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De la Populace au Peuple : la figure du Forgeron 4

Dans le document La religion de Rimbaud (Page 88-98)

Chapitre IV : Observation du peuple

1. De la Populace au Peuple : la figure du Forgeron 4

Jusqu’à présent, nous n’avons évoqué dans notre analyse que des figures particularisées de l’œuvre du poète : l’enfant, la femme, les pauvres, l’Église. Il a été

1 ibid.

2 « Car ils [“Les Assis”] ont très peur de ce dégel qui signifie la victoire de la révolution solaire, comme Milotus “grelottant au clair soleil” non parce qu’il a froid, car le soleil le cuit comme un “monceau de tripes” dans son “chaudron récuré” comme un missionnaire qui sera mangé par des cannibales, mais bien parce qu’il tremble, terrorisé par l’insurrection ». (Steve Murphy et Georges Kliebenstein, op.cit., p. 61).

3 L’urine rappelle ici l’eau bénite, célébrant le baptême d’un nouveau monde dont les héliotropes sont les premiers fidèles.

4 Nous privilégierons la version du recueil de Douai.

question de personnages dont les spécificités (âge, sexe, classe sociale, religion) nous permettaient un classement dans une catégorie déterminée. Le peuple n’a été suggéré que brièvement au travers de cette populace se pressant derrière les vitres du wagon dans « Rêvé pour l’hiver » ou de la troupe responsable de la passion du « Cœur supplicié ». Or si, comme l’indique Delahaye, Rimbaud fut un lecteur avide de Proudhon, la notion de peuple, et plus spécifiquement de peuple qui parle1 devait être au cœur de ses préoccupations. Ce dernier est « un et indivisible »2, il « raisonne avec une conscience et d’un point de vue supérieur à toute raison individuelle » et se veut

« souverain »3. Le peuple n’a donc pas nécessité d’apparaître comme multiple, illustration d’une masse ressentie comme possiblement dangereuse tant elle rappelle sa capacité révolutionnaire. En ne faisant parler qu’un seul individu, au nom du peuple, Rimbaud désamorce la menace qu’il représentait dans « Rêvé pour l’hiver ».4 Néanmoins, ce peuple doit rester reconnaissable et c’est en ce point que les marques langagières sociales jouent un rôle décisif. Ainsi, comme l’évoque Michelet dans Nos Fils (1869), le peuple a une langue partiellement inaccessible à ceux qui ne lui sont pas (ou plus) affiliés :

Si l’on ouvre mon cœur à ma mort, on lira l’idée qui m’a suivi : « Comment viendront les livres populaires ? » Ô problème ! Être vieux et jeune, tout à la fois, être un sage, un enfant ! J’ai roulé ces pensées toute ma vie. […] Là, j’ai senti notre misère, l’impuissance des hommes de lettres, des subtils. Je me méprisais. Je suis né peuple, j’avais le peuple dans le cœur… J’ai pu en 46, poser le droit du peuple plus qu’on ne le fit jamais… Mais sa langue, sa langue, elle m’était inaccessible. Je n’ai pu le faire parler.5

Lui qui pourtant se revendiquait « fils du peuple » dans l’Histoire de la Révolution française (1847-1853), confesse un échec, une impossible utopie : on ne peut être à la fois homme de lettre et homme du peuple. Il expose également une des difficultés majeures de ce phrasé populaire : le peuple n’est pas seulement

1 « La révolution faite le peuple se tait ! Quoi donc ! la souveraineté du peuple n’existerait-elle que pour les choses du passé, qui ne nous intéressent plus, et non point pour celles de l’avenir, qui seules peuvent être l’objet des décrets du Peuple ? ». (P.-J. Proudhon, Œuvres complètes, Volume 6, Librairie internationale, 1868, p. 3). « INTERROGER LE PEUPLE ! Là est le secret de l’avenir. INTERROGER LE PEUPLE ! C’est toute la science de la société. » (ibid., p. 18).

2 Proudhon rejette toute hétérogénéité visible du Peuple.

3 ibid., p. 4

4 Marc Ascione évoque ce Forgeron comme « une allégorie des masses insurgées ». Il poursuit son raisonnement en affirmant que « le personnage du forgeron se hisse à la hauteur d’une personnification, tandis que l’être abstrait personnifié (le Peuple, la Foule, la Crapule), par la vertu du collectif [..] se singularise, s’individualise. » (« Le Forgeron ou “dans la langue d’Ésope” », Parade sauvage, n°2, 1985, pp. 14-15).

