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Détournement de la transsubstantiation dans « Le Cœur supplicié » 1supplicié » 1

Dans le document La religion de Rimbaud (Page 77-84)

Chapitre III : Observation de l’ Église

3. Détournement de la transsubstantiation dans « Le Cœur supplicié » 1supplicié » 1

3.1. Introduction critique au poème

« Le Cœur supplicié » est un poème pour lequel, à l’instar de « Voyelles », il n’existe pas de consensus critique. Steve Murphy, dans son analyse du poème, propose la séparation des commentaires en deux interprétations antinomiques : le sérieux face au divertissement ; un incident vécu opposé à une situation imaginée ; un texte lié au projet de Voyance ou un hors-texte face au projet de la Voyance.2 Dans cette lecture, méthodique et contextualisée, du poème, il choisit, dans un premier temps, de réinsérer la lecture de ce dernier dans les deux lettres où il figure3 : la lettre du 13 mai 1871 et celle du 15 mai 1871, toutes deux qualifiées de « lettres du Voyant ».

Évoquant l’analyse de Jean Maurel, celle d’un glissement du substantif vers l’adjectif, Steve Murphy souligne le renversement ludique que suppose une telle lecture du :

« je veux me faire voyant » 4 ; relecture qu’il propose plus particulièrement au travers de ce « pitre », deuxième titre donné par Rimbaud à ce poème et qu’il traduit comme une approche ironique de la figure du poète5, celui de la « confession et des jérémiades ».6 Dès lors, toute volonté d’une lecture biographique du poème doit être rejetée.7 À cette ironie s’ajoute une volonté de salissure, s’opposant à la logique

1 Nous faisons le choix de nommer le poème selon sa première occurrence dans le corpus rimbaldien, dans la lettre à Georges Izambard datée du 13 mai 1871. Le titre offrant une lecture plus subversive et moins adoucie (Émilie Naulet) que ceux de « Cœur du Pitre » et « Cœur volé », donnés ultérieurement aux différentes versions du poème. Nous privilégierons également cette première version du poème dans notre analyse.

2 « De la sorte le lecteur se trouve confronté à un choix à faire entre deux interprétations antinomiques : ou bien il s’agit d’un poème sérieux, et dans ce cas, inéluctablement tragique, ou bien l’on a affaire à un divertissement ou jeu formaliste ; ou bien un poème racontant un incident vécu, ou bien un texte dépourvu d’enjeux vécus ; ou bien une création due à la “Voyance”, ou bien un pur hors-texte par rapport au projet de la “Voyance”. » (Steve Murphy, Le premier Rimbaud.., op. cit., p. 269-270).

3 Le poème est cependant retouché et change de titre, devenant le « Cœur du Pitre »

4 « Or, si l’on tient ce mot pour un adjectif, et non plus uniquement pour un substantif, c’est toute la logique du passage qui bascule [..] Il [Rimbaud] propose, par le biais de cette image, moins une représentation sérieuse de son projet poétique qu’un masque ludique, indiquant en fait un modèle poétique qu’il tient à éviter, celui du poète-pitre exhibitionniste. » (Steve Murphy, Le premier Rimbaud.., op. cit., p. 280).

5 S’appuyant sur les analyses de Jean Strarobinski : [..] nous voudrions avant tout montrer dans quelques passages décisifs de ces lettres une polémique anti-romantique violente, qui revient avec insistance à la figure du pitre, qui, à cette époque, représentait couramment le poète. » (ibid., p. 270-271). Ainsi présente-t-il la lettre du 13 mai comme « une espèce de messe noire pédagogique » (p. 272) et celle du 15 mai comme « remplie d’astuces et de perfidies » (p. 277).

6 ibid., p. 280.

7 ibid., p. 293.

hygiéniste de son temps.1 Dans cette logique de provocation, le viol – notamment sodomite 2 – ne serait que prétexte et en aucun cas réel.3 Il s’agirait pour le poète d’« une représentation satirique, anti-cléricale, de la confession, une exploitation sexuelle d’un jeune homme naïf et partiellement inconscient par des hommes au contraire tout à fait conscients (cf. La fonction des prêtres selon Les Premières Communions) […]. »4 Néanmoins, Steve Murphy ne clôt pas l’analyse ; au contraire, il souligne la complexité de ce « cœur » dans la rhétorique rimbaldienne, quasi insaisissable, relevant à la fois de la sensibilité littéraire5, de la religion (Christ)6, de l’estomac (Accroupissements) ou encore de l’anus.7

Si nous sommes si longtemps revenus sur l’analyse de Steve Murphy c’est parce que cette dernière propose les prémices d’une nouvelle lecture du « Cœur supplicié », d’une lecture où la scène générale, violente et sexuelle, se substitue à une volonté poétique de choquer le lectorat8. Un lectorat chrétien où le sacré-cœur, particulièrement en 1870-1871, est au centre de toutes les attentions.

