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Particularités de l’organisation de l’Église sous la dynastie des Sassanides (224-651)

LA JURIDICTION ECCLÉSIASTIQUE EXERCÉE SUR UN TERRITOIRE

TERRITOIRE ET SPÉCIFICITÉ STRUCTURELLE DE L’ÉGLISE DANS L’EMPIRE PERSE (Ier – Ve SIÈCLE)

A. LES ORIGINES ET LA FORMATION DE L’ÉGLISE EN PERSE

2. Particularités de l’organisation de l’Église sous la dynastie des Sassanides (224-651)

Dans le contexte des guerres perso-romaines qui débutent par la formation de l’État Sassanide au milieu du IIIe siècle avec l’avènement du roi Ardashir (224-241), le premier de la dynastie, la déportation en masse des peuples vaincusest devenueun des éléments essentiels de la politique des rois Sassanides. La déportation des chrétiens des provinces avoisinantes de l’Empire romain a favorisé la christianisation de la Perse498. La prise d’Antioche en 253 par Shāpur Ier (240-272) a entraîné la déportation d’une grande partie de la population. En particulier, l’exil de l’évêque d’Antioche Démétrianus et de nombreux chrétiens déportés en 256 a permis une plus vaste implantation du christianisme dans l’Empire sassanide499. Par la suite, les chrétiens déportés ont préféré être soumis à leur nouveau souverain Shāpur Ier qui

498 CHAUMONT (M.-L.), « Les Sassanides et la christianisation de l’Empire iranien au IIIe siècle de notre ère »,

Revue de l’histoire des religions, t. 165, 2, p. 171-173.

499 Démétrianus est resté en tant que prisonnier dans la province de Bēth Huzayē de 256 à 260. Dans les sources comme dans les études contemporaines, la province Bēth Huzayē (pays des Houzites) avec sa capitale à Bēth Lapat (à partir de 256 Gondisapor ou Gundēshāpur, al-Ahwāz moderne) est aussi appelée Khuzistān ou Élam. Quelquefois on l’appelle aussi Susiane. Voir FIEY, (J.-M.), « L’Élam, la première des métropoles ecclésiastiques orientales », Parole d’Orient, vol. 5, 2, 1969, p. 221-223 ; voir Histoire Nestorienne inédite

(Chronique de Séert), Addaï Scher trad., 1e Partie, Patrologia Orientalis, t. IV, fasc. 3, 17, Turnhout, Brepols, 1993, p. 220-223 ; voir aussi CHAUMONT (M.- L.), « Les Sassanides et la christianisation de l’Empire iranien au IIIe siècle de notre ère », Revue de l’histoire des religions, t. 165, 2, p. 173-177.

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menait une politique tolérante vis-à-vis des religions étrangères, plutôt qu’à l’empereur romain Valérien. En effet, ce dernier avait organisé une très violente persécution contre les chrétiens entre 257-259500 dans son Empire.

La politique de déportation des populations vaincues est allée de pair avec celle de l’urbanisation de l’Empire perse. Sous les Sassanides, elle a suivi celle des Parthes, et elle a préféré la construction de nouveaux sites urbains, plutôt que le réaménagement et la modernisation des sites anciens. Des cités entières furent construites par les déportés501. Ce fait interviendra dans l’organisation territoriale et administrative de la vie de l’Église. Par exemple, le roi semblait permettre aux Antiochiens déportés de construire une ville selon le plan de leur ville d’origine502. C’est ainsi que la reconstruction de l’ancien Bēth Lapat a abouti à la création d’un nouveau site – Gundēshāpur (Gondesapor), qui deviendra la première métropole ecclésiastique dans l’Empire.

La présence de communautés chrétiennes stables, composées des déportés de la ville de Cœlé-Syrie, organisées autour de leur évêque et pourvues d’un clergé, est attestée vers 260503. La Chronique de Séert signale également la présence à Rēv-Ardashir de deux édifices pour le culte chrétien. Dans l’une de ces églises, se rassemblaient les chrétiens de la langue syriaque, et dans l’autre – ceux de la langue grecque504. Ces deux groupes de chrétiens ont souvent eu une organisation propre et, comme nous avons pu le remarquer, ont été appelés respectivement načara - nasoréens (pour ceux de la tradition syriaque) et kristyan, chrétiens (pour ceux de la tradition hellénique)505.

