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CHAPITRE 3. Cadre méthodologique

3.2 Cueillette des données et recrutement des participants

3.2.1 Phase qualitative : Entrevues semi-ouvertes, observation participante et analyse

Les entrevues semi-ouvertes. Les questions posées lors d’entrevues peuvent être ouvertes, semi- ouvertes ou fermées. Ces dernières visent l’obtention de réponses courtes et simples telles que « oui » ou « non », offrir un choix multiple de réponses ou recueillir de l’information simplifiée telle qu’on retrouve dans le profil des répondants (genre, profession, etc.) (Feeler 2012, p. 68). Les questions fermées tendent à arrêter la discussion car il y a peu de raison ou d’opportunité d’élaborer au-delà d’une réponse courte, donc « fermée » à l’élaboration ou la discussion. Mon choix s’est porté sur des questions ouvertes et

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semi-ouvertes en ce qui concerne les entrevues, permettant aux interviewés d’élaborer leurs réponses de leur propre façon, encouragés par le chercheur pour se faire (Holsetin & Gubrium 1995, cité par Feeler, 2012, p. 70). Ils formulent leurs propres concepts et réponses en fonction de leur expérience sur le sujet d’étude car les questions ouvertes sont une invitation à explorer leurs expériences et leurs pensées sur le sujet, ainsi que de verbaliser et révéler leurs perspectives (Saks et Allsop, 2013, p. 88). Le gabarit de base utilisé pour les entrevues en Israël-Palestine fut constitué de deux pistes générales exploratoires guidant les questions. Langdridge nomme une variante utilisée pour la recherche phénoménologique en psychologie dite interprétative selon Nigel King de l’Université de Huddersfield en Grande-Bretagne reconnu pour se faire dans ce créneau de recherche (Langdridge, 2007, p. 56)56. Une distinction entre la

recherche phénoménologique en psychologie et la TE au niveau des questions d’entrevues est qu’avec la TE, le chercheur peut modifier ses questions d’entrevue en cours d’entrevue. J’ai suivi ces deux pistes initiales (première et quatrième question ci-bas) et les quatre autres se sont immiscées en cours d’entrevue fournissant des éléments de réponse aux questions de recherche. Le tout était exploratoire donc les questions pouvaient être posées selon le déroulement de l’entrevue dans cet ordre ou non sauf pour la première question, à titre de guide d’entrevue semi-dirigée. Une familiarisation sommaire avec les écrits des pionnières sur l’ÉC et des interrogations en début de recherche ont donc mené aux questions/pistes exploratoires suivantes (traduction libre, voir le gabarit original en anglais à l’annexe A).

1. Pouvez-vous me décrire avec le plus de détails possibles, votre expérience de procurer/recevoir de la compassion avec la méthode de l’écoute compassionnelle ? Posée selon les règles de l’art en recherche phénoménologique en psychologie (Bachelor & Joshi, 1986), cette question vise à laisser la personne parler de son expérience librement. Ensuite des questions sont posées sur des éléments importants qu’elle a soulevés dans le but qu’elle élabore pour éclairer cette expérience. Le choix de formulation « procurer de la compassion » est inspiré de la piste de recherche mentionnée dans le premier chapitre, provenant du rapport du directeur de recherche du Mind and Life Institute à sa conférence en octobre 2009 où il manquait de recherche sur ce que signifie procurer et recevoir de la compassion.

2. Avez-vous remarqué des effets physiologiques découlant de l’action de procurer de la compassion pendant les sessions d’écoute ? (Pour vous ou auprès des invités) ? Cette question

56 Pour cette méthodologie et partie de ma recherche, j’ai suivi les instructions selon Darren Langdridge. Il a publié en 2007 un ouvrage guide sur la recherche phénoménologique en psychologie intitulé Phenomenological Psychology : Theory, Research and Method. Il s’agissait d’un des rares ouvrages présentant un aperçu global et assez complet sur cette méthode selon ce que j’ai pu constater dans la littérature.

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vise à voir si dans cette action de procurer de la compassion et de l’ÉC entraient en jeu des effets physiologiques, liés ici à des intérêts de recherche concernant les notions pro sociales telles la compassion dans des organismes tels que le Mind and Life Institute et au sein des sciences contemplatives. Mon intérêt en santé et bien-être nourrit certes cette curiosité.

