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CHAPITRE 3. Cadre méthodologique

3.1 Design de recherche et la méthodologie centrale : Méthode mixte de type exploratoire

3.1.1 Concepts centraux dans la théorie enracinée

La figure 3 montre des concepts clé dans la TE selon trois niveaux : stratégique (objectifs), tactique (moyens pour ce faire) et opérationnel (actualisation). Ils s’emboîtent tels des poupées russes de la dimension la plus large à la plus détaillée. Les deux premiers niveaux sont présentés dans ce qui suit et le troisième suivra dans la section sur l’analyse des données de ce présent chapitre.

Niveaux Éléments centraux dans la théorie enracinée Stratégique

Ce qui différencie la théorie enracinée d’autres méthodes qualitatives au niveau stratégique :

- Aller au-delà de la description avec un ordonnancement conceptuel, précurseur de la théorisation.

- Laisser émerger une théorie de l’analyse des données. Tactique

Les moyens privilégiés pour actualiser cette stratégie :

- Les deux actions centrales de la TE : Une analyse comparative constante et poser des questions.

- Un échantillonnage, sensibilité et saturation théoriques. Opérationnel

Les éléments permettant de réaliser ces moyens tactiques :

- Des formes et stages de codage particuliers à la TE pour l’analyse des données.

- L’utilisation de mémos, matrices, schémas et diagrammes dans le traitement des données.

Figure 3 : Thèmes centraux dans la théorie enracinée selon des dimensions stratégique, tactique

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Au-delà de la description : de l’ordonnancement conceptuel à la théorisation.

Strauss et Corbin voient la TE de type constructiviste dépasser la simple description que l’on retrouve souvent en recherche pour aller vers ce qu’ils appellent un ordonnancement conceptuel, lequel est précurseur de la théorisation : la tâche centrale dans la TE (Strauss & Corbin, 2004, p. 47). La description permet aux chercheurs en général de dépeindre une situation avec la distance nécessaire les menant à interpréter des évènements et expliquer comment ils prennent place disent-ils, ajoutant que plusieurs formes d’ordonnancements conceptuels font partie de l’analyse en sciences sociales car les chercheurs tentent de donner un sens à leurs données. Ils les organisent selon un schéma de classification particulier et par le fait même identifient des éléments propres à ces données selon diverses propriétés et dimensions, ce qui devient le fondement de l’ordonnancement conceptuel (Strauss & Corbin, 2004, p. 39). Cette différenciation des éléments entre eux et entre des catégories est ce qui mène à la théorisation qui est : « L’acte de construire un schème explicatif à partir des données, qui intègre de façon systématique divers concepts à travers des énoncées de relation » (Strauss & Corbin, 2004, p. 43). Les auteurs disent utiliser le verbe construire ici dans le sens où, dans la TE, le chercheur apporte une extension théorique aux dimensions et propriétés associées aux données et ainsi une couleur particulière est apportée à la théorie émergente. Une théorie bien développée est celle dans laquelle les concepts sont définis selon leurs propriétés et leurs dimensions spécifiques qui est cet ordonnancement conceptuel. Lequel est précurseur de la théorisation et met à profit l’intuition ou la conceptualisation d’idées et de concepts formulés dans un schème logique, systématique et explicatif de la part de l’analyste :

La théorisation est constituée par l’interaction entre l’élaboration des inductions (dérivant des concepts, de leurs propriétés et des dimensions des données) et des déductions (faire des hypothèses par rapport aux relations entre les concepts). Des relations qui dérivent elles aussi des données, mais de données qui ont été abstraites des données brutes par l’analyste. (Strauss et Corbin, 2004, p. 43)

La théorie est plus qu’un ensemble de résultats et apporte une explication aux phénomènes en présentant un certain ordonnancement conceptuel. Ainsi, en cours de collecte et d’analyse des données j’ai pu voir le rôle de l’intuition et de la conceptualisation d’idées et de concepts à titre d’analyste dans la préoccupation première de répondre aux questions de recherche. Ceci a mené à une forme d’ordonnancement conceptuel particulier à travers les stages d’analyse et des variations tel qu’il est prévu avec la TE (Idem., p. 40). Sehreiber et Stern expliquent: « Grounded theory was designed to reveal the human characteristic of change in response to (or anticipation of) various life circumstance » (Shreiber