500 Les persécutions des chrétiens en 337, et plus tard, en 540, ont entraîné la montée des hostilités contre l’Empire romain, voir GARSOÏAN (Nina), « La Perse : Église d’Orient », in Histoire du christianisme, VENARD (M.), PIETRI (L.), VAUCHEZ (A.), MAYEUR (J.-M.), dir., t. III, Les Églises d’Orient et d’Occident, Paris, Desclée, 1999, p. 1108.

501 Les chrétiens déportés s’établirent essentiellement dans les villes suivantes : Vazurg-Shāpur (‘Ukbara arabe) dans la province d’Asuristān (Babylonie), qui deviendra siège suffragant de Séleucie-Ctésiphon ; Khusrau-Shāpur (refondation de la cité de Kashkār), également à Azuristān, qui deviendra, elle aussi siège suffragant de Séleucie-Ctésiphon ; Shād-Shāpur (Bēth Raïma, ou Daïr Mihraq arabe), dans la province de Maishān (Mésène), qui deviendra siège suffragant de Perāth d-Maishān ; Gundēshāpur (Bēth-Lapat), qui deviendra la première métropole ecclésiastique de Khuzistān ; Rēv-Ardrashir (Irāshahr), qui deviendra la métropole ecclésiastique de Fārs (Perside) ; Bishāpur (Vēh-Shāpur), qui deviendra le siège suffragant de la métropole de Rēv-Ardrashir dans le Fārs. Voir CHAUMONT (M.-L.), La christianisation de l’Empire iranien. Des origines aux grandes persécutions du

IV siècle, Louvain, éd. Peeters, coll. CSCO, 1988, p. 71-74.

502 Voir FIEY,(J.-M.),« L’Élam, la première des métropoles ecclésiastiques orientales », Parole d’Orient, vol. 5, 2, 1969, p. 228-229.

503 Voir AMANN (É.), « Église de Perse sous la dynastie Sassanide (224-632) », Dictionnaire de théologie

catholique, t. XI, 1, Paris, éd. Letouzey et Ané, 1931, col. 164.

504 Voir Histoire Nestorienne inédite (Chronique de Séert), Addaï Scher trad., 1e Partie, Patrologia Orientalis, t. IV, fasc. 3, 17, Turnhout, Brepols, 1993, p.222 [12].

505 Voir CHAUMONT (M. L.), La christianisation de l’Empire iranien. Des origines aux grandes persécutions du IVe

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Une église aurait également été construite à Séleucie-Ctésiphon avant la fin du IIIe siècle. Le premier évêque de cette communauté, selon la Chronique d’Arbèles, aurait été Pāpā bar Aggaī (vers 310-329)506. Celui-ci entreprendra des tentatives de réorganisation de l’Église en Perse sous l’autorité de l’évêque de Séleucie-Ctésiphon, mais il rencontrera aussi de fortes oppositions. Dans ce contexte, c’est grâce à l’intervention des « Pères occidentaux »507 et avec leur appui, qu’il a pu être proclamé « en tête de tous » dans le livre des diptyques508. Le statut de primauté de l’évêque de Séleucie-Ctésiphon sur d’autres évêques de l’Empire perse a donc été obtenu grâce au soutien de l’évêque d’Antioche et des évêques des provinces avoisinantes de l’Empire romain. Cependant, l’affirmation de cette primauté a rencontré bien des oppositions509.

Dans l’Empire sassanide de la seconde moitié du IIIe siècle, la suprématie du zoroastrisme, religion officielle de l’Empire, très hostile aux autres religions, a eu pour effet l’expulsion des chrétiens vers les régions de l’Asie Centrale. D’où venait l’hostilité du mazdéisme à l’encontre des chrétiens ? Il est vrai que les deux religions avaient des points communs : le principe de monothéisme, représenté dans le zoroastrisme par le dieu-créateur Ahura-Mazda (Ormuzd), la lutte du Bien contre l’Esprit du Mal, figuré par Angra Mainyu (Ahriman). Les zoroastriens professaient aussi la foi en la résurrection des morts et pouvaient rapprocher la figure du Saoshyan (Sauveur), né de la vierge Eredat-Fedri afin de purifier et sauver le monde, à celle du Christ510. Mais les mōbads zoroastriens ne pouvaient admettre ni le concept d’un Messie souffrant, ni la pratique du célibat ecclésiastique par les moines et les évêques chrétiens. En ce qui concerne les chrétiens, par rapport au culte zoroastrien rendu au feu dans les pyrées, à l’attribution du caractère sacré au feu, à l’eau et à la terre, ils ne pouvaient y voir que des actes d’idolâtrie la plus prononcée.

