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Entre Déméter et Gaïa

Dans le document La religion de Rimbaud (Page 26-35)

Chapitre II : Observation de la femme

2. Entre Déméter et Gaïa

2.1. Déméter la mère éplorée dans « Les Étrennes des orphelins » Le Catholicisme, à l’image de sa croix, marque son croyant de deux rites complémentaires et nécessaires à l’appartenance catholique de son fidèle. Le premier, le baptême, implique un engagement subi, dicté par une nécessité sociale plus que religieuse, celle de l’entrée immédiate du nouveau-né comme membre de la communauté catholique et sa salvation éternelle. Le second, la communion, implique – normalement – un engagement personnel et conscient du croyant, il est une réaffirmation de la foi, mais également une fusion du croyant et de sa divinité3. Dès lors, l’éducation religieuse ne serait, sous cet angle, rien d’autre qu’une croyance qu’on tente d’introduire comme tout autre héritage matériel et familial : il n’est pas question de libre arbitre, mais d’acceptation du legs confié. La responsabilité de cette passation religieuse échouait en grande partie à la mère gardienne du foyer et donc gardienne de ses fondements. Ainsi est-elle bien souvent représentée dans l’historiographie chrétienne comme la figure mariale par excellence, complétant dans

1 Il a déjà été noté par l’ensemble de la critique que le « cœur » est presque systématiquement synonyme de phallus dans les Premières poésies.

2 C’est sous la vision sociale de la courtisane que nous plaçons nos personnages. Celle d’une femme jouant un rôle important de la vie du poète et non, par obligation vénale. Par ailleurs, on pourra reprocher à notre analyse de rapprocher des poèmes diamétralement opposés dans leur sens, leur structure ou leur narration. Nous tentons un parti pris, qui peut être considéré risqué, en liant ces poèmes autour de cette entité féminine de la courtisane, privilégiant une approche globalisante, à une analyse textuelle, par ailleurs déjà entreprise sur l’intégralité de ces poèmes.

3 On notera que cette fusion humain-divin est constante dans l’œuvre du premier Rimbaud.

sa mansuétude la figure stricte, autoritaire et absolue du divin père1. Elle devient protectrice de l’enfant, tutélaire et victime sacrificielle de son bien-être.2 Elle est également celle qui guide, qui permet de réunir autour de son feu maternel les différents membres de la fratrie et de maintenir les liens du sang.

« Les étrennes des orphelins », poème qui ouvre la quasi-totalité des recueils rimbaldiens, apparaît comme un texte illustrant parfaitement cette perception familiale. Scène de vie bourgeoise centrée sur des valeurs dites traditionnelles3. Deux sources directes sont admises pour ce poème : « les pauvres gens » de Hugo et « La maison de ma mère » de Marceline Desbordes-Valmore.4 Steve Murphy insiste néanmoins sur une influence hugolienne, doublée d’une distance parodique, dans une illustration d’une classe sociale qui n’a finalement rien de pauvre.5 Il a également mis en évidence, dans son étude du poème, l’aspect social de la scène évoquée par

1 « Le Père, le Fils, le Saint-Esprit : cette tripartition divine se retrouve dans la famille avec le père, la mère et l’enfant. Le père est le chef, la mère est le ministre, l’enfant est le sujet. Le ministre est le personnage central, celui qui, par son sacrifice, réconcilie le pouvoir et le sujet, à l’image du sacrifice christique. La mère se donne au père et à l’enfant, comme le sacrifice du Christ réconcilie le Père et l’Église assemblée par le Saint-Esprit. » (Jérôme Grondeux, La religion des intellectuels français, op.cit., p. 35).

2 Steve Murphy l’évoque dans son étude du poème « Les Poètes de sept ans », en démontrant qu’elle bascule de la protection à l’oppression : « La Mère se doit de protéger son enfant contre toute contamination, et seul le fait de le séparer des enfants de son âge la rassure. » (Steve Murphy, Le premier Rimbaud…, op. cit., p. 71).

3 Steve Murphy parle de « portrait de l’intérieur et de la vie bourgeoise ». (ibid., p. 32).

4 À ces dernières peuvent s’ajouter celle, indirecte, de François Coppée.

5 Steve Murphy, Le premier Rimbaud…, op. cit., p. 33.

6 ibid., p. 44.