3. Qu’est-ce qui vous a prédisposé, au niveau du cœur et de l’esprit, à participer à cette expérience (TCLP et la pratique de l’ÉC) ? Qu’est-ce qui vous a motivé, pour quelle(s) action(s) ? Cette question exploratoire réfère à la notion globale en tibétain du Kun long (wa) de l’individu : « son état d’esprit et de cœur, sa motivation au moment de l’action » (His Holiness the Dalai Lama, 1999, p. 27). Cette notion est en écho avec les composantes centrales du modèle pour la recherche sur l’amour compassionnel tel que vu dans le deuxième chapitre. Par cette question, je visais un angle d’exploration du processus en jeu dans la fonction de procurer de la compassion impliquant ces éléments au niveau intrapersonnel et interpersonnel qui allait prendre de l’ampleur dans la phase qualitative de recherche suivant les entrevues (sans en être pleinement consciente à ce moment-là).

4. Avez-vous expérimenté un moment, une impression ou une expérience, avec l’ÉC, pendant que vous procuriez de la compassion, ou lors d’une session d’écoute, où votre identité humaine est devenue plus importante que les autres dimensions de votre identité ? Par exemple, politique, religieuse, économique, etc. ? Dans le cas d’une réponse positive, suivaient les questions : Quel fut le déclencheur de ceci selon vous ? Expliquez. Comment cela se manifeste-t-il ? Que ressent-on à ce moment-là ? Y a-t-il eu une sorte de déclic, de changement (shift) ou autre accompagnant ceci ? Cette question exploratoire et sous-questions découle de ma propre expérience lors d’un cours d’été universitaire dans le cadre de mon cheminement comme doctorante, sur l’approche de dialogue intervisionnel du professeur Patrice Brodeur à l’Université de Montréal. Une expérience personnelle vécue lors d’un échange avec un autre étudiant dans ce cour m’a amenée à voir qu’un certain type de qualité relationnelle impliquant un état et sentiment de compassion envers l’autre semble amener un assouplissement de la détresse vécue par cette personne et principalement en lien avec des aspects de son identité. Une sorte de « déclic » particulier semblait avoir pris place à la suite de cette réalisation personnelle j’ai convenu que cette question pouvait être ajoutée (Brodeur, 2010, commmunication personnelle). Elle apporte le concept d’identité humaine commune à explorer en regard d’autres facteurs identitaires (tels politique, reigieux, économique, etc,) et des déclics en ce sens.

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5. Quel a été l’impact de la méthode de l’ÉC sur vous jusqu’à maintenant ? (Ce qui peut être suivi par la question : Est-ce que cela vous a transformé, ou apporter une forme de guérison quelconque ?) Ce qui est visé ici est d’obtenir des éléments de réponse à la question de recherche portant sur le type de transformations, voire de guérisons (healing) témoignées dans les écrits de TCLP. J’ai choisi de ne pas utiliser les mots ‘transformation’ et ‘guérison’ pour ne pas présupposer de leur existence et garder la question plus vaste avec le terme d’impact. Selon les réponses obtenues, je pouvais voir de quels types de transformations, voire de « guérisons » il pouvait s’agir.

6. Comment voyez-vous la méthode de l’ÉC figurer au sein du Spectrum des efforts pour la construction de la paix ? Quel est son rôle ? A-t-elle une place ? Les réponses allaient fournir de l’information sur le type de contributions que l’ÉC apporte au domaine de la construction de la paix, son rôle et sa place selon l’approche préconisée par TCLP (Cohen, 2011). Elle vise à déceler des indices à savoir si cette approche peut être précurseur d’un dialogue véritable tel que le clament les pionnières à l’ÉC, en plus de fournir des indices potentiellement sur le type de spiritualité à l’œuvre. Sans aborder ces éléments de front évidemment, laissant les réponses fournir des indices ou non en ce sens.

Le recrutement des participants aux entrevues et leur déroulement. Avant mon départ en Israël- Palestine en 2010 un certificat éthique fut émis par le Comité plurifacultaire d’Éthique de la recherche de l’Université de Montréal permettant de faire les entrevues (voir l’annexe B-1). J’ai fait parvenir par courriel une lettre formelle de présentation de la recherche aux participants à la délégation (délégués) expliquant en quoi ma recherche consistait, exprimant le désir de procéder à des entrevues individuelles et expliquant les exigences éthiques dont le consentement individuel. Lors de la première journée de délégation à Jérusalem, j’ai expliqué de vive voix aux délégués ces éléments et j’ai répondu à leurs questions. Ils ont accepté de signer le formulaire de consentement, accompagné de la lettre de recrutement envoyée auparavant par courriel (voir l’annexe C).

