Les facteurs émergents

D’après les données recueillies à l’issue de ces entrevues, certains paramètres, non pris en compte dès le départ, contribueraient à amplifier ou à atténuer la portée de l’expérience scolaire chez les élèves que nous avons rencontrés; et cela, quel que soit le type de leur formation au secondaire et la filière qu’ils ont suivies. Ces paramètres peuvent être regroupés en deux grands types de facteurs. Il y a d’une part, les caractéristiques personnelles de l’élève, et d’autre part, les implications personnelles des parents dans la scolarité de leurs enfants.

Ces deux types de paramètres considérés comme des facteurs émergents dans notre étude apparaissent dans tous les récits de nos participants.

Au niveau des caractéristiques personnelles de l’élève, nous avons identifié sa situation familiale, ses représentations et ses intérêts pour l’école ainsi que les différentes situations qu’il a traversées durant sa formation. Sa situation familiale donne une idée de la structure de la cellule familiale dans laquelle il a évolué, mais aussi du niveau de revenus de ses parents. Quant à sa situation durant sa formation, elle fait cas de ses conditions de vie, de ses difficultés, de ses besoins, de sa vulnérabilité et de ses ressentiments au cours de cette période. L’implication des parents dans la scolarité de leurs enfants se décompose ici en plusieurs types d’actes que ces derniers auraient posés pour accompagner leurs progénitures dans leur quête du savoir et de l’indépendance. Ils sont liés au soutien qu’ils leur apportent dans les études, au suivi et à leur implication dans le choix de leur carrière.

Selon les analyses de cette étude, sept (07) élèves sont issus d’une famille monoparentale dont la mère assume seule la quasi-totalité des charges de la maison. Quatre (04) vivent avec leurs deux parents et trois (03) sont issus d’une famille dont les parents ne vivent plus sous le même toit. Les revenus que gagnent leurs parents semblent aussi être une préoccupation pour certains. Ils sont mentionnés à maintes reprises par six d’entre eux dont cinq (05) au lycée technique et un (01) au lycée classique.

Au niveau de leurs représentations de l’école, trois perceptions se dégagent dans les récits de nos participants. Ce sont : l’école comme lieu de formation par excellence, l’école comme moyen de réussite sociale et l’école comme moyen de socialisation. Chez les élèves du lycée classique, l’accent est mis tout particulièrement sur le fait que l’école soit un moyen de réussite sociale (5 cas sur 6), alors que chez les élèves du lycée technique, toutes ces trois représentations sont évoquées. Cependant, leurs intérêts pour l’école ne semblent pas être différents à tout point de vue. Chez la plupart, ils vont à l’école pour pouvoir être indépendants et prendre en charge leurs parents.

Durant leur scolarisation, plusieurs de nos participants ont traversé des périodes difficiles. Elles sont liées à leurs conditions de vie pénible, aux difficultés d’adaptation à la maison et à l’école auxquelles il leur fallait trouver une solution, aux besoins d’appuis pédagogiques qu’ils n’ont cessé d’exprimer. Elles sont aussi liées à certaines situations qui les plongeaient dans une certaine situation de vulnérabilité. Ce sont l’attachement à la mère et l’éloignement des parents, la perte d’un de leurs parents biologiques, leur divorce et le sentiment de se sentir délaisser par l’un des deux parents. Hormis ces faits, nous notons aussi quelques ressentiments exprimés par ces élèves. Ceux-ci pourraient aussi moduler les impacts de leurs expériences vécues à l’école. Le sentiment de joie et le sentiment de confiance sont les deux plus grandes émotions exprimées par ces jeunes. Certains expriment aussi des émotions négatives comme le sentiment de tristesse et l’insatisfaction de soi. Ceux-ci sont évoqués à plus de 80 % par les participants du lycée technique d’Abidjan.

Au niveau de l’implication des parents dans la scolarité de leurs enfants, l’accompagnement à l’école, le soutien moral et pédagogique, les conseils et les encouragements puis le maintien dans le circuit scolaire sont plus marqués au niveau du soutien qu’ils leur ont apporté.