3.2. L’analyse du poème : un Christ victime de l’anticléricalisme Nous sommes en 1871, la guerre franco-prussienne vient de s’achever ainsi que le Second Empire. Le 20 septembre 1870, les troupes napoléoniennes ont cessé de soutenir le souverain pontife et Rome est devenue terre italienne en échange d’une aide militaire à la France dans sa lutte contre la Prusse. Aide qui arrivera bien trop tard et qui ne parviendra pas à sauver le Second Empire, en témoigne la bataille meurtrière de Loigny à laquelle prendront part les Zouaves pontificaux, devenus Volontaires de l’Ouest. Les mêmes Zouaves dont la bannière blanche ornée du

1 « Car s’il est sûr que Rimbaud n’est pas bête, sa lettre du 15 mai ne manquera pas de parler des

“choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses” que trouvera la femme de l’avenir.

Autrement dit, le sale et le mauvais, dans une perspective bourgeoise et hygiénique, jouent un rôle stratégique dans la poésie de Rimbaud de cette époque. »

2 ibid., p. 290.

3 « Le récit du viol – faut-il le dire ? – est aussi absurde qu’il est grotesque. » (ibid., p. 288).

4 ibid., p. 290-291.

5 ibid., p. 292.

6 Jacques Chocheyras revient sur ce point de l’analyse de Steve Murphy dans « À propos du cœur supplicié », Parade sauvage, n°3, 1986, pp. 33-35.

7 ibid., p. 315. Steve Murphy évoque également cette multiplicité symbolique du « cœur » dans :

« Contextes du « cœur rimbaldien », bulletin Parade sauvage, n°1, 1985, pp. 31-37. – « Le sacré-cœur volé du poète », dans André Guyaux (dir.), Lectures de Rimbaud, Revue de l’Université de Bruxelles, n°1-2, 1982, pp. 27-47.

8 Volonté déjà lisible dans « Vénus anadyomène ».

Cœur est entourée de ces mots : « Cœur de Jésus / Sauvez la France »1. Ils apparaissent comme le symbole d’un dix-neuvième siècle de plus en plus intéressé par Sainte Marguerite Marie Alacoque (1647-1690) mystique, dépositaire du cœur du Christ. Et qui trouvera son achèvement matériel, en 1871, dans la construction de la Basilique du Sacré-Cœur à Montmartre, comme monument d’expiation au nom de la France.2

S’il nous faut nous replacer dans le contexte de l’époque, l’année 1870-1871 est vue par la France croyante comme une année terrible,3 mais surtout comme une année de punition divine pour avoir abandonné les terres pontificales. Dès lors, la République doit réparer les fautes de l’Empire, et en particulier ses sacrilèges. Ainsi naîtra la volonté d’édifier au sein même de Paris une basilique consacrée au Sacré-Cœur dès 1870 et la fin de l’Empire :

« Le 8 octobre [1870], les Lyonnais font le Vœu de reconstruire Notre-Dame de Fourvière, si Lyon est préservée de l’invasion allemande. Des Vœux semblables sont émis à Nantes, Langres et Nevers, Lille, Angers, ces trois derniers

explicitement au Sacré-Cœur. […]. Fin novembre, M. Beluze, membre du Conseil général des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul à Lyon, écrit à Adolphe Baudon (1819-1888), président général de ces Conférences, pour l’informer du Vœu des Lyonnais et lui suggérer un Vœu semblable pour Paris. Ce dernier propose une campagne à l’Univers, le journal de Louis Veuillot (1813-1883), qui dès le 13

décembre [1870] lance la suggestion d’une construction sur la butte Montmartre. »4

Le cœur est donc dès 1870 un terme au centre de l’actualité chrétienne du pays. Aux yeux de la communauté catholique de France, et particulièrement d’une bourgeoisie catholique pieuse et superstitieuse, il faut expier le sacrilège commis pour redonner prospérité à l’État français et se préserver du danger Prusse puis Communards.5 Or comme nous l’avons déjà remarqué, s’il est bien une chose que Rimbaud abhorre au plus haut point c’est cette hypocrisie religieuse, pas seulement

1 Jacques Chocheyras souligne la similitude du « Prenez mon cœur, qu’il soit sauvé » et l’invocation au sacré-cœur de Jésus. (« À propos du cœur supplicié », Parade sauvage, n°3, 1986, p. 33).