5 Dans Corinne Grenouillet, Éleonore Reverzy, Les voix du Peuple XIXe et XXe siècles, p. 9.

reconnaissable dans la portée de ses propos, mais dans la forme de ces derniers.

L’auteur ne doit donc pas seulement maîtriser une thématique dite populaire, mais également une langue grandement argotique et fautive (aux yeux de la bonne société)1. En somme, une langue dans laquelle le peuple se reconnaît, mais que la bourgeoisie, également, prise à partie, peut reconnaître et comprendre comme étant celle du peuple2. Car si le texte évoque la première révolution, la grande révolution, il est avant tout un texte d’actualité pour le poète, lui offrant de dépeindre sa propre société par un jeu de miroir transparent.3 Marc Ascione évoque une volonté

« d’actualiser et de réactualiser l’histoire »4, justifiant le changement de date entre les deux manuscrits5, tout en indiquant la non-originalité rimbaldienne dans le choix d’une telle thématique, d’un tel rapprochement des révolutions, et du poids des morts, en témoigne Karl Marx et son Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte.6

Face à ce discours révolutionnaire s’impose un discours bourgeois qui ne veut en aucune manière poursuivre ou réactualiser la Révolution de 1789, parfaitement satisfaite que des acquis qui lui aient été accordés. Elle cherche donc à maintenir cette emprise qu’elle possède économiquement et politiquement sur la France de l’époque. Malgré le caractère postérieur de ces écrits, on peut citer, comme exemple parlant de cette bonne société, Edmont de Goncourt, qui parcourra durant toute la Commune les rues de Paris avec plus ou moins de scepticisme à l’égard de cette dernière, ou encore George Sand, ancien soutien de la Révolution de 1848, mais qui, revenant à ses pensées bourgeoises, se dressera comme une farouche opposante à la Commune.

1 Steve Murphy le souligne dans son analyse du poème : « L’emploi de tournures populaires et la vulgarité affichée de “Merde à ces chiens-là !” rappellent à quel point la langue même exprime une diversité sociologique témoignant de la lutte des classes. [..] Comme la linguistique normative, celle en particulier de l’Académie française, charrie un ensemble de présupposés tacites, sociologiques, Rimbaud s’amusera à s’écarter de ces normes. » (Rimbaud ou la ménagerie impériale, op. cit., p. 222).

2 Pour cela, Rimbaud utilisera partiellement les chants révolutionnaires populaires. (Marc Ascione,

« Le Forgeron ou “dans la langue d’Ésope” », art. cit., p. 18).

3 Steve Muphy propose même d’y lire anachroniquement « le premier poème communard de Rimbaud ». (ibid., p. .230).

4 Marc Ascione, « Le Forgeron ou « dans la langue d’Ésope », art. cit., p. 15.

5 « Or ce déplacement est signe d’une autre transposition. La substitution du 10 août au 20 juin [..]

appelle celle du présent au passé, de la situation contemporaine de l’auteur à la situation de référence, de 1870 à 1792. » (Marc Ascione, ibid.)

6 « La tradition de toutes les générations mortes pèse comme un cauchemar dur le cerveau des vivants.

[..] Et même quand ils (ces vivants) semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu’ils appellent craintivement les esprits du passé à leur rescousse, qu’ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs costumes, pour jouer une nouvelle scène de l’Histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage d’emprunt. » (Karl Marx cité par Marc Ascione, ibid., p. 17). Jules Vallès, homme de lettres de la Commune, obéira à une logique similaire, ultérieurement dans sa préface de L’Insurgé (1886), témoignant d’une envie communarde d’être considéré comme descendante de cette révolution de 1789.

Quant aux horreurs de la Commune, vous êtes dans l’erreur en croyant que ce sont les mêmes hommes et les mêmes idées qu’en 48. Oh, non, non ! Vous voyez les choses de trop loin. Barbès eût renié les assassins, les incendiaires, les voleurs et les traîtres. Il reniait Blanqui, il avait horreur de lui, et l’insurrection avait Blanqui pour idole, c’est à Blanqui qu’on a sacrifié les otages.1

Certes, le poème est antérieur à la Commune, mais comme le soulignent Ascione et Murphy, il se doit d’être lu en parallèle de cette dernière ou plus exactement en parallèle d’un engagement rimbaldien pour un soulèvement populaire.

