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CHAPITRE 6 : INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS

1 Les implications théoriques de la recherche

L’étude que nous venons de réaliser est riche en informations. Elle donne de nombreux détails sur la vie scolaire et le quotidien des élèves dans des établissements spécifiques en Côte d’Ivoire. En retraçant leur parcours scolaire individuel, on s’aperçoit du progrès et de l’évolution de chacun au cours de cette période et au fil du temps.

Par sa triple mission, l’école offre un cadre structurant aux élèves, leur permettant ainsi de mieux s’instruire, de mieux se socialiser et de se qualifier pour l’exercice d’une profession future. Conscients de la valeur qu’incarne l’école aujourd’hui, les parents mettent tout en œuvre pour maintenir leurs enfants dans le circuit scolaire. C’est le cas de Aya et de Antoine, tous inscrits au lycée technique d’Abidjan, qui après avoir été exclus du système en classe de 3ème pour faute de rendement, les parents ont sollicité des établissements privés pour les maintenir à l’école et leur donner ainsi une chance de se réaliser. Cette attitude des parents vis-à-vis de leurs progénitures avait déjà été évoquée par Proteau en 1995 concernant le fonctionnement du système éducatif ivoirien. À cette période, il n’existait pas encore de système sécurisé permettant l’identification de chaque élève et la traçabilité de son parcours scolaire. Avec l’aide de certains acteurs du système, les élèves exclus se retrouvaient alors soit dans la même école, soit dans d’autres établissements publics l’année d’après moyennant quelques compensations financières déboursées par les parents. Ce mode de fonctionnement rétrograde connu sous le nom de recrutement parallèle fait désormais l’objet de sanctions sévères pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement et la radiation de l’agent indélicat. Depuis la mise à exécution de ces sanctions disciplinaires, les parents se tournent de plus en plus vers les promoteurs d’écoles privées en cas d’exclusion de leurs enfants ou de leurs protégés même si cela leur coûte des fortunes qu’ils auraient pu éviter.

L’engagement des parents dans la scolarité de leurs enfants se manifeste aussi par divers types de soutiens. Accompagnement à l’école, soutien financier, soutien moral et psychologique, conseils, encouragement et résolution des problèmes font partie des efforts que les parents déploient auprès de leurs enfants. Certains n’hésitent pas aussi à rencontrer certains intervenants de l’école pour le suivi de leurs enfants. C’est le cas des parents de

Fabienne et de Dorcas. Cependant, l’implication des parents dans la scolarité de leurs enfants se manifeste plus au niveau du choix des établissements et au niveau du choix de leur carrière. Cela s’aperçoit dans le récit de la plupart des élèves de notre échantillon comme nous l’avons souligné dans nos résultats. Cette posture parentale qui est de bonne guerre ne rencontre pas toujours et souvent l’assentiment des enfants et entraine parfois des conflits qui peuvent avoir des conséquences plus ou moins graves chez l’enfant. C’est le cas de Dorcas qui a entamé sa scolarité de 6ème et de seconde plusieurs semaines après la rentrée officielle des classes parce qu’elle était en désaccord avec son père sur le choix de l’établissement qu’elle devrait fréquenter. Ce genre d’incident demande plus d’efforts à l’élève pour se mettre à jour et être au même niveau que ses camarades de classe. L’implication et l’engagement des parents dans le développement vocationnel des adolescents a été plus investigués par Pinto et Soares (2004). Il ressort de leurs travaux que les variables familiales qui sont directement liées au développement vocationnel des enfants et des adolescents sont le niveau socio-économique et culturel des parents, la composition de la famille, l’origine ethnique, les pratiques éducatives parentales, les valeurs familiales, l’encouragement des parents et les actions intentionnelles qu’ils posent envers les enfants. « Dans leur discours, les parents se reconnaissent un rôle important dans le développement vocationnel des enfants tout en se rendant toutefois compte qu’ils auraient besoin de soutien pour le jouer d’une façon plus efficace » (Pinto & Soares, 2004, p. 5). Selon Soares (1998) cité par Pinto et Soares (2004), dans leurs intentions et les actions qu’ils posent envers leurs enfants, « on repère souvent dans le discours des parents des éléments concernant leur propre expérience, leurs valeurs, leurs projets ou leurs rêves, qu’ils attribuaient à leurs enfants […] » (p. 5). Selon ces auteurs, ces résultats sont, de fait, ceux des parents qui avaient obtenu de faibles scores au questionnaire qu’ils avaient utilisé pour leur recherche (le C D I ou Career Development

Inventory de Thompson et Lindeman élaboré en 1984).

