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Le territoire canonique : construction juridique et enjeux politiques dans le premier millénaire. Application au contexte russe

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Academic year: 2021

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Le territoire canonique : construction juridique et enjeux

politiques dans le premier millénaire. Application au

contexte russe

Gregor Prichodko

To cite this version:

Gregor Prichodko. Le territoire canonique : construction juridique et enjeux politiques dans le premier millénaire. Application au contexte russe. Droit. Université Paris-Saclay, 2020. Français. �NNT : 2020UPASH011�. �tel-03121926�

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Le territoire canonique :

Construction juridique et enjeux

politiques dans le I

er

millénaire.

Application au contexte russe

Thèse de doctorat de l'université Paris-Saclay

École doctorale n° 630, Droit, Economie, Management (DEM) Spécialité de doctorat : Sciences juridiques Unité de recherche : Université Paris-Saclay, Droit et sociétés religieuses, 92331, Sceaux, France Référent : Faculté de droit, économie et gestion

Thèse présentée et soutenue à Sceaux

le 15 décembre 2020, par

Gregor PRICHODKO

Composition du Jury

Sophie PETIT-RENAUD

Professeur, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

Président & Examinatrice

Blandine CHÉLINI-PONT

Professeur, Université d’Aix-Marseille Rapportrice & Examinatrice

Aram MARDIROSSIAN

Professeur,

École de Droit de la Sorbonne,

Institut de rech. juridiques de la Sorbonne

Rapporteur & Examinateur

François JANKOWIAK

Professeur, Université Paris-Saclay Examinateur

Vassili TOKAREV

Professeur, Faculté de Droit de l’Académie d’État de la région de Samara Examinateur Boris BERNABÉ Professeur, Doyen, Université Paris-Saclay Directeur de thèse

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NNT : 20 20 U PA SH0 11

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AVERTISSEMENT

Cette thèse est le fruit d’un travail approuvé par le jury de soutenance et réalisé dans le but d’obtenir le grade de Docteur de l'Université Paris-Saclay. Ce document est mis à disposition de l’ensemble de la communauté universitaire élargie.

Il est soumis à la propriété intellectuelle de l’auteur. Ceci implique une obligation de citation et de référencement lors de l’utilisation de ce document.

D’autre part, toute contrefaçon, plagiat, reproduction illicite encourt toute poursuite pénale.

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À mes parents Tamara et Walerij

et à mon frère Wladimir

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REMERCIEMENTS

Au terme de mon parcours académique en thèse de doctorat, je voudrais exprimer ma sincère reconnaissance à toutes les personnes qui m’ont aidé d’une manière ou d’une autre à relever ce défi passionnant.

Tout d’abord je voudrais remercier mon directeur de thèse, M. le Doyens Boris Bernabé, pour avoir dirigé mon travail avec disponibilité et bienveillance. Je le remercie de m’avoir inspiré avec sa capacité extraordinaire à élargir des horizons en nous mettant au cœur des problématiques contemporaines.

Mes remerciements s’adressent également à M. le Doyen Ludovic Danto pour une extraordinaire expérience internationale vécue à travers des voyages d’études facultaires et de passionnants colloques.

Je voudrais remercier M. le Professeur François Jankowiak pour sa grande gentillesse et sa compétence pédagogique et M. le Professeur Aram Mardirossian de m‘avoir aidé à découvrir le monde captivant de l’Arménie. Mes remerciements s’adressent également à M. le Professeur Alexeï Velitchko pour son aide précieuse dans les questions touchant les mondes de Byzance et de la Russie et de m‘avoir aidé dans ma recherche documentaire.

J’adresse tous mes remerciements à Mme le Professeur Sophie Petit-Renaud, Mme le Professeur Blandine Chélini-Pont et M. le Professeur Vassili Tokarev, qui ont accepté de faire partie du jury de soutenance.

J’adresse mes remerciements également au Vice-doyen l’Abbé Cedric Burgun et à Mme le Professeur Astrid Kaptijn d’avoir accepté de faire partie du jury canonique.

Je remercie chaleureusement les assistantes universitaires Mme Cécile Madeddu et Mme Maryse Chomette pour leur disponibilité et leur aide précieuse.

Je voudrais exprimer ma gratitude toute particulière à Mgr Stanislas Lalanne, évêque de Pontoise, pour m’avoir soutenu et encouragé dans ce parcours.

Je remercie chaleureusement LL. AA. SS. Le Prince Philippe et la Princesse Isabelle de Lichtenstein pour leur précieux soutien et je leur exprime toute ma reconnaissance.

Un remerciement particulier est adressé à Mlle Delphine Bencic de m’avoir aidé pendant des années à progresser pas à pas dans la langue de Molière. Je remercie également M. Dimitri Garmonov pour son dévouement héroïque et sa disponibilité dans la relecture et correction des présentes pages. Je remercie aussi mes relecteurs Mme Danielle Sarrazin, Mme Patricia Danoy, Mme Cathy Buot et M. Pierre Crelier.

Mes sincères remerciements s’adressent aussi à MM. Oleg Kopotiienko, Georges Borisov et Jean-Baptiste Pyck pour l’encouragement, le soutien et l’inspiration qu’ils m’ont offerts par leur grand charisme et leur fidèle amitié.

Que tous ceux qui m’ont aidé d’une manière ou d’une autre trouvent ici ma profonde gratitude.

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- SOMMAIRE-

INTRODUCTION GÉNÉRALE

– PREMIÈRE PARTIE –

LA JURIDICTION ECCLÉSIASTIQUE EXERCÉE SUR UN TERRITOIRE

TITRE I – LES TROIS MODÈLES HISTORIQUES DE LA TERRITORIALITÉ CANONIQUE, GENÈSE DE LA NOTION DE TERRITOIRE CANONIQUE

SOUS-TITRE I - AUTORITÉ ÉPISCOPALE ET GENÈSE D’UNE ORGANISATION ADMINISTRATIVE

ECCLÉSIASTIQUE DURANT LE Ier MILLÉNAIRE AU SEIN DE L’EMPIRE ROMAIN

CHAPITRE I – PRÉMICES D’UNE ORGANISATION ECCLÉSIASTIQUE : LA CONSTITUTION DES ÉGLISES ÉPISCOPALES, DU Ier SIÈCLE À LA RÉFORME DE DIOCLÉTIEN (285-293)

SECTION 1 – La mise en place des structures ecclésiales : l’organisation des communautés chrétiennes du Ier au IIIe siècle

SECTION 2 - La réforme administrative civile sous Dioclétien (285-293)

CHAPITRE II – L’ACTIVITÉ CONCILIAIRE DU IVe AU IXe SIÈCLE ET SES PRESCRIPTIONS

CONCERNANT L’ORGANISATION ADMINISTRATIVE DE L’ÉGLISE AU SEIN DE L’EMPIRE ROMAIN

SECTION 1 – Vers une juridiction conciliaire territoriale

SECTION 2 – Compétences des évêques selon la discipline conciliaire générale : le principe du monoépiscopat (IVe - IXe s.)

SOUS-TITRE II – L’ARGUMENT TERRITORIAL DANS LA RUPTURE ENTRE LES ÉGLISES D’ORIENT ET D’OCCIDENT (IVe -XIIIe S.)

CHAPITRE I – LE RENFORCEMENT INSTITUTIONNEL ET LA NOTION DE COMPÉTENCE TERRITORIALE

SECTION 1 - Le rôle des métropolitains et la question de leur primauté (IVe -

IXe s.)

SECTION 2 - Autorité supra-métropolitaine : titre patriarcal et juridiction patriarcale

CHAPITRE II – ENTRE ORIENT ET OCCIDENT : L’ARGUMENT TERRITORIAL DANS LES DIVISIONS ET LES TENTATIVES D’UNITÉ (Ve –XIIIe S.)

SECTION 1 – L’argument territorial dans la rupture de la communion entre les Églises d’Orient et d’Occident

SECTION 2 – Tentatives de rétablissement de l’union par le recours à une hiérarchie parallèle

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SOUS-TITRE III – TERRITOIRE ET ORGANISATION ADMINISTRATIVE DE L’ÉGLISE HORS DE L’EMPIRE ROMAIN (Ier – XIIIe S.)

