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CHAPITRE 4 : L’EXPÉRIENCE SCOLAIRE CHEZ DES ÉLÈVES DE LA CLASSE DE

3 L’expérience scolaire dans la construction personnelle chez les élèves

3.2 Les retombées et/ou la portée de l’expérience scolaire chez les élèves

3.2.2 La portée de l’expérience scolaire au niveau du registre de la pensée

La portée de l’expérience scolaire que vivent les élèves peut être aussi ressentie au niveau du fonctionnement cognitif de l’individu. Sur la base des informations qu’il reçoit quotidiennement à l’école par le biais des relations, des apprentissages et des évaluations, l’individu acquiert un certain mode de fonctionnement. Cela transparaît dans toutes les activités et dans tous les agissements de l’individu. C’est le cas des questions d’orientation auxquelles les élèves sont appelés à répondre à des moments précis de leurs formations. Au niveau du fonctionnement cognitif de ces élèves, nous avons identifié, en ce qui concerne les questions d’orientation, un seul style de raisonnements décisionnels (Bujold & Gingras, 2000; Harren, 1979) et certains types de logiques Dumora (1990, 2004, 2010) dans leurs discours.

D’après le modèle de Harren (1979), il existerait trois styles décisionnels chez les jeunes concernant leurs choix d’orientation. Ce sont le style rationnel, le style intuitif et le style dépendant. Selon lui, dans le style rationnel et intuitif, l’individu est conscient de la responsabilité qui l’engage à faire un choix; ce qui n’est pas le cas dans le style dépendant. Aussi, il est important de remarquer que la différence fondamentale entre le style rationnel et le style intuitif résiderait dans la démarche de raisonnement qu’emprunte l’individu (Bujold & Gingras, 2000; Harren, 1979). L’un adopte une démarche séquentielle logique (prise de conscience, planification, engagement et réalisation) alors que l’autre procède par une démarche intuitive. La première implique, pour aboutir à une bonne décision, « que la personne dispose d’une information adéquate sur elle-même et sur le milieu » (Bujold & Gingras, 2000, p. 322) alors que dans la démarche intuitive, elle ne prend pas en compte nécessairement l’importance de ces différents facteurs.

L’analyse de nos données révèle que les élèves du lycée classique et du lycée technique d’Abidjan de notre échantillon utilisent seulement le style rationnel concernant les décisions qu’ils ont à prendre s’agissant des questions d’orientation. Ils se basent sur certaines de leurs caractéristiques individuelles et certains facteurs du milieu, notamment leurs performances dans des matières spécifiques pour faire leurs choix.

Par rapport aux choix de la série, il n’y avait rien à faire, c’était A forcément parce que ce sont les langues qui m’intéressent. Donc, je ne me voyais pas aller en C ou en D. Et puis bon !!! Les maths m’intéressaient peu (Dorcas).

Actuellement en classe, la matière que j’aime, franchement c’est la philosophie. Or, on sait que quand tu aimes quelque chose, forcément, tu vas te donner pour réussir

(Florence).

Ce style de raisonnement est accompagné de différentes logiques dans leurs discours d’orientation telles que précisées par Dumora (1990, 2004, 2010). La logique de l’excellence est la plus représentée dans les discours d’orientation de ces participants. Elle est suivie de la logique de la rationalisation et de l’expectative. La logique de l’excellence est utilisée dans toutes les filières de formation. Quant à la logique de la rationalisation, elle se manifeste plus dans les discours des élèves des filières scientifiques au lycée classique. La logique de la résignation et celle de l’illusion sont quant à elles plus utilisées par les élèves qui ont des résultats scolaires moins satisfaisants. Nous présentons ici quelques extraits de récits tirés de leur verbatim.

 Logique d'excellence

C’était mon vœu aussi. Mon 2ème choix, c’était Mamie Faitai de Bingerville. C’est

aussi une école d’excellence comme Sainte Marie. Et après, c’était l’école Notre- Dame de Dabou au pire des cas. Mais, je ne voulais pas aller là-bas. 146 points, c’était beaucoup et j’étais la première dans notre école à l’entrée en sixième. Donc, je me suis dit qu’inévitablement, je vais aller à Sainte Marie puisque, c’est les meilleures qu’on prend pour aller là-bas. […] Après le BAC, mon premier choix, c’est Campus France. Après, c’est Esatic et puis après, c’est Inphb parce que tout bon élève du classique veut aller à l’Inphb (Fabienne).