7 ibid., p. 36.

8 Un autre poème, que nous ne traiterons pas dans notre analyse, mais qui retraduit parfaitement cette volonté chez le premier Rimbaud de s’affilier par moment à un Hugo moralisateur et compatissant, est

« Les Effarés ». Ce poème de 1870, plusieurs fois retouché par Rimbaud, s’inscrit dans cette veine thématique de l’orphelin en proie aux affres du froid et de la faim, et qui fait naître tout naturellement chez le lecteur un sentiment de compassion digne d’une lecture des Misérables. (Steve Murphy consacre par ailleurs un chapitre entier au poème dans Stratégies de Rimbaud, Honoré Champion, Paris, 2009, pp. 83-119). Steve Murphy parle à ce propos de misérabilisme hugolien (Steve Murphy, Le premier Rimbaud…, op. cit., p. 39). Murphy et Kliebenstein soulignent également les difficultés d’analyse de ce poème, échos à ceux des Étrennes des orphelins : « On doit s’armer d’une égale méfiance en abordant “Les Effarés”, car la lecture misérabiliste, pour tout dire copéenne, que l’on a souvent infligée à ce poème. [.] C’était mettre le doigt sur un aspect de ce qui est farouche et caricatural dans cette représentation de petits pauvres où l’on a pu voir tout simplement une évocation autobiographique naïve (pour ne pas dire niaise). » (Steve Murphy et Georges Kliebenstein, op.cit., p. 43).

Le terme étrenne souligne le non-dit familial évoqué par Steve Murphy, par son étymologie latine, strena, signifiant pronostic, présage, signe1. Or il semble justement, ici, que rien n’ait prédisposé ces deux enfants à la perte de leur mère2, cette dernière n’ayant pas eu le temps de les préparer à cette mort soudaine qui l’a surprise en pleine existence :

Avant de les quitter, en leur criant : pardon.

Elle n’a point prévu la froideur matinale, Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?...

La nature se fait d’ailleurs l’écho de cette perte : l’hiver du cœur rejoint l’hiver du corps : la neige tombe à l’extérieur de cette froide maison, froide comme le cadavre de la mère morte.

Et la nouvelle année, à la suite brumeuse, Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse, Sourit avec des pleurs et chante en grelottant

Une nature qui n’est pas seulement l’écho de la mère, mais son double tout au long du poème ; Déméter compatit à la tristesse de ces enfants qu’elle a rendu orphelins, puisque cette jeune mère va lui être rendue : inhumation ou Dêmêtreioi 3, c’est-à-dire ceux qui sont à Déméter4. Mais également un double qui se veut empathique et emphatique5 : nous sommes en plein hiver, Déméter pleure elle-même l’absence de sa fille Perséphone retournée aux Enfers. La nature-mère personnifiée

1 Trésor de la langue française informatisé (TLFI) Source en ligne : http://atilf.atilf.fr/

2 Steve Murphy note que la mère délaissée est probablement morte de chagrin. (Steve Murphy, Le premier Rimbaud…, op. cit., p. 38). Les enfants quant à eux ne semblent pas conscients des raisons réelles de cette mort et marquent le texte de leur désarroi.

3 Sur ce point, nous nous écartons légèrement de l’analyse de Steve Murphy qui privilégie une lecture érotique dans cette rencontre du ciel et de la terre. (Steve Murphy, Le premier Rimbaud…, op. cit., p. 40).

4 TLFI.

5 Ainsi en évoquant la « perméabilité du foyer aux influences de la vie extérieure », Steve Murphy nous amène à suggérer un recouvrement de la réalité naturelle sur la réalité du foyer : il s’agit d’une collision, mais également un effacement des limites naît à l’issue de la mort de la mère.

dans la figure de Déméter1 donne donc forme, sentiments et presque paroles à cette morte devenue étrangère au logis, qui ne peut que voir ses enfants devenir orphelins sans les consoler, et ne pouvant, dans ce retour à la nature sous la forme d’un cadavre, qu’exprimer son chagrin au travers des éléments.

L’âpre bise d’hiver qui se lamente au seuil Souffle dans le logis son haleine morose

Rimbaud continue par ailleurs de broder cette métaphore à la nature : les enfants sont comparés aux oiseaux abandonnés par leur mère dans la froideur de l’hiver, l’homme redevient alors un animal parmi les autres.