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et Stern, 2001, p. xvii). Le processus de théorisation permet un raffinement des catégories et des concepts découlant de la collecte et de l’analyse de données (Morse in Schriber & Stern, 2001, p. 9). Le but pour le chercheur n’est pas de « prouver » des éléments dans une logique de cause à effet, donc d’entrevoir comme linéaire ces va-et-vient entre induction et déduction, mais plutôt de procéder à des analyses déductives en testant la théorie émergente et déceler une forme de raisonnement lié à l’abduction. Ceci peut mener à la formulation d’hypothèses (Deely, 1990 ; Fann, 1970 ; Rosenthal, 2004, cité dans Charmaz, 2006, p. 103) comme ce fut le cas avec ma recherche. Elles ouvrent la voie à la théorie émergeante qui se voit consolidée à travers les stages d’analyse. La construction de la théorie découle de cette théorisation continue à partir d’un ordonnancement conceptuel particulier. Deux tâches principales permettent d’y parvenir.

Les deux tâches centrales dans la TE : L’analyse comparative constante et poser des questions. Faire une analyse comparative constante et poser des questions sont les deux tâches principales dans la TE. Dans leur ouvrage publié en 1967, Glaser et Strauss envisagent la superposition de divers types de codage avec une analyse comparative constante des données qu’ils appellent « the cumulative nature of knowledge and theory » (Glaser & Strauss, 1967, p. 35, cité dans Feeler 2012, p. 79). Shreiber et Stern expose le rôle de l’analyse comparative constante dans la TE :

Because grounded theory is an exploratory method of research, it does not begin from a position of an existing theory and predefined concepts. Rather, as the data, which can be anything, are collected, coded, and analysed simultaneously, concepts and properties become evident (Glaser et Strauss, 1967). Grounded theory is sometimes referred to as the constant comparative method because every piece of coded data is compared with every other piece of data, with concepts and categories, and with all levels of abstraction as the developing theory begins to take form. At each stage of analysis, hypotheses or hunches are generated and tested against the data so that a core category and an explanatory theory of behavior arise from that data. (Shreiber & Stern, 2001, p. xvii)

Il faut comprendre qu’avec la TE, toutes les formes de données, catégories, propriétés et autres éléments recueillis en cours de recherche peuvent être comparés ensemble avec comme seul but d’aider à comprendre le phénomène à l’étude (Charmaz, 2006). De l’analyse comparative constante émerge des catégories, lesquelles aident à dépasser la seule description (Oktay, 2012, p. 70) tel que vu plus tôt. C’est ce qui a pris place dans mon étude dans le croisement et l’analyse continues de données provenant des divers outils de collecte de données. Qui plus est, mes divers rôles d’étudiante-chercheure, observatrice, participante et facilitatrice à l’ÉC combinés à mes acquis et expérience professionnelle continue en cours de recherche où j’utilisais des dimensions de l’approche de l’ÉC m’ont permis d’examiner et de

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comprendre l’objet d’étude selon divers prismes. Tout ceci m’a permis d’aboutir à un certain ordonnancement conceptuel et théorie reflétant la complexité de la réalité sur le terrain. La TE honore ces particularités des chercheurs bien qu’ils doivent être transparents sur la part de constructivisme qu’ils apportent à l’exercice (Charmaz, 2006).

Cette évolution dans la TE fait en sorte que le chercheur dépasse la simple comparaison de faits avec des faits pour les classer. En ce sens l’analyse comparative est une caractéristique importante de la recherche en sciences sociales en général (Strauss & Corbin, 2004), là où on voit le chercheur se mobiliser et faire des comparaisons théoriques afin de stimuler une réflexion sur les propriétés et les dimensions entourant les données recueillies. Ces comparaisons ont pour but de l’aider en cours d’analyse à expliquer des éléments qui le rendent perplexe quant à leur pertinence et leur sens (Strauss & Corbin, 2004, p. 109) : « Les comparaisons théoriques sont des outils (une liste de propriétés) pour regarder quelque chose le plus objectivement possible plutôt que de le nommer ou de le classifier sans examiner minutieusement l’objet quant à ses propriétés et ses dimensions. » Cela va aussi pour les éléments difficiles à classer et à saisir. Ainsi, lorsque les propriétés des données ne sont pas évidentes et que cela demande au chercheur de creuser plus à fond la réalité, ces auteurs recommandent de « laisser de côté la description de spécificités pour réfléchir de façon plus abstraite sur ce qui réunit et différencie le type de cas ou de situation à l’étude » (Strauss & Corbin, 2004, p. 113). C’est en effectuant la deuxième tâche principale de la TE qui est de poser des questions que le chercheur en vient à mieux comprendre ce qui est en jeu et entoure ces complexités. Les questions en début de recherche sensibilisent le chercheur pour l’orienter vers ce que les données peuvent lui indiquer. Par la suite, les questions deviennent plus théoriques afin de « déceler des processus et des variations, ainsi que faire des relations entre les concepts », ce qui peut faire émerger des hypothèses (Strauss & Corbin, 2004, p. 105).

