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LES MÉTROPOLITAINS DE GAULE : ENTRE TRADITION ET DÉCOUPAGE ADMINISTRATIF CIVIL NOUVEAU

LA JURIDICTION ECCLÉSIASTIQUE EXERCÉE SUR UN TERRITOIRE

LE RENFORCEMENT INSTITUTIONNEL ET LA NOTION DE COMPÉTENCE TERRITORIALE

C. LES MÉTROPOLITAINS DE GAULE : ENTRE TRADITION ET DÉCOUPAGE ADMINISTRATIF CIVIL NOUVEAU

L’institution du cadre métropolitain est une nouveauté en Gaule et l’implantation des structures ecclésiastiques calquées sur le découpage administratif de l’Empire ne se fait pas sans difficulté352. Des principes quelquefois inconciliables doivent trouver un compromis. Que doit-on privilégier ? La relation historique et spirituelle entre l’Église-mère et les communautés-filles, ou l’adoption de structures ecclésiastiques en fonction du découpage

346 Voir Breviarium hipponense, can. 25 ; concile de Carthage (419), can. 39.

347 Voir MUNIER (Ch.), Concilia Africae, op.cit., p. 18.

348 Ibid., p. 34-35.

349 Voir JOANNOU (P.-P.), Les canons des Synodes particuliers, op. cit., p. 234-236.

350 Les parties peuvent aussi choisir d’un commun accord les évêques voisins en tant que juges de leur cause, voir Voir JOANNOU (P.-P.), Les canons des Synodes particuliers, op. cit., p. 390-393.

351 Voir MUNIER (Ch.), Concilia Africae, op.cit., p. 253.

352 Voir GAUDEMET (J.),Conciles gaulois du IVe siècle, op. cit., p. 14-19 ; MARAVAL (P.), Le christianisme de

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administratif de l’Empire ? Quel rôle faut-il accorder à l’autorité personnelle de certains évêques ?

Le concile de Turin (398), que nous avons évoqué précédemment, devra traiter de deux rivalités touchant la compétence territoriale : une interprovinciale, entre Proculus de Marseille et l’évêque d’Aix, au sujet de la juridiction sur certaines Églises après un nouveau découpage administratif civil ; et une autre rivalité à l’intérieur de la même province Viennoise où les sièges d’Arles et de Vienne se disputent le titre de métropolitain353. Définir le rôle du métropolitain et les compétences de l’évêque de la métropole est donc d’une importance primordiale.

Nous pouvons observer une différence de terminologie par rapport à celle employée dans les conciles africains, où l’évêque de la capitale d’une province civile était appelé primae

sedis episcopus (« évêque du premier siège »). Les conciles gaulois utilisent l’expression

grecque μητροπολίτης ἐπίσκοπος : « metropolitanus ecclesiis quæ in provincia N. positæ

sunt » - « métropolitain des Églises situées dans la province N. » 354, metropolis

episcopus355( « évêque de la métropole »). La capitale d’une province est appelée metropolis

- ville-mère. Cette terminologie restera en usage dans l’ensemble des Églises d’Occident. Les autres évêques de la province sont appelés coprovinciales 356. Le concile d’Eauze (551)357 et celui d’Arles V (554) appliquent au métropolitain le titre de pontifex. Retenons, ici, surtout le concile d’Eauze qui donne à son métropolitain, comme il a déjà été souligné, un titre éloquent : « le saint et vénérable Aspasius, premier et apostolique évêque et pontife »358, pour signifier l’importance de la charge métropolitaine.

Pour la mise en place du système métropolitain en Gaule entre le IVe et le VIe siècles, les conciles ont dû établir des règles précises quant à l’élection des métropolitains et à leurs obligations (1). Le statut du métropolitain conférait au candidat un pouvoir judiciaire sur les évêques de sa province pour lesquels tout recours au pouvoir civil dans les litiges a été interdit. Le métropolitain devenait ainsi le premier défenseur de la libertas ecclesiæ (2).

353 Voir GAUDEMET (J.),Conciles gaulois du IVe siècle, op. cit., p. 20-21.

354 Voir concile de Turin (398), can. 1, GAUDEMET (J.),Conciles gaulois du IVe siècle, op. cit., p. 136-139. 355 Voir concile de Tours II (567), can. 1, GAUDEMET (J.), BASDEVANT (B.), Les canons des conciles mérovingiens

(IVe – VIIe siècles), t. II, op. cit., p. 350-351. 356 Ibid.

357 Le concile d’Eauze fut un concile local, ses canons n’auront qu’une diffusion très limitée.

358Voir le préambule de cette assemblée synodale d’Eauze : GAUDEMET (J.), BASDEVANT (B.), Les canons des

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1. L’élection d’un métropolitain et le gouvernement d’une province ecclésiastique

Les règles d’élection et d’ordination du métropolitain se mettent progressivement en place. Le IIème concile d’Orléans (533), rassemblé par trois fils de Clovis, décide de renouveler l’ancienne formule d’institution, tombée en désuétude par incurie : l’évêque métropolitain est élu par les comprovinciaux, le clergé et le peuple, et il est ordonné lors de la réunion de tous les évêques comprovinciaux (canon 7) 359. Il faut remarquer que la reprise des canons de ce concile dans les collections postérieures fut très limitée. En revanche, le concile Orléans III (538), dont les dispositions trouveront une large diffusion, réitérera la règle d’Orléans II (533), en précisant que le privilège d’ordonner un métropolitain revient aux autres métropolitains « que désigne la coutume » (canon 3)360.

Le gouvernement de l’Église d’une province se fait par le rassemblement synodal de tous les évêques de celle-ci. Le concile d’Épaone (517)361 établit en tant que « première et

immuable constitution » que lorsqu’un métropolitain convoque d’autres métropolitains ou

ses comprovinciaux pour tenir un concile ou célébrer une ordination épiscopale, ceux-ci doivent obligatoirement être présents (canon 1er)362 sauf pour cause de maladie grave. La même disposition est reprise par les canons 1 et 2 du concile d’Orléans II (533)363. Le concile Orléans III (538) ajoute encore quelques précisions : le concile provincial doit être tenu chaque année. Le métropolitain a l’obligation d’organiser ces réunions, s’il néglige ce devoir, il encourt une peine d’interdiction de célébrer la messe durant une année (can. 1)364. Les évêques qui négligent leur participation à l’assemblée synodale, sauf pour cause d’infirmité corporelle, sont punis de la même peine. Le Ve concile d’Orléans (549), sous le roi Childebert, assouplira la peine et la réduira à six mois pour les évêques injustement absents (can. 18) 365 ; en outre un évêque puni peut solliciter le pardon du métropolitain.

359 Voir GAUDEMET (J.), BASDEVANT (B.), Les canons des conciles mérovingiens (IVe – VIIe siècles), t. 2, op. cit.,

p. 199.

360 Ibid., p. 232-233.

361 Ibid., p. 93-125.

362 Voir GAUDEMET (J.), BASDEVANT (B.), Les canons des conciles mérovingiens (IVe – VIIe siècles), t. 1, op. cit.,

p. 102-103.

363 Ibid., p. 196-197.

364 Ibid., p. 230-231.

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L’assouplissement des sanctions prévues par le concile d’Orléans V (549) peut s’expliquer par l’efficacité des mesures prises par le concile d’Orléans III (538), qui fut un concile général de grande portée.

Les conciles d’Orléans IV (541, can. 37)366 et d’Orléans V (549, can. 23)367 réitèrent le principe d’obligation de tenir l’assemblée synodale une fois par an pour régler les questions disciplinaires. Le concile de Tours II (567) demande au métropolitain et aux comprovinciaux de se réunir deux fois par an en concile (can. 1)368. Cette réunion est d’une obligation stricte pour les évêques – celui qui s’abstient d’y participer est privé de la communion.

Dans les questions relatives à la gestion des biens ecclésiastiques, les métropolitains acquièrent aussi plus de pouvoir : si le concile d’Agde (506) ne permet pas à l’évêque d’aliéner une partie des biens de son Église sans l’assentiment des évêques voisins (can. 7), le concile d’Épaone (517) demande pour cela le consentement du métropolitain (can. 12)369. L’attribution de cette faculté au métropolitain marque le souci d’une plus grande centralisation du pouvoir ecclésiastique.

Dans une même volonté de centralisation et d’unification, c’est au métropolitain qu’il revient de veiller à l’unité de l’office divin dans sa province : il est le garant de l’unité liturgique. L’ordo liturgique du métropolitain doit être observé par tous les évêques (Épaone, can. 27)370.

Eufronius, métropolitain de Tours, se revendique le droit d’exercer sa vigilance sur les ordinations épiscopales en Armorique et, face aux Bretons arrivés récemment, le concile décide que personne sur ce territoire ne doit se permettre d’ordonner évêque un Breton ou un Romain sans la lettre du métropolitain ou des comprovinciaux (Tours II, 567, c. 9)371. Effectivement, il y avait une lutte d’intérêts entre les évêchés gallo-romains et les évêchés celtes en Bretagne372.

366 Ibid., p. 286-287.

367 Ibid., p. 318-319.

368 Voir GAUDEMET (J.), BASDEVANT (B.), Les canons des conciles mérovingiens (IVe – VIIe siècles), t. 2, op. cit.,

p. 350-351.

369 Voir GAUDEMET (J.), BASDEVANT (B.), Les canons des conciles mérovingiens (IVe – VIIe siècles), t. 1, op. cit.,

p. 106-107.

370 Ibid., p. 114-115.

371 Voir GAUDEMET (J.), BASDEVANT (B.), Les canons des conciles mérovingiens (IVe – VIIe siècles), t. 2, op. cit.,

p. 354-355.

372 Voir HALLEGUEN (E.), L’Armorique bretonne celtique, romaine et chrétienne, Paris, éd. Durand, 1864, p. 234-257 ; HALLEGUEN (E.), Etablissement, au Ve siècle, d’évêchés gallo-romains dans l’extrême Armorique (Basse Bretagne, compte-rendu de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1861, v. 5, p. 307-308 ; voir aussi Les débuts de l’organisation religieuse de la Bretagne armoricaine, actes du deuxième colloque « Les débuts de l’organisation ecclésiastique en Bretagne » et du quatrième colloque « La fondation des évêchés bretons, légende

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2. L’activité juridique du métropolitain et son rapport au pouvoir civil

Le deuxième concile de Lyon (567-570) établit la procédure à suivre en cas de différend entre deux évêques : s’ils appartiennent à la même province, l’affaire doit être portée au jugement du métropolitain et des comprovinciaux ; s’ils appartiennent à des provinces différentes, la cause sera jugée par les deux métropolitains respectifs (canon 1)373. Le concile de Paris V (614) demande à chaque évêque voulant régler un différend avec un autre évêque de porter l’affaire devant son métropolitain. Il lui est formellement interdit de s’adresser au juge civil sous peine d’excommunication (canon 13/11)374.

Le métropolitain avec ses comprovinciaux est le garant de l’indépendance de l’Église face aux revendications du pouvoir civil dans les décisions touchant les ordinations épiscopales. Le concile de Paris III (556-573) prend une décision forte dans ce sens, en écartant sévèrement toute désignation royale. Les évêques ordonnés abusivement dans le passé doivent être jugés par le métropolitain et ses comprovinciaux (canon 8)375. Les mêmes dispositions seront prises par le concile de Paris V (614) : c’est au métropolitain qu’il appartient de choisir un évêque pour un siège vacant de sa province, avec le consentement du clergé et du peuple de celle-ci. C’est lui qui ordonne le candidat (canon 2)376.

La liberté vis-à-vis du pouvoir civil est aussi recherchée quand il s’agit de juger des évêques accusés par le pouvoir civil. Les textes du concile de Mâcon II (585) nous décrivent la situation de certains évêques qui sont soustraits de leur charge par le pouvoir séculier et jetés dans des cachots publics. En pensant sans doute à la constitution de l’empereur Constance du 23 septembre 355377, qui prévoit que l’accusation contre un évêque ne relève plus de la

et histoire », Centre International de Recherche et de Documentation sur le Monachisme Celtique, juillet 1889

et 1991, Landévennec, Britannia monastica, vol. III, 1994, 202 p.

373 Voir GAUDEMET (J.), BASDEVANT (B.), Les canons des conciles mérovingiens (IVe – VIIe siècles), t. 2, op. cit., p.

402-403.

374 Ibid., p. 516-517.

375 Ibid., p. 420-423.

376 Ibid., p. 508-509.

377 « […] Par une loi de Notre mansuétude nous interdisons de porter devant les tribunaux des accusations

contre les évêques, de peur que des esprits furieux n’aient toute liberté de les inculper en se flattant d’obtenir l’impunité grâce à leur bienveillance. Si donc quelqu’un déclare avoir quelque motif de se plaindre, il convient que cette plainte soit examinée de préférence par d’autres évêques, pour qu’une écoute opportune et convenable soit accordée à tous les interrogatoires. », C. théod. XVI, 2, 12, Paris, Cerf, 2005, SC, p. 143-145 ; voir aussi : GENESTAL

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compétence du juge séculier, mais exclusivement du jugement d’autres évêques378, les Pères du concile de Mâcon II (585) décrètent que chaque accusation de la part du pouvoir séculier contre un évêque doit être portée devant le tribunal du métropolitain, qui en cas de nécessité peut recourir à l’aide d’un ou deux évêques (canon 9)379.

Ces dispositions conciliaires révèlent une aspiration constante de l’Église franque à s’émanciper d’un pouvoir royal bien souvent abusif.

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