Les limites et les avantages de la recherche

La recherche que nous avons réalisée comporte certaines limites qu’il y a lieu de préciser ici malgré ses nombreux avantages liés à sa démarche et aux résultats que nous avons obtenus. La limite principale de cette étude se situe au niveau de la méthode que nous avons utilisée. En effet, en optant pour la méthode de l’entrevue semi-dirigée, nous courrons le risque de voir les participants confrontés à des trous de mémoire; l’histoire qu’il raconte faisant appel souvent à des souvenirs lointains demandant par moment, plus de précisions ou plus de

détails. Pour éviter cette situation, toutes les entrevues ont été réalisées dans des cadres remplissant les conditions de la bonne tenue d’une entrevue. Des dispositions avaient aussi été prises pour que chaque participant se sente à l’aise, libre de communiquer et rassuré quant à la confidentialité des informations qu’il fournies et à leur utilisation. En évitant ainsi l’utilisation d’une méthode qui serait plus judicieuse, mais fastidieuse et contraignante comme le suivi d’une cohorte d’élèves du début de leur scolarisation jusqu’à la fin de leurs études secondaires, nous faisons l’économie d’un temps précieux et d’une dépense financière importante qui n’allaient pas nous permettre d’atteindre les objectifs de notre formation. L’un des risques liés à l’utilisation de la méthode de l’entrevue semi-dirigée dans les recherches qualitatives porte sur les réponses socialement désirables que les participants ont tendance à fournir au chercheur, pouvant causer des biais quant à la validité et la fiabilité des données. Pour éviter ou minimiser ce risque, nous indiquions à chaque participant au début de chaque entrevue la nécessité de raconter son expérience telle que vécue et qu’il n’y avait ni de bonnes ni de mauvaises réponses aux questions que nous lui poserons. En procédant ainsi, nous avons pu recueillir auprès de l’ensemble des participants des données fiables aussi riches les unes que les autres.

Au niveau du traitement et l’analyse des données, nous n’avons pas tenu compte des variables socio-économiques et socioculturelles des familles auxquelles sont issus ces élèves. Pourtant, selon Courtinat-Camps et Prêteur (2012) et Dubet et Martuccelli (1996), ces variables influenceraient de façon significative l’expérience scolaire des élèves. La raison de ce choix s’explique par le surclassement de l’habitus secondaire (acquis à l’école) au détriment de l’habitus primaire (acquis au sein de la famille) au fur et à mesure que les élèves avancent dans leur scolarité (Bourdieu, 1980; Jourdain, Naulin et De Singly, 2011). En effet, vu la durée de la scolarisation devenue de plus en plus longue, selon ces auteurs, les effets des variables culturelles et sociodémographiques auraient moins d’impacts que celles liées à l’environnement scolaire sur la poursuite des études et les choix de carrière. Dupriez et al. (2012, 2009) abondent aussi dans le même sens et notent qu’en avançant dans la scolarité, les variables scolaires tendraient à masquer l’influence de l’origine sociale et culturelle et

deviendraient progressivement les meilleurs prédicteurs du futur parcours et des aspirations d’étude des élèves.

Par ailleurs, nous notons que cette recherche a de nombreux avantages. La notion de l’expérience scolaire étant un champ de recherche relativement récent (Courtinat-Camps et Prêteur, 2012), elle mérite d’être plus investiguée sous plusieurs angles et dans plusieurs contextes socioculturels et socio-éducatifs différents. Compte tenu de l’inexistante de travaux dans le domaine dans les pays en développement, la présente recherche ouvre la voie à ce nouveau champ dans cette zone géographique et plus précisément en Côte d’Ivoire. Nous estimons que mieux connaître ce que vivent et ressentent les élèves durant leur période de formation est un meilleur gage pour l’amélioration de nos pratiques éducatives dans les écoles et le renforcement de nos systèmes d’encadrement.

L’étude que nous avons réalisée est aussi riche en informations. Elle a l’avantage d’avoir été réalisée auprès des élèves en fin de cycle de formation dans deux types d’établissements au secondaire (école de formation technique et école de formation générale). L’avantage du choix de cette cible est double. Au niveau théorique, les informations récoltées auprès de ces derniers peuvent être considérées comme une source crédible dans la mesure où cette population cible a gravi toutes les étapes du déroulement du processus de l’expérience scolaire et qu’elle se trouve au moment où la décision qu’elle prendra engage le reste de sa vie sur le plan scolaire et professionnel. Au niveau pratique, les informations récoltées auprès des participants peuvent aussi être considérées comme une source fiable et valide, car elles ont été recueillies auprès de l’ensemble des sous-groupes essentiels pouvant constituer cette population. Au vu de ces constats, pouvons-nous miser sur une généralisation analytiquement des résultats de cette recherche ? La recherche que nous avons réalisée suscite aussi de nombreux questionnements qui restent pour l’heure sans réponses. Enfin, en abordant des thèmes pertinents en lien avec l’histoire de la scolarisation et la structuration des aspirations scolaires et professionnelles des apprenants, les élèves ont certainement pris conscience de l’importance du choix et de la décision qu’ils auront à prendre dans les jours à venir concernant leur carrière et l’assumer pleinement en toute responsabilité.