CHAPITRE I – TERRITOIRE ET SPÉCIFICITÉ STRUCTURELLE DE L’ÉGLISE DANS L’EMPIRE PERSE (Ier –Ve S.)

SECTION 1 – Une structuration spécifique de l’Église dans l’Empire perse SECTION 2 – De la polyarchie au monoépiscopat : les synodes de Séleucie de 410 et de 420

SECTION 3 – L’autocéphalie de l’Église perse comme conséquence de l’affirmation de l’autorité primatiale de l’évêque de Séleucie-Ctésiphon (synode de Markabta de 424)

CHAPITRE II – AUTORITÉ TERRITORIALE ET MISSIONS DU PATRIARCAT DE SÉLEUCIE-CTÉSIPHON EN DEHORS DE L’EMPIRE PERSE (VIIe – XIIIe S.)

SECTION 1 – Géographie et spécificités des provinces « de l’extérieur »

SECTION 2 – Principes canoniques de l’Église perse dans l’établissement de ses structures administratives et territoriales

CHAPITRE III – CARACTÉRISTIQUE DE L’ORGANISATION DE L’ÉGLISE ARMÉNIENNE : UNE ÉGLISE-NATION (Ier – VIIIe S.)

SECTION 1 – Une structuration spécifique de l’Église arménienne

SECTION 2 – La fonction spéciale du patriarche et son rapport avec l’épiscopat

TITRE II – LES CONSÉQUENCES DE L’EXPANSION MISSIONNAIRE, CATHOLIQUE ET ORTHODOXE, SUR LA COMPRÉHENSION DU TERRITOIRE CANONIQUE

SOUS-TITRE I – L’EXPANSION DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE LATINE ET DE L’ÉGLISE ORTHODOXE RUSSE EN DEHORS DE LEUR CONTEXTE TERRITORIAL D’ORIGINE

CHAPITRE I – LA CRÉATION DE STRUCTURES ADMINISTRATIVES ECCLÉSIASTIQUES DE L’ÉGLISE LATINE EN ORIENT (XIe -XIVe S.)

SECTION 1 – Nécessité de la création de structures administratives de l’Église latine en dehors des pays traditionnellement catholiques

SECTION 2 – L’établissement des structures métropolitaines de l’Église latine en Orient

CHAPITRE II – L’EXPANSION MISSIONNAIRE CATHOLIQUE (XVe – XXe S.) ET SON

RAPPORT AU TERRITOIRE

SECTION 1 – La place des Églises orientales dans l’essor des missions catholiques : à la recherche de nouveaux modèles d’organisation ecclésiastique SECTION 2 – Expansion catholique et la recherche du retour à l’unité

CHAPITRE III – L’EXPANSION DE L’ÉGLISE ORTHODOXE RUSSE HORS RUSSIE (XVIIe

XIXe S.)

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SECTION 2 – L’érection des structures administratives de l’Église orthodoxe russe à l’étranger

SOUS-TITRE II – INCIDENCES DES TRANSFORMATIONS GÉOPOLITIQUES DES XIXe – XXe

SIÈCLES SUR L’ÉLABORATION D’UNE RÉFLEXION ECCLÉSIOLOGIQUE ET LES DÉCISIONS CANONIQUES

CHAPITRE I – RÉFLEXION ECCLÉSIOLOGIQUE ET CANONIQUE AU SEIN DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE : DES MODÈLES DE STRUCTURES ADAPTÉES À DES CIRCONSTANCES NOUVELLES

SECTION 1 – Au moment de la préparation du Décret Christus Dominus du concile Vatican II (1962-1965)

SECTION 2 – Évolutions postconciliaires de la législation canonique catholique : ouverture vers les juridictions personnelles

CHAPITRE II – SOLUTIONS CANONIQUES AUX DIASPORAS ORTHODOXES SECTION 1 – Débats sur l’étendue de la juridiction des Patriarches

SECTION 2 – Préparatifs du Concile Panorthodoxe (14-27 juin 2016) et questions relatives au territoire canonique

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– SECONDE PARTIE –

LÉGISLATIONS ÉTATIQUE ET CANONIQUE EN VIGUEUR POUR LES

ORGANISATIONS ECCLÉSIALES CATHOLIQUE ET ORTHODOXE AU SEIN DE LA

FÉDÉRATION DE RUSSIE

TITRE I – LE RÉGIME DE LA LOI FÉDÉRALE DE 1997 CONCERNANT LES INSTITUTIONS RELIGIEUSES ET LES JURIDICTIONS TERRITORIALES ECCLÉSIASTIQUES

SOUS-TITRE I – PROCESSUS HISTORIQUE DE L’ÉLABORATION DES RELATIONS ÉGLISES – ÉTAT EN RUSSIE

CHAPITRE I – DE LA RUS’ KIÉVIENNE À LA FIN DE L’EMPIRE (IXe – DÉBUT DU XXe S.)

SECTION 1 – Quelle(s) religion(s) pour l’État ? (IXe – XVIIe siècle)

SECTION 2 – L’érection du patriarcat de Moscou : jeux de trônes en vue d’une nouvelle pentarchie

SECTION 3 – L’institution du Monastyrski Prikaz (1649) : une manière de contrôler l’Église orthodoxe

SECTION 4 – Pierre le Grand et ses réformes en matière religieuse (1696-1725) SECTION 5 – Droit des « confessions étrangères » sous le règne de Catherine II (1762-1796)

SECTION 6 – De Paul Ier à la Révolution de Février (1796-1917)

CHAPITRE II – LES JURIDICTIONS TERRITORIALES ORTHODOXES ET CATHOLIQUES EN RUSSIE SOVIÉTIQUE, DE LA RÉVOLUTION D’OCTOBRE (1917) À LA FIN DU RÉGIME STALINIEN (1953)

SECTION 1 – Les législations de l’Union Soviétique sur la liberté de conscience et la liberté religieuse

SECTION 2 – Politique de destruction progressive des structures religieuses en Union Soviétique

SOUS-TITRE II – LA LÉGISLATION DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE EN MATIÈRE RELIGIEUSE ET SES CONSÉQUENCES SUR LES JURIDICTIONS TERRITORIALES ECCLÉSIASTIQUES : UN HÉRITAGE DU PASSÉ EN ÉVOLUTION CONTINUE (1991-2017)

CHAPITRE I – LE DROIT DES CULTES EN VIGUEUR EN RUSSIE ET LA HIÉRARCHIE DES NORMES EN MATIÈRE RELIGIEUSE

SECTION 1 – Les normes constitutionnelles et leur caractère prévalent aux engagements internationaux de la Russie

SECTION 2 – L’incidence des engagements internationaux de la Russie sur sa législation en matière religieuse

SECTION 3 – Les dispositions réglementaires régionales des entités constituantes de Fédération de Russie

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CHAPITRE II – LA LOI FÉDÉRALE « SUR LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE ET LES ASSOCIATIONS RELIGIEUSES » EN RÉGIME DE SÉPARATION

SECTION 1 – L’opportunité d’une législation religieuse fédérale dans une Russie pluriethnique et pluriconfessionnelle

SECTION 2 – Le dispositif de la loi fédérale de 1997 modifiée et sa portée pour l’organisation administrative et territoriale des organisations religieuses

TITRE II – QUELLE SUPERPOSITION DES TERRITOIRES CANONIQUES ORTHODOXES ET CATHOLIQUES DANS LA FÉDÉRATION DE RUSSIE CONTEMPORAINE ?

