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LA JURIDICTION ECCLÉSIASTIQUE EXERCÉE SUR UN TERRITOIRE

ENTRE ORIENT ET OCCIDENT : L’ARGUMENT TERRITORIAL DANS LES DIVISIONS ET LES TENTATIVES D’UNITÉ (Ve -XIIe siècles)

B. CONSÉQUENCES POUR L’ORGANISATION DE L’ÉGLISE

La juridiction pontificale s’exercera sur tout l’Illyricum, considéré comme territoire relevant de la juridiction du patriarcat romain, jusqu’au VIIIe siècle. Dans le conflit entre l’empereur Léon III l’Isaurien et le pape Grégoire III, qui prononça une excommunication contre lui en 732 suite aux lois iconoclastes, tous les territoires contrôlés par les Byzantins, entre autres l’Illyricum, la Sicile et la Calabre, furent arrachés à la juridiction pontificale et soumises à celle du siège de Constantinople463. L’empereur Léon VI, au début du Xe siècle, incorporera définitivement l’Illyricum au patriarcat de Constantinople et le mettra sous la juridiction du patriarche Nicolas.

Il faut remarquer que tant que Rome était incorporée à l’Empire romain byzantin, Constantinople avait tout intérêt à reconnaître la primauté spirituelle de l’évêque de l’ancienne Rome, qui laissait à l’empereur l’autorité temporelle.

L’avènement de Charlemagne et son couronnement en tant qu’empereur d’Occident en 800 furent considérés par l’Empire byzantin comme une usurpation du titre impérial.

La vraie cause de désunion entre la papauté et Constantinople a porté sur la question de l’élection pontificale. Tant que l’évêque de Rome était élu librement par le clergé et le peuple de Rome, son élection était reconnue par Constantinople et son nom était inscrit dans les diptyques de Sainte Sophie. Ce qui a rendu la situation intolérable pour l’empereur byzantin, c’est l’allégeance de l’évêque de l’ancienne Rome au roi franc, usurpateur à ses yeux du titre impérial464.

En effet, les rapports entre le siège de Rome et le nouvel Empire d’Occident avaient reposé sur une réglementation contenue dans un instrument diplomatique : le Privilegium

Ludovici Imperatoris de regalibus confirmandis Papae Paschali de 817, un accord passé entre 462 Corpus Juris Civilis, Novellæ, nov. CXXXI, cap. 3.

463 Voir VALHE (S.), « Annexion de l’Illyricum au patriarcat œcuménique », op. cit., p. 35.

464 Voir GRUMEL (V.), « Les préliminaires du schisme de Michel Cérulaire ou la question romaine avant 1054 »,

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le pape Pascal Ier (817-824) et l’empereur Louis Ier le Pieux. Cet accord, tout en confirmant la liberté d’élection des pontifes, exigeait, qu’après la consécration, une notification officielle soit envoyée à l’empereur. C’était un premier pas pour que l’élection de l’évêque de Rome soit soumise à l’autorisation du monarque franc.

Effectivement, en 824, Louis Ier le Pieux imposera au successeur de Pascal Ier, le pape Eugène II (824-827), une nouvelle Constitutio romana465, qui obligera chaque pontife élu à prêter serment d’allégeance à l’empereur franc devant les missi (émissaires) impériaux. Le pape Sergius II (844-847) négligea cette constitution, ce qui suscita l’irritation de l’empereur Lothaire. Ce dernier envoya alors à Rome son fils Louis et l’évêque Drogon de Metz afin de formuler une exigence encore plus stricte : dorénavant, on ne pourrait plus consacrer un nouveau pape sans l’approbation de l’empereur et sans la présence de ses émissaires.

Cette décision suscita une vive résistance du peuple et du clergé romains. Les élections aux pontificats suivants seront marquées par cette lutte constante des Romains contre l’influence de l’empereur franc, à tel point que l’empereur Louis II viendra en personne pour assister à l’élection et à l’ordination du pape. Paradoxalement, le nouveau pontife élu Nicolas Ier (858-867) mettra toute son énergie à promouvoir le principe de la liberté de l’élection pontificale, en particulier lors du synode réuni à Rome en 862.

