. Il ne s’agit pas de toutes les présenter de façon exhaustive, mais seulement d’en retenir quelques-unes permettant d’illustrer la volonté des États d’attirer l’investissement étranger. Le respect des attentes légitimes de l’investisseur (a), sa protection contre l’expropriation indirecte (b), les garanties de libre transfert (c) et l’interdiction des exigences de performance (d) en font partie.

a. Le respect des attentes légitimes de l’investisseur

142. Le respect des attentes légitimes de l’investisseur est une notion récente,

mais qui est de plus en plus fréquente dans les traités bilatéraux d’investissement.

285 N. Jansen CALAMITA et Ewa ZELAZNA, « Most-Favoured-Nation clauses and the centrality and limits of General Principles », dans Andrea GATTINI, Attila TANZI et Filippo FONTANELLI (dir.), General principles of law and international investment arbitration, coll. Nijhoff international investment law series, Vol. 12, Leiden ; Boston, Brill Nijhoff, 2018, pp. 398 – 428.

286 Accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Kenya sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements, 4 févr. 2007 (entré en vigueur le 26 mai 2009), art. 4 par. 2 : le règlement des différends n’y apparaît pas.

287 Accord Grande-Bretagne-Éthiopie, 19 nov. 2009 (pas encore entré en vigueur), art. 3 par. 3. 288 Accord Pays-Bas-Émirats arabes, 26 nov. 2013 (pas encore entré en vigueur), Protocol Ad Article 9.

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D’origine difficilement identifiable289, elle désigne ce à quoi l’investisseur peut raisonnablement s’attendre en investissant dans un pays. Tout l’enjeu est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « raisonnablement ». De rares accords donnent des précisions. C’est par exemple le cas du traité Canada/Corée du Sud, dont l’article 8-B, paragraphe c), alinéa ii) introduit en note de bas de page que :

« Il est entendu que la question de savoir si les attentes sous-tendant l’investissement de l’investisseur sont raisonnables dépend en partie de la nature et de l’étendue de la règlementation du gouvernement dans le secteur en question. Par exemple, les attentes d’un investisseur que les règlements ne changeront pas sont moins susceptibles d’être raisonnables dans un secteur fortement règlementé que dans un secteur moins fortement règlementé. »290

143. Mais, de façon générale, c’est la pratique arbitrable qui a circonscrit la notion.

Les premières décisions en retiennent une conception relativement large, englobant l’obligation pour l’État d’accueil de garantir à l’investisseur la véracité de conseils juridiques voire une certaine stabilité règlementaire. Dans l’affaire Metalclad, le tribunal arbitral affirme ainsi que :

« [Toutes] les exigences pertinentes devraient pouvoir être facilement connues de tous les investisseurs concernés… il ne devrait y avoir aucune place pour le doute ou l’incertitude… Une fois que les autorités centrales ont pris connaissance de toute incertitude à cet égard, il leur appartient de veiller à ce que la bonne position soit correctement déterminée […]. »291

144. Des sentences plus récentes font apparaître une tendance à la restriction de

la portée de cette clause. Ainsi dans l’affaire Glamis, le tribunal refusa d’accorder à

289 La doctrine semble hésiter entre une origine coutumière, doctrinale ou bien strictement arbitrale. V. Josef OSTŘANSKÝ, « An exercise in equivocation : a critique of Legitimate Expectations as a general Principle of Law under the fair and equitable treatment standard », dans Andrea GATTINI, Attila TANZI et Filippo FONTANELLI (dir.), General principles of law and international investment arbitration, coll. Nijhoff international investment law series, Vol. 12, Leiden ; Boston, Brill Nijhoff, 2018, pp. 344 – 377.

290 Free trade agreement between Canada and the Republic of Korea, 22 sept. 2014 (entré en vigueur le 1er janv. 2015). C’est nous qui soulignons.

291 Metalclad Corporation v. The United Mexican States, ICSID Case n° ARB(AF)/97/1, Award, 30 août 2000, par. 76. Nous soulignons. De même, v. Tecnicas Medioambientales Tecmed S.A. v Mexico, ICSID Case n° ARB (AF)/00/2, Award, 29 mai 2003, par. 154.