Le rêve maternel, c’est le tiède tapis, C’est le nid cotonneux où les enfants tapis,

Comme de beaux oiseaux que balancent les branches, Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches !...

– Et là, – c’est comme un nid sans plumes, sans chaleur, Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ; Un nid que doit avoir glacé la bise amère

Métaphore volatile qui est loin d’être anodine puisque le principal outil d’augure dans la Rome antique fut l’oiseau : la vie de ces deux orphelins n’est d’ores et déjà pas placée sous les meilleurs auspices2. Si Steve Murphy soulignait « une dénonciation de la mise-en-scène bourgeoise de la mort »,3 nous sommes également tentés d’y ajouter celle du sort, de forces du destin qui s’amusent de cette pièce qui se joue sur leurs yeux et pour laquelle ils dictent les règles.

1 Nous insistons sur la figure de Déméter et non de Gaïa, divinité de la Terre également, mais sous un angle beaucoup plus matériel et physique.

2 « Auspice » est un agrégat de deux termes latin : « avis » (« oiseau ») et « specere » (regarder). TLFI.

3 Steve Murphy, Le premier Rimbaud…, op. cit., p. 48.

2.2. Déesse de la Nature sensuelle

2.2.1.« Sensation » : prémices d’une Nature féminine

« Sensation » est sans doute l’un des poèmes les plus aboutis de l’œuvre naissante rimbaldienne.1 S’il était question dans les « Étrennes des orphelins » d’une distance parodique de Rimbaud avec le misérabilisme hugolien et copéeien,

« Sensation » remplace la description par la suggestion et la brièveté. C’est l’un des poèmes les plus courts des premières poésies où une simple saison y est jeu de tous les enjeux poétiques2 : l’été, la saison mentale rimbaldienne par excellence. Dans la première strophe, tous les symboles physiquement ressentis d’un été à la campagne sont présents : « les soirs bleus », « les sentiers », « les blés », « l’herbe », « la fraîcheur », « le vent ». Dans la seconde strophe en revanche, Rimbaud y évoque tout ce que ces agrégats naturels font naître en lui : « je ne parlerai pas », « je ne penserai rien », « l’amour infini », « l’âme », « bohémien », « heureux, une femme ». Nous sommes sur un parallélisme non pas d’opposition, mais de complétion, le corps ne s’oppose pas à l’âme, il lui permet, bien au contraire, de trouver un équilibre stable et reposant où les sens priment la raison, à l’inverse de toute philosophie raisonnable. 3

Dans cette solitude bienheureuse, on peut s’interroger sur l’intérêt, ou plutôt le besoin, non ressenti, d’avoir une femme réelle à ses côtés « comme avec une femme » signifie bien qu’elle n’est pas présente, mais qu’un équivalent est là pour la remplacer.

Qui est cette femme alors ? Elle est une entité naturelle, panthéiste et répond, à la longue tradition selon laquelle la Nature, par sa relation à l’homme, est un élément féminin. Susceptible, par ailleurs, de remplacer, dans cette relation privilégiée, la véritable femme dans une intimité par ailleurs souvent sexualisée. La relation se veut ainsi ambiguë : le poète de « Sensation » a la tête nue, il foule l’herbe menue de ses pieds et insiste sur ce contact physique charnel avec la Nature, qui l’amène, par son intermédiaire, à ressentir cette union, mais également la liberté qu’elle lui confère.4

1 Dans Arthur Rimbaud ou l’éclatant désastre, Pierre Brunel va même jusqu’à conseiller de commencer la lecture de Rimbaud par ce poème. (Pierre Brunel, Arthur Rimbaud ou l’éclatant désastre, Champ Vallon, Seyssel, 1983, 236p).

2 Et politiques comme l’indiquent Murphy et Kliebenstein : « Les poèmes apparemment apolitiques comme Sensation, Soleil et Chair, Roman, reposent en réalité sur des postulats idéologiques, une revendication de liberté aussi bien physique que constitutionnelle et qui trouve ses moments de félicité précisément en sortant de la France [..]. » (Steve Murphy et Georges Kliebenstein, op. cit., p. 47).