Source en ligne : http://www.spiritualite-chretienne.com/s_coeur/chrono_g1.html

2 Néanmoins, la première version du poème ayant été rédigée avant la Semaine sanglante, la prise de décision de la construction de la basilique n’avait pas encore eu lieu, au moment de la rédaction du poème.

3 Plus particulièrement pour le peuple de Paris qui après avoir subi les privations de la guerre, la famine du encore faire face à la Commune.

4 Le 26 février 1871, le « Vœu national au Sacré-Cœur de Jésus » reçoit la bénédiction du Pape Pie IX.

Source en ligne : http://www.spiritualite-chretienne.com/s_coeur/annexe_d.html

5 Le 5 avril 1871 est arrêté Mgr Darboy évêque de Paris, il sera exécuté 24 mai (postérieurement à la rédaction du poème).

bourgeoise,1 mais générale, qui témoigne d’un retour à Dieu motivé par des intérêts purement personnels et non spirituels. Ils deviennent ainsi les véritables tartufes2 dont la [/e] foi[e] malade est clairement visible.3 Dans le poème qui nous intéresse, Rimbaud adopte une autre position plus violente, plus cynique, copiant l’arrestation de l’évêque de Paris par les Communards, il imagine ce sacré-cœur livré à ces ennemis. C’est cette mécanique du sacrilège métaphorique que Rimbaud tente de mettre en évidence dans le « Cœur supplicié » et que nous analyserons.

Le poème, dans son ton, se veut grave et tragique. Steve Murphy y voit une ironie, pressentie par Izambard lui-même, à l’égard du registre élégiaque, cher aux Romantiques.4 Il est une plainte, une litanie qui semble s’adresser au lecteur témoin innocent de la scène, mais témoin, et donc coupable, dans son immobilisme de lecteur et ce sentiment ambigu qu’il ressent devant cet avilissement d’un être. Il se pose, en effet, le problème d’un exhibitionnisme du cœur/corps5 qui fascine et dégoûte le lecteur. Le rapport objet/lecteur se veut similaire à celui de « Vénus anadyomène ».

Mais ce corps violé6 c’est avant tout le cœur violé. Néanmoins, même si le personnage répond, par son discours à la rhétorique romantique du pathos. Le poète – à la différence du lecteur – reste d’une ironie inaliénable, à son égard, tout au long du poème. Si le poète devait être représenté, il serait du côté des quolibets et de la troupe. Le cœur romantique et le sacré cœur ne font qu’un dans ce discours charitable qui répugne à Rimbaud.7 Une fusion similaire s’effectue entre cœur et corps. Le cœur et le corps ressentent les mêmes sévices tout au long du texte. Or s’il s’agit du sacré-cœur, il s’agit également d’un corps christique. Ce dernier nous est donné au travers de l’ostie, corps du Christ après le phénomène de transsubstantiation. Nous démontrerons que Rimbaud propose d’aller plus loin que les Communards, en livrant, non pas un évêque, mais le Christ même à la troupe.

1 Comme en témoigne « Les Pauvres à l’église ».

2 Rimbaud consacrera à la notion un poème éponyme que nous analyserons ultérieurement.

3 Élément que nous avons évoqué précédemment dans cet ictère dont sont frappées les femmes riches des « Pauvres à l’église » et la jeune communiante des « Premières Communions ».

4 Steve Murphy, Le premier Rimbaud.., op. cit., p. 280.

5 ibid.,

6 Jeu de mots proposé par Shoshana Felman (citée par Steve Murphy. ibid., p. 305). L’idée d’une blessure aussi bien morale que physique participera activement à la lecture d’un Rimbaud victime d’une homosexualité subie, imposée suite à ces sévices. (Steve Murphy revient longuement et à plusieurs reprises sur ce thème dans son analyse ibid., pp. 269-332).

7 Charité chrétienne rejetée par Rimbaud dans « Les sœurs de charité ».

« Mon triste cœur bave à la poupe… » Si on connaît le sens traditionnel de la poupe (arrière d’un navire), il nous faut, dans le cadre du « Cœur supplicié », nous référer aux vers de Verlaine pour lui adjoindre un sens scatologique : « Mon Pauvre cœur bave à quoi ! Bave à la merde ! »1 L’interprétation verlainienne présente donc cette « poupe » comme un synonyme d’étron. Il n’y a pas de véritable raison de refuser cette vision.2 « Le cœur » est également plein de « caporal ».