SOUS-TITRE I – L’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’ÉGLISE ORTHODOXE RUSSE

CHAPITRE I – L’ORGANISATION ADMINISTRATIVE ET TERRITORIALE DE L’ÉGLISE ORTHODOXE RUSSE DANS LE CADRE DE SON TERRITOIRE CANONIQUE TRADITIONNEL SECTION 1 – Le territoire canonique du patriarcat de Moscou correspondant à celui de la Fédération de Russie

SECTION 2 – Le territoire canonique du patriarcat de Moscou en dehors des frontières étatiques russes

CHAPITRE II – L’ORGANISATION DE L’ÉGLISE ORTHODOXE RUSSE DANS LA DIASPORA SECTION 1 – Les juridictions de l’Église orthodoxe russe en dehors de son territoire canonique

SECTION 2 – Prise en compte des droits de l’Empire russe par la Fédération de Russie : l’affirmation d’une continuité juridique

SOUS-TITRE II – CIRCONSCRIPTIONS TERRITORIALES DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE DANS LA FÉDÉRATION DE RUSSIE CONTEMPORAINE

CHAPITRE I – STRUCTURES ECCLÉSIASTIQUES POUR LES CATHOLIQUES DANS LA

FÉDÉRATION DE RUSSIE : CONTEXTE POLITIQUE ET RÉACTION ORTHODOXE

SECTION 1 – RÉTABLISSEMENT DES STRUCTURES DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE EN RUSSIE (1991-2002)

SECTION 2 – CIRCONSCRIPTIONS CATHOLIQUES SPÉCIALES

CHAPITRE II – APPLICATION DE LA LOI FÉDÉRALE DE 2010 SUR LE TRANSFERT DES BIENS À DESTINATION RELIGIEUSE AUX COMMUNAUTÉS CATHOLIQUES

SECTION 1 – La portée de la loi fédérale sur le transfert des biens ecclésiastiques SECTION 2 – Cas particuliers des édifices du culte catholique

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- LISTE DES ABRÉVIATIONS UTILISÉES-

PÉRIODIQUES

AAS, Acta apostolicae Sedis. Commentarium officiale (Vatican) AC, L’Année canonique (Paris)

DC, Documentation catholique (Paris) N. R. Th., Nouvelle revue théologique

Öjh, Jahreshefte des Österreichischen Archäologischen Institutes RDC, Revue de droit canonique

RSCr, Rivista di Storia del Cristianesimo RSR, Revue des Sciences Religieuses

SOURCES CANONIQUES Anc., concile d’Ancyre Ant., concile d’Antioche

C. théod., Code théodosien

Can. Ap., Canons Apostoliques Cart., concile de Carthage

CCEO, Codex canonum Ecclesiarum orientalium, Code des canons des Églises orientales CCSL, Corpus Christianorum Series Latina

Chalc., concile de Chalcédoine

CIC, Codex iuris canonici, Code de droit canonique (par défaut, édition 1983) CIC 1917, Codex iuris canonici, Code de droit canonique, édition de 1917 CIC 1983, Codex iuris canonici, Code de droit canonique, édition de 1983 CJ, Code de Justinien

nov. Justinien, Novelle de Justinien

P.-S., concile Prime-Second Sard., concile de Sardique

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TEXTES BIBLIQUES

1 Co, Première lettre de Paul aux Corinthiens 1 Jn, Première lettre de Jean

1 S, premier livre de Samuel

1 Th, Première lettre de Paul aux Thessaloniciens 1 Tm, Première lettre de Paul à Timothée

2 R, Deuxième livre des Rois

2 Tm, Deuxième lettre de Paul à Timothée Ac, Actes des apôtres

Ap, Livre de l’apocalypse

Ep, Lettre de Paul aux Ephésiens

Eph, Lettre d’Ignace d’Antioche aux Ephésiens Est, Livre d’Esther

Ex, Livre de l’Exode

Ga, Lettre de Paul aux Galates Gn, Livre de la Genèse

Jg, Livre des Juges Jn, Évangile de Jean Mc, Évangile de Marc Mt, Évangile de Matthieu Nb, Livre des Nombres Ne, Livre de Néhémie

Ph, Lettre de Paul aux Philippiens Phm, Lettre de Paul à Philémon Rm, Lettre de Paul aux Romains Tt, Lettre de Paul à Tite

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AUTRES COLLECTIONS PRINCIPALES ET TEXTES Magn., Lettre d’Ignace d’Antioche aux Magnésiens

PG, Patrologie Grecque

Phil., Lettre de Polycarpe de Smyrne aux Philippiens Philad., Lettre d’Ignace d’Antioche aux Philadelphiens

PL, Patrologie Latine SC, Sources chrétiennes

Sm., Lettre d’Ignace d’Antioche aux Smyrniotes

Vet. Chr., Vetera Christianorum

ABBRÉVIATIONSUSUELLES

AEOTREO, Archevêché des églises de tradition russe en Europe Occidentale ACOR, Association cultuelle orthodoxe russe de Nice

ap. J.-C., après Jésus-Christ ap., après

art., article

av. J.-C., avant Jésus-Christ av., avant

can., canon conc., concile

CAR, Commission antireligieuse

CEDH, Cour Européenne des droits de l’homme

CSCE, Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe éd., édition

EOAU, Église orthodoxe autocéphale ukrainienne EODU, Église orthodoxe d’Ukraine

EORHF, Église orthodoxe russe hors frontières

EOU PK, Église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Kiev EOU PM, Église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou

fasc., fascicule

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GPU (en russe ГПУ), l’abréviation de Gossoudarstvénnoïe polititcheskoié oupravlénié (Государственное политическое управление), Direction politique de l’État soviétique NKVD (en russe НКВД), l'abréviation de Narodniï Komissariat Vnoutrennikh Diel (Народный

комиссариат внутренних дел), Commissariat du peuple aux Affaires intérieures de l’URSS

nouv. éd. rev. et augm., nouvelle édition revue et augmentée obs., observations

o. carm., ordre carmélitain o.f.m., ordre des frères mineurs o.p., ordre des frères prêcheurs

ORC, organisation religieuse centralisée prop., proposition

q., question rép., réponse req., requête

RSFSR, République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie s.j., Societas Jesu, Compagnie de Jésus

t., tome

URSS, Union des Républiques Socialistes Soviétiques v., vers

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Le fait d’exercer une autorité sur un territoire délimité est une caractéristique presque constante de l’organisation des sociétés. Affirmer la souveraineté d’un groupe social sur un territoire ou un espace maritime procure à ce groupe la garantie de sa sécurité, de sa prospérité, voire de sa survie.

Jean Dauvillier dans son article consacré « Aux origines des notions d’État et de souveraineté sur un territoire » donne le plus ancien exemple connu de la manifestation d’une autorité locale exerçant un pouvoir judiciaire sur un individu. Il s’agit en effet d’une peinture de l’époque paléolithique qui se trouve dans la grotte de Remigia, dans la province de Castellòn en Espagne. Suivant l’hypothèse formulée par le préhistorien Hugo Obermaier, cette peinture représente un groupe de guerriers exécutant un intrus qui avait dû chasser sur « leur » territoire1.

Le territoire sur lequel l’autorité d’une tribu pouvait s’exercer devait ainsi être délimité par une frontière, qui correspondait généralement à un élément du milieu naturel (fleuve, forêt, marécage)2. Avec le développement de l’agriculture et de la domestication des animaux

à l’époque néolithique, les rapports entre les tribus et l’espace qu’elles occupaient va changer, ainsi que les rapports au sein des tribus elles-mêmes, celles-ci devenant beaucoup plus hiérarchisées. C’est dans le cadre de son territoire que la tribu mettra en application les prémices de son droit3. Les frontières tracées par la nature ne suffiront plus. Si, dans les pays

au climat rude, ces prémices de la souveraineté territoriale sur un village ont eu un caractère plutôt relatif, l’exercice de cette souveraineté a été beaucoup plus constant et affirmé dans les pays bénéficiant d’un climat propice à l’agriculture. Avec l’invention du soc à l’âge de bronze, le sillon tracé dans la terre va alors dresser la frontière établie par les habitants.

Le rapport des sociétés antiques à la territorialité et à l’exercice du pouvoir sur un territoire soumis à une juridiction constitue une dialectique permanente entre la notion de

territorium en tant qu’espace délimité à préserver et à défendre, et l’aspiration à

1 Voir DAUVILLIER (J.), « Aux origines des notions d’État et de souveraineté sur un territoire », in Mélanges offerts à Paul Couzinet, Toulouse, Université des sciences sociales de Toulouse, 1974, p. 153-154.

2 Ibid., p. 156. 3 Ibid., p. 159.

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l’universalité, qui, selon Anaximandre (VIe s. av. J.-C.), est inhérente à tout ce qui existe et en

est même le principe : l’ἄπειρον : l’infini, l’illimité et l’indéfinissable.

Le sujet de notre étude concerne le territoire canonique, sa construction juridique et les enjeux politiques dont il a pu être à l’origine dans le premier millénaire. Il concerne également l’application de la notion de territoire canonique à un contexte national précis, qui est le contexte russe.