PIETRI (L.), VAUCHEZ (A.), MAYEUR (J.-M.), in Histoire du christianisme, t. III, Les Églises d’Orient et d’Occident, Paris, Desclée, 1999, p. 1104-1105.

506 Voir Die Chronik von Arbela, E. Sachau trad., Berlin, Verlag der Königl. Akademie der Wissenschaften, 1915, p. 69.

507 Les « Pères occidentaux » sont les évêques des provinces de l’Empire romain, à la frontière occidentale de l’Empire parthe.

508 Voir CHABOT (J.-B.), Synodicon orientale, Paris, Imprimerie Nationale, 1902, p. 291.

509 Voir BROCK (S.), « L’Église d’Orient dans l’Empire sassanide jusqu’au VIe siècle et son absence aux conciles de l’Empire romain », Istina, XL, 1995, N°1, janvier-mars, p. 27.

510 Voir SACHAU (E.), Zur Ausbreitung des Christentums in Asien, Berlin, Verlag der Akademie der Wissenschaften, 1919, p. 4-5 ; voir aussi MANN (U.), Iran – Persien auf neuen Wegen, Lugwigsburg, Karawane Verlag, 1977, Heft 1, p. 25.

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À l’époque sassanide (224-651), l’Empire perse a connu quatre vagues des persécutions contre les chrétiens :

- sous le règne de Vahrām II (276 ou 277 – 293), la persécution débuta sous l’impulsion de mōbad Kartir vers les années 286/287 et s’acheva vers 291/292511 ;

- sous le règne de Shāpur II (309-379), une des persécutions les plus violentes et longues débuta en 341 avec le concours du Grand Mōbad Ādurbād. Elle s’acheva seulement en 371512 ; - sous les règnes de Yazdgerd Ier (399-421) et de Vahrām V (v. 421-439), la persécution des chrétiens a pratiquement été menée pendant les quarante premières années du Ve siècle ; - et enfin, une persécution relativement brève sous le règne de Yazdgerd II (439-457), dans les années 446-448, qui a visé la conversion forcée des Arméniens chrétiens au zoroastrisme513.

La première persécution contre les chrétiens (vers 286/287 – 291/292) sous Vahrām II, ne concernait pas seulement les chrétiens, elle était aussi dirigée contre tous ceux qui n’adhéraient pas au zoroastrisme. Les sources chrétiennes, tels que la Chronique de Séert, nous apportent quelques éléments qui pourraient expliquer cette attitude hostile de Vahrām II et des Mages zoroastriens à l’égard des chrétiens. D’après ces sources, les chrétiens étaient assimilés aux adeptes de la secte manichéenne, qui considérait le mariage comme une abomination514. Puisque les manichéens portaient les mêmes habits que les chrétiens, la différence à première vue était peu perceptible. L’observation du célibat par les moines et les évêques augmentait la confusion. Néanmoins, M.-L. Chaumont estime que les causes qui ont déclenché une persécution générale des non-zoroastriens étaient plutôt politiques, car après la prise de Ctésiphon en 283 par l’empereur Carus, successeur de Dioclétien, l’Empire des Sassanides avait besoin d’une forte consolidation nationale, y compris sur le plan religieux515.

511 Voir CHAUMONT (M.-L.), La christianisation de l’Empire iranien. Des origines aux grandes persécutions du IVe

siècle, Louvain, éd. Peeters, 1988, coll. CSCO, p. 117-120.

512 Voir WILLIAMS (A. V.), « Zoroastrians and christians in Sassanian Iran », Bulletin of the John Rylands Library, University of Manchester, 1996, 78 (3), p. 40-41.

513 Ibid., p. 40.

514 Voir Histoire Nestorienne inédite (Chronique de Séert), texte arabe et la traduction française de SCHER

(A., Mgr), 1e Partie, Patrologia Orientalis, t. IV, fasc. 3, 17, Turnhout, Brepols, 1993, p.237-239 [27-29].

