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CHAPITRE 2. Cadre théorique

2.6 Biais du chercheur au niveau théorique

Afin d’assurer la validité et la fiabilité de cette étude doctorale, mais aussi pour répondre à des impératifs de vérification, j’ai pris en compte les recommandations d’auteurs chevronnés en lien avec chacun des aspects de cette étude : autant pour la phase qualitative que quantitative mais aussi en ce qui concerne les cadres conceptuel et méthodologique de l’étude. La notion de réflexivité est ici interpellée et centrale en recherche. Définie comme « a consciously reflective process » (Mc Ghee et al., 2007), elle réfère au processus emprunté par le chercheur pour être conscient et réflexif sur les façons dont ses questions, méthodes et propre position subjective ont un impact sur la connaissance produite dans sa recherche. Coproducteur des résultats produits, la réflexivité aide le chercheur dans la reconnaissance et l’exploration de ses biais de façon transparente tout au long de la recherche et pour trouver des façons de les mitiger (Idem). Les mémos s’avèrent utiles pour une prise de conscience de biais comme chercheur et des questions peuvent le guider. À cet effet, voici des réponses fournies en début et en cours de recherche à titre de chercheur, à partir d’une liste de questions suggérées par divers auteurs (voir l’annexe F pour celles offertes par Langdridge, 2007, p. 59).

Quel est mon profil et biais comme chercheur ? Cette question amène à voir comment la recherche peut être influencée par l’âge, l’ethnicité, le genre et autres variables associées à la vision du monde du chercheur. En début de recherche, j’ai écrit le mémo suivant qui reprend des prédispositions vues au premier chapitre :

Mémo. En tant qu’étudiante-chercheure, je saisis l’occasion de faire preuve de transparence en lien avec l’objet d’étude : Je ne suis ni juive, ni arabe, palestinienne ou liée de près à ce conflit par la famille, les amis, le travail ou autre. Je porte un plus grand intérêt sur ce conflit depuis que j’ai vu sur Internet, au début septembre 2009, la philosophie et les activités de l’organisme The Compassionate Listening Project. L’approche de l’écoute compassionnelle a tout de suite raisonné fortement en moi. Notamment en ce que je cherchais et tentais de démontrer avec un autre sujet de doctorat portant sur une initiative citoyenne sur la compassion à large échelle en collaboration avec le Dalai Lama. Je m’intéresse à la valeur universelle de base de la compassion depuis plus de 12 ans et je suis de près les travaux et conférences du Dalai Lama depuis ce temps. Son message, raisonnement et pistes d’action pour répondre à divers besoins du XXIème siècle trouve écho en moi. Cela est dû autant à des intérêts personnels qu’académiques, mais surtout à mon expérience de travail dans les services sociaux et en santé (physique et mentale). Afin de mieux me guider dans le domaine de la construction

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de la paix j’ai changé de directeur de recherche. Le fait que son approche intervisionnelle ait résonné de vérité en moi n’est aussi pas étranger à ce choix. Elle rejoint l’esprit de l’approche étudiée. Ce qui me permettra d’apprendre sur ce qui m’interpelle par le sujet et d’être guidée par ce directeur de thèse qui se trouve aussi à très bien connaître le conflit israélo-palestinien et a vécu dans sa région quelques années.

Le biais le plus important possiblement est que je crois en la valeur de cette approche, ou surtout de la compassion, mais je sais aussi que les découvertes peuvent se situer à des ‘endroits’ non soupçonnés. Je suis demeurée et demeure à distance et à l’affût de toute émergence en termes d’insights et de découvertes comme étudiante-chercheure. Pour ce faire un état de doute continu m’a habitée et m’habite comme étudiante-chercheure, un doute qui me semble sain et que je tente de refléter dans les chapitres de cette thèse en étant transparente et explicative sur mes choix. Ceci étant dit, je ne peux nier des facteurs identitaires qui influent sur ma vision du monde, dont les suivants.