C’est ce qui s’est produit suivant l’analyse des entrevues où des questions de recherche étaient moins prises en compte, menant à des analyses plus poussées des textes des pionnières pour voir de plus près quel type de processus était central dans l’approche de l’ÉC. Cette interrogation sur les relations entre les concepts, leurs propriétés et leurs dimensions forme la base d’une théorie (Charmaz, 2006). En continuant à poser des questions de façon ininterrompue, le chercheur augmente la probabilité de découvrir des modèles généraux en lien avec le sujet à l’étude. C’est en effet ce qui s’est passé dans le cas de cette étude au sein de phases d’analyse et de comparaisons continues tout en posant des questions de plus en plus ciblées en fonction du modèle théorique émergeant. C’est notamment en décelant le sens d’évènements qui sont demeurés obscurs à travers ses opérations que le chercheur devient sensibilisé aux propriétés et

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aux dimensions possibles entourant l’objet d’étude (Strauss & Corbin, 2004 p.114). Dans le cadre de cette étude, certaines de ces dimensions possibles et potentielles ont mené à un élément heuristique qui s’est greffé au modèle théorique émergeant. L’heuristique (du grec ancien εὑρίσκω, eurisko, « je trouve ») sert à la découverte et présente une méthode de recherche fondée sur l’approche progressive d’un problème donné54, donc sert à faire des découvertes au niveau des connaissances et façons de les faire émerger. Il

peut s’agir d’opérations mentales, rapides et intuitives et ces ‘insights’ m’ont menée à poser des questions encore plus pointues et explorer cette dimension séminale, donc créative, de la recherche avec l’avantage de pouvoir être testée dans la phase quantitative suivante. Car poser des questions dans la TE est aussi vu comme un moyen analytique pour lancer l’enquête et orienter l’échantillonnage théorique (Strauss & Corbin, 2004).

L’échantillonnage, la sensibilité et la saturation théoriques.

La collecte, le codage et l’analyse des données se font conjointement dans la TE (Glaser & Strauss, 1967, p. 45 dans Saks & Allsop, 2007, p. 80 ; Shreiber & Stern, 2001, p. 64), accompagnés d’une prise de décision sur les données à recueillir dans la phase suivante. Le chercheur regarde où il peut les obtenir en fonction de développer la théorie émergente. Cette façon de procéder lui permet de diriger, gérer et peaufiner la collecte de données en plus de construire une analyse originale à partir des données comme telles (Charmaz, 2006, p. 2). Strauss et Corbin décrive l’échantillonnage théorique comme : « Construire l’échantillonnage selon des concepts émergents afin d’explorer l’étendue des dimensions ou la variété des conditions par l’entremise desquelles les propriétés des concepts varient » (Strauss & Corbin, 2004, p. 100). Des directives sont fournies pour systématiser ce processus d’étapes itératives de collecte et d’analyse de données bien qu’elles doivent demeurer flexibles. Il est important de ne pas ‘forcer’ les données dans la théorie mais de laisser cette dernière émerger des données. Dans le cas de cette étude, la décision prise dès le début de la recherche d’administrer un questionnaire suivant les entrevues dévie de l’idée de déterminer les méthodes de collecte des données au fur et à mesure du déroulement de la recherche comme le propose la TE. Le type de méthodologie choisi initialement le permet et bien entendu une transition s’est effectuée vers la TE tel qu’expliqué auparavant. Ceci dit, lorsqu’est venu le temps de

54 Il s’agit ici d’une définition provenant de Le Petit Robert : Dictionnaire de la langue française, Paris, 2004, p. 1265.