515 Voir CHAUMONT (M.-L.), La christianisation de l’Empire iranien. Des origines aux grandes persécutions du IVe

siècle, Louvain, éd. Peeters, coll. CSCO, 1988, p. 117-120 ; voir aussi DECRET (F.), « Les conséquences sur le christianisme en Perse de l’affrontement des Empires romain et sassanide. De Shâpûr Ier à Yazdgard Ier »,

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Avec le règne du roi Narseh (293-302), l’attitude vis-à-vis des non-zoroastriens devint plus tolérante516. Cette tolérance a perduré aussi durant le règne de son fils Hormizd II (302-309) et les trente premières années de règne de son successeur Shāpur II (309-379). C’est sous le règne de ce dernier que l’Église en Perse s’est dotée d’une organisation propre, avec plusieurs sièges épiscopaux. Cependant, les limites des diocèses n’étaient pas déterminées, et, dans certaines villes, siégeaient plusieurs évêques simultanément. Tel fut le cas, par exemple, de Bēth Lapat, capitale de Khōrassan. Néanmoins, il pouvait s’agir d’une coadministration épiscopale, pratique encore existante à l’époque517. Les quatre évêques de la ville de Bēth Lapat, qui exercèrent leur ministère en même temps, furent Gadhimhab, métropolitain et pasteur de la communauté de tradition syriaque518, deux autres évêques de la même tradition, Amaria et Mqayma, et Sabina, pasteur de la communauté de tradition grecque519. En ce qui concerne les élections épiscopales, elles n’étaient apparemment soumises à aucun contrôle.

Lors de la deuxième persécution à l’encontre de tous ceux qui n’adhéraient pas à la doctrine mazdéenne, beaucoup plus sanglante, engagée par Shāpur II vers 341, le clergé chrétien était visé d’une manière particulière. Après la fuite du propre frère du Roi des rois, le prince Hormizd, dans l’Empire romain et sa conversion au christianisme, des mesures très sévères furent adoptées, en particulier vis-à-vis des mazdéens qui se convertissaient au christianisme520. Simon bar Sabbā’ē, successeur de l’évêque Pāpā bar Aggaī sur le siège de Séleucie-Ctésiphon en fut la première victime, ainsi que de nombreux prêtres et diacres521. Cette persécution ne se terminera qu’en 379 avec la mort du roi Shāpur II. Ce contexte tourmenté, rendait quasiment impossible une avancée quelconque dans le domaine d’une meilleure organisation administrative de l’Église.

516 Voir CHAUMONT (M.-L.), « Les Sassanides et la christianisation de l’Empire iranien au IIIe siècle de notre ère », Revue de l’histoire des religions, 1964, vol. 165, 2, p. 200-202.

517 Voir Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, Livre VI, 11, 3, Paris, Cerf, 1955, p. 101 ; voir aussi JULLIEN

(Florence), « Histoire et traditions des christianismes orientaux », Annuaire de l’École pratique des hautes études,

section des sciences religieuses, 115/ 2008, p. 231-234. 518 Martyrisé en avril 341.

519 Martyrisés vers 341 à Karka d’Lēdān, voir VAILHE (Siméon), « Formation de l’Église de Perse », Échos

d’Orient, t. 13, 84, 1910, p. 271 ; voir aussi Voir FIEY,(J.-M.),« L’Élam, la première des métropoles ecclésiastiques orientales », Parole d’Orient, vol. 5, 2, 1969, p. 234-235.

520 Voir CHAUMONT (M.-L.), La christianisation de l’Empire iranien. Des origines aux grandes persécutions du IVe

siècle, Louvain, éd. Peeters, coll. CSCO, 1988, p. 159-160.

521 Voir Die Chronik von Arbela, E. Sachautrad., Berlin, Verlag der Königl. Akademie der Wissenschaften, 1915, p. 76.

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Ce n’est que sous le règne de Yazdgerd Ier (399-420), après la proclamation d’un décret du roi en 410, que le christianisme redevint une religion tolérée522. Khosrō (Xusrō) Ier (531-579) dans son traité avec Justinien, renouvellera cette disposition en 532523.

SECTION 2 – DE LA POLYARCHIE AU MONOÉPISCOPAT : LES SYNODES DE SÉLEUCIE DE 410

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