Le choix des participants aux entrevues s’est fait selon un échantillonnage de convenance (convenience sampling), c’est-à-dire selon la facilité de recrutement en termes d’accessibilité (Saks et Allsop, 2007, p. 158). Au hasard et sans exclure aucun candidat, je demandais à des co-délégués s’ils acceptaient de faire une entrevue et nous convenions d’un endroit et d’un bon moment pour ce faire. Ce qui était en général dans le hall d’entrée ou le restaurant des hôtels où nous logions. Cela pouvait être en début, mi ou fin de journée selon le temps libre que nous disposions à partir d’un horaire très chargé. Ceux et celles

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volontaires choisissaient de passer ces rares moments libres à passer l’entrevue, d’où l’échantillonnage de convenance.

La majorité des entrevues ont pris place dans le dernier tiers du voyage et les trois jours suivant la délégation lors d’un complément de voyage57. J’ai reconfirmé en début d’entrevue leur consentement

qu’ils avaient préalablement signé (voir le formulaire à l’annexe C) et je réitérais la possibilité pour eux de se retirer de l’entrevue en tout temps et de refuser de répondre à des questions. Quinze personnes furent interrogées sur un maximum de 23 personnes que constituait la délégation complète en 2010. Aucune ne s’est retirée en cours d’entrevue. L’enregistrement électronique d’une entrevue a été perdue, donc le total pour l’analyse de cette recherche fut de 14 entrevues. Cela comprend 10 femmes et 4 hommes âgés entre 25 et 70 ans. Douze sont de nationalité américaine et 2 de nationalité canadienne. Ils sont de confession religieuse variée : chrétiens, juifs, musulmans, bouddhiste et athées. Il ne s’agissait pas d’une question formelle mais de l’information partagée en cours de délégation. Je suis demeurée neutre quant au choix des participants sur cette question d’affiliation religieuse et les autres facteurs identitaires, l’important étant d’avoir des participants selon les limites de temps nommées plus haut. Certains avaient suivi la formation d’introduction à l’ÉC avant la délégation et aucun n’avait suivi la formation avancée sauf une répondante qui était une facilitatrice à l’ÉC. Les entrevues duraient en moyenne une heure, ce qui suffisait pour couvrir les questions du gabarit de base, sachant que le contexte intensif de la délégation facilitait aussi le partage. Plusieurs m’ont souligné avoir aimé l’expérience de l’entrevue et ont trouvé les questions fort à propos pour partager sur leur expérience de la pratique de l’ÉC et l’impact sur eux.

L’observation participante et l’analyse documentaire. L’observation participante : « Est une technique de recherche qualitative qui convient bien à la situation du chercheur qui souhaite comprendre un milieu social qui lui est étranger ou extérieur au départ, lui permettant de s’intégrer progressivement aux activités des gens qui y vivent » (Lessard-Hébert et al., in Mayer et Ouellette, 1991, p. 405). Elle part du principe que l’analyste ou l’observateur va se mêler à la vie d’un groupe, participer à ses diverses activités et s’efforcer de comprendre de l’intérieur les attitudes et les comportements qu’il juge significatifs (Mayer & Ouellette, 1991, p. 402). Cela permet de passer d’une vision extérieure à une analyse du vécu des participants de l’intérieur (Idem., p. 404). L’observation participante est utile dans un stage exploratoire de la recherche car elle a pour fonction de : « Map out variables in a field and

57 Neuf des 23 participants à la délégation de 2010 ont participé à un complément de voyage organisé par une des facilitatrices qui était guide de voyage dans la région à ce moment-là.

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generate hypotheses for testing in later quantitative studies. They can also have a role in making sense of observed correlations or patterns in quantitative data by elucidating the social processes that produce these patterns (Saks & Allsop, 2007, p.94). Le rôle de l’observateur porte en grande partie sur les processus et les pratiques en lien avec son objet d’étude et, en ce sens, j’ai pu mieux comprendre l’approche de l’ÉC à la lumière des questions de recherche notamment.