3 Steve Murphy va même jusqu’à parler de « libération euphorique ». (Steve Murphy, Stratégies de Rimbaud, op.cit., p. 17).

4 Eric Marty reconnaît dans la nature rimbaldienne « une puissance de libération unique où la liberté,

“la liberté libre”, est sans altérité humaine ». (« Rimbaud Nature et poème », dans André Guyaux (dir.), Rimbaud : des “Poésies” à la “Saison”, Garnier, Paris, 2009, p. 31).

Elle est également un élément de substitution, s’il ne peut être libre, il peut en éprouver un résultat similaire auprès d’une femme. Le moyen est assujetti à la sensation, qui ne devient plus concomitante à l’action, mais la finalité de cette dernière.

2.2.2.« Credo in Unam »1 : déesses et double critique rimbaldien

Cette relation amoureuse n’est pas la seule qu’entretient le poète à la nature.

Dans cet instant où être et nature ne font qu’un s’effectue un glissement de la femme à la mère, pouvant être comparé à la situation du fœtus dans le ventre matriciel2 : lieu où toutes les sensations ne sont ressenties qu’au travers du prisme maternel.

Comment définir une telle relation œdipienne où mère et amante se mêlent et se confondent ? Une possible solution nous serait proposée par le mythe de Gaïa, que Rimbaud latiniste émérite devait certainement connaître. Gaïa, déesse-mère liée à Chaos, créée par ce qu’on pourrait qualifier aujourd’hui de parthénogenèse, Ouranos.

De leur union naîtront Titans, cyclopes et autres créatures mythologiques. À noter que Cronos finira, sous les instances de sa mère, par combattre et triompher de son père (Ouranos) auquel il infligera l’ablation de ses organes génitaux, mutilation qu’on peut aisément lire comme une punition de cet inceste. Rimbaud, qui distillait en filigrane cette relation charnelle à la nature dans « Sensation »3, l’initie et la poursuit dans « Soleil et Chair », écho de l’École païenne. 4

Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,

1 Nous faisons le choix du poème « Credo in Unam » au détriment de « Soleil et Chair », version postérieure, mais écourtée du manuscrit Démeny. Steinmetz indique que, selon Izambard, le texte aurait été influencé par la lecture du « Satyre » de Hugo et de « L’Exil des dieux » de Banville. (Jean-Luc Steinmetz, Rimbaud : Poésies, Flammarion, Paris, 1989, pp. 299-300).

2 La référence se fait directe dans « Soleil et Chair » : « Oh ! si l’homme puisait encore à ta mamelle, Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ».

3 Nous ne pouvons ignorer la valeur pastichielle soulignée par Murphy et Kliebenstein dans leur étude : « Rimbaud offre une imitation pastichielle – et en tout état de cause légèrement parodique reprenant, un peu comme Verlaine dans le Prologue des Poèmes saturniens, des procédés de Leconte de Lisle et surtout, cicin de Banville lui-même qui avait également composé de longs poèmes d’inspiration mythologique. » (Steve Murphy et Georges Kliebenstein, op. cit., p. 29). Cette information sera primordiale au reste de notre analyse.

4 Cette affirmation prévaut tout particulièrement pour la première strophe du poème. « Le travail de

« décodage » de ces analogies (mais il s’agit à vrai dire plus d’un travail d’inférence que de décodage) est cependant simplifié par le recours à ce que l’on peut considérer comme des archétypes (le soleil paternel, l’eau maternelle) ou plus modestement comme des formes de symbolisme convenu, qui apparaissent un peu partout dans la poésie de l’époque et chez Rimbaud lui-même, notamment dans l’ouverture de « Soleil et Chair », où ces motifs ne sont pas le fruit direct d’une plongée onirique dans l’inconscient collectif, mais des topoi médiatisés par une sémiologie stéréotypée, celle déployée par cette « École païenne » sur laquelle Baudelaire avait tant ironisé.

Verse l’amour brûlant à la terre ravie,

Et, quand on est couché sur la vallée, on sent Que la terre est nubile et déborde de sang ; Que son immense sein, soulevé par une âme,

Est d’amour comme dieu, de chair comme la femme, Et qu’il renferme, gros de sève et de rayons,

Le grand fourmillement de tous les embryons !