Affiliation religieuse et spirituelle. Je suis québécoise « de souche » (10ème génération d’ancêtres venus

de la France), blanche, venant d’une famille catholique et baptisée. En cours de vie, j’ai développé un intérêt pour la philosophie et psychologie bouddhistes, qui fait en sorte que je m’intéresse plus particulièrement aux valeurs humaines universelles de base tel que décrit dans ce deuxième chapitre liée à la description qu’en fait le Dalai Lama. Ceci dit, je m’identifie aussi à ma religion et suis croyante mais ce qui m’intéresse dans ma religion est « le cœur de Jésus » au niveau symbolique, sa force d’amour, charité et accueil de l’autre. Ce qui pour moi réfère à « l’essentiel » alors que ce qui relève de l’institution (dogmes, doctrines) m’interpelle moins. En ce sens, je me situe plus dans la dimension mystique et intéressée à celle-ci dans toute tradition spirituelle et religieuse. Une partie séminale du modèle en cours de développement réfère à des éléments issus du catholicisme mais qui peuvent aussi s’appliquer à d’autres traditions. C’est le coeur du propos en lien avec ce développement qui a eut résonnance, en plus du fait qu’il apportait des réponses à la réflexion en cours tel que nous le verrons dans le cahpitre 4.

Affiliation idéologique, dont avec le conflit israélo-palestinien. Mes allégeances avec le conflit israélo- palestinien sont sincèrement assez neutres, et ce, de façon choisie pour les besoins de la recherche. Je suis consciente d’asymétries en termes de dynamiques de pouvoir au sein de ce conflit à divers égards. Ma perspective est liée à un vécu occidental et de race blanche et peut apporter une certaine distance au fait que je ne suis ni juive ni palestinienne et/ou arabe et/ou musulmane. Ceci peut aussi amener une difficulté à saisir des nuances liées à ce conflit venant de l’intérieur, dont en lien avec des facteurs identitaires tels que religieux, familiaux et autres. J’étais et suis consciente de ce double effet tout au long de la recherche (positif via une certaine distance et négatif par le manque d’expérience). Ceci dit, j’ai

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acquis des connaissances et un certain vécu via la recherche et la participation sur le terrain, lesquels

m’amènent à la fin de cette étude à me sentir à l’aise avec les diverses étaps et résultats de la recherche.

Affiliation professionnelle. Je cumule autant des expériences d’intervention clinique en travail social auprès de diverses clientèles défavorisées et en crise, que de planification, développement et réalisation de programmes et projets divers en santé et services sociaux. À titre de consultante maintenant je suis intéressée à faire une contribution qui inclut la dimension spirituelle et relationnelle pour le mieux-être individuel et collectif. Ceci explique une source de motivation à faire l’étude et en même temps un biais en ce sens qu’une question de recherche porte à vouloir mieux comprendre le processus et le type de spiritualité à l’œuvre dans l’approche étudiée et donc me menais à rechercher cette dimension. Ceci dit, je la sais à l’œuvre en intégration par rapport aux autres dimensions de l’être, ce qui aussi transparaît dans mes choix de certaines catégories d’analyse des données qualitatives des deux phases de la recherche.

Dans un autre ordre d’idée, trois ans après le début de ce projet d’étude j’ai choisi de suivre la certification à l’approche de l’ÉC offerte par TCLP et en grande partie la raison étant de poursuivre ma familiarisation avec cette approche sous un autre angle. Cela a pris place suivant l’analyse des entrevues et en cours d’analyse des écrits des pionnières et du traitement des observations, donc s’inscrivant bien dans cette étape en termes d’apprentissage. J’expose dans les prochains chapitres des détails entourant cette certification et des biais pouvant lui être associée selon la nature de ces chapitres.

Pourquoi je mène cette étude ? Je veux contribuer au domaine de la construction de la paix une dimension prosociale liée au potentiel humain et au capital social. J’ai débuté les études doctorales à l’âge de 48 ans et avait déjà une carrière dans le milieu de la santé comme planificatrice des services de santé pour une autorité régionale en santé en Ontario. Mais je voulais y apporter une expansion et un ressourcement pour continuer à contribuer mes habiletés, connaissances et expertises vers ce plus ou ‘edge’ au niveau spirituel énoncé dans le premier chapitre, dont lié à la valeur universelle de base qu’est la compassion telle que la présente le Dalai Lama. Je n’avais pas l’impression qu’un doctorat en sciences des religions allait apporter de nombreuses opportunités de carrière à l’instar d’un doctorat en psychologie ou en administration des services de santé par exemple, ce que j’aurais très bien pu choisir. Je voyais plutôt une trajectoire professionnelle pouvant cheminer vers l’intégration de cette dimension de la compassion et que j’ai réalisée en devenant consultante et retournant à un travail clinique pendant les études. Des expertises poussées en termes de développement et mise en place de programmes divers sur le terrain m’ont certes menée à envisager comment la connaissance générée par le modèle émergeant

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pouvait être transférable en programme et initiative sur le terrain, étant spécialisée dans ce type de fonction au niveau professionnel. Mais je n’avais pas envisagé ce développement en début d’étude mais voulait surtout étendre mes connaissances.