L’observation participante pour cette recherche comprend quatre segments. Elle a débuté dès ma participation aux formations à l’ÉC en 2009 à Baltimore aux États-Unies, suivie de deux formations avancées près de Seattle aux États-Unis, avant la délégation. Elle s’est poursuivie durant la délégation de 2010 à laquelle j’ai participée. Puis, elle s’est continuée en 2011 tout le long du processus d’obtention de la certification à l’ÉC qui m’a amenée à observer d’autres participants, cette fois-ci ceux et celles venus aux ateliers que j’offrais sur l’ÉC58. L’observation participante m’a permis de recueillir des impressions,

faits, expériences et intuitions (insights) dans les rôles autant de participante que d’observatrice. Au début, mon regard (donc les observations) était plutôt naïf : un terme utilisé pour décrire une observation participante dite libre par De Robertis et Pascal et décrite de la façon suivante : « Le chercheur ne part pas avec des grilles d’observation préétablies, découpant à l’avance le réel ; il pose un regard naïf, non pré codé, sur le terrain. Cela est utile pour explorer et découvrir un nouveau terrain d’intervention. » (De Robertis & Pascal 1987, p. 88 in Mayer & Ouellette, 1991 p. 403). Telle fut ma prédisposition et motivation dans les débuts de la recheche. Malgré le gabarit de base pour les entrevues, le terrain avait préséance en ce sens que pour moi « tout pouvait arriver » m’informant de pistes supplémentaires cruciales. Je prenais des notes et écrivais des mémos, un outil important dans la TE, commenté plus loin.

Charmaz place les observations du chercheur parmi une série de sources de données à traiter : « Grounded theorists start with data. We construct these data through our observations, interactions, and materials that we gather about the topic or setting. We study empirical events and experiences and pursue hunches

58 La certification à l’écoute compassionnelle comprend plusieurs exigences dont former et faciliter un groupe devant recevoir les enseignements et effectuer les exercices pratiques dans le curriculum développé par TCLP. J’ai offert cette formation à un groupe formé de membres du Groupe de dialogue Montréal Dialogue Group, composé d’arabes et de juifs se réunissant dans des activités dialogiques et interculturelles depuis plusieurs années. J’ai mené auprès d’eux une session de trois heures par mois pendant un an en 2012. Cette expérience et les autres tâches liées à l’obtention de la certification m’ont permis d’être témoin de maintes expériences et facteurs d’impact de cette approche sur les participants et ainsi mieux comprendre cette approche et poursuivre des interrogations en lien avec le projet de recherche. J’ai de plus offert la formation d’introduction à cette approche à des groupes tels des bénévoles dans les prisons et les hôpitaux de la région de Montréal en 2013. J’ai utilisé par la suite certains aspects de cette approche dans mes activités cliniques professionnelles, ce qui me permettait aussi de continuer à en voir la portée.

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and potential analytic ideas about them ». (Charmaz, 2006, p. 3). Les notes d’observations peuvent être descriptives, interprétatives et apporter des idées en lien avec les observations du chercheur. Ces notes peuvent être revues, commentées, classées et peaufinées (Oktay, 2012).

L’analyse documentaire quant à elle est un outil de recherche où le chercheur va soutirer de l’information importante pour son étude à partir d’écrits crées par d’autres que lui ou elle. Il s’agit ici de textes que Charmaz nomme « extant », c’est-à-dire des textes où le chercheur n’a joué aucun rôle pour les produire. Il peut s’agir d’autobiographies et de biographies (Charmaz, 2006, p. 37) comme ce fut mon cas avec l’ouvrage d’Anthony Manousos, éditeur et compilant des écrits de Gene Knudsen Hoffman et présentant sa biographie, publié en 2003. L’analyse de textes dans cette recherche a porté sur les écrits formels des pionnières de l’ÉC et quelques rares ouvrages connexes comme la thèse de Pace. L’analyse de textes complémentent des méthodes telles des entrevues (Charmaz, 2006, p. 37) et peut être utilisé comme matériel menant à de nouvelles questions de recherche. Dans cette étude, des questions supplémentaires se sont ajoutées aux questions de recherche de base comme nous verrons au chapitre suivant découlant du traitement d’observations et de l’analyse documentaire. Ceci, bien que les questions initiales de recherche soient demeurées centrales. L’analyse de texte a surtout permis de fournir des réponses à des questions de recherche non suffisamment répondues lors des entrevues. Elle a aussi généré des pistes de recherche émergentes et dans la TE le chercheur traite les textes comme des données à traiter en lien avec ses questions de recherche, même si ces textes ont été créés par d’autres et pour diverses raisons (Charmaz, 2006, p. 35). La parution en 2011 du deuxième guide sur l’ÉC fut un écrit important en tant que le seul ouvrage regroupant les éléments essentiels de près de 20 ans de pratique sur le terrain, donc un document important pour en analyser le contenu.