Traditionnellement, on analyse ce terme comme se rapportant au tabac offert à ces gradés de l’armée et plus vulgairement au membre viril qui sodomise notre personnage.3

Or, n’est-il pas également possible de le considérer dans son sens premier, celui d’un des grades les plus bas de l’armée ? Notre cœur-sacré, victime de la troupe, réaffirme sa supériorité, même minime, sous l’égide du grade militaire. Les points de suspensions4 qui précèdent l’exclamation, laisse deviner cette dernière comme une réponse incertaine à cette injure : « [Pourtant] mon cœur est plein de caporal ! » Il s’étonne de ce déshonneur. Mais Le petit Caporal c’est également le surnom donné par les soldats italiens à Napoléon Ier. Il se pourrait qu’en étant « plein de caporal », ce sacré-cœur réaffirme, dans son malheur, et à l’inverse de sa création première,5 sa loyauté à ce nouveau caporal napoléonien : Napoléon III. Ironie de la situation, puisqu’il est déjà trop tard, ce nouveau Napoléon a abdiqué.

Sur ce cœur infortuné, notre troupe « lance des jets de soupe ». La métaphore a le plus souvent été lue comme faisant référence à l’éjaculation. Madeleine Perrier a cependant fait remarquer que la « soupe » désignait également un « tabac frisé roulé dans une demi-feuille de choix ».6 Cette présence du tabac est reprise dans ces

« chiques » que la troupe tarit dans la troisième strophe du poème, leur donnant pour habitude de cracher. Dans une logique de glissement de l’expression, le cœur semble leur reprocher de « cracher dans la soupe », de ne lui être pas redevables. Il nous

1 Vers cités par Steve Murphy. ibid., p. 300.

2 C’est également ce qu’indique Steve Murphy : « “Blague”, certes. Mais interprétation aussi.. ». (ibid., p. 300).

3 ibid., p. 300.

4 Uniquement dans deux premières occurrences du vers « Mon triste cœur bave à la poupe.. »

5 Une punition divine sur la France, liée au démantèlement des états pontificaux par Napoléon III. Le sacré-cœur répond en cela à l’idée républicaine de Napoléon III, puisqu’en réalité ce dernier changera d’avis et tentera d’arrêter Garibaldi dans ce démantèlement des états pontificaux (Steve Murphy, Rimbaud ou la ménagerie impériale, op. cit., p. 52). Réalité napoléonienne que le cœur rappelle ici.

6 Cité par Steve Murphy, Le premier Rimbaud.., p. 300.

semble qu’ici est rappelée, une nouvelle fois, avec ironie, l’âme charitable du Christ, qui s’étonne d’un manque de reconnaissance humain pour son sacrifice.

La nouvelle passion dont est victime ce sacré-cœur est fort similaire à celle de son expérience passée (la Passion biblique) : « Sous les quolibets de la troupe / Qui lance un rire général ». Ce Christ est une nouvelle fois sujet de moqueries de la part d’une troupe qu’on a tenté de lire comme étant tour à tour les Communards ou les Versaillais.1 L’aspect anticlérical du texte que nous tentons de démontrer au travers de cette analyse nous permet plus facilement de penser qu’il s’agirait des Communards, qui, rappelons-le, avait arrêté le 5 avril 1871 l’évêque de Paris. Ce « rire général » rappelle quant à lui le rire de Dieu dans « Le Mal », un rire froid qu’il retourne à son destinataire, lui qui est aujourd’hui la victime de ces militaires qu’il a naguère sacrifiés à la guerre. Les rôles de bourreaux et de victimes se sont inversés, l’alliance humaine – « la troupe » – a permis la destitution de ce Dieu.

Il a été établi que les « fresques ithyphalliques et pioupiouesques » se voulaient des graffitis, reprenant la première idée de Georges Izambard, évoquant des « fresques pariétales, épigraphie de vespasienne »2. Il est amusant de constater qu’Izambard reprend les propos de ce cœur chrétien, reprochant à Rimbaud ce que ce dernier reproche à la troupe.3 Le cœur est « dépravé ». Si l’on est tenté de lire un synonyme de corrompu, il faut également lire le terme en parallèle de « vesprée », qui le suit, et qui se veut un archaïsme.4 « Dépravé » serait alors synonyme d’affaibli5 et signifierait que les attaques, notamment caricaturales, vues comme des fresques6, ont fonctionné dans leur volonté d’ébranler le pouvoir religieux en son cœur. À cette idée de dessins, nous vient tout naturellement l’idée de La Lanterne de Boquillon, dont François Caradec a démontré que Rimbaud était lecteur.7

1 ibid., pp. 287-288.