La Nature y est, en effet, représentée sous le double aspect de la femme et de mère – de l’être charnel et de l’être maternel – et le poète fils du soleil1 apparaît comme le fruit de cette union, mais, également, comme jaloux de cette dernière. Il arrive bien après ces religions primitives où étaient permises sans aucune notion de culpabilité des unions purement charnelles et consanguines.

– Ô Vénus, ô Déesse !

Je regrette les temps de l’antique jeunesse, Des satyres lascifs, des faunes animaux,

Dieux qui mordaient d’amour l’écorce des rameaux Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !

Ce temps, néanmoins, a pris fin avec l’avènement du christianisme, et on peut affirmer que se confirme ici le combat du païen contre le chrétien, déjà suggéré par le titre même du poème.2 Le grand Pan est mort !, ces mots n’ont-ils pas été supposément entendus aux premiers temps du christianisme. Regretter Pan, c’est donc blasphémer, en regrattant le temps du polythéisme et de sa simplicité amorale.

Blasphème qui devient visible et lisible dans la deuxième partie du poème : « – Oh ! la route est amère / Depuis que l’autre Dieu nous attelle à sa croix ». La critique est si acerbe, qu’il n’est pas nécessaire à Rimbaud de la poursuivre. Il n’est pas encore

1 Rappelons que dans de nombreuses religions antiques vénérant le soleil, le leader politique est qualifié de « fils du soleil », c’est le cas des Incas et des Égyptiens de l’antiquité. (Mircea Eliade)

2 Le titre laissait déjà sous-entendre cette tension centrale du poème : « Le titre laissait cependant se répandre un parfum de subversion puisque cette évocation aurait comme finalité, selon les suggestions de la formule latine, la substitution au Credo catholique d’un contre-Credo, non pas seulement le

“Credo des poètes” selon la formule de la lettre, mais un Credo résumant les “bonnes croyances” anti-catholiques de Rimbaud. » (Steve Murphy et Georges Kliebenstein, op. cit., p. 29).

temps pour lui de démanteler et de désagréger, sous les yeux ébahis du lecteur, le crédo chrétien en détail. Car comme le soulignent Murphy et Kibenstein, le but du premier du poète reste une attaque formelle et ironique de l’œuvre de Banville, la religion n’est que prétexte à critique surérogatoire. Le poète joue un rôle, celui de l’être nostalgique de l’antiquité et de ses divinités ; le poème est une opportunité pour Rimbaud d’attaquer simultanément le maître de file du Parnasse (Banville) et le maître du monde (Dieu) dans une même ironie.

Nous avons, jusqu’à présent, choisi dans notre analyse de présenter cette déesse-mère sous le nom de Gaïa. En réalité, Rimbaud lui préfère celui de Cybèle1 :

« je regrette le temps de la grande Cybèle / […]/ Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle2 ». Si elle possède de nombreux aspects similaires à ceux de sa mère Gaïa, Cybèle se veut l’incarnation de la mère,3 mais également d’un premier éveil sensuel de la divinité, elle s’humanise dans son union avec Cronos et sa maternité4, devenant « d’amour comme Dieu, de chair comme la Femme ».

Néanmoins, à l’heure de la narration, Cybèle est un souvenir ainsi que le monde qui l’accompagne : « Vénus », « Satyres », « Nymphes », « Pan »… Comble de l’ironie, dans cette fin d’un panthéon, l’homme ne s’est pas élevé, il n’a pas su profiter de cette absence de divinité avant l’avènement du christianisme et l’instauration d’une nouvelle divinité : « Ô ! La vie est amère, / Depuis qu’un autre dieu nous attelle à sa croix ! ». Pourtant il semble que l’homme ait réussi durant un temps à être divinisé5 – « Parce qu’il a sali son fier buste de Dieu ! » –, comme un écho au péché originel, l’humanité née de sa propre faute, de sa propre chute.

Dès lors, en attendant que son temps revienne, qu’un nouveau dieu soit sacrifié. Le poète, comme le jeune garçon des « Poètes de sept ans », se cache et laisse

Dès lors, en attendant que son temps revienne, qu’un nouveau dieu soit sacrifié. Le poète, comme le jeune garçon des « Poètes de sept ans », se cache et laisse

Dans le document La religion de Rimbaud (Page 26-35)