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Domination de l’Église et responsabilité des victimes

Dans le document La religion de Rimbaud (Page 69-77)

Chapitre III : Observation de l’ Église

2. Domination de l’Église et responsabilité des victimes

Dans le « Mal », le peuple victime du pouvoir, de l’Église et de Dieu avait été écarté de la critique poétique. Néanmoins, pour Rimbaud le peuple est également responsable de sa perte, de son asservissement. L’atavisme social et la pseudo-religiosité, dont elle accepte de se vêtir, sans en saisir toutes les conséquences, sont la source de son malheur qui semble immuable1. Ce blâme qui construit « Les pauvres à l’Église » et « Les Premières communions »2 est l’occasion d’une critique, d’un regard objectif – et non plus compatissant – sur ces croyants, jouet volontaire du ministre de Dieu sur terre : l’Église.

2.1. « Les Pauvres à l’Église » 3 : bestiaire d’une hypocrisie religieuse

« Les pauvres à l’église » rappelle, à bien des égards, « Les poètes de sept ans » dans sa forme, mais également dans la position adoptée par le poète-observateur sur le monde qui l’entoure.4 Le regard est critique, mais muet, puisqu’il s’agit de disséquer – fondu dans la masse, au plus près de ces modèles (ces fidèles) – cette dévotion qui répugne au poète5, mais en aucun cas de se trahir. La parole poétique, par la description, est une nouvelle fois le reflet d’une réflexion non oralisée.

Les « pauvres » dont il est fait mention dans le texte sont une masse informe et protéiforme – « femmes », « homme en ribote », « vieilles à fanons », « effarés,

1 « Dans Les pauvres à l’Église, c’est dans une logique proudhonienne que Rimbaud s’en prend à l’avachissement et à l’abêtissement des pauvres par une Église qui sanctifie les relations de pouvoir traditionnelles et l’humilité (ou l’humiliation) des pauvres, maintenant que le soleil, au lieu de pouvoir frapper par ses rayons les représentants de cette institution [..], “périt” dans les nefs. » (Steve Murphy et Georges Kliebenstein, op. cit., p. 62).

2 À la différence de notre traitement de la Femme dans l’œuvre rimbaldienne, il nous a semblé que la jeune fille des « Premières communions » se voulait avant tout image d’une dénonciation religieuse dont la condition féminine n’est qu’une résultante logique. Elle est la victime de « la fabrication de l’hystérie par le Catholicisme ». (Steve Murphy, Stratégies de Rimbaud, op. cit., p. 166). Pierre Brunel propose également un rapprochement de ces deux poèmes dans une logique de claustrophobie morale : « Les Pauvres à l’église sont “parqués entre les bancs de chêne”, dans la puanteur, tendent leur oremus. L’élue passe la “nuit sainte” qui précède sa première communion dans les latrines (Les premières communions). » (Rimbaud ou l’éclatant désastre, op. cit., p. 55). Steve Murphy suggère que ces poèmes devraient être traités comme « des poèmes communards à part entière ». (Steve Murphy, Stratégies de Rimbaud, op. cit., note 19, p. 222).

3 « Les pauvres à l’église » fut joint par Rimbaud à sa lettre du 10 juin 1871 à Paul Demeny. Tandis que

« Les premières communions » fut jointe à la lettre d’août 1871 [perdue] adressée à Paul Verlaine. La copie du poème qui nous est parvenu est de Rimbaud.

4 Antoine Adam signalait déjà ce rapprochement dans son édition de la Pléiade : « Ce poème appartient à la même famille que Les Poètes de sept ans, et présente les mêmes caractères : mots rares et mots crées, verve ricanante et injurieuse. Mais en même temps, solidité de la phrase, et carrure du vers. » (A. Adam, op.cit., p. 888).

5 J.-L. Steinmetz décrit le poème comme un résumé de « choses vues, violemment réalistes ». («Les pauvres à l’église», Œuvre-vie, op.cit., p. 1064).