CONCLUSION

Les recherches africaines dans le domaine de l’éducation ne datent pas d’aujourd’hui. Comme celle de Clignet (1964), des sources documentaires montrent que les premières ont été réalisées dans la période de l’après-indépendance en 1960. Malheureusement, de nos jours, ces recherches se font de plus en plus rares à cause de l’insuffisance des budgets alloués à la recherche dans la plupart des ministères responsables de l’éducation. Ce faisant, certains aspects de la vie scolaire ou de l’éducation sont peu traités au profit d’autres sujets qui minent le secteur. C’est le cas des situations vécues par les élèves au cours de leur scolarisation au sein de l’environnement scolaire. Or, une appréciation de la réalité que vivent ces apprenants sur le terrain de l’école permettrait de résorber nombre de situations difficiles qu’ils traversent et de garantir l’assainissement et l’amélioration des services qui leur sont proposés.

La présente recherche intitulée « l’expérience scolaire et la structuration des aspirations

scolaires et professionnelles chez des élèves en classe de terminale en Côte d’Ivoire » avait

pour intention de mieux comprendre comment l’école contribue au développement personnel des élèves et à une meilleure structuration de leurs aspirations scolaires et professionnelles. Dans cette optique, nous avons accordé une place de choix, à la détermination des éléments qui caractérisent cette expérience et qui y exerce une influence significative au niveau de la structuration des aspirations des élèves. L’objectif de cette recherche était aussi de connaître la contribution spécifique que les services en orientation apportent aux élèves dans leur développement et la structuration de leurs aspirations scolaires et professionnelles.

Faute de recherches existantes sur le sujet dans la littérature scientifique africaine, notre recension des écrits a porté sur des publications européennes et nord-américaines. Elles montrent que l’expérience scolaire que vivent les élèves durant leur scolarisation est multidimensionnelle. Aussi diverses les unes que les autres, ses dimensions se rattachent plus spécifiquement au côté objectif d’une part et au côté subjectif d’autre part de cette expérience. Cette recension des écrits peut être résumée aux propos de Guichard (2012) qui indique que « l’école contribue de manière explicite et implicite à la préparation des jeunes à orienter leur vie adulte » (p. 24). Pour une meilleure appréhension de notre sujet, la recension des écrits a

été traitée en deux points essentiels en lien avec nos objectifs de recherche. Ce sont : l’influence des variables relatives au fonctionnement des systèmes éducatifs et l’influence des acteurs principaux de l’école.

Pour mieux cerner la problématique et les questions soulevées dans le cadre de ce travail, nous avons aussi fait référence à deux théories interactionnistes qui mettent l’accent sur le jeu des relations dans le développement humain. Tandis que l’une (la théorie générale des systèmes de Bronfenbrenner, 1979) permet de mieux comprendre le fonctionnement de l’environnement scolaire et du système dans lequel l’élève apprend et étudie, l’autre, la théorie sociale cognitive de l’orientation scolaire et professionnelle de Lent (2008) met plus l’accent sur la manière dont l’élève tire profit de la nature et de la qualité des relations qu’il tisse avec les uns et les autres dans cet environnement.

La phase de collecte des données de ce projet a été réalisée dans deux établissements de la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Situés au cœur de la commune de Cocody à Abidjan, le lycée technique et le lycée classique ont servi de cadre pour recueillir les données de cette recherche. Avant d’arriver à cette phase de collecte, des formalités d’ordre éthique et administratif avaient été remplies. Nous faisons ici référence à l’approbation du projet par le comité d’éthique de l’Université Laval et la signature de documents officiels par les responsables du ministère de l’Éducation nationale et de l’enseignement technique de Côte d’Ivoire nous autorisant à enquêter auprès des élèves de ces deux établissements. Sur une population d’environ 1755 élèves constitués essentiellement d’élèves de la classe de terminale en fin de parcours dans le secondaire, seize (16) ont pris part aux entrevues semi- dirigées que nous avons réalisées conformément aux variables pertinentes que nous avons identifiées, aux critères d’inclusion et d’exclusion que nous avons ciblés et au guide d’entrevue élaboré à cet effet. Cet échantillon basé sur la stratégie d’échantillonnage par homogénéisation et par contraste comprend six (06) élèves du lycée classique et dix (10) élèves du lycée technique d’Abidjan. L’âge moyen de l’ensemble de ces participants est d’environ 18,75 ans.