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l’investisseur le bénéfice d’une telle clause en estimant qu’il n’existait pas, en l’espèce, d’obligation « quasi contractuelle » à la charge de l’État hôte de garantir le respect d’attentes légitimes292.

145. En l’état actuel de la pratique, il semble donc délicat d’induire un principe

général aux contours bien définis de la notion d’attentes légitimes. Tout dépendra du contexte de l’investissement. La doctrine propose une distinction entre attentes générales et spécifiques. Les premières relèveraient de ce que l’investisseur serait en droit d’attendre du fonctionnement normal des institutions de l’État d’accueil ; les secondes seraient fondées sur le comportement spécifique de l’État à son égard293.

b. La protection contre l’expropriation indirecte

146. La protection contre l’expropriation est sans doute à l’origine du droit

international de l’investissement. L’expropriation par un État n’est pas interdite en soi, mais doit respecter un certain nombre de conditions – objectif d’intérêt public, non-discrimination, respect d’une procédure légale et versement d’une compensation financière294. Parmi les différentes formes qu’elle peut prendre, celle qui suscite les plus vives questions est l’expropriation dite « indirecte » : des mesures prises par l’État d’accueil ont, selon l’investisseur, un poids tellement important sur son investissement et sur la rentabilité escomptée, qu’elles auraient pour effet, de facto, de l’exproprier. L’enjeu est donc de savoir faire la part entre ce qui relève du pouvoir souverain de l’État d’adopter et de modifier des règlementations selon son « bon vouloir » et la protection attendue de l’investisseur en vertu d’un traité engageant le même État. Par exemple, les tribunaux arbitraux ont donné raison aux investisseurs sur ce chapitre dans une affaire où le Pérou avait révoqué la concession auparavant accordée à une minière canadienne pour la raison que la zone n’était plus considérée comme relevant d’un « intérêt national » au sens constitutionnel295. Dans une autre affaire, la Hongrie est condamnée pour

292 Glamis Gold, Ltd. v. The United States of America, UNCITRAL, Award, 8 juin 2009, par. 766. 293 A. de NANTEUIL, préc., note 273, no 711.

294 Id., no 730 et suiv.

295 Bear Creek Mining Corporation v. Republic of Peru (ICSID Case Nn° ARB/14/21), Award, 30 nov. 2017.

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avoir adopté une mesure conférant au gouvernement le monopole dans l’attribution aux salariés de prestations sociales prépayées – « social vouchers »296.

147. Afin de lever l’ambigüité, certains États définissent dans leur accord ce qu’ils

entendent par expropriation « indirecte ». C’est le cas du Canada : « Les parties confirment leur compréhension commune que :

b) La détermination de la question de savoir si une mesure ou une série de mesures d’une Partie constitue une expropriation indirecte nécessite une enquête factuelle au cas par cas qui prend en considération, entre autres facteurs :

i) l’impact économique de la mesure ou de la série de mesures, bien que le seul fait qu’une mesure ou une série de mesures d’une Partie ait un effet défavorable sur la valeur économique d’un investissement n’établit pas qu’une expropriation indirecte a eu lieu ;

ii) la proportion dans laquelle la mesure ou la série de mesures interfère avec des attentes distinctes et raisonnables fondées sur des investissements ; et iii) le caractère de la mesure ou de la série de mesures. »297

148. Mais dans l’ensemble, c’est la pratique arbitrale qui est intervenue.

L’évaluation de l’incidence des mesures sur l’investissement a traditionnellement oscillé entre deux « extrêmes » : d’un côté, l’appréciation du seul effet de la mesure sur l’investissement, et, de l’autre, la prise en compte de l’intérêt public – théorie des « police powers »298. Les deux techniques ont démontré leurs limites, la première ayant tendance à surprotéger l’investisseur, et la seconde, à l’inverse, à survaloriser les intérêts de l’État contractant. C’est aujourd’hui à un test de proportionnalité que se livrent les tribunaux, depuis l’affaire déjà citée Tecmed299. Un équilibre entre

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