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CHAPITRE 3. Cadre méthodologique

3.3 Analyse des données

3.3.2 Phases de codage dans la théorie enracinée

On retrouve deux ou trois phases de codage dans la TE selon la préférence des auteurs utilisant cette méthodologie. On retrouve d’abord une phase de codage initial ou dite ouvert selon la formulation qu’ils privilégient. Cette phase est suivie d’une phase de codage axial. Enfin, une dernière phase est celle dite de codage avancé ou théorique ou encore sélectif selon les auteurs. Charmaz (2006) met en garde de ne pas prendre ces stages pour des recettes On peut voir en début de recherche les stages de codage initial et axial se chevaucher (Strauss & Corbin, 2004) et certains auteurs ont laissé tomber le stage axial pour ne garder que les deux autres. Personnellement, j’ai utilisé les trois stages et s’ils devaient être divisés en deux stages, je serais en mesure de montrer où en serait la délimitation. Ce qui suit contribue au niveau opérationnel exposé dans la figure 3 en début de chapitre, réunissant les concepts importants dans la TE.

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Première phase : Codage initial (ouvert)

Pour Oktay, la phase de codification initiale est celle qui ressemble le plus aux autres types d’analyse qualitative en recherche, car la plupart débutent en codant les données ou en les séparant et les divisant (Oktay, 2012, p. 54). Autant la recherche phénoménologique en recherche que la TE débute par une identification ligne par ligne, voir mots par mots des concepts importants communiqués par les participants aux entrevues (tel que vu plus haut). La TE débute un travail explicite d’analyse des unités et des indicateurs dès ces débuts d’analyse (Strauss, 1987, cité par Feeler, 2012, p. 78). La recherche phénoménologique en psychologie débute une analyse continue une fois ces catégories identifiées dans le but de les regrouper et identifier des thèmes qui sont similaires aux catégories dans le vocabulaire de la TE, mais elle ne cherche pas à les relier ensemble nécessairement. La TE le fait dans le but d’amener l’analyste vers un niveau d’analyse plus abstrait qui comprend notamment le développement de relations entre les concepts et les catégories tel que vu plus tôt.

Le codage initial influence donc la direction que la recherche va prendre. Strauss et Corbin (2004) utilisent le terme de codage ouvert qui comprend comme processus une identification de concepts et la découverte de leurs propriétés et dimensions à partir de ces données d’analyse initiale. Le chercheur est appelé à catégoriser des segments de données en leur donnant un nom qui est court et il fait rapport immédiat de chaque section de données analysées. Les codes développés montrent comment sont sélectionnées et divisées les données en fonction de leur compilation, en plus de permettre de former un cadre analytique à partir duquel l’analyse sera bâtie. Ce codage débute déjà la fonction d’intégration (Charmaz, 2006, p. 45).

L’analyse des entrevues dans mon étude a produit des thèmes centraux et des dimensions associées qui sont demeurés centraux à l’étude. Cette étape mène à l’identification de groupes de codes ou de concepts, ou encore à des catégories plus larges à partir de ces codes initiaux selon Oktay (2012, p. 60). L’analyste distingue les codes qui vont ensemble et peut les combiner en « concepts ». Suit une étape d’identification des dimensions et des propriétés rattachées aux concepts et aux catégories. Le défi ici est de déterminer quels codes initiaux font le plus de sens au niveau analytique afin de catégoriser les données de façon précise et complète (Charmaz, 2006, p. 57-58). Ce processus n’est pas entièrement linéaire. En comparant des données avec d’autres données, cela mène à des codes plus ciblés sur l’expérience partagée par les participants en termes d’intensité, d’impact et de moments significatifs.

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Cette étape en cours d’analyse m’a paru coïncider avec une étape de codage plus ciblée ajoutée par Charmaz dans le stage initial et qui lui est propre : le ‘focus coding’. Lors de l’analyse plus poussée des données d’entrevue, est venu un moment où je ciblais encore plus ces catégories et groupes de concepts et leur sens en lien avec les questions de recherche. Charmaz définit cette étape de codage ciblé comme celle qui utilise les codes les plus significatifs et fréquents déjà identifiés afin de faire un tri dans une grande quantité de données (Charmaz, 2006, p. 57). L’analyste pose un regard sur les données codées dans le but de créer des codes plus interprétatifs et inclusifs visant à représenter la compréhension de ce que les répondants ont dit (Hesse-Biber, 2010). Il s’agit de la première grande étape d’analyse où sont comparées des données avec des données et des données avec des codes. Des décisions sont prises sur les codes initiaux qui font le plus de sens au niveau analytique afin de catégoriser les données de façon incisive et complète.

