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LA JURIDICTION ECCLÉSIASTIQUE EXERCÉE SUR UN TERRITOIRE

SECTION 1 – VERS UNE JURIDICTION CONCILIAIRE TERRITORIALE

A. LA LÉGISLATION DES CONCILES ORIENTAUX

2. L’évêque et sa communauté (παροικία)

L’évêque est ordonné pour gouverner une Église précise. Il doit en assumer la charge dès son ordination ; s’il la néglige, il doit être privé de communion (Can. Ap., v. 400, canon 36)169. La même disposition est décrétée par le concile d’Antioche (341, canon 17)170. Quelquefois, le problème peut surgir quand le peuple, par mauvaise volonté, refuse son nouvel évêque171. Dans ce cas, c’est le clergé de ce peuple qui est tenu pour responsable et qui doit être excommunié (Ant., canon 36)172. Le concile d’Antioche (341) permet à l’évêque non agréé par son peuple de sauvegarder sa dignité épiscopale, mais sans s’ingérer dans les affaires de l’Église où il demeure. L’examen de son cas sera soumis au synode complet de la province (Ant., canon 18)173.

166 Voir JOANNOU (P.-P.),Les canons des Conciles Œcuméniques, op. cit., p. 93-94. 167 Ibid., p. 171-172.

168 Voir JOANNOU (P.-P.),Les canons des Synodes Particuliers, op. cit, p. 476-477.

169 Ibid., p. 25. Dans ce cas précis la « privation de la communion » ne signifie pas l’exclusion de la communauté, c’est une sorte de « mise en quarantaine » correctionnelle qui comprend l’interdiction de célébrer les sacrements et de communier. Voir aussi GAUDEMET (J.), « Note sur l’excommunication », op. cit., p. 288-289.

170 Ibid., p. 117-118.

171Socrate le Scolastique (380-450) dans son Histoire ecclésiastique rapporte le cas de Périgène, ordonné pour Patras, mais qui n’a pas été accepté par les habitants de cette ville. Voir SOCRATE DE CONSTANTINOPLE, Histoire

ecclésiastique, Livre VII, ch. 36, 6-9, Paris, Cerf, 2007, SC, n° 507, p. 128-131. 172 Voir JOANNOU (P.-P.),Les canons des Synodes Particuliers, op. cit, p. 25. 173 Ibid., p. 118.

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En revanche, l’évêque est seul à ordonner les prêtres, les diacres et d’autres clercs pour sa παροικία (Can. Ap., canon 2)174. Le concile de Chalcédoine (451) interdit d’ordonner les clercs sans assignation (canon 6)175. Chacun doit être assigné spécialement à une église de ville, de bourg, il ne peut pas appartenir au clergé de deux Églises à la fois (canon 10)176 et ne peut pas être transféré d’une Église à l’autre (canon 20)177.

S’agissant de l’administration de la communauté de la ville ou des communautés récemment fondées dans les bourgs et à la campagne, le concile de Chalcédoine (451) prévoit que trente années d’administration de ces communautés assurent à l’évêque leur possession canonique (canon 17)178. Cette règle sera réitérée par le canon 25 du concile In-Trullo (691)179. L’évêque est le garant de la pureté de la doctrine dans sa communauté, c’est pour cela qu’il ne peut pas être en communion avec les évêques qui sont exclus de l’Église, sinon, d’après le concile d’Antioche (341), il sera exclu de l’Église lui aussi (canon 2)180.

Le concile In-Trullo (691) obligera l’évêque à dispenser au clergé et à son peuple un enseignement religieux, conforme à la tradition, chaque jour et surtout le dimanche (canon 19)181. L’évêque ne pourra exercer cette faculté que dans les limites de l’Église qui lui est confiée, et jamais dans l’Église d’un autre, sinon son siège épiscopal lui sera retiré et il n’exercera plus son ministère qu’en tant que prêtre (canon 20)182.

Par ailleurs, les clercs ou les laïcs « privés de la communion » par leur évêque ne peuvent pas être reçus par un autre évêque, selon une règle déjà établie par le concile de Nicée (325). En cas de doute sur la justesse de la sentence épiscopale, le synode provincial pourra trancher (canon 5)183.

Un clerc suspendu de ses fonctions par son évêque ne peut en aucun cas être accueilli et rétabli dans ses fonctions par un autre évêque : l’évêque qui accueillerait un tel clerc serait

174 Ibid., p. 5.

175 Voir JOANNOU (P.-P.),Les canons des Conciles Œcuméniques, op. cit., p. 74-75. 176 Ibid., p. 77-78.

177 Ibid., p. 85-86.

178 Ibid., p. 82-83.

179 Ibid., 148-149.

180 Voir JOANNOU (P.-P.),Les canons des Synodes Particuliers, op. cit, p. 105-106. 181 Voir JOANNOU (P.-P.),Les canon des Conciles Œcuméniques, op. cit., p. 150-151. 182 Ibid., p. 152.

183 Voir JOANNOU (P.-P.),Les canons des Conciles Œcuméniques, op. cit., p. 27-28. Dans le can. 5 du concile de

Nicée (325), il s’agit bien d’une sentence prononcée par l’évêque. La « privation de la communion » comprend aussi l’exclusion de la communauté chrétienne. Voir GAUDEMET (Jean), « Note sur l’excommunication », op. cit., p. 288-288.

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considéré comme responsable du désordre et privé de communion (Can. Ap., canons 16 et 32)184. Une règle similaire est établie par le concile d’Antioche (341, canon 3)185.

L’évêque ne peut accueillir un clerc étranger de passage dans sa communauté que si celui-ci est muni de la recommandation de son évêque (εἰρηνικά, pacifica epistola, canonica

epistola). Selon le concile de Laodicée (fin du IVe s.), aucun clerc ne peut voyager sans être

muni des lettres canoniques (canon 41)186, ni tout simplement, entreprendre un voyage sans l’autorisation de son évêque (canon 42)187. De même les règles du Concile de Chalcédoine (451) ne permettent pas aux clercs et aux lecteurs d’exercer un ministère quelconque dans une Église étrangère, sans être munis des lettres canoniques de leur propre évêque (canon 13)188. Le concile In-Trullo (691), face aux transferts abusifs de clercs d’une Église à l’autre, interdit à tout membre du clergé, quel que soit son rang, de prendre un service dans une autre Église, sans présenter les lettres dimissoriales (εγγραφον άπολυτικής γραφής,

scripta dimissoria) de son évêque (canon 17)189.

Tout prêtre d’une Église épiscopale est en lien étroit avec son évêque et détient de lui le pouvoir de célébrer les sacrements. Aucun prêtre ne peut célébrer en désaccord avec son évêque sous peine de déposition. Si une partie du clergé le suit dans ses ambitions illicites, ce clerc délinquant aura le même sort et les fidèles qui le suivent seront séparés de l’Église (Can. Ap., canon 31)190. Le concile In-Trullo (691) décide que les célébrations dans les chapelles installées dans les maisons privées ne peuvent pas avoir lieu sans l’assentiment de l’évêque du lieu (canon 31)191.

Par ailleurs, avec l’expansion du monachisme, l’organisation des relations entre une Église épiscopale et la communauté monastique qui est implantée sur son territoire, relève de l’autorité épiscopale. Le concile de Chalcédoine (451), afin d’éviter des troubles au sein de