Selon l’analyse de nos données, certaines caractéristiques attribuables à l’élève pourraient aussi avoir une influence certaine sur son cheminement scolaire ou ses aspirations scolaires et professionnelles. Ici, nous avons noté qu’en plus des caractéristiques de sa situation familiale, certains éléments comme ses représentations de l’école, ses intérêts pour l’école et les situations personnelles qu’il traverse durant sa formation (conditions de vie, difficultés

rencontrées, son état de vulnérabilité, ses besoins et ses ressentiments) pourraient menacer sa volonté de poursuivre et d’atteindre son point d’achèvement; c’est-à-dire le niveau d’étude qu’il aurait souhaité atteindre en vue de se réaliser. Conscients du rôle potentiel que joue l’école dans leur développement (lieu de formation par excellence, moyen de socialisation et moyen de réussite sociale), les intérêts qu’ils ont vis-à-vis de cette institution sont divergents. Cependant, dans la majorité des cas, chacun aimerait réussir pour apporter son soutien à ses géniteurs. Selon Vignoli et Mallet (2012), la peur de décevoir les parents et d’avoir de faibles rendements scolaires font partie des craintes les plus exprimées chez les adolescents pendant leur scolarisation. La réalisation de cette ambition est toutefois freinée dans certains cas par les conditions de vie et d’études difficiles pour les élèves (Aya, Antoine, Fanta, N’douba et Stéphanie). Certains sont confrontés à une problématique récurrente de santé physique (Aya, Ibrahim et Stéphanie) alors que d’autres ont du mal à combler certains besoins inhérents à leur formation pour pouvoir atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés. Il s’agit notamment dans notre échantillon de Aya, Antoine, Fidèle, Fabienne, Gérald, N’douba, Moussa et Stéphanie. Il leur arrive de ressentir aussi, à certains moments de leur vécu scolaire, des émotions. Ces affects positifs (sentiment de joie, de confiance, de fierté) ou négatifs (sentiment de solitude, d’insatisfaction de soi, de tristesse et d’humiliation) font partie aussi des expériences subjectives qu’ils vivent au cours de cette période.

Même si le fonctionnement des systèmes scolaires balise le parcours des élèves et étudiants (Picard & al., 2011), les expériences subjectives qu’ils vivent dans les locaux de ces établissements auraient encore plus d’impacts sur leur parcours ou leur cheminement. Entre les différentes activités auxquelles ils participent et les interrelations qu’ils construisent, la différence fondamentale entre les élèves se situerait au niveau de la valeur subjective qu’ils accordent à ces diverses expériences. Ces écarts entre les élèves se précisent et s’agrandissent au fur et à mesure qu’ils avancent dans leur cheminement et se renforcent au niveau des différents paliers de l’orientation (Landrier & Nakhili, 2010). Les injonctions faites à l’enfant afin de mener différentes activités avec et au sein des différents microsystèmes de l’environnement scolaire ne sont incontestablement pas remises en cause en début de scolarité comme le précisent Barrère et Sembel (1999). Les enseignants trouvent toujours des moyens pour faire adopter leurs activités aux enfants qui les trouvent plaisants et ludiques.

En tout cas, elles s’occupaient bien des élèves. Elles étaient attentives à leurs besoins, à leur épanouissement. En tout cas, on faisait beaucoup d’activités pour enfin … relatives à notre éveil; le coloriage, le dessein. Il n’y avait pas de support pour s’assoir. C’était des nattes. Bon ! Vu que c’était la maternelle, on n’avait pas vraiment besoin de ça (tables-bancs). On nous donnait des nattes pour s’assoir, des feuilles, de la peinture … et puis, bon ! On faisait un peu n’importe quoi par terre. Elles nous donnaient des espèces de notes. Enfin, c’était comme des notes. C’était une fleur en fait. Quand tu faisais quelque chose de vraiment super bien, elle (la maîtresse) te donnait une fleur. Elle collait la fleur sur la feuille. Quand c’était un peu moins bien, elle enlevait un pétale. Le nombre de pétales représente la qualité de ce que tu avais fait comme travail. Il n’y avait pas vraiment de classement de rang en ce moment-là. Ces propos tenus par une élève lors de nos entretiens témoignent de la docilité, de la flexibilité et de la volonté des élèves à apprendre dans les premiers moments de leur vie scolaire. Selon Lent (2008) « en pratiquant ces activités et en obtenant de façon continue des informations en retour (feedback) sur la qualité de leurs performances, les enfants et les adolescents affinent progressivement leurs capacités, développent des normes personnelles de niveau de réussite à atteindre et construisent des croyances d’efficacité personnelles et des attentes de résultats relatives à différentes tâches et à différents domaines de comportement » (p. 59). Au collège et au lycée, avec la pluralité des intervenants et la diversité des matières enseignées, les rapports des élèves à l’école se précisent davantage. Leur positionnement et leur statut particulier en classe ou à l’école, les types de rapports qu’ils entretiennent avec et au sein des différents microsystèmes et les types de rapports qu’ils ont avec les matières enseignées déterminent leur investissement à l’école et les rendements qu’ils obtiennent lors des différentes évaluations. Est-il nécessaire de préciser encore que le système éducatif ivoirien est linéaire, moins flexible et méritocratique ? Avec leurs différentes expériences d’apprentissages, leurs sentiments d’efficacité personnelle et leurs attentes de résultats, les élèves développent des intérêts qui se transforment en buts puis en actions (Lent, 2008). Ce processus de développement des intérêts et leurs transformations en buts et en actions sont influencés par les caractéristiques personnelles du sujet, des variables contextuelles liées aux expériences, et surtout par les potentialités offertes par le système social (Lent, 2008). C’est dans ce contexte que les élèves affûtent leurs armes pour décider de la voie à suivre au niveau des différents paliers d’orientation. Concernant les déterminants de leurs aspirations scolaires et professionnelles, nous retrouvons chez les élèves que nous