2 ibid., p. 302.

3 Steve Murphy souligne cette déchéance d’Izambard aux yeux de Rimbaud dans l’analyse de la lettre du 13 mai : « Nous avons vu en analysant Les Poètes de sept ans en particulier que Rimbaud considère l’école en général comme l’alliée de l’Eglise dans l’endoctrinement idéologique. Et Izambard, pour sa part, loin de pouvoir constituer un rempart contre Madame Rimbaud, contre l’obscurantisme politique et religieux qui faisait d’elle, selon la formule parodique de son fils, la “Bouche d’ombre”, a été obligé, malgré ses idées plutôt libérales et républicaines, de lui donner constamment raison face à Arthur.

Considérations déontologiques et obligations professionnelles faisaient de lui un symbole, pour Rimbaud, de compromis qui, à force d’être répétés, se transformaient en compromission ». ibid., pp. 272-273.

4 ibid., note p. 306.

5 TLFI.

6 Anachronisme du Cœur-christique romain.

7 François Caradec, « Rimbaud, lecteur de Boquillon », Parade sauvage, n°1, 1984, pp. 16-20.

« Rimbaud, lecteur de Boquillon (suite) », Parade sauvage, n°6, 1989, pp. 67-73.

Nous avions évoqué en début d’analyse que ce cœur-sacré, cohabitait avec des étrons (poupe). La pire fin d’une ostie serait, en effet, de finir dans les latrines1 : outrage que Rimbaud ne peut se refuser. Ainsi, une nouvelle fois en toute ironie à l’égard d’un Christ dont le langage ne cesse de le trahir, fait-il mention des « flots abracadabrantesques ». Le mot d’origine hébraïque rappelle la traversée de la mer Rouge (Moïse) ou d’un déluge salvateur (Noé) et donc également d’une punition divine. Le sacré-cœur se fait ici écho des campagnes hygiénistes du siècle, et notamment de l’avènement dans les foyers bourgeois des lieux d’aisance et de l’eau courante.2 Une nouvelle fois, par cet appel, il se rattache à une classe aisée et non populaire, s’accusant encore un peu plus aux yeux de cette troupe. Aussi n’hésiteront-ils plus à tarir « leurs chiques », dont le premier sens se veut une référence au tabac, mais auquel s’adjoint en argot celui « d’église ». Dès lors, quand les églises seront vidées, notre troupe anticléricale s’arrêtera ; suggérant, comme le poète le supposait dans « Le Mal », qu’il est impossible pour l’homme de cohabiter avec l’Église et son Dieu chrétien : l’un des deux est voué à disparaître.

À cette évidence, notre Christ a mal au cœur, comme le supposent ces

« sursauts stomachiques », et même dans une autre transsubstantiation où il sera

« ravalé », il ne saura parfaitement se remettre de cette humiliation : « Comment agir ? » Steve Murphy propose une idée actif-passif de la question dans une logique sodomite. 3 Cette théorie d’une revanche, mais non sexualisée, peut également être reprise dans notre analyse. Le Christ pense en effet, à sa prochaine vie, et reprend les caractéristiques du Dieu vengeur et féroce de l’Ancien Testament dénoncé dans « Le Mal ».

Le poème à la tonalité anticléricale certaine se veut une relecture rimbaldienne, satyrique et détournée de cette actualité communarde : l’arrestation de l’évêque de Paris, qui se finira, en effet, sur une tragédie (son exécution). Le poème, dans son immobilisme, se fait engagé, en malmenant également un membre de l’Église : le sacré-cœur. Certes, à l’instant de sa rédaction, le poète ne se réjouit que de

1 La référence aux vespasiennes d’Izambard nous confirme cette hypothèse.

2 « Les solutions anglaises fascinent, bien qu’on se refuse, en France, aux innovations qu’elles impliquent. Outre-Manche, « personne n’a contesté cette vérité : que la mauvaise odeur dans l’habitation [..] signale une atteinte de la santé publique. La stratégie anglaise, résume Mille, se fonde sur l’adoption de trois principes : “de l’eau à pleine pression et à robinet libre”, notamment dans la

2 « Les solutions anglaises fascinent, bien qu’on se refuse, en France, aux innovations qu’elles impliquent. Outre-Manche, « personne n’a contesté cette vérité : que la mauvaise odeur dans l’habitation [..] signale une atteinte de la santé publique. La stratégie anglaise, résume Mille, se fonde sur l’adoption de trois principes : “de l’eau à pleine pression et à robinet libre”, notamment dans la

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