épileptiques et aveugles » – qui se rejoint dans une pauvreté économique, mais également sociale voire intellectuelle, en témoigne cette foi (à leur image) simultanément « mendiante et stupide ». Dès le début du texte, le poète note qu’ils sont « parqués », indiquant la distance physique que l’église instaure entre eux et le reste des fidèles,1 mais également leur animalité – parquer comme du bétail –, que reprend la référence à leur souffle puant et leur assimilation à des « chiens battus »

« bavant ». Rimbaud suggère leur naïveté dans ces « yeux » fixés sur le « chœur ruisselant d’orrie » et renouvelle la critique, déjà évoquée dans « Le Mal », d’un rite liturgique qui, par l’éblouissement, tente d’endormir et d’anesthésier (avec l’accord tacite des victimes) toute réflexion personnelle : « heureux, humiliés ». Suivant une démarche sociologique et hyper-réaliste2, Rimbaud décompose cette classe3 première en sous-classe avec leurs propres spécificités4 : les femmes, « l’homme en ribote »,

« les vieilles à fanons » et enfin « ces effarés, ces épileptiques [et] ces aveugles ». Les premières sont marquées physiquement par deux réalités : la menstruation – « les six jours noirs où Dieu les a fait souffrir » – et la maternité dans l’allaitement – « Elles bercent […] Des espèces d’enfants […] Leurs seins crasseux dehors ». Dans ces deux spécificités intrinsèquement féminines, que le poète méprise, il rappelle l’opinion de l’Église sur ces deux éléments, reconnaissable notamment dans la pensée de Michelet : « Pour lui [Michelet], les Pères de l’Église suivant Moïse, car impure et maudite, la femme rappelle aux hommes leur animalité. Les lois sur la menstruation et l’accouchement sont en fait consignées à la rubrique Lois sur les animaux purs et impurs5. » Ainsi, la femme est condamnée à la naissance, de par son sexe, à l’animalité. Malédiction dont elle n’est pas complètement dupe, puisque si « Dieu les fait souffrir », elles observent dans ces églises une attitude ambiguë : « Une prière aux yeux et ne priant jamais ». On touche à une certaine hypocrisie féminine déjà évoquée dans « Les poètes de sept ans », dans ce « bleu regard qui ment ». Car le regard de ces femmes – s’opposant à leurs yeux, simple réceptacle vide – est amer et se dirige, non vers la divinité, mais vers leur jeunesse passée, symbolisée par ces

1 Susan Harrow, The Material, the Real, and the Fractured Self : Subjectivity and Representation from Rimbaud to Réda, University of Toronto Press, Toront (Canada), 2004, p. 20.

2 Similaire à celle de « Vénus anadyomène ». Steve Murphy, citant Delahaye, indique que Rimbaud n’aurait pourtant pas lu Zola avant 1873. (S. Murphy, Le premier Rimbaud.., op.cit., p. 212).

3 Susan Harrow dans son ouvrage intitulé The Material, the Real, and the Fractured Self : Subjectivity and Representation from Rimbaud to Réda, va jusqu’à utiliser le terme de “cast” (anglais). Elle évoque par ailleurs un catalogue humain proche du bestiaire. (p. 20).

4 Poursuivant la logique biologique qui le guide, d’un véritable classement des espèces (voir note ci-dessus).

5 Thérèse Moreau, « Michelet et le sang féminin », Romantisme, n°31, 1981, p. 152.

« gamines ». Elles qui, pourtant, ont rendu « les bancs lisses » à force de s’y asseoir1, ne sont motivées que par le spectacle – « parader » – de cette jeunesse féminine qui viendra bientôt les rejoindre.2

Le second sujet pauvre du poème est « l’homme en ribote », c’est-à-dire en état d’ivresse. Il est le seul pour qui l’église n’a aucune valeur religieuse, elle est véritablement un édifice, un intérieur (avec ses murs et son toit) le protégeant d’un extérieur difficile : « Dehors, le froid, la faim ». En cela, il est celui qui se veut, paradoxalement, le plus proche de la valeur symbolique de l’église : celle de la maison de Dieu. En cela, l’office (ou la prière) n’est pour lui que l’instant d’un répit : « C’est bon, Encore une heure ; après les maux sans noms ! » C’est en cela que se joue son hypocrisie religieuse. En effet, la prière se veut – logiquement – suspension du temps humain dans un temps divin, intemporel et oubli des réalités matérielles. Dans cette volonté de se soustraire à l’existence, en même temps qu’il en est obsédé, le poète souligne une passivité qui marque sa pauvreté non seulement financière, mais également de courage.

Dans un troisième temps apparaissent ces « vieilles à fanons », c’est-à-dire à double menton3, reconnaissables aux bruits qu’elles émettent : « geint, nazille, chuchote ». Le fanon constitue également la spécificité physique de certains oiseaux4. Le terme de « collection » quant à lui soulignant ce regroupement, établi par le poète, uniquement en fonction de cette spécificité physique. On touche une nouvelle fois à la logique du bestiaire. En ce qui concerne leur présence en ces lieux, la raison première paraît être mondaine : l’occasion de discuter et de se retrouver entre-elles. Tout comme « l’homme en ribote5 », il n’y a aucune finalité spirituelle dans leur présence à l’église.