On m’accompagnait tous les jours à l’école. On me déposait en voiture. On venait me récupérer aussi après l’école (Dorcas).

Mais mon oncle avec qui je vis présentement à Abidjan était censé me scolariser après le décès de ma maman. Il ne voulait pas que je reste là-bas. Comme j’allais être confronté à beaucoup de choses, il a préféré que je vienne à Abidjan pour fréquenter auprès de lui. Donc, il a fait une réorientation pour me faire venir à Abidjan […]

(Stéphanie).

Lorsque ma première année n’avait pas marché, j’ai été renvoyée de l’école et mes parents ont dit qu’ils allaient payer ma scolarité dans une école privée à (nom de la ville). J’étais chez ma tante, la petite sœur de ma maman (Aya).

Mon plus beau souvenir au collège, c’était quand on remettait les prix d’excellence à l’école et que mon papa était là. Il m’a accompagné ce jour-là pour la remise de prix et il a parlé avec mes professeurs. C’était en 3ème _{et ça m’a vraiment fait plaisir}

Le suivi que ces parents manifestent à l’égard de leurs enfants est marqué par le regard attentif qu’ils portent sur leurs fréquentations, les rencontres avec les divers intervenants de l’école et surtout le regard qu’ils portent sur leurs rendements scolaires. Les données de notre recherche montrent aussi que les parents s’impliquent beaucoup dans le choix des établissements de leurs enfants et sont très regardants sur les questions concernant leurs choix de carrière. Ils décident du choix des établissements que leurs enfants doivent fréquenter et échangent plus fréquemment avec eux sur les questions liées à ce qu’ils voudraient faire comme métiers ou professions dans l’avenir.

[…] mon père m’a conseillé de mettre F2 comme premier choix parce qu’il a remarqué que les élèves de la filière E sont tellement surmenés et qu’étant là-bas, s’il arrivait que je tombe malade, c’était fini, car je ne pouvais plus suivre le rythme.

(Ibrahim).

D’abord, je tenais à préciser que quand on m’a orienté ici (LT), mon père n’a même pas voulu accepter. Il avait voulu faire des démarches pour pouvoir m’envoyer au lycée scientifique de (YK) […] (N’douba).

J’ai rempli donc la fiche jaune sur les conseils de mon père et un autre frère qui m’a dit de prendre la comptabilité. […] Mon père m’a conseillé aussi de faire la comptabilité (Georges).

Quand mon père a su que j’étais au lycée technique, il m’a appelé pour me demander si je pouvais tenir à cause des matières qui sont difficiles là-bas. Je n’ai pas pu répondre à sa question, car je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire. Quant à ma mère, j’ai remarqué qu’elle était contente (Antoine).

Sur la fiche d’orientation, mes parents avaient mis comme premier choix d’établissements, le lycée Sainte Marie […]. Après, ils ont mis le lycée classique et puis le troisième choix, je ne sais pas trop (Dorcas).

[…] c’est mon papa qui a rempli la fiche de l’enseignement technique. Il voulait que j’aille là-bas. Je n’ai même pas vu ce qu’il avait choisi. Il a rempli et je suis allée déposer. C’est lui et mon oncle qui avaient rempli. Mon papa a voulu que je fasse l’économie. Je ne voulais pas parce que ce n’est pas une série scientifique. C’est une série tertiaire. Je ne voulais pas faire ça et il a vu le proviseur pour qu’on puisse me faire changer de filière pour aller en seconde T1 puisque c’était la T1 qui pouvait me faire continuer en sciences et tout ça. (Fanta).

Après avoir montré l’influence que pourraient avoir ces facteurs dits « émergents » dans l’amplification ou l’atténuation des impacts de l’expérience scolaire chez ces élèves, il est maintenant question de répondre à l’une des préoccupations de cette recherche; à savoir quels impacts pourraient avoir cette expérience vécue par les élèves dans leur construction personnelle, la mise en place et la consolidation de leur subjectivation adolescente ?