avons rencontrés, la primauté de leurs intérêts. Elle passe avant tout chez ces élèves dans 37,5 % des cas. La primauté des intérêts est suivie d’autres attributs personnels que sont le jugement par compromis, la convenance personnelle, les aptitudes et les capacités intrinsèques du sujet. Certains déterminants des aspirations scolaires et professionnelles sont aussi liés aux caractéristiques des professions. Il s’agit notamment de la rémunération financière de l’emploi, du prestige et de la compétition qu’il y a dans l’exercice de la profession. Ces résultats paraissent nettement différents de ceux de la plupart des travaux, notamment ceux de Dupriez & al. (2009, 2012) qui mettent l’accent d’une part, sur l’influence des pairs et d’autre part, sur l’influence de l'origine socioculturelle des élèves et certaines caractéristiques de l’environnement scolaire. Il s’agit plus précisément dans leurs travaux du niveau de l’élève en mathématique et dans la compréhension de la lecture puis du niveau moyen de l’école en mathématique. Selon ces auteurs, plus ce niveau est élevé dans une école, plus les élèves aspirent à faire de longues études universitaires. Les aspirations scolaires et professionnelles des élèves sont aussi influencées par la composition académique ou sociale de l’école (Dupriez & al., 2012). Plus elle est élevée, plus les élèves bénéficient d’un meilleur réseau dans leur processus d’identification aux autres et de modelage pour se développer. Cet effet d’établissement est perceptible dans les discours et les aspirations de nos participants comme nous l’avons décrit plus haut dans les résultats. Étant donné qu’ils sont inscrits dans des écoles d’excellence, ils envisagent fréquenter des écoles d’élite sur le plan national et international pour continuer leurs formations et aspirent à de hautes fonctions sociales quand bien même pour certains, leurs rendements scolaires ne leur permettent pas d’accéder à ces filières. Leurs ambitions se perçoivent plus nettement dans la figure 6 ci- dessus. La carte cognitive des professions envisagées par ces élèves est bien marquée par les deux axes dont fait cas Gottfredson (1981) dans son étude. Elles se situent toutes autour du point d’intersection de l’axe du prestige qui délimite le degré de l’accessibilité subjectivement perçue des professions, et de l’axe masculinité-féminité qui délimite le degré personnel de l’acceptabilité de ces professions. Leurs raisonnemements sont pour la plupart dominés par la logique de l’excellence. Elle est suivie de la logique de la rationnalisation, de l’expectative, puis celles du pragmatisme et de la résignation.

Selon Maurel (2015), « les choix d’orientation scolaire font partie des décisions aux conséquences économiques les plus importantes » (p. 70). Il attribue ses déterminants aux préférences et aux aptitudes qu’ont les élèves pour réussir dans les différentes filières de formations, aux effets du revenu familial et des contraintes de crédit et à l’importance de l’imperfection des informations qu’ils détiennent. Pour lui, « l’information dont les étudiants disposent sur les différentes formations, comme le contenu pédagogique ou encore les conditions d’insertion dans le marché du travail propre à chaque filière, joue un rôle potentiellement majeur dans les décisions qu’ils prennent en matière d’orientation » (p. 73). Ces spécificités des différentes filières de formations ont été très peu abordées par nos participants lors des entretiens, malgré que le taux d’insertion professionnelle des jeunes soit faible dans la plupart des filières et que le taux de chômage aurait tendance à croître avec le niveau du diplôme jusqu’à la maitrise (Agepe, 2013).

Les implications théoriques de cette recherche prennent aussi en compte les divers processus mobilisés chez les élèves au cours de ces expériences vécues à l’école. En dehors du processus de développement des intérêts et celui de la réalisation de la tâche évoqués par Lent (2008), et les processus de réflexion comparative, probabiliste et implicative évoqués par Dumora (2004, 2010), d’autres processus sous-entendus par les registres de la connaissance, de la pensée et de l’action ont aussi cours lors de cette expérience. Le registre de la connaissance sous-entend plus un processus de perfectionnement individuel où l’élève cherche à mieux se connaître et connaître l’environnement qui l’entoure afin de mieux se positionner par rapport aux autres et de mieux analyser les possibilités que lui offre cet environnement en termes de formation et d’insertion professionnelle. Quant aux registres de la pensée et de l’action, ils s’apparentent aux processus métacognitifs et au cycle de traitement de l’information (Sampson, Jr., Reardon, Peterson, & Lenz, 2004). Une bonne appréciation de ces trois registres chez un élève permettrait de mieux évaluer sa capacité à s’orienter. Dans notre étude, seulement 1/4 de nos participants ont une bonne connaissance des filières de formations après le baccalauréat et seulement 1/8 a une meilleure connaissance de la filière qu’il souhaiterait entreprendre après le baccalauréat. Ce résultat en deçà de nos attentes nous amène à aborder ici et maintenant, les implications pratiques de notre recherche.