Enfin sont présentés, presque pêle-mêle, « effarés »6, « épileptiques » et

« aveugles ». Les deux premiers représentent tout ce que la société au grand jour

1 Jean-Luc Steinmetz, « Les pauvres à l’église », Œuvre-vie, op.cit., p. 1064.

2 C’est ce que semble suggérer l’adverbe « mauvaisement », dans cette logique amère qui les guide.

Mais également ces « chapeaux déformés », image d’une future grossesse qui stigmatisera leurs corps.

3 Ou plus précisément de la partie de peau molle qui pend du cou d’une personne. (TLFI).

4 Rappelant le thème initial d’une animalité de ces pauvres.

5 La même strophe est par ailleurs dédiée aux deux personnages.

6 Le terme fait écho à une autre poésie antérieure du jeune Rimbaud : « Les effarés ». Steve Murphy a analysé ce poème dans Stratégies de Rimbaud (« Les Effarés : chromo ou caricature ? », pp. 83-120).

où il revient sur cet écho : « C’est cette même résignation, cette même humiliation, qui apparaît dans Les pauvres à l’Église, poème envoyé à Demeny le 10 juin 1871 [..]. » (Steve Murphy, Stratégies de Rimbaud, op. cit., p. 105). Ainsi les Effarés du poème seraient définis « par leur faim et par une sorte de religiosité confuse ». (ibid., p. 84).

rejette – « dont on se détournait hier aux carrefours » – et qui se voit sacraliser dans la religion chrétienne au travers de la vie de Jésus. Est-ce là une revanche de leur part ? Eux qui sont rois en ces lieux, presque péché d’orgueil. Quant à « ces aveugles », à l’image de leur compagnon (chien), ils s’animalisent au point de fringaler du nez1 « dans des misells antiques ».

Face à ces pauvres, hétéroclites, répulsifs dans leur apparence, mais également hypocrites dans leur foi, leurs prières deviennent un véritable poison pour ce Jésus

« jauni par le vitrail livide ». Dans un rapprochement homonymique habituel2, la foi malade de nos pauvres devient source d’un ictère pour la divinité. Néanmoins, les pauvres ne sont pas seuls responsables de ce crime, et les « Dames des quartiers / Distingués », malades elles aussi du foie, laissent voir, visiblement, cette jaunisse qui les ronge, avec une détérioration plus avancée que les pauvres de leur foi[e].

Ainsi, le poème s’affiche comme une illustration ironique de la parole biblique : « Alors Jésus levant les yeux vers ses disciples leur dit : Vous êtes bienheureux, vous qui êtes pauvres, parce que le royaume de Dieu est à vous. »3 Or, en aucun cas les pauvres de notre poème ne laissent supposer un bonheur passé ou futur. Allant plus loin dans la critique Rimbaud se demande même s’ils en sont méritants. Car les pauvres sont coupables aux yeux du poète, non de leur manque de foi, mais de son hypocrisie : en continuant de venir à l’église malgré leur désintéressement, ils fournissent un alibi à cette dernière. Ils lui permettent de continuer d’exister et d’opprimer, condamnant dans un cercle vicieux leur propre descendance à cet atavisme social. Ils ne saisissent pas tous les enjeux de leur présence en ces lieux.

1 Pour Claude Jeancolas (cité par Steinmetz), il s’agit d’un ardennisme signifiant « sauter joyeusement en dérapant ». Néanmoins, Steinmetz « préfère penser que Rimbaud, à partir de fringale qui désigne une faim dévorante, a créé un mot, substituant ainsi à l’expression “dévorant des yeux” pour les voyants un “fringalant du nez”, parfaitement adapté pour les aveugles dont il parle. » (Jean-Luc Steinmetz, « Les pauvres à l’église », Œuvre-vie, op.cit., p. 1064). Dans le deuxième cas, le terme reste teinté d’une certaine animalité canine, celui de la truffe.

2 Steve Murphy souligne la fréquence de ce rapprochement chez Rimbaud dans son analyse du

« Châtiment de Tartufe ».(Steve Murphy, Rimbaud ou la ménagerie impériale, op. cit., p. 165).

3 Idée que soutient Ernest Renan dans sa Vie de Jésus : « L’Évangile dans sa pensée est fait pour les pauvres ; c’est à eux qu’il apporte la bonne nouvelle du salut ». (p. 184).