 Logique du pragmatisme

J’aurais aimé postuler pour le Campus France pour aller faire études de sciences politiques à l’étranger. Mais, compte tenu des moyens des parents, je ne pourrai pas

même faire une école privée. Donc, je sais un peu déjà ce que je vais faire. Je compte aller à l’université FHB faire des études de droit. (Florence).

 Logique de l'expectative

Mais comme je n’avais pas beaucoup de moyennes en maths, j’ai demandé ça comme ça et je pensais qu’on n’allait pas me mettre en C. Mais comme, j’avais eu une bonne note à l’examen, j’avais eu 14 en maths et 17 ou 16 en physiques c’est pourquoi, on m’a mis en C (Stéphanie).

 Logique de la rationalisation

C’est sur mes aptitudes en classes et mes capacités que je compte pour faire ces différents choix. Par rapport à cela, je sais qu’il y a des métiers où je serai bien et des métiers où j’aurai quelques difficultés. C’est à cause de cela que je n’ai pas choisi la série C parce que je sais que je ne suis pas bien en mathématique (Florence).

 Logique de l'illusion

Mais, juste après le BAC, j’ai dit à mon père que je veux quitter le pays pour aller me former ailleurs. Il m’a dit que «pourquoi tu ne veux pas aller à l’Inphb ?» parce que c’est là-bas qu’on oriente les élèves d’ici quand ils n’ont pas pu obtenir de bourses d’études. Je lui ai dit «non» parce qu’à l’Inphb, c’est pour aller faire soit le DUT, soit le cycle long. Et si nous devons faire le cycle long, tu seras peut-être obligé de quitter le pays si tu veux continuer. Comme moi, je veux être ingénieur en électromécanique, je me dis que je ne pourrai pas avoir une bonne formation si je reste ici en Côte d’Ivoire. Donc, j’ai dit à mon père qu’après le BAC, je voudrais aller à l’extérieur pour aller plus m’instruire et mieux comprendre les choses dans ce domaine et avoir mes diplômes pour venir servi mon pays. Je voulais aller me former soit en France, soit en Allemagne, soit au Canada parce que dans ces pays, l’industrie et l’aéronautique sont beaucoup développées. Si je devais choisir une seule filière après mon BAC, je choisirais la filière ingénieur en électromécanique. Mais, je ne sais pas précisément d’abord dans quelle école et dans quel pays je vais partir (Gérard).

 Logique de la résignation

On me dit que ceux qui résistent, c’est ceux qui réussissent les deux années de tronc commun parce qu’on fait beaucoup les maths. Or, mon niveau n’est pas très bon en maths. Donc, j’ai déjà une idée arrêtée de la médecine. Donc, je préfère faire gestion commerciale ou marketing, surtout, la communication (Stéphanie).

Selon Bujold et Gingras (2000) et Fabio et Busoni (2006), de nombreuses recherches ont été effectuées sur les styles décisionnels. Cependant la plus couramment utilisée dans la littérature est celle d’Harren (Fabio et Busoni, 2006). Selon ces auteures, sa définition fait référence à la façon typique dont l’individu perçoit et répond aux tâches décisionnelles. Suivant cette approche, « le style décisionnel ferait partie, avec le concept de soi, des

caractéristiques du décideur, c’est-à-dire des traits relativement stables qui déterminent la façon dont l’individu perçoit la tâche, ainsi que des conditions décisionnelles qui influencent l’évolution de la personne au cours du processus de la prise de décision » (p. 363). Selon Fabio et Busoni (2006), d’autres définitions du style décisionnel tout aussi remarquables que celle d’Harren sont données par Driver (1979) et Scott et Bruce (1995). Selon ces auteurs, Scott et Bruce (1985) définissent le style décisionnel comme « le pattern habituel de réponse apprise que l’individu montre devant une situation décisionnelle. Ce n’est pas un trait de personnalité, mais une tendance basée sur l’habitude de réagir d’une certaine manière dans un contexte décisionnel spécifique » (Fabio et Busoni, 2006, p. 363). Cette définition rejoint celle de Driver (1984) qui indique qu’en tant qu’habitude apprise, la différence fondamentale entre les styles décisionnels résiderait dans la quantité d’informations à traiter et le nombre d’alternatives possibles lors du processus décisionnel. Pour Bujold et Gingras (2000), les styles décisionnels, quels que soient leurs types ou leurs formes, permettent après avoir arrêté une décision de passer à l’action. Cette action consiste, dans le cadre du processus d’orientation, d’opérer des choix de filières de formation ou de professions.