Qu’est-ce que je veux accomplir avec cette recherche ? Une étude porteuse pour la recherche et le travail sur le terrain. Il reste à voir ce que cette étude saura générer dans le futur en termes de responsabilisation et d’explications à l’appui soutenues par le modèle présenté dans la thèse pouvant faire œuvre utile.

Est-ce qu’il y a des pressions externes qui influencent cette recherche ? Aucune. Si bien que durant l’étude, lorsque je pensais à la façon dont les résultats pouvaient être utiles sur le terrain, je me disais que j’allais privilégier des sources de financement les plus neutres possibles pour garder cette autonomie intellectuelle. Ce qui m’intéresse est de ‘découvrir’ et en ce sens, la distance et l’ouverture comme chercheur m’a permis de ne pas rester fixée dans un cadre précis de l’évolution théorique de la recherche en dehors des quelques biais énoncés dans cette section. Pour Thornberg (2012), ce qui peut guider le chercheur dans cet équilibre délicat est de s’amuser théoriquement, ce que je confirme avoir fait tout au long de l’étude comme en fera foi les prochains chapitres, tout en demeurant rigoureuse dans la recherche.

En ce qui concerne le contenu du cadre conceptuel présenté dans ce chapitre, il faut noter qu’outre quelques écrits des pionnières sur l’ÉC, les autres références n’étaient pas aussi développées en début d’étude qu’elles apparaissent dans le présent chapitre. Ceci, jusqu’à la fin de l’analyse et à plusieurs égards beaucoup plus tard. Les questions exploratoires dressaient certes la table en un sens comme nous verrons dans le prochain chapitre, mais je partais avec l’idée de base de laisser le terrain se dévoiler. L’utilisation intuitive d’équivalences entre les composantes du modèle de recherche sur l’amour compassionnel et le Kun long (wa) tibétain et la façon de traiter la notion de la réponse du cœur comme une caractéristique de l’amour compassionnel allait prendre place plus tard dans l’étude.

Je me suis d’ailleurs assurée dans le questionnaire en ligne aux délégués d’inclure les caractéristiques de l’amour compassionnel pour voir jusqu’à quel point celles-ci résonnaient en lien avec leur expérience de la pratique de l’ÉC et les résultats sont concluants comme nous le verrons au chapitre cinq. Ces résultats me confèrent l’assurance d’utiliser cette notion dans le cadre conceptuel de la façon choisie, sachant de toute façon que son modèle pour la recherche vise ce but d’adaptation au gré des chercheurs. De plus, l’étude s’étant échelonnée sur quelques années, un retour à la littérature plus tard en fin d’écriture pour mettre à jour les sources bibliographiques ont fourni des indices supplémentaires sur le type de

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contribution de l’étude et du modèle, reposant sur ce schéma conceptuel de base bien qu’un schéma conceptuel plus avancé allait suivre. Ce qui se trouve dans ce chapitre englobe bien ce qui allait suivre. Les biais reposent sur les choix basés sur des instincts certes de chercheur mais aussi des intérêts liés à qui je suis et ce qui m’interpelle.

Je suis consciente finalement que certaines notions n’ont pas été exhaustivement définies et examinées car le projet a une étendue importante en termes de thèmes clé et aussi parce qu’en cours d’analyse des données, pour laisser le terrain émerger, j’ai senti le devoir de donner des définitions de base aux termes pour ne pas biaiser leur contribution au modèle final. Ce chapitre reflète en partie cet état de fait. Des recherches futures et articles et ouvrages associées vont pousser plus à fond ces définitions et explications selon des disciplines, dont les notions d’intention et motivation en psychologie cognitive et comportementale ; des traditions spirituelles et religieuses en sciences des religions ; et la fonction de l’écoute en communication dans les sciences sociales. Je suis restée intègre dans cette fidélité aux limites intuitives que je portais aux définitions pour ne pas forcer les données dans des cadres au détriment de ce qui se dévoilait réellement sur le terrain au niveau méthodologique.

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