L’expression « territoire canonique » est en elle-même est très récente. Elle a commencé à être employée dans le vocabulaire ecclésiastique seulement à partir des années 1990, d’abord par l’Église orthodoxe russe, puis elle a été reprise à l’occasion des réflexions ecclésiologiques menées par différentes Églises. Mais, malgré son apparition récente, cette notion de « territoire canonique » renvoie à une réalité ecclésiologique très ancienne.

Puisqu’il s’agira pour nous d’analyser une genèse-processus, avant d’aborder ce vaste sujet, un bref préalable s’impose concernant la compréhension de la notion de territoire dans l’Antiquité méditerranéenne, dont la notion de territoire canonique est héritière.

Dans l’Égypte ancienne, la juridiction royale s’étendait sur « tout ce que le soleil renferme ». Le pouvoir royal en Égypte appuyait son autorité sur des principes religieux. À partir de la IVe dynastie (v. 2639-2506 av. J.-C.) le titre de « fils de Rē » s’est rajouté à la

titulature royale4 et deviendra officiel sous la Ve dynastie. Le roi était alors souvent désigné

comme « grand dieu ». À partir du règne du roi Snéfrou (2575-2551/2550 av. J.-C.) 5, fondateur

de la IVe dynastie, dans l’écriture hiéroglyphique, on prit l’habitude d’inscrire le nom du roi

dans une cartouche ovale, Shenou. Ce symbole, signifiant initialement la protection que la divinité accordait au nom du souverain, devint alors l’expression de son pouvoir absolu. Le roi avait l’autorité sur « tout ce que le soleil renferme ». Cette autorité n’était pas limitée dans un espace défini6. En ce qui concernait l’administration étatique, celle-ci était très centralisée

et bien organisée : chaque province avait son propre gouverneur et son propre corps de fonctionnaires. Les administrations locales étaient contrôlées par l’administration centrale du roi et les terres étaient recensées tous les deux ans7.

4 Ibid., p. 161-162; voir BECKERATH (J. von), Handbuch der Ägyptischen Königsnamen, vol. 49, Mainz, éd. Philipp

von Zabern, 1999, p. 27-29.

5 Datation selon les égyptologues James-Peter Allen et Jaromir Malék.

6 Voir BECKERATH (J. von), Handbuch der Ägyptischen Königsnamen, op.cit., p. 27-29; voir QUIRKE (S.), Who Were the Pharaohs ? : A guide to Their Names, Reigns and Dynasties, London, British Museum Press, 2010, p. 24-27.

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La notion abstraite d’« État » avait ainsi pour base constitutive la territorialité. Cette réalité de l’État était distincte de la personne du pharaon. Si l’autorité du roi s’étendait, au moins symboliquement, à « tout ce que le soleil renferme », l’autorité administrative pour chaque province, s’exerçait dans les limites du territoire de cette province et l’administration centrale placée auprès du roi, dans les limites du royaume.

En Mésopotamie, la prise en compte de la territorialité correspondait à une aspiration des rois législateurs à l’universalité. Les rois mésopotamiens, à la différence des pharaons, ne prétendaient pas au rang de divinités, mais ils appuyaient leur autorité sur le fait qu’ils se considéraient choisis par la divinité de la Cité-État. Au début du deuxième millénaire av. J.-C., les souverains mésopotamiens ne portaient même pas le titre de roi, le laissant à la divinité locale ; ils étaient alors désignés comme vicaires, représentants du dieu – iššiakku. Leur pouvoir s’exerçait sur le territoire où la divinité était vénérée. Lorsqu’à la suite des conquêtes, le pouvoir d’un roi s’étendait sur plusieurs Cités-États, celui-ci se présentait comme étant investi par les dieux suprêmes, à savoir le père des dieux, Anu, et le roi des dieux, Enlil, qui étaient incontestablement vénérés dans toute la Mésopotamie8. Les rois mésopotamiens ont

commencé à prétendre à l’extension universelle de leur autorité après les conquêtes militaires de Sargon (v. 2316-2261 av. J.-C.), fondateur de la dynastie d’Akkad. Son petit-fils, Naram-Sin (v. 2254-2218 av. J.-C.), prendra le titre de « roi des quatre points cardinaux »9. Les lointains

successeurs des rois d’Akkad – les rois assyriens, à partir d’Adad-Nirâri Ier (v. 1375-1308 av.

J.-C.), s’intituleront šarru rabû ou šar kiššati – « roi de l’univers ». Il convient de souligner que l’autorité politique des rois mésopotamiens n’était pas de même nature que celle des pharaons égyptiens : dans le premier cas le roi était le serviteur et non l’auteur de la loi, en revanche dans le deuxième cas, c’est le pouvoir royal qui était législateur10.

Dans le monde hébraïque, le rapport à la territorialité s’est avéré très différent de celui qu’ont eu les peuples dont nous venons de parler, car il s’est inscrit dans la perspective de la Terre d’Israël, Terre promise. Alors que les civilisations sédentaires ayant accès à de grandes

8 Dans le prologue du Code d’Hammourabi (Col I, 1-49), le roi mentionne les dieux suprêmes Anu et Enlil, qui

conférèrent au dieu Mardouk l’autorité éternelle sur le royaume de Babylone et sur les royaumes vassaux. En même temps, ils appelèrent Hammourabi, le « représentant de Mardouk sur terre à donner la loi au pays soumis à cette autorité. Voir CRUVEILHER (P.), Commentaire du Code d’Hammourabi, Paris, Librairie Ernest Leroux, 1938,

p. 2-5.

9 Voir LAFONT (B.), TENU (A.), JOANNES (F.), CLANCIER (Ph.), La Mésopotamie. De Gilgamesh à Artaban 3300-120 av J.-C., Jean Cornette dir., Paris, Belin (coll. Mondes Anciens), 2017, p. 181.

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ressources aquatiques fondaient leur organisation communautaire, sociale et économique sur l’agriculture, la civilisation sémitique, organisée sur le modèle nomade, était essentiellement centrée sur l’élevage des troupeaux et les déplacements de population avaient avant tout pour cause la quête de nourriture. Pour ce qui concernait les peuples sédentaires, nous observons qu’il existait un rapport étroit à un territoire dominé et approprié, qui était à la fois source de prospérité et de pouvoir politique, d’où la nécessité de le défendre et d’accroître son étendue. Cette attitude des peuples sédentaires sera à l’origine de leurs aspirations à une domination universelle. La société nomade, en revanche, était substantiellement liée à la recherche de pâturages toujours nouveaux. Dès lors, la migration permanente est devenue nécessaire pour la survie du troupeau. Le bétail, en effet, constituait la garantie du statut social. L’organisation d’une société nomade, pour laquelle les frontières étaient très fluctuantes, a généré une attitude différente par rapport à la territorialité. Le fait de s’approprier la terre n’était pas aussi clairement défini que chez les peuples sédentaires : pour ces derniers, les limites d’un champ agricole devaient être établies avec précision.

Dans le monde hébraïque, le rapport à un territoire, qui marquera son passage de l’état nomade à la sédentarisation, s’exprimera par le recours à la notion de « Terre d’Israël » (ץ ֶר ֶא

ל ֵא ָר ְׂשִי, Eretz Israel). Cette notion d’origine religieuse est inhérente à l’histoire même du peuple

hébreu. Le passage à la sédentarisation se traduira aussi par le recours à l’expression « Terre promise ».

Cette conception biblique de la terre permet de mieux comprendre la relation Dieu– terre–homme et l’établissement dans cette relation des normes qui la régissent, à savoir une législation à la fois sociale et religieuse. Dans le livre de la Genèse,Dieu est créateur et maître absolu de la terre 11. L’homme, créature de Dieu, entretient un rapport tout à fait spécifique

avec la terre, car l’homme (Adam, ם ָד ָא), est tiré de cette terre (adamah, המדא). Celle-ci est la source de la vie et de la prospérité de l’être humain. Dieu confie la terre aux hommes, qui en deviennent les maîtres et exercent sur elle une domination.

