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LA JURIDICTION ECCLÉSIASTIQUE EXERCÉE SUR UN TERRITOIRE

SECTION 2 – TENTATIVES DE RÉTABLISSEMENT DE L’UNION PAR LE RECOURS A UNE HIÉRARCHIE PARALLÈLE

B. MISE EN PLACE D’UNE HIÉRARCHIE PARALLÈLE

Après la prise de Constantinople par les Croisés lors de la IVe croisade en 1204, il ne s’agira plus de donner un patriarche à un siège vacant, mais carrément de substituer à l’empereur et au patriarche grecs un empereur et un patriarche latins, à savoir, Baudoin de Flandre et Thomas Morosini472. Ce fait, de toute évidence, ne contribuera pas du tout au rapprochement des deux parties de la chrétienté, mais aggravera profondément la situation. Comme nous pouvons le constater, dans le long processus qui fut à l’origine de la rupture entre les Églises d’Occident et d’Orient, la soustraction de l’Illyricum à la juridiction du pape en 421 et son placement sous la juridiction du patriarche de Constantinople sous Théodose II, puis son incorporation définitive à ce patriarcat au début du IXe siècle sous Léon VI, ont marqué le début des querelles de juridiction entre les deux anciennes Partes Imperii. L’annexion d’une partie de territoire par le pouvoir civil impliquait ainsi le changement immédiat de sa juridiction canonique.

471 Voir CAHEN (C.), La Syrie du Nord à l’époque des croisades et la principauté franque d’Antioche, Damas, Presses de l’Ifpo, 1040, coll. Études arabes, médiévales et modernes, p. 308.

472 En ce qui concerne la déviation de cette croisade par les créanciers vénitiens, voir : FROLOV (A.), « La déviation de la 4e Croisade vers Constantinople. Problème d’histoire et de doctrine », Revue de l’histoire des

religions, t. 145, n° 2, 1954, p. 168-187 ; t. 146, n° 1, p. 67-89 (deuxième article), t. 146, n° 2, 1954, p. 194-219

(troisième article) ; du même auteur, « La déviation de la 4e Croisade vers Constantinople. Note additionnelle : La Croisade et les guerres persanes d’Héraclius », Revue de l’histoire des religions, t. 147, n° 1, p. 50-61.

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L’évolution des Églises d’Occident et d’Orient entre le XIe et le XIIIe siècles, a donné naissance à deux conceptions ecclésiologiques différentes. Cette évolution était conditionnée par leur rapport avec le pouvoir civil. La prééminence du pouvoir spirituel sur le pouvoir civil dans le cas de l’Église latine s’est trouvée confrontée à l’aspiration à la symphonie justinienne dans l’Église byzantine. La conception occidentale reconnaîtra progressivement au pape une juridiction universelle, indépendamment de l’autorité civile. En revanche, la conception orientale placera sous la juridiction du patriarche de Constantinople tout territoire annexé ou conquis par le Basileus, sans tenir compte des droits de l’autorité juridictionnelle précédente, c’est-à-dire du pape.

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CONCLUSION DU CHAPITRE

En conclusion, nous pouvons constater que la première circonscription territoriale bien dessinée, où le pouvoir ecclésiastique de juridiction s’exerce, est une province ayant à sa tête un métropolitain. Le statut de métropolitain est lié uniquement au statut de la ville de son siège, qui est la capitale d’une province civile, sauf le cas de l’Afrique, où la charge de métropolitain est occupée par le plus ancien évêque de la province. Il faut remarquer que ce principe de calquer le découpage administratif de l’Église sur celui de l’Empire n’est pas absolu : les structures ecclésiastiques peuvent ne pas correspondre à ce dernier, leur organisation peut aussi être liée au développement historique particulier de chaque Église. Dans pratiquement tous les cas étudiés, nous avons vu ces exceptions. Le rôle du métropolitain est fondamental dans l’organisation de l’Église au sein d’une province : l’exercice de la charge métropolitaine permet de garantir son unité, la stabilité de son fonctionnement et de sauvegarder son intégrité doctrinale.

La formation des structures supra-provinciales dote les primats, surtout en Occident (Carthage, Tolède), de nouveaux droits, à savoir intervenir dans toutes les provinces sous leur juridiction, désigner les évêques et procéder à leurs ordinations.

Avec l’affirmation du système des patriarcats, chacun des cinq patriarches devient l’unique représentant officiel de toutes les Églises sous sa juridiction. Dans cette perspective, nous constatons un processus de forte centralisation des structures ecclésiastiques. Au VIIe et au début du VIIIe siècle, la conquête arabo-musulmane affaiblit énormément les patriarcats d’Antioche, d’Alexandrie et de Jérusalem, et anéantit quasiment les Églises d’Afrique du Nord et d’Espagne. Finalement, ce processus aboutit à ce qu’il n’y ait plus de facto que deux interlocuteurs, chacun exerçant sa juridiction dans les limites géographiques des deux antiques Partes Imperii désignées encore par Dioclétien : le pape de Rome et le patriarche de Constantinople.

Les deux cas évoqués d’empiètement sur les territoires de la juridiction de l’autre, celui d’Illyricum et de l’Italie du Sud, ont été accompagnés par l’intervention directe des empereurs d’Orient, qui voulaient à tout prix que les frontières de la juridiction ecclésiastique correspondent parfaitement aux frontières étatiques.

Les Francs appliquèrent le même principe, en soustrayant progressivement les sièges épiscopaux d’Orient à la juridiction orientale et en y établissant une juridiction latine. Cette

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entreprise n’a pas du tout favorisé l’unification des Églises, mais a abouti à l’existence de deux hiérarchies et, de facto, de deux juridictions parallèles sur un même territoire.

Nous pouvons donc constater, que le développement progressif et l’affirmation de la juridiction épiscopale au premier millénaire dans les limites de l’Empire romain du temps de Dioclétien, d’abord personnelle, puis appliquée à un territoire, sont très liés au contexte social et à l’évolution de la cité et de la vie politique en général. Plus les frontières acquièrent de réalité, plus cette juridiction devient territoriale. L’organisation sociale a beaucoup évolué entre l’époque des cités hellénistiques de l’Antiquité tardive, quand les frontières avaient un caractère très éphémère, et le modèle féodal qui se développe entre le Xe et le XIIe siècle, où au contraire les frontières sont très bien délimitées.

C’est avec l’implantation du modèle métropolitain entre le IIIe et le Ve siècle, qu’apparaît pour la première fois le rapport entre une juridiction ecclésiastique et un territoire concret.

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– SOUS-TITRE III –

TERRITOIRE ET ORGANISATION ADMINISTRATIVE DE L’ÉGLISE HORS DE L’EMPIRE ROMAIN

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