Le déclin de la monarchie carolingienne et la déposition de l’empereur Charles III le Gros en 887 fut perçu par les Byzantins comme un bon signe pour renouer des rapports avec les papes, qui sont élus librement. La reconnaissance de ces pontifes par l’Église de Constantinople ne rencontra aucune objection et on continuera à s’adresser aux évêques de Rome pour les affaires politiques et religieuses.

Cependant, le cours normal des relations entre les deux Églises, à la fin du IXe et au début du Xe siècle, cessa avec l’avènement d’Otton, qui commença à affermir la puissance germanique en Italie. Couronné roi d’Italie en 961 puis, un an après, empereur par le pape Jean XII (955-964), il mena une politique de réunification des terres d’Italie sous son pouvoir, y compris les possessions qui étaient celles de l’empereur de Byzance. Le nouvel empereur imposa au pape un traité par lequel la Constitutio romana de 824 était renouvelée : les papes nouvellement élus devront dorénavant prêter serment de fidélité à l’empereur devant des émissaires impériaux.

465 Voir EHLER (S. Z.), MORRALL (J. B.), Church and State Trough Centuries: A Collection of Historic Documents

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Vers 885 le général Nicéphore Phocas renforçait la mainmise des byzantins sur les territoires italiens : il interdit le rite latin en Apulie et en Calabre et créa une province ecclésiastique avec un métropolitain à Otrante et cinq évêchés placés sous la juridiction du patriarcat de Constantinople466.

C’est après le couronnement d’Henri II en tant qu’empereur d’Occident, à Rome, en 1014, par le pape Benoît VIII, qu’il devint manifeste que l’Orient et l’Occident avaient des conceptions complètement distinctes des relations que l’Église devait entretenir avec le pouvoir civil467. Le pape remit à ce rex germanique le globe, qui symbolisait le monde occidental. Dans la conception des Byzantins, le chef suprême de l’Église était l’empereur chrétien, vicaire de Dieu sur terre, le patriarche n’étant qu’un instrument pour exercer cette fonction. L’extension de la juridiction du patriarche devait donc automatiquement s’étendre sur l’œcoumène de l’Empire. Avec l’avènement d’Henri II, on arriva au concept de deux mondes, deux Empires parallèles, deux Églises, chacune universelle dans son domaine, indépendantes et égales en dignité468. Ainsi, la compétence de juridiction de chaque Église allait-elle s’appliquer uniquement au territoire de l’Empire correspondant. Cette mentalité s’enracina de plus en plus profondément dans la conscience byzantine et fut l’un des éléments fondamentaux dans la décision de Michel Cérulaire de fermer les monastères et les églises de rite latin à Constantinople.

En revanche, la mentalité latine sera marquée par une ecclésiologie forgée par la conception augustinienne de la rivalité permanente des deux cités, terrestre et céleste, et la prééminence du pouvoir spirituel. Cela se manifestera par la quête perpétuelle de la libertas

ecclesiae formulée de la façon la plus péremptoire dans le Dictatus papae de Grégoire VII en

1075 et, plus tard, par la théorie des deux glaives469.

466 Voir GRUMEL (V.), « Les préliminaires du schisme de Michel Cérullaire ou la question romaine avant 1054 »,

op. cit., p. 11.

467 Voir WEINFURTER (S.), Heinrich II. Herrscher am Ende der Zeiten, Regenburg, Pustet, 1999, 400 p.

468 Voir GRUMEL (V.), « Les préliminaires du schisme de Michel Cérulaire ou la question romaine avant 1054 »,

op. cit., p. 18.

469 Cette doctrine de prééminence du pouvoir spirituel sur le temporel sera formulée dans la bulle « Unam

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SECTION 2 – TENTATIVES DE RÉTABLISSEMENT DE L’UNION PAR LE RECOURS A UNE

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