2.2. « Les Premières communions » : une victime aux multiples bourreaux

Le poème concomitant à la semaine sanglante (juillet 1871)1 se veut, selon Steve Murphy, un poème violent né de la colère et du dégoût.2 Il se présente comme un témoignage sur la condition féminine au XIXe siècle et le bourrage de crâne imposé par une Église, qui en instaure les règles.3 Le poème qui se présente sous la forme d’un diptyque (Marc Ascione) se fait l’écho d’une féminité à la psychique instable, au travers d’une évocation de l’hystérie.4

Le poème débute (premier diptyque) par cette description d’un paysage rural où l’église, centre de vie, pollue, par sa présence physique (édifice) et symbolique, cette Nature-mère protectrice des lieux : « la pierre sent toujours la terre maternelle ». Cette Nature sensuelle et libre5 – « dans la campagne en rut qui frémit solennelle » – s’oppose à ce « Prêtre du Christ » qui plaque « ses doigts puissants » sur l’enfant, dans une logique asservissante physique, mais non morale, puisqu’on

« paie » le Prêtre pour laisser les enfants au « soleil », source de leur liberté.

Dans cette chaleur, ce soleil engourdissant et bienfaisant, manifestation visible de la nature, permet un équilibre des forces et une limitation de l’autorité de l’Église en ces lieux.6 Montrant qu’elle y conserve un certain pouvoir. Ainsi, pour les futurs petits communiants, cette Première Communion n’est qu’une formalité marquée par des « tartes », des photos et ce fameux « premier habit noir ». L’acte, vidé de toute signification religieuse, et donc de tout danger, n’a de raison d’être que dans le souvenir futur qu’elle constituera. Quant à la fille des campagnes, filles de cette

1 Mais également à la première communion de la sœur du poète, Isabelle Rimbaud, effectué en mai 1871. (Steinmetz, Rimbaud : Poésies, op. cit., p. 325).

2 Steve Murphy, Le premier Rimbaud…, op.cit., p. 87. Pierre Brunel suggère une analyse similaire :

« Avec Les Premières Communions et L’Homme Juste on monte encore d’un degré dans la violence. » (P. Brunel, Rimbaud : projets et réalisations, op.cit., p. 100). Il parle également de « grande agressivité à l’égard de la religion catholique ». (Pierre Brunel, Rimbaud ou l’éclatant désastre, op. cit., p. 55).

3 Steve Murphy, Le premier Rimbaud.., op.cit., p. 88.

4 « Quoique Bouillane de Lacoste ait écrit que “trouble des sens, pathologie féminine et religion se mêlent, dans Les Premières Communions, de façon inextricable” », il ne semble pas que les critiques aient pris au sérieux le mot hystérie apparaissant au vers 109.

Pourtant, la simple mise en parallèle de quelques passages du texte de Rimbaud avec des citations extraites d’une description standard, contemporaine, de l’hystérie paraît, elle seule, suggestive. » (Jean-Pierre Chambon, « Matériaux pour l’exégèse des Premières Communions », Parade sauvage, n°3, 1986, p. 43).

5 Steve Murphy dans son étude du poème rapproche le tableau de celui de Credo in Unam. (Steve Murphy, Le premier Rimbaud.., op.cit., p. 88).

6 « cette présence constante de la nature et de la communauté rurale a l’effet de réduire le danger posé par les « mysticités grotesques ». (ibid., p. 97).

déesse lascive qui les protège, leur amour se porte vers un amour physique1, réel, bien différent de celui de notre communiante citadine.

Mais à ces jeunes filles libres, rurales, s’opposent leur sœur citadine (second diptyque du texte). Sa silhouette « inconnue » est pourtant rapidement présentée comme iconique, sanctifiée dans cette aura de lumière visible, ce « front jaune » rappelant l’auréole des saints chrétiens. Néanmoins, l’image est trompeuse, comme la couleur, et ce jaune n’est pas sans rappeler celui évoqué précédemment dans les

« Pauvres à l’Église » : la preuve d’une maladie hépatique, d’une névrose qui s’installe.2

Puis vient le temps de la maladie déclarée et de ses manifestations les plus visibles et les plus connues. La volonté réaliste rimbaldienne et ses concordances médicales ont été analysées en détail par Jean-Pierre Chambon.3 Néanmoins, si la jeune fille est souffrante, le responsable de ce mal n’est autre que cette société bourgeoise, morale et religieuse ; loin de la campagne sensuelle du premier diptyque, elle pervertit son enfant en voulant la protéger à la manière de la mère des « Poètes de sept ans ».4 Ainsi, dans cette Communion, dans la solennité de l’acte, par la robe blanche rappelant celle du mariage, cette société a contribué à sexualiser un sacrement, une union avec un Christ qui glisse du domaine spirituel au domaine physique. Cette crise la prenant la veille de la Communion, de l’union consacrée, s’apparente à la visite de l’amant à sa bien-aimée dont le motif de la défloration est évoqué dans ce sang pur qui tache « des célèbres poitrines de grands linges neigeux ». Elle laisse derrière elle le « sommeil bleu », sommeil de la Vierge, pour lui préférer le rouge d’une passion christique sexualisée5 : « elle avait rêvé rouge ».