Cette action participe à mon avis à la deuxième étape d’analyse de la recherche phénoménologique en psychologie de type interprétatif vu plus haut.Charmaz souligne par contre de ne pas s’inquiéter à savoir si ce qui est énoncé est un code, un concept ou une catégorie : l’essentiel est de passer d’un grand nombre de codes à un nombre relativement petit de catégories qui se retrouveront au cœur de la théorie et voir comment ces éléments sont centraux pour le développement de la théorie (Charmaz, 2006, p. 60). Les codes dans la phase initiale de codage peuvent être temporaires car leur but est de rester ouvert à d’autres possibilités analytiques et à la création de nouveaux codes qui s’ajusteront étroitement avec les données. Les codes sont aussi ouverts dans le sens où ils peuvent être renommés plus tard pour améliorer leur arrimage avec la théorie émergente (Oktay, 2012). Les thèmes découlant de la phase initiale d’analyse demeurent par contre des piliers importants dans le corpus de données, comme ce fut le cas pour mon étude.

Le chercheur peut déceler des manques et des lacunes résultant de la phase initiale qui l’amène à identifier des sources de données additionnelles pour éclairer la prise de décision quant aux prochaines étapes d’analyse (Charmaz 2006). Ma décision d’aller plus en profondeur avec une analyse documentaire sur l’ÉC selon les écrits des pionnières à la suite de l’analyse des entrevues, visait à adresser plus à fond des questions de recherche non suffisamment adressées par les réponses obtenues durant les entrevues. Des hypothèses peuvent aussi surgir à la fin de ce stage, ouvrant la voie pour les phases subséquentes d’analyse comme ce fut aussi le cas dans mon étude.

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Trois propositions théoriques (ou hypothèses de travail) ont émergé de façon spontanée (présentées dans le prochain chapitre). À l’instar d’hypothèses dans les études expérimentales, les hypothèses provenant d’approches telles que la TE ont une fonction suggestives plutôt que testées. Ces propositions théoriques ont donc permis de continuer à explorer plus à fond ce qui pouvait bien ‘se passer’ pour répondre aux questions de recherche. Elles offraient des balises permettant de poursuivre l’exploration de l’objet d’étude de façon encore plus focusée.

Deuxième phase d’analyse : Codage axial

Dans ma recherche, cette phase m’apparaissait au début comme celle intermédiaire dans une méthode mixte de recherche devant permettre d’élaborer le questionnaire pour la phase quantitative. Les propositions théoriques émergeantes m’ont menée à un exercice constructiviste débouchant vers un modèle théorique et appliqué sans que cela soit prédéterminé. Cette phase axiale fut déterminante pour un ancrage définitif dans la TE. Le concept de « codage axial » fut introduit par Strauss qui le voyait comme une composante du codage ouvert plutôt qu’un stage séparé d’analyse (Strauss, 1987, p. 32). Oktay (2012) mentionne que Charmaz et Corbin ont laissé tomber le codage axial comme une étape séparée du codage ouvert, mais elle-même le situe comme une étape à mi-chemin qui permet de faire un pont entre le codage ouvert et le codage sélectif (avancé ou théorique selon chacun). La flexibilité est de mise. Il importe de ne pas ‘forcer’ des données dans des stages et laisser l’analyse suivre son cours :

Whether axial coding is seen as a step that follows open coding or as part of open doing, the researcher is likely to be doing open and axial coding at the same time in the study, but for different concepts. That is, you might be working on axial coding for those concepts identified early in your analysis, while other concepts that continue to arise from new data sources require open coding. (Oktay, 2012)

En poussant plus à fond l’analyse de concepts découlant des propositions théoriques le codage axial permet de poursuivre l’exploration plus en profondeur des catégories et concepts venant du codage initial, d’où le terme « axial » expliqué par Strauss et Corbin (2004, p. 157) : « Le processus de mise en rapport des catégories avec leurs sous-catégories est appelé « axial » parce que le codage se produit autour de l’axe d’une catégorie, liant ainsi les catégories en fonction de leurs propriétés et de leurs dimensions ». L’objectif est de commencer le processus qui consiste à rassembler les données qui ont émergé pendant le codage ouvert et de relier les catégories à leurs sous-catégories sur le continuum de leurs propriétés et de leurs dimensions afin de voir comment elles s’entrecroisent et se lient entre elles. Cela permet de formuler des explications plus précises et plus complètes sur le phénomène à l’étude.