Il nous faut dans un premier temps revenir sur le choix d’un forgeron, en lieu et place du boucher Legendre2. Rimbaud choisit comme emblème de son poème et principal protagoniste ce forgeron, choix qui peut être lié à plusieurs particularités symboliques qu’offrait l’illustration d’une telle profession : la forge était et est restée longtemps le seul atelier d’artisan se situant au sein même du village et non à l’extérieur, donnant ainsi au forgeron une valeur centrale dans la vie communautaire.3 Il était également homme de grande force physique et possédait par la même une valeur importante dans l’imaginaire populaire : le forgeron a la maîtrise du feu, d’un certain pouvoir démoniaque craint de tous, mais que lui parvient à utiliser pour le bien de tous.4 Enfin, et c’est probablement ici que se trouve la clé du choix rimbaldien, qui résume la raison pour laquelle il échange ce boulanger5 de la légende contre un forgeron : ce dernier représente le peuple dans l’étymologie même de son nom. Ainsi, par les patronymes qu’il fit naître en France6, il incarne le peuple dans sa brutalité physique, dans sa possession d’un talent mystérieux et également dans l’anonymat et l’homogénéité multiple de sa masse.

1 George Sand à M. S. Leroyer de Chantepie, 6 mars 1872, Correspondance, t. XXII, p. 757.

Source en ligne : http://www.georgesand.culture.fr

2 Jean-François Laurent souligne la connotation négative du métier, qui aurait desservi la cause prolétarienne du texte. (cité par Steve Murphy dans Rimbaud et la ménagerie impériale, op. cit., p. 215). Steve Murphy évoque l’influence d’un texte de Coppée intitulé « La Grève des forgerons ».

(ibid.).

3 Michel Kaplan et Patrick Boucheron, Le Moyen Âge, XIe-XVe siècle, Bréal, Rosny, 1995, p. 15.

4 Sur le sujet : Société des études euro-asiatiques, La Forge et le Forgeron : pratiques et croyances, L’Harmattan, Paris, 2002, 252p.

5 Antoine Adam rapporte, dans ses notes à l’édition critique de 1972, que l’anecdote fait état d’une rencontre avec un boucher nommé Legendre et non un Forgeron. Marc Ascione y reconnaît un « geste essentiel » dans cet échange, celui d’un « anachronisme calculé » permettant à Rimbaud de dépeindre

« le prolétaire de la future Commune » (« Le Forgeron ou “dans la langue d’Ésope” », art.cit., p. 18).

6 Les patronymes issus de cette profession sont nombreux et varient selon les régions : Fèvre, Lefèvre, Lefebvre, Lefebure, Faivre, Le Faivre, Favre, Fabre, etc.

Néanmoins, l’artisan de l’Ancien Régime ne doit pas être lu uniquement au travers de son passé, il représente en premier lieu l’ouvrier des temps nouveaux. Ce dernier est au cœur de la cité, comme le fut son ancêtre, mais également de ses préoccupations et de sa population ; nous sommes en plein apogée de la métallurgie française1. Le choix du forgeron devient dès lors extrêmement politique et contemporain pour Rimbaud, il est celui qui construit (au sens propre et figuré) la France de son lectorat2.

Le Forgeron est dépeint muni d’un « marteau gigantesque » : symbole de son métier, de sa force brute,3 mais également attribut de sa divinité païenne sur celui qui est – encore – roi des Français de droit divin, c’est-à-dire choisi par un Dieu chrétien.

En effet, le marteau est l’attribut celtique du dieu Thor, divinité de la foudre et du tonnerre, ennemi des Géants : le peuple apparaît comme celui dont le réveil est soudain – à la manière de la foudre et de l’éclair – et violent. Il ne reconnaît aucun maître et n’est pas même effrayé4 par ceux qui devraient pourtant le terrifier : les géants de ce monde, tenanciers du pouvoir politique, social et financier. Cette aura surhumaine, et presque quelque part inhumaine, est accentuée par ce peuple qui ne se tient pas à ses côtés, mais « tout autour », donnant à ce Forgeron, pourtant représentant de la foule, un aspect unique et solitaire, nécessaire à ce duel qu’il lance au roi.5

Ce dernier, quant à lui, est « pâle comme un vaincu qu’on prend pour le gibet », description d’une défaite prophétique, mais également surnaturelle. La pâleur est le plus souvent l’apanage de celui qui voit une apparition ou la mort : le roi prend conscience de sa propre fin, pire, sa mort lui paraît inéluctable, car liée à une accumulation tyrannique6 : « mais voilà c’est toujours la même histoire ». Cumul

1 Rimbaud s’intéresse à la forge, tout comme Zola s’intéressera à la mine dans Germinal (1885). La population ouvrière se fait de plus en plus visible notamment dans le travail du fer dont l’ensemble du processus peut-être suivi par l’observateur : extraction, fonte, construction.