Le sang est par ailleurs, un élément structurant du texte. Il rappelle le sang christique versé lors de la Passion, mais également ceux de ses futurs épanchements féminins, souffrance mensuelle de la femme. Elle craint leur avènement jusqu’à

1 La « garce » (amante, voire prostituée) ne s’établissant plus comme une insulte.

2 Premier symptôme de l’hystérie. (Steve Murphy, Le premier Rimbaud…, op.cit., p. 98).

3 Op. cité.

4 Murphy et Kliebenstein évoquent : « une jeune femme isolée au moment de la puberté, incapable de comprendre les changements physiologiques qui l’affectent et, de ce fait, amenée à chercher l’explication dans la métaphysique et le mystique. » (Steve Murphy et Georges Kliebenstein, op. cit., p. 67.

5 Dans « le corps nu du Sauveur ». (Steve Murphy, Le premier Rimbaud.., op.cit., p. 108). Jacques Gengoux évoquait déjà un rapprochement avec Madame Bovary, fascinée par ce même corps christique, dans sa Pensée poétique de Rimbaud, A. G. Nizet, Paris, 1950, 673p.

« passer sa nuit sainte dans les latrines »1, guettant le possible déclenchement de ces menstruations malvenues, dont les « vignes folles aux noirceurs purpurines » évoquent la couleur. 2 Le geste n’est pas dénué d’un certain hygiénisme moral, déjà évoqué dans « Vénus anadyomène ». Car tout comme la maladie vénérienne de la prostituée, ces règles la condamnent à un ostracisme religieux, le temps de leur durée.3S’affiliant à une maladie contagieuse, les menstruations, à la différence de la maternité, désacralisent la femme et la renvoient à une souillure réactualisée tous les mois. Elles impliquent également une séparation de corps avec ce divin époux, élément sacralisant du texte et dont la disparition entraînerait la fin de toute vision mystique, mais également d’une justification libérée de cette hystérie.4

Néanmoins, la relation sexuelle, à l’origine consentie, sombre finalement dans un simple viol de la communiante.5 L’ [Le r]éveil est progressif et débute par un instant de dégoût : « ces langueurs et ces pitiés immondes ». En effet, s’affranchissant de sa léthargie mentale, mais également d’une foi naïve, et, rappelons-le, malade (l’ictère du début du texte), la jeune communiante comprend, trop tard, que ce qui marque sa première communion n’est finalement que souillure et « baisers putrides » de Jésus. Inversant le topos anticlérical de l’anthropophagie du christianisme6, elle ne retire aucun plaisir de l’ingestion du corps et du sang christique, qu’elle considère comme un viol : la prise de possession, de force, d’un corps sur un autre corps : « Et mon cœur et ma chair par ta chair embrassée ». Ce qu’elle regrette, c’est la spoliation définitive de son corps et de son esprit, par l’hystérie et la communion, et sur laquelle elle ne peut revenir. Ces deux forces se voulant les deux formes d’une même autorité

1 Les latrines comme lieu de repli ironique, opposé à une chambre devenue trop dangereuse. Alain Corbin évoque cette obsession hygiéniste pour les dangers présents dans la chambre de ces jeunes filles : « L’hygiéniste est rempli d’attentions pour la chambre, notamment pour celle de la jeune fille fragile ; l’attitude prévenante de César Birotteau, amoureux concepteur de celle de Césarine, se révèle exemplaire. L’atmosphère du lieu peut, en effet, receler des parfums mortels. Un changeur de la galerie Véro a succombé au méphitisme de sa chambre ; on ne compte plus les femmes et les jeunes filles asphyxiées par les fleurs durant leur sommeil. » (Le miasme et la jonquille, Flammarion, Paris, 2008, p. 245).

2 Steve Murphy, Le premier Rimbaud.., op.cit., p. 102.

3 « Mais la femme qui menstrue n’est pas un simple tabou [..] elle pollue par métonymie. On ne

3 « Mais la femme qui menstrue n’est pas un simple tabou [..] elle pollue par métonymie. On ne

Dans le document La religion de Rimbaud (Page 69-77)