L’analyse de contenu fut retenue pour le traitement et l’analyse des données de cette étude. Pour ce faire, nous nous sommes inspirés de L'Écuyer (1990) et de Paillé et Mucchielli (2016). Pour un traitement plus efficient de ces données, nous avons utilisé aussi un logiciel de traitement de données qualitatives appelé QDA Miner (version 4.1.27). Cela a fallu la transcription des données de chaque entrevue sous forme de verbatim que nous avons inséré dans ce logiciel. Les résultats obtenus à l’issue de ce traitement sont riches en informations.

Aux termes de notre analyse, les résultats montrent que les deux dimensions de l’expérience scolaire participent de façon complémentaire à la structuration des aspirations scolaires et professionnelles des élèves. La dimension objective concerne tout ce qui est mis en place dans les établissements pour accueillir et accompagner les élèves durant toute leur formation et la dimension subjective a trait à leur vécu subjectif dans ces établissements. Chez les élèves de terminale du lycée classique et du lycée technique d’Abidjan, le caractère objectif de cette expérience est marqué par les caractéristiques des environnements scolaires qu’ils ont fréquentés, leurs rapports avec les différents microsystèmes dans ces établissements et les activités qu’ils ont eues à effectuer avec ces microsystèmes. Quant à la dimension subjective, l’analyse a permis d’identifier certains éléments en lien avec le début de leur scolarisation, la situation géographique des établissements qu’ils ont fréquentés par rapport à leurs différents lieux d’habitation, les moyens qu’ils utilisent pour se rendre à l’école, leur positionnement à l’école et leur statut particulier en classe. La dimension subjective de cette expérience est liée aux types de rapports que les élèves entretiennent avec les différents microsystèmes de leur environnement scolaire, à leurs différents rapports avec les matières qui leur sont enseignées, à leurs investissements à l’école et à leurs rendements scolaires.

Par ailleurs, nous notons aussi que les points saillants de cette expérience se situent aussi bien dans sa dimension objective que dans sa dimension subjective. Au niveau de la dimension objective, le statut de ces établissements, leurs tailles, les infrastructures additionnelles et les différentes ambiances qui y règnent retiennent notre attention. Il faut ajouter à ceux-ci certains éléments relatifs au fonctionnement de ces écoles. Ce sont, les normes et les règles de conduite à respecter, le contenu des différentes matières enseignées avec leurs différentes charges respectives, la collaboration des élèves avec les différents microsystèmes du milieu

et les mécanismes relatifs à l’organisation et au fonctionnement du système d’orientation. Au niveau de la dimension subjective, nous notons que les points saillants de cette expérience se retrouvent au niveau des types de relations qu’ils entretiennent avec les différents microsystèmes du milieu. Ceux-ci sont plus marqués avec les pairs, avec les enseignants et avec les conseillers d’orientation. Les points saillants de la dimension subjective de l’expérience scolaire se situent également au niveau des rapports que les élèves ont avec les matières qui leur sont enseignées, au niveau de la qualité de leurs investissements à l’école et au niveau des rendements qu’ils obtiennent au cours des différentes évaluations.

Dans une certaine mesure, certains paramètres comme les caractéristiques personnelles de sujet et les implications des parents dans la scolarité de leurs enfants permettent de moduler cette expérience et son aboutissement. Les impacts de cette expérience se révèlent au niveau de trois registres que nous avons identifiés. Ce sont le registre de la connaissance, celui de la pensée et celui de l’action. Ils impliquent dans leurs élaborations différents processus qui prennent en compte l’évaluation personnelle du sujet et celui de l’environnement dans les décisions qu’ils prennent concernant leur orientation.

Au niveau de la contribution des ressources disponibles dans l’établissement dans le développement personnel et la structuration de ces aspirations chez ces élèves, une part belle est faite aux enseignants et aux conseillers d’orientation. Cependant, les résultats attestent d’un certain dysfonctionnement au niveau de l’organisation et du fonctionnement du système éducatif ivoirien concernant l’exercice du métier de conseiller d’orientation dans les lycées et collèges. Ils soulèvent aussi la question de la professionnalisation du métier d’enseignant. Au vu de ces constats, la recherche que nous avons réalisée appelle à une redynamisation des services proposés aux élèves dans nos établissements. Elle suggère des initiatives de recherches collaboratives qui mettront un particulier sur la professionnalisation et le développement du pouvoir d’agir des divers intervenants de l’école et plus particulièrement des conseillers d’orientation qui y travaillent.

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