2 Steve Murphy note l’hybridité du métier de forgeron permettant à Rimbaud de représenter à la fois l’ouvrier et l’artisan et donc d’un prolétariat plus vaste. (Rimbaud et la ménagerie impériale, op. cit., p. 214).

3 Dans une logique d’inversion, il exerce sa force sur le fer, tout comme le roi tente d’exercer sa force sur le peuple ; lui renvoyant paradoxalement sa propre image.

4 La manière même dont il s’adresse à Louix XVI, c’est-à-dire en le tutoyant, est extrêmement parlante sur ce point, mais également son attitude dès le début du poème : « riant, comme un clairon d’airain, avec toute sa bouche ».

5 C’est également par un duel au marteau que le forgeron de Coppée retrouve sa dignité.

6 « Le forgeron fait référence successivement à la corvée (« les sillons des autres »), à la dîme (« des chapelets clairs grenés de pièces d’or »), au droit de chasse et aux chasses à courre dévastatrices (« Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor »), doléances qui figurent dans la plupart des « cahiers ».

(Marc Ascione, « Le Forgeron ou “dans la langue d’Ésope” », art. cit., note 18, p. 19).

historique dont le poids est accentué par la parole même du forgeron, qui utilise de

« vieux mots » comme semblant naître du fond des âges : le forgeron revêt alors la figure fantomatique d’une révolte populaire immémoriale alimentée par les vivants, mais également par les morts.1 Il est au-dessus de l’humanité et à cet instant c’est presque un glissement vers le fantastique que propose Rimbaud : le marteau gigantesque, effrayant, mais surtout ce front vaste2 et ce rire quasi démoniaque amènent le lecteur à se sentir inquiet face à cet être dont le regard farouche a déjà réussi à emprisonner, à enfermer, l’intégralité corporelle et peut-être même spirituelle de Louis XVI : « et prenant ce gros-là dans son regard farouche ». Ce monstre, ce géant rappelle étrangement les ogres de l’enfance et amène logiquement le lecteur à ressentir une peur primitive au contact de ce personnage que Rimbaud ne cherche pas à rendre sympathique. Ainsi, on peut se demander pourquoi Rimbaud choisit une telle stratégie qui semble aller à l’encontre de sa volonté de promouvoir la supériorité du peuple.

Dans un premier temps, Rimbaud joue le jeu de son lectorat. « Le Forgeron » est un poème du recueil Demeny, que Rimbaud aurait souhaité publier, reprenant une conception des « Poètes de sept ans », il n’est pas question pour le poète de s’opposer directement et visiblement à l’attente du lecteur possiblement bourgeois.3 Il s’agit de lui offrir un peuple et son représentant correspondant à ses attentes. La seconde réponse demande une connaissance historique de la scène évoquée dans le poème : comme nous l’avons indiqué précédemment l’homme qui prend à partie Louis XVI aux Tuileries n’est pas forgeron, mais boucher, avec tout ce que cela recèle de valeur symbolique et prémonitoire pour le roi. Le boucher, découpeur de chair, appelle dans l’imaginaire collectif au sang et à la violence la plus brutale et animale, et donc à une force physique bestiale. Il se veut un homme effrayant, équivalent carnassier du bourreau, côtoyant la chair en décomposition et la mort. On comprend dès lors pourquoi Rimbaud ne peut, dès les premiers vers, adoucir les traits de ce forgeron, ce serait trahir le boucher qui s’y cache : dans la sempiternelle comparaison entre servage animal et servage humain – « c’est toujours la même vieille

1 Ainsi, même dans cette première révolution, les morts passés jouent un rôle prépondérant.

2 Le front symbolise le lieu de la pensée, des émotions, mais également l’inclination, en l’occurrence la fin de la servitude du peuple. On peut également y lire une référence à la « tempête sous un crâne » des Misérables, l’Hugolisme du texte a déjà été plusieurs fois souligné par la critique notamment dans son rapprochement avec La Légende des siècles.

3 C’est ce que suggérait Louis Forestier dans le changement de l’ultime vers de « À la Musique », après proposition d’Izambard.

histoire ! » –, mais également dans leur attitude – « comme un chien […] comme des yeux de vache ».

Rimbaud choisit de ne pas renier cette bestialité intrinsèque au peuple alors même qu’elle est la caractéristique la plus méprisée par ses opposants. Au contraire, il l’accentue, force le trait et lorsque cette dernière devient parfaitement assumée, cette animalité permet au peuple de se libérer de son joug1. Suggérant une vision néo-rousseauiste de l’esclavage : la bête de somme – l’homme – s’affranchit des normes sociales, humaines, qui ne sont que moyens de l’enchaîner, et devient libre physiquement par un rejet des conventions qu’il croyait nécessaires à son humanisation, mais dont il a été le jouet2. C’est ce chemin que semble avoir suivi le forgeron : la bête de somme est devenue cheval, animal domestiqué et sauvage à la fois, retrouvant une noblesse première il s’est à nouveau senti Homme.

C’est donc en tant qu’Homme que le forgeron se permet de tutoyer le roi ; dans la similitude de leur apparence – être humain – résulte l’illégitimité des nantis.

Rimbaud semble démontrer implicitement un des syllogismes du pouvoir : le peuple devient souverain dans la sauvagerie, ce qui signifie que la sauvagerie est nécessaire au pouvoir et que donc tout naturellement l’oligarchie n’est pas dénuée d’une certaine sauvagerie. Une véritable dénonciation se dessine, celle d’une brutalité animale du peuple qui ne se veut qu’une réponse à la brutalité policée bourgeoise, cachée derrière des conventions sociales et des lois. Dès lors, la véritable liberté et intelligence du forgeron se lit dans sa prise de conscience de l’inhumanité de ses ennemis et donc de leur infériorité à son égard – « On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit, / Nos petits y faisaient un gâteau fort bien cuit ». S’il est question d’inhumanité elle est de leur côté, non du sien, ce sont eux qui n’ont pas reconnu en ses enfants des êtres humains.

Néanmoins, le discours à l’égard de ce Peuple n’est pas uniquement positif. Le peuple est guetté par son alter ego la populace, cette dangerosité évoquée par les discours bourgeois et que Rimbaud choisit d’assumer après l’évocation de toutes ses souffrances. Si la plèbe est devenue folle – « nous sommes comme fou » –, c’est parce qu’elle a été poussée à le devenir – « et, depuis ce jour-là ». Mais il est également

1 Revenant à la matérialité de l’objet désigné par ce terme.

2 Cette moralité si bourgeoise ne serait donc pas tant l’apanage de la bourgeoisie, comme cette dernière voudrait le faire croire, qu’un moyen de conserver le peuple sous son autorité.

aliéné par sa propre force, cette force justement si surhumaine1 puisqu’elle parvient à détrôner ce qui paraissait indétrônable – « Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses ! ». Plus rien ne semble pouvoir l’arrêter pas même sa raison, cette dernière ayant été abandonnée pour les besoins d’une prise de pouvoir. Le peuple se présente tel un Hernani hugolien ayant perdu tous ses camarades et par-dessus tout la raison même de se battre : il n’est plus qu’« une force qui va ». Dans cette anarchie naît sa perte ; instrumentalisé, le peuple devient la victime de nouveaux bourreaux, plus faibles que ne l’étaient les anciens, mais conscients de la force brute que représente cette populace sans tête. Sournois, ils méprisent le peuple, mais le cachent

aliéné par sa propre force, cette force justement si surhumaine1 puisqu’elle parvient à détrôner ce qui paraissait indétrônable – « Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses ! ». Plus rien ne semble pouvoir l’arrêter pas même sa raison, cette dernière ayant été abandonnée pour les besoins d’une prise de pouvoir. Le peuple se présente tel un Hernani hugolien ayant perdu tous ses camarades et par-dessus tout la raison même de se battre : il n’est plus qu’« une force qui va ». Dans cette anarchie naît sa perte ; instrumentalisé, le peuple devient la victime de nouveaux bourreaux, plus faibles que ne l’étaient les anciens, mais conscients de la force brute que représente cette populace sans tête. Sournois, ils méprisent le peuple, mais le cachent

Dans le document La religion de Rimbaud (Page 88-98)