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La notion de catégorie dans cette approche pouvant être un phénomène, un problème, un enjeu, un évènement ou un fait défini comme étant significatif pour les répondants. Elle peut être aussi large que la négociation d’un accord de paix entre deux nations (Strauss & Corbin, 2004, p. 158). De plus, les unités d’analyse peuvent être des endroits sociaux, bref, ce que le chercheur considère avoir besoin d’explorer. La catégorie possède la qualité d’expliquer ce qui est en train de se passer alors que la sous-catégorie sert à répondre aux questions du quand, où, pourquoi, qui, comment et avec quelles conséquences, ce qui apporte au concept une puissance explicative (Idem). Ceci se fait au niveau conceptuel et non descriptif. Tel que vu plus tôt, les dimensions reliées entre les catégories viennent d’une analyse de ce que les participants aux entrevues ont dit, donc leurs propres mots, et/ou de la propre conceptualisation du chercheur.

Les axes d’analyse peuvent graviter autour de conditions, conséquences et relations entre des acteurs, des stratégies et autres éléments. MacDonald résume l’étape de codage axial comme étant: « Data put back together in new ways after coding, by making connections between categories using a coding paradigm: causal conditions, phenomenon, context, intervening conditions, action-interaction strategies, consequences » (MacDonald, 1990, icité par Schreiber & Stern, 2001, p. 146). Mon analyse a porté sur plusieurs de ces axes, ce qui a proféré une dimension systémique à l’objet d’étude notamment, fournissant un cadre de plus en plus explicatif sur ce qui ‘se passait’ en lien avec l’objet d’étude. La phase avancée de la recherche a contribué à faire un tri dans cet ensemble et positionner la théorie émergeante de façon plus précise.

Troisième phase d’analyse : Codage avancée (sélectif ou théorique)

Le codage sélectif est la phase avancée de l’analyse. Certains l’appellent la phase théorique car elle est caractérisée par un processus d’intégration et de peaufinage de la théorie (Strauss & Corbin, 2004, p. 179). Pour Charmaz (2006) il s’agit d’un codage théorique qui est plus sophistiqué que ceux des stages précédents. Les codes théoriques spécifient des relations possibles entre les catégories que le chercheur a développées dans le stage initial même. Les codes théoriques au niveau conceptuels pour Glaser montrent « comment des codes substantifs peuvent être liés les uns avec les autres à titre d’hypothèses pouvant être intégrées dans la théorie » (Charmaz, 2006, p. 63, citant Glaser, 1978). Pour ma part, des catégories et concepts issus de la première phase de codage ont effectivement trouvé une place de choix dans la théorie émergente, devenant de plus en plus denses selon des propriétés et des dimensions

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privilégiées en fonction du modèle théorique et appliqué émergeant. Le chercheur relie donc dans cette phase avancée d’analyse les concepts et les catégories les uns avec les autres, en mettant l’emphase sur le développement des relations entre les concepts et les catégories dans la théorie. Une façon de se faire est de les lier au niveau des propriétés et des dimensions. Les relations entre les divers concepts et catégories deviennent alors de plus en plus apparentes et se dévoilent de plus en plus. Nous sommes certes en présence du constructivisme du fait que les « construits » viennent de l’analyste qui se trouve à avoir réduit les données de plusieurs cas en concepts et en un ensemble explicatif d’énoncés relationnels (Strauss et Corbin, 2004, p. 181). Strauss et Corbin diront que les énoncés relationnels dans cette phase avancée reprennent rarement les mots exacts du participant (bien qu’il puisse y avoir des codes in vivo associés à ces catégories) et ils traduisent l’expression de plusieurs sujets d’étude. Ces énoncés de relations vont montrer le lien étroit des catégories avec un schème théorique plus large.