Dans l’histoire du peuple hébreu, la terre représente donc un enjeu majeur. À travers la figure d’Abraham et en sa personne même, Dieu promet à ce peuple nomade une terre (Gn 12, 7), qui devient son héritage (Gn 17, 8). La possession juridique de la Terre promise se réalise par l’acquisition faite par Abraham d’une grotte du champ de Makpéla, fils de Çohar

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au pays de Canaan, à Ephron, (Gen 23). Cette possession funéraire était destinée à la sépulture de la femme d’Abraham, Sara. Une telle acquisition atteste de la sédentarisation définitive du peuple hébreu. La terre acquise était devenue son domaine (Dt 12, 1 ; 19, 14). Cependant, la terre devait toujours rester soumise à la puissance souveraine de Dieu. Ainsi, la terre de Canaan est-elle considérée comme étant sa résidence au point que le roi David jugera impossible d’adorer le Dieu d’Israël ailleurs que dans les limites de la Terre d’Israël. Tout ce qui se trouvait en-dehors des limites de la Terre promise était considéré comme soumis à l’autorité des dieux étrangers (1 S 26, 19). Ainsi s’établit le lien très étroit Dieu-terre-homme. La législation qui régissait cette relation était à la fois de nature sociale et religieuse, et elle établissait une différence radicale entre le peuple hébreu et ses voisins païens12.

Il convient cependant de remarquer que la sédentarisation comportait aussi le risque d’avoir une conception trop pragmatique par rapport à la terre possédée et de susciter un désir d’étendre son pouvoir sur d’autres terres, ce qui correspondait à la vision des peuples d’origine, païens et sédentaires. Cette conception se traduisait par la considération de la terre en tant que « terre - mère fertile »13. C’est en opposition à cela que, dans les écrits

prophétiques, l’accent a été mis sur la notion de terre comme « terre-épouse de Dieu », car c’est Dieu qui la rend féconde14. Le peuple de cette terre était aussi considéré comme étant

l’« épouse de Dieu ». Il s’ensuivait que l’infidélité de ce peuple au Dieu d’Israël pouvait donner lieu à l’infliction de châtiments pouvant aller jusqu’à la perte de la Terre promise (Dt 28, 63).

La possession de cette Terre promise était située dans une perspective eschatologique, dans le sens où cette terre a été évoquée par les prophètes en tant que lieu du salut universel, qui devait s’étendreàtoute l’humanité15.

Dans la Grèce ancienne, le territoire correspondait à un espace aux frontières fluctuantes. En effet, le territoire et l’espace en général étaient perçus uniquement dans le cadre des relations pratiques qu’un individu (citoyen, propriétaire d’un terrain) ou un groupe d’individus, un ethnos (ἔθνος, peuple) pouvait entretenir avec l’espace. Cependant, pour

l’homme de l’Antiquité grecque, la question des frontières qui délimitent un territoire n’était pas vraiment une préoccupation. Comme nous le verrons, les frontières étaient très

12 Voir Dt 14, 29 ; 24, 19-21, Ex 23,11.

13 Voir BECQUET (G.), « Terre », in Vocabulaire de Théologie biblique, Paris, Cerf, 1970, col. 1290-1291. 14 Voir Os 2, 5 ; Is 45, 8, 62, 4 etc.

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fluctuantes et elles étaient surtout définies en fonction de la topographie : montagnes, rivières

ou contours d’une île16.

La terminologie grecque employée pour désigner l’espace est significative pour notre

étude, car nous la retrouverons, après qu’elle ait fait l’objet d’une évolution sémantique plus

ou moins importante, à l’origine du vocabulaire juridico-canonique du premier millénaire. Dans le cadre du modèle politique fondamental dans l’Antiquité grecque, à savoir celui de la Cité-État, nous pouvons distinguer quelques termes relatifs à l’espace. D’abord, le terme

chôra (χώρα), c’est-à-dire le territoire entourant la cité (πόλις). Ce terme désigne le « pays »,

la « région », il s’agit d’un espace précis, se trouvant placé sous la juridiction d’une autorité17.

Un autre terme utilisé, dérivant de la chôra, est chôrion (χώριον). Ce mot désigne un espace délimité plutôt de petite taille, mais figurant dans un ensemble plus large, par exemple un quartier au sein de la cité. Par la suite, ce mot désignera un village. On trouve également l’emploi du terme topos (τόπος) qui désigne un endroit, une région. Ce terme comporte aussi

une connotation socio-culturelle en rapport avec l’ethnos dont la région est peuplée18. Deux

autres termes expriment encore l’appartenance d’origine d’un individu ou d’un groupe d’individus à un territoire précis : polis (πόλις, cité) et patris (πατρίς, patrie)19. Ces termes désignent plus précisément l’espace, au sens de l’espace vécu.

En ce qui concerne la notion de frontière, la Grèce ancienne n’en avait pas la conception que nous en avons aujourd’hui, à savoir l’idée d’une ligne de stricte séparation. Dans le grec ancien il n’existe pas de terme qui soit équivalent à notre terme de « frontière » au sens actuel. Tout comme l’espace, les frontières, ou plutôt les zones frontalières, étaient définies par les Grecs en fonction de leur utilité publique.

Cette terminologie a fait l’objet, au cours des siècles, d’une évolution sémantique dans le cadre des rapports qu’entretient un individu ou un groupe d’individus à l’espace. Comme en conclut à juste titre Clémence Weber-Pallez : « Aucune notion grecque ne correspond

parfaitement à notre notion moderne d’espace »20. Ce qui signifie que l’emploi de tel ou tel

terme doit être toujours considéré dans son contexte historique.

16 Voir WEBER-PALLEZ (C.), « Penser l’espace en Grèce ancienne », in Histoire antique & médiévale,90,mars

2017, p. 12.

17 Ibid., p. 13. 18 Ibid. 19 Ibid., p. 16. 20 Ibid., p. 14.

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Le terme désignant le monde habité ou connu, l’œcoumène (οἰκουμένη) avec les différents ethnoï qui le peuplent, a eu pour origine l’expérience des navigateurs, des marchands et des colons. C’est cette expérience de l’œcoumène qui a amené les philosophes de l’École de Milet à la théorisation de l’espace.

L’auteur de la première carte géographique du monde, Anaximandre (v. 610 – v. 546 av. J. C.), a posé les premiers jalons d’une conception du territoire en tant qu’espace délimité, de l’espace vectoriel et du monde en général, d’un point de vue que, rétrospectivement, nous appellerons scientifique. Cet illustre représentant de l’École de Milet a utilisé pour la première fois le terme apeiron (ἄπειρον, l’illimité) pour définir l’infini et l’illimité (ἀρχή) de tout ce qui existe. Nous sommes cependant aujourd’hui confrontés à une difficulté d’interprétation au sujet de la signification exacte de ce terme dans son emploi depuis Aristote jusqu’à nos jours21.

L’interprétation aristotélicienne tend à conclure que l’apeiron n’est qu’un attribut de la matière cosmogonique primordiale22. En revanche, l’interprétation pythagoricienne et

platonicienne considère l’apeiron comme relevant de la distinction « délimité – illimité » et elle hypostatise l’apeiron en l’étudiant en tant que sujet en soi.

Cependant, la divergence des interprétations n’empêche pas de réfléchir à la notion d’espace en partant de la simple distinction dégagée par Anaximandre entre le limité et l’illimité. En ce qui concerne l’apeiron en tant que principe de toutes choses, Michel Serres considère que

« […] Ce principe sans frontières, infini, désigne donc non seulement un espace ou un temps immenses et sans bornes, quantitativement ou métriquement parlant, mais surtout un ouvert sans bord, local et global, indéfini, qualitativement, ou typologiquement déployé, sans pli, retrait ni fermé, les deux conditions premières ou les deux bains primordiaux de la pensée géométrique […] 23. »

L’apeiron, l’illimité, dans la pensée d’Anaximandre, correspond donc à l’origine à ce qui est limité, mais aussi à sa fin. Tout ce qui est limité tend par sa nature vers l’infini. Si nous appliquons ce principe en considération d’un point de vue politique et économique se rapportant à l’autorité qui est exercée sur un territoire, nous observons une tendance à aller de plus en plus du limité vers l’universel. Ce désir d’élargir la domination sur le territoire s’est

21 Voir WISNIEWSKI (B.), « Sur la signification de l’apeiron d’Anaximandre », Revue des Études Grecques, t. 70,

fasc. 329-330, janvier-juin 1957, p. 47-55.

22 Ibid., p. 48.

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retrouvé en tant que principe constructeur et moteur pour tous les Empires, et cela pratiquement dans toutes les civilisations. Dans la titulature royale ou impériale, ainsi que dans l’évolution de la titulature des dignitaires ecclésiastiques (celle du pape ou des patriarches orientaux) n’observons-nous pas cette même tendance à vouloir étendre leur juridiction d’un territoire particulier à quelque chose d’universel ?