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revoir si le questionnaire en ligne était le meilleur moyen, la réponse fut positive.55 La décision par contre

d’une analyse documentaire et du traitement d’observations fait partie d’un échantillonnage théorique dit ‘discriminant’, c’est-à-dire que le chercheur choisit les sites, les personnes et les documents maximisant les possibilités de l’analyse comparative (Strauss & Corbin, 2004, p. 252).

Un échantillonnage théorique dit relationnel et de variance me fut aussi utile. Il demande de chercher des éléments qui démontrent l’étendue dimensionnelle ou la variation d’un concept et les relations au sein de concepts dans le but de traiter des données jugées nécessaires pour en arriver à saturer des catégories ayant émergées en cours d’analyse (Strauss & Corbin, 2004, p. 250). Ceci a aidé à l’analyse de variation comme nous le verrons dans le prochain chapitre. Cette analyse a mené vers une certaine saturation théorique pour la phase qualitative des données en vue de la phase quantitative. Ceci est commun du fait qu’une sensibilité théorique grandissante s’installe à travers les étapes de collecte et d’analyse des données dans la TE grâce aux questions posées et à l’analyse comparative constante tel que vu plus haut, en plus de retours à la littérature scientifique qui peut prendre place à travers ces étapes en fonction de ce que le chercheur a besoin de vérifier.

La sensibilité théorique lui permet de générer des concepts et une théorie à partir des données, donc elle est liée aux habiletés, inclinaisons et tempérament du chercheur, ainsi qu’à ses intuitions théoriques et son habileté d’utiliser ces dernières pour faire avancer la recherche et la théorie. Dans la TE, le chercheur découvre la théorie ; il ne vérifie pas des faits (Glaser & Strauss, 1967, p. 49, cité par Feeler 2012, p. 71). La découverte est donc celle de catégories et de leurs propriétés ainsi que des relations entre elles (Idem). L’intérêt du chercheur porte davantage sur les concepts à l’étude que sur les participants à l’étude (Glaser & Strauss, 1967 ; Glaser 1978 ; Strauss 1987, cité par Charmaz, 2006, p. 15). De cette façon, l’émergence de la théorie guide les étapes ultérieures de collecte des données et leur analyse débute dès le début de cette collecte des données.

La saturation théorique survient : « lorsqu’il ne semble plus y avoir de données nouvelles ou pertinentes qui semblent émerger par rapport à une catégorie » (Strauss & Corbin, 2004, p. 252) ou lorsque la catégorie est solidement développée en fonction de ses propriétés et de ses dimensions, tout en

55 J’ai réfléchi à savoir si des entrevues auprès des facilitatrices à l’ÉC ou des groupes témoins seraient plus favorables pour conclure que le questionnaire en ligne était fort à propos du fait qu’il permettait de rejoindre le plus grand nombre d’anciens participants possibles et ainsi un échantillon le plus complet pour cet état des lieux avec l’étude.

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démontrant de la variation. Elle survient lorsque les relations parmi les catégories sont bien établies et pointent vers une catégorie centrale qui est une caractéristique du stage avancé de la TE comme nous le verrons plus loin dans le chapitre. La saturation se situe dans l’absence de nouvelles informations sur cette catégorie pendant le codage, là où il ne semble plus y avoir de nouvelles propriétés, dimensions, conditions, actions/interactions ou conséquences tel que perçu par le chercheur (Oktay, 2012, p. 81). Dans le cadre de mon étude, une fois la catégorie centrale identifiée et sa portée identifiée et vérifiée dans une analyse de variation comme nous le verrons dans le prochain chapitre, un certain point de saturation en lien avec le modèle émergeant fut atteint selon mes besoins d’étudiante-chercheure pour passer à l’étape quantitative, ayant pour but de vérifier des composantes du modèle théorique en construction. Le point de saturation final fut atteint à la fin de l’écriture du modèle théorique et appliqué présenté au chapitre six. J’ai ressenti cette saturation pour les limites de cette thèse et en respect de ce que prescrit la TE, notamment ici que c’est la responsabilité du chercheur de faire ce type de ligne de démarcation. Le niveau opérationnel soutenant ceux stratégiques et tactiques présentés dans cette section (figure 3) suit plus loin dans le chapitre, avec les détails entourant l’analyse des données recueillies dans cette recherche.