Dans la phase avancée du codage, l’analyste continue à faire des comparaisons et à poser des questions mais ces dernières sont différentes de celles identifiées plus tôt, portant maintenant sur le contexte et les conditions dans lesquels « quelque chose se passe » et les conséquences en jeu (Glaser, 1978, p. 72, cité par Charmaz, 2006, p. 75). Ces questions ne s’ajoutent pas tant aux questions de recherche initiales mais apportent des angles d’examen particuliers à l’objet d’étude, ce qui fut mon cas. De plus, le chercheur peut avoir fait une ou des hypothèses qui sont souvent spéculatives (Strauss & Corbin, 2004, p. 77), il utilise les idées qu’elles génèrent pour guider cette étape de collecte de données plus avancée et de cette façon, il utilise une logique liée à l’abduction, faisant un aller-retour entre la génération de la théorie et un testage de la théorie.

Dans mon cas, les propositions théoriques initiales se sont peaufinées en fonction de catégories devenant de plus en plus centrales en fonction de la théorie émergeante. Cette intégration se poursuit jusqu’à la fin de l’écriture finale, ce qui implique l’interaction entre l’analyste et les données (Strauss & Corbin, 2004, p. 180). Deux actions centrales prennent place dans le stage avancé d’analyse : identifier la catégorie centrale et assembler et expliquer la théorie, ce qui me fut très utile dans ce stage.

L’identification et l’utilisation d’une catégorie centrale aide le chercheur à ne pas être surchargé, dispersé ou trop vaste en termes de focus. La catégorie centrale représente le thème principal de la recherche et consiste ni plus ni moins en une catégorie au centre de tous les produits d’analyse que l’on peut condenser en quelques mots explicatifs sur ce en quoi consiste la recherche (Glaser, 2005). On peut la voir comme la catégorie liée à l’histoire principale au cœur de l’étude (La Rossa, 2005, cité par Feeler, 2012, p. 82) et dans cette phase avancée, elle a les liens les plus nombreux et puissants avec les autres

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catégories. Elle permet au chercheur de bien concentrer ses énergies et de discontinuer le codage ouvert et axial auprès de catégories et de concepts qui ne sont pas liés à la catégorie centrale (Charmaz, 2006). Parfois elle est assez claire tôt dans la recherche tout en évoluant vers une forme de codage de processus tel que ce fut mon cas. L’analyse qu’elle procure reflète la meilleure compréhension du chercheur par rapport à ce qui se passe en lien avec les données.

Dans la phase finale, l’analyste pourra aussi compléter des catégories insuffisamment développées (Strauss & Corbin, 2004, p. 196), ce qui peut demander de retourner faire une revue des mémos et des données brutes pour voir si des données ont été ignorées. Cela peut aussi se faire par voie d’une cueillette sélective de données avec un échantillonnage théorique. Mais on indique que l’analyste trouve toujours des lacunes quand il rédige et il doit savoir quand lâcher prise (Strauss & Corbin, 2004, p. 196). Tous les détails ne peuvent pas être entièrement développés et spécifiés. L’important est qu’une catégorie soit suffisamment développée en termes de propriétés et de dimensions pour en démontrer l’étendue de variabilité en tant que concept central pour la théorie émergente. D’où une analyse de variation pouvant prendre place détaillant cette variabilité et par le fait même renseignant sur le modèle émergeant, comme j’ai fait pour cette phase de recherche, présenté dans le chapitre 4.

Assembler et expliquer la théorie dans le codage avancé (sélectif ou théorique) implique pour le chercheur de réviser la théorie, c’est-à-dire de positionner les relations entre les catégories pour une complétude, une cohérence et une logique interne (Schreiber & Stern, 2001, p.83). Une analyse additionnelle peut être requise pour ficeler ensemble les composantes de la théorie ou remplir des vides qui demeurent et qui peuvent même être testée dans une ronde finale de cueillette de données. Le chercheur doit être capable d’expliquer le processus central de son étude en utilisant les concepts de la théorie et leurs interrelations. Les unités d’analyse dans la TE peuvent être des éléments autant micros que macros, telles des pratiques, relations, rôles, organisations ou cultures (Glaser, 1992, cité dans Charmaz, 2006, p. 63), en plus de pouvoir être des éléments tels des émotions, des processus cognitifs ou des sens (meanings) (Schreiber & Stern, 2001, p. 182). Le chercheur fait un va et vient entre ces dimensions micro et macro. On doit trouver au sein de la théorie une forme de processus, vu comme un type de codage particulier et qui peut même prendre la place de la catégorie centrale.