Par la publication de sa carte du monde habité (œcoumène), Anaximandre était sorti d’une perception de la terre à partir des cosmogonies mystiques. Déjà, Anaximandre avait situé l’étude de l’espace et du territoire dans une perspective que nous appellerions aujourd’hui scientifique. Ceci a constitué la première tentative de formalisation de la question de l’espace pris en compte en tant que tel.

Quant au territorium des Romains, il s’agissait d’un concept religieux et juridique. Par rapport à la Grèce antique, où le développement socio-administratif s’effectuait à partir de la cité et où l’exercice d’une autorité juridictionnelle n’était pas strictement lié aux délimitations de l’espace, la Rome antique, déjà par la légende de son origine, donnait à la frontière et à la délimitation un sens à la fois sacré et juridique. L’urbs était inaugurée par un rite religieux (auguratio) aux effets juridiques immédiats. Le territoire délimité devenait ainsi un espace, objet du droit. Par le fait de tracer un sillon suivant l’ancien rite religieux étrusque, afin de séparer l’urbs (l’espace sacré) et l’ager romanus, l’homme accomplissait une fonction à la fois sacerdotale et juridique. Les deux espaces étaient préalablement établis en tant que loci effati

et liberati, les rites religieux ayant purifié les lieux des esprits néfastes24. En traçant le sillon

sacré avec la charrue et en établissant le pomœrium, le rex (étymologiquement « tireur de trait »25) accomplissait un rite à la fois sacerdotal et juridique. Cette ligne symbolique tracée

par la charrue établissait aussi la frontière entre l’imperium domi (l’autorité exercée dans l’enceinte du pomœrium) et l’imperium militiæ, qui s’exerçait au-delà de l’enceinte sacrée26.

Les conséquences de cette séparation étaient tout autant religieuses que juridiques. Sur le plan religieux, cela correspondait à l’interdiction de bâtir les temples dédiés aux dieux de la guerre dans l’enceinte du pomœrium, prohibition d’y entrer avec des armes, ou encore interdiction d’y ensevelir ou d’y incinérer des défunts. En ce qui concerne l’aspect juridique,

24 Voir MAGDELAIN (A.), « L’inauguration de l’ ’’urbs’’ et l’ ’’imperium’’ », Mélanges de l’École française de Rome. Antiquité, t. 89, n° 1, 1977, p. 11-12.

25 Voir BENVENISTE (E.), « Le vocabulaire des institutions indo-européennes », t. 2 Pouvoir, droit, religion, Paris,

Les éditions de Minuit, 1969, p. 9-15.

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cela avait pour conséquence le fait que le pouvoir des magistrats (imperium militiæ) cessait dès qu’était franchie la frontière sacrée en entrant dans l’urbs, et ceci sans qu’aucune procédure ne soit requise27. Si, sous la République, dans le cadre de l’annalité de la

magistrature, l’imperium militiæ qui s’exerçait en-dehors pouvait être prorogé, la prorogation de l’imperium domi était interdite28.

Plus largement, considérons encore que l’étymologie du terme « territoire » semble avoir un caractère polysémique : en effet, territorium nous renvoie à la terre, mais suivant d’autres hypothèses, ce terme pourrait venir du verbe terre, ce qui veut dire « fouler au pied », ou encore de terrere (effrayer)29. Cette troisième interprétation relève du domaine juridique.

Michel Lauwers fait observer que « Selon les juristes, le territorium était, en effet, l’espace bien délimité autour de la cité à l’intérieur duquel les magistrats avaient le droit d’imposer et, si nécessaire, de chasser par la crainte, d’où l’étymologie qu’ils développent : territorium,

terreo »30. Par conséquent, suivant cette interprétation étymologique, le territoire

correspondait à un espace délimité, soumis à la juridiction d’une autorité.

Une autre terminologie relevant du droit religieux romain donne une connotation religieuse à l’enceinte murale de la ville. Une répartition classique des réalités religieuses du Ier siècle av. J.-C. classe les murs de la ville dans la troisième catégorie, res sanctæ. L’adjectif sanctæ est rapproché de sanctio. Cela signifie que les murs sont considérés comme « saints »,

car on ne peut pas les franchir sans être sanctionné31.

À la différence des Grecs pour qui les bornes de pierre (ὅρος) servaient au repérage

d’une possession, les Romains furent les premiers à matérialiser réellement les limites de leur

territoire. À partir de la première moitié du IIe siècle après J.-C., des murs colossaux (limes),

destinés à la défense de l’Empire, furent ainsi édifiés32.

27 Voir MAGDELAIN (A.), « Le pomerium archaïque et le mundus », in Ius Imperium. Auctoritas. Études de droit romain, Rome, École Française de Rome, 1990, p. 155-161.

28 Voir MAGDELAIN (A.), « L’inauguration de l’ ’’urbs’’ et l’ ’’imperium’’ », op. cit., p. 12.

29 Voir WEBER-PALLEZ (C.), « L’espace en Grèce ancienne », in Histoire antique et médiévale, n° 90, mars-avril

2017, p. 23.

30 Voir LAUWERS (M.), « Territorium non facere diocesim. Conflits, limites, et représentations territoriales du

diocèse (Ve – XIIIe siècle) », dans MAZEL (Florian), dir., Espace du diocèse dans l’Occident médiéval (Ve – XIIIe siècle),

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 23- 65.

31 Voir MAGDELAIN (A.), « Le pomerium archaïque et le mundus », op. cit., p. 160.

32 Le premier limes fut érigé par l’empereur Hadrien dans la province de Bretagne en 122 apr. J.-C. et il

s’étendait sur 118 km. Voir WEBER-PALLEZ (C.), « La frontière et la Grèce ancienne. Une notion polysémique »,

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20

Nous avons donc hérité de ce concept romain du territoire en tant qu’espace délimité, clairement défini par une frontière, dans les limites duquel une autorité exerce une juridiction. Cette conception est la plus proche de la compréhension moderne de territoire, qui s’affirmera généralement en Europe à partir du XVe siècle.

Ces conceptions antiques du territoire que nous venons d’évoquer peuvent être très éclairantes pour notre sujet, car elles placent notre recherche dans la perspective d’une genèse de la notion de territoire canonique, qui sera abordée dans la première partie de cette étude. Le sens de l’Histoire, d’après Thomas S. Eliot, consiste à ne pas seulement considérer le passé dans le passé, mais à considérer aussi le passé dans le présent33. Ce sens de l’Histoire

nous permettra, en plaçant l’évolution de compréhension de la notion de territoire dans la perspective d’un processus historico-politique, d’actualiser une riche tradition juridique.

Dans le Code Théodosien, nous retrouvons le terme territorium dans le sens qui nous est familier. Il s’agit d’un terrain qui est en possession de quelqu’un34, d’un territoire qui est

soumis à la juridiction d’une autorité35. Actuellement « le terme de "territoire" est utilisé pour

désigner l’assise spatiale sur laquelle une autorité dispose de compétences particulières », c’est ainsi que Florence Poirat définit le territoire dans le Dictionnaire de la culture juridique36.

Il convient alors de se demander quelles ont été les conséquences de l’adoption par l’Église d’un modèle isomorphe aumodèle étatique associant territoire, fonction et structure, cela devenant pour l’Église : province, évêque, modèle métropolitain.

Lorsque nous traiterons dans la première partie de cette étude de l’évolution de la législation canonique de l’Église en matière de compétence de juridiction sur un territoire délimité, nous verrons qu’il s’agira avant tout d’analyser cette genèse-processus et d’analyser son vocabulaire.

L’analyse passera alors par l’étude de la formation du vocabulaire ecclésiastique ministériel et canonique ou nomocanonique, dans la mesure où il est employé par le législateur séculier, en l’occurrence les empereurs romains d’Orient (de Constantin à Théodose II). Dans la première partie de notre étude, nous nous interrogerons sur la notion

33 Voir ELIOT (Th. S.), « Tradition and the Individual Talent », cité par Zbigniew HERBERT, in Un barbare dans un jardin, Éditions Le Bruit du Temps, 2014, p. 139.

34 Voir De operibus publicis, XV, 1, 34, KRUEGER (P.) et MOMMSEN (Th.), dir., Codex Theodosianus, Textus, Vol. I,

2, Hildesheim, Weidmann, 2000, p. 809 ; De decurionibus, XII, 1, 186, ibid. p. 708.

35 Voir De exactionibus, XI, 7, 2, ibid. p. 585.

36 Voir POIRAT (F.), « Territoire », dans ALLAND (D.) et RIALS (S.), dir., Dictionnaire de la culture juridique, Paris,

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de territoire canonique en tant qu’espace défini sur lequel une autorité ecclésiastique dispose de prérogatives particulières.

Quelques questions d’ordre philosophique se poseront. Si nous suivons l’approche nominaliste, il s’agira de se demander si le fait de donner une dénomination à un territoire est déjà une façon de se l’approprier ? En effet, lorsqu’une puissance politique est animée par un désir d’expansion territoriale, elle a fréquemment tendance à avoir recours au langage performatif car le fait de donner un nom à une surface est déjà une manière d’affirmer son emprise sur cet espace donné.

Notre étude portera aussi sur le traitement de la notion de territoire en droit canonique. Tout particulièrement, nous nous demanderons si c’est la canonicité qui fait le territoire ou si c’est le territoire qui en détermine la canonicité ? Sur le plan canonique, il faudra particulièrement s’interroger sur l’articulation entre territoire, fonction et structures ecclésiastiques.

Une étude minutieuse de la genèse du vocabulaire ministériel, canonique et nomocanonique, employé au cours du premier millénaire nous permettra de ne pas commettre d’anachronismes ou d’approximations qui consisteraient à employer un terme dont le sens a évolué dans le temps pour désigner une réalité qui n’apparaît que tardivement. En outre, nous aurons à prendre en compte le fait qu’à une époque donnée, les mêmes termes ont pu avoir des significations différentes en fonction du contexte local.

Dans la première partie de cette étude, nous verrons que trois modèles historiques de territorialité canonique sont apparus au cours du premier millénaire. Ces modèles se sont rapportés à l’organisation administrative ecclésiastique au sein de l’Empire Romain, à celle de l’Église dans l’Empire perse et à celle de l’Église arménienne.

Puis, nous prêterons attention à deux cas de figure apparus avec l’expansion des Églises en dehors de leur contexte territorial d’origine. Il s’agira du système d’administration hybride de l’Église latine dans les États latins d’Orient, où le système féodal occidental prendra en compte les institutions locales préexistantes, et de son mode d’organisation dans l’Empire mongol.

En effet, le principedu non-empiètement sur une circonscription ecclésiastique, placée sous la juridiction d’autrui, et le refus de toute forme de polyarchie ecclésiale, ont amené à établir des règles canoniques précises concernant l’organisation ecclésiastique. Nous verrons

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à ce sujet que l’affirmation du principe du monoépiscopat remonte aux origines de l’Église et du ministère épiscopal en tant que tel.

Par ailleurs, la création progressive de structures supraprovinciales sera à mettre en rapport avec l’exercice du pouvoir de juridiction exercée par chaque primat sur un territoire déterminé qui sera plus tard désigné en tant que « territoire canonique ». Cette genèse de la notion de territoire canonique nous appellera à prendre largement en compte la législation de conciles, œcuméniques ou particuliers.

Nous verrons qu’après la chute de l’Empire d’Occident en 476, le rôle de l’évêque de Rome en Occident ne s’est pas affaibli, mais au contraire, qu’il a gagné en indépendance par rapport au pouvoir politique et qu’il a incarné pour les rois barbares l’universalité de l’ancienne Rome. De façon significative, nous prêterons attention au fait que la recherche d’une plus grande indépendance de l’Église vis-à-vis du pouvoir politique conduira les papes à affirmer progressivement leur souveraineté. En Orient, en revanche, le patriarche de Constantinople, bien souvent désigné par le pouvoir impérial, aura un rang de haut fonctionnaire de l’Empire et, pour ses prises de décisions, il sera plus ou moins soumis à l’Empereur.

Nous verrons ensuite qu’après les invasions arabo-musulmanes au VIIe siècle, les

patriarches d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem perdront de leur influence et deviendront totalement dépendants du patriarche de Constantinople, désormais seul interlocuteur du pape de Rome dans le cadre des relations entre l’Église d’Occident et l’Église d’Orient.

Ces types de développement fort différents pour chacune de ces Églises, toujours inscrites dans les limites héritées des anciennes circonscriptions territoriales de la Pars

Orientalis et de la Pars Occidentalis Imperii issues de la réforme administrative de Dioclétien,

les conduira à un éloignement progressif l’une de l’autre, et, finalement, à la rupture de la communion ecclésiale.

En ce domaine, nous verrons, que les questions territoriales ont joué un rôle important dans le processus ayant conduit à la rupture de la communion entre les Églises d’Orient et d’Occident au XIe siècle, rupture qui ne s’avérera définitive qu’à l’époque de la conquête

normande du Sud de l’Italie et des croisades du XIIIe siècle.

Nous prendrons en compte le fait, qu’en dépit de la division, l’Église a conservé le désir de rétablir l’unité rompue. Mais les deux méthodes employées pour cela par la papauté, à

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savoir le recours à une hiérarchie parallèle implantée sur le « territoire canonique » des patriarcats orientaux et, plus tardivement, l’uniatisme, non seulement n’aboutiront pas au résultat espéré, mais auront, à l’inverse, contribué à détériorer les relations entre les Églises catholique et orthodoxe.

Pour ce qui est de la deuxième partie de cette étude, il nous a paru opportun de la consacrer à une recherche plus approfondie du concept de territoire canonique dans le cadre d’un État moderne précis où les juridictions de plusieurs Églises ayant les mêmes principes canoniques seraient représentées face à la législation étatique en matière de liberté de conscience et de liberté religieuse. Le choix de la Fédération de Russie n’est donc pas fait par hasard, car à notre avis cet État constitue un exemple particulièrement riche à cet égard. En effet, la Russie est héritière de certains éléments historiques importants qui ont contribué à la genèse de la notion de « territoire canonique ». Contrairement à la politique religieuse des États d’Europe occidentale, comme le Royaume-Uni, la France ou les différents États allemands, où le souci de maintenir une seule religion d’État a été à l’origine de nombreux conflits politiques, la particularité de la Russie est qu’il n’y a pas eu de volonté de la part des autorités séculières, du moins pas de volonté constante, d’imposer la religion orthodoxe (religion d’État), aux sujets qui ne la professaient pas.

Cette seconde partie commencera d’abord par l’étude de l’élaboration des relations Églises – État en Russie, depuis le baptême de la Rus’ en 988 jusqu’à la fin de l’Empire russe. Nous examinerons à cette occasion l’évolution de la législation étatique en matière religieuse des Grands-princes, des Tsars et des Empereurs de Russie du Xe au XXe siècle et dégagerons

les conséquences qu’a eu cet apport législatif sur le plan des juridictions territoriales ecclésiastiques. Nous accorderons une attention particulière à la formation de deux types de rapports, celui de l’État russe avec l’Église orthodoxe russe et celui de l’État russe avec les confessions religieuses non-orthodoxes, notamment l’Église catholique.

Puis, nous exploiterons la législation du Gouvernement provisoire de 1917 et de l’époque soviétique (1917-1991) se rapportant à notre sujet. Nous nous demanderons tout particulièrement dans quelle mesure la législation de l’époque soviétique a pu avoir des conséquences pour l’établissement de la législation actuelle de la Fédération de Russie.

Enfin, nous examinerons cette législation de la Fédération de Russie actuelle (loi de 1997) relative aux organisations religieuses, à la liberté de conscience et à la liberté religieuse. Nous nous demanderons tout particulièrement en quoi cette législation a des incidences sur

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l’organisation territoriale de l’Église orthodoxe russe et de l’Église catholique en Russie. Nous prendrons aussi en compte les superpositions des territoires canoniques orthodoxes et catholiques dans la Fédération de Russie contemporaine et les difficultés que cela soulève.

Partant des considérations qui précèdent, nous chercherons à montrer que la rétrospective historico-canonique concernant la genèse de la notion de territoire canonique ouvre d’intéressantes perspectives pour une réflexion plus substantielle sur la problématique de la compétence juridictionnelle dans les Églises et sur les enjeux politiques liés à cette notion à l’époque contemporaine.

Nous chercherons aussi à analyser la nature des rapports historiques entre l’État russe, l’Église orthodoxe russe et l’Église catholique, en examinant leurs législations, ainsi que leur organisation administrative et territoriale respectives. Pour dégager les enjeux religieux et politiques de la compréhension actuelle de la territorialité canonique, nous devrons, tout au long de cette étude, être attentif à l’évolution de la compréhension de cette notion dans l’histoire, tout en prenant en compte les diverses interprétations qui ont porté sur cette notion en fonction des espaces géopolitiques.

C’est pourquoi, en partant des éléments qui précédent, nous envisagerons successivement dans une première partie d’examiner la notion de territoire canonique, sa genèse, sa construction juridique et les enjeux politiques dont il a pu être à l’origine dans le premier millénaire, puis dans une seconde partie, nous verrons l’application de la notion de territoire canonique à un contexte national précis, c’est-à-dire le contexte russe.

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– PREMIÈRE PARTIE –

LA JURIDICTION ECCLÉSIASTIQUE EXERCÉE SUR UN TERRITOIRE

L’expression « territoire canonique » est récente. Elle commence surtout à être employée dans le vocabulaire ecclésiastique à partir des années quatre-vingt-dix du siècle dernier par l’Église orthodoxe russe. Dans le contexte général de la chute de l’Union Soviétique, cette dernière s’était efforcée de protéger l’intégrité des structures administratives de l’Église orthodoxe russe face à l’installation des structures de l’Église catholique romaine et pour s’opposer aux tendances exacerbées d’expansion de certaines autres Églises orthodoxes patriarcales. En effet, le 13 février 1991, le pape Jean-Paul II avait érigé des administrations apostoliques en Russie, en Biélorussie et au Kazakhstan. En outre, le Patriarcat de Constantinople avait tenté de reconnaître l’autocéphalie de l’Église orthodoxe d’Estonie et son indépendance, pour la prendre sous sa juridiction, ce qui fut considéré comme une violation des frontières canoniques du Patriarcat de Moscou. L’érection d’administrations apostoliques de l’Église catholique au Kazakhstan37 et au sein de la

Fédération de Russie38, puis la création de diocèses par le pape Jean-Paul II provoqua

également une vive réaction du Patriarcat de Moscou qui accusa Rome d’empiètement sur son territoire canonique et de prosélytisme. Depuis, l’expression « territoire canonique » a trouvé sa « juste place » dans les débats ecclésiologiques. Mais, malgré son apparition récente, elle désigne, sans aucun doute, une réalité ecclésiologique très ancienne.

Le Droit canonique latin de l’Église catholique prévoit, la figure traditionnelle du diocèse mise à part, cinq catégories juridiques d’Églises particulières qui lui sont assimilées39.

Il prévoit aussi la possibilité d’ordinariats personnels40. En revanche, les Églises orthodoxes, vu

leur développement historique avec des caractéristiques davantage « nationales », privilégient le modèle de la juridiction territoriale. Cela soulève certaines difficultés dans le

37 Le 7 juillet 1999. 38 Le 11 février 2002.

39 Voir CIC (1983), can. 368-374 : Il s’agit des prélatures territoriales et des abbayes territoriales, du vicariat

apostolique et de la préfecture apostolique, ainsi que de l’administration apostolique, érigée de façon stable. Voir aussi VALDRINI (P.), Comunità, persone, governo. Lezioni sui libri I et II del CIC 1983, Roma, Lateran University Press, 2013, p. 33-59.

40 Les ordinariats militaires, les ordinariats pour les fidèles de rite oriental, les ordinariats personnels pour les

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contexte des diasporas. Dans quelle mesure le principe de respect du territoire canonique doit-il être absolu ? Faut-il se conformer strictement aux structures administratives canoniques établies anciennement ou convient-il de s’adapter à de nouveaux besoins pastoraux ? Toutes ces questions se posent, bien évidemment, dans le contexte des conflits précédemment évoqués. Elles sont tout à fait fondamentales dans la recherche de solutions pour l’unité de l’Orthodoxie et les relations entre les Églises orthodoxes et l’Église catholique.

Après la constitution des Églises épiscopales au cours de trois premiers siècles, la mise en place des structures ecclésiales a suivi trois modèles historiques. Ces modèles de la territorialité canonique se sont formés dans des contextes socio-politiques spécifiques (TITRE I). L’expansion missionnaire des Églises en dehors de leur contexte territorial d’origine a incité à reconsidérer le caractère absolu de l’argument territorial, ce qui a eu des conséquences importantes sur la compréhension de la notion de territoire canonique (TITRE II).

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– TITRE I –

LES TROIS MODÈLES HISTORIQUES DE LA TERRITORIALITÉ CANONIQUE, GENÈSE DE LA NOTION DE TERRITOIRE CANONIQUE

Les principes de non-empiètement sur une circonscription ecclésiastique, placée sous la juridiction d’autrui, et de refus de toute forme de polyarchie ecclésiale,41 ont conduit à

l’établissement de règles canoniques précises concernant l’organisation ecclésiastique. Le principe du monoépiscopat, c’est-à-dire, l’impossibilité d’avoir deux évêques à la tête d’une même communauté, trouve son affirmation dans toute la discipline générale antique de la législation conciliaire du IVe au IXe siècle. Cette règle commune est formulée dans le 8e canon

du concile de Nicée (325). Ce concile de portée universelle n’introduit pas une nouvelle règle, mais il confirme la discipline déjà existante. Les Pères demandaient d’établir l’organisation de l’Église, après le retour du clergé du schisme de Novatien, « ἴνα μὴ ἐν τῇ πόλει δύο ἐπίσκοποι

ὦσιν » (« sans qu’il y ait deux évêques dans une ville »)42. L’affirmation de ce principe remonte

aux origines de l’Église et du ministère épiscopal en tant que tel. À quelques exceptions près, qui sont plutôt des anomalies, le principe du monoépiscopat est une évidence pour toute l’Église de l’Antiquité. Corneille de Rome (v. 251-253) dans sa lettre à Fabius d’Antioche au sujet du schisme de Novatien, affirme comme une évidence « qu’il doit y avoir un seul évêque dans l’Église catholique »43. Quand en 345 l’empereur Constance proposa à Libère et à Félix de scinder l’épiscopat au siège de Rome, la communauté éclata de rire à cette proposition et s’écria : « Un seul Dieu, un seul Christ, un seul évêque » (« Εἶς Θεὸς, εἶς Χριστὸς, εἶς ἐπίσκοπος »)44.

À la vue de ces principes et des questions soulevées, nous examinerons dans un premier temps la relation entre le ministère épiscopal et la genèse d’une organisation administrative ecclésiastique durant le Ier millénaire au sein de l’Empire romain (SOUS

-TITRE I), puis nous verrons la place qu’occupe l’argument territorial dans le processus ayant conduit à la rupture entre les Églises d’Orient et d’Occident entre le IVe et le XIIIe siècle

(SOUS-TITRE II).

41 C’est-à-dire l’impossibilité d’avoir deux ou plusieurs chefs pour une même unité ecclésiastique, à quelque

échelon que ce soit : diocèse, province ou patriarcat.

42 Voir MEYENDORF (J.), « One Bishop in One City. (Canon 8, First Ecumenical Council) », St Vladimir’s Seminary Quarterly, v. 5, n° 1-2, 1961, p. 54-62.

43 Voir EUSEBE DE CESAREE, Histoire ecclésiastique, Livre VI, 43, 11, Paris, Cerf, 2003, p. 374. 44 Voir THEODORET DE CYR, Historia ecclesiastica, t. I, II, ch. XIV, PG, t. 87, col. 1041.

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– SOUS-TITRE I –

AUTORITÉ ÉPISCOPALE ET GENÈSE D’UNE ORGANISATION ADMINISTRATIVE

ECCLÉSIASTIQUE DURANT LE Ier MILLÉNAIRE AU SEIN DE L’EMPIRE ROMAIN

Le développement et l’expansion des communautés chrétiennes au Ier- IIIe siècles ont

abouti à l’organisation des Églises épiscopales (CHAPITRE I). L’activité conciliaire, particulièrement intense du IVe au IXe siècle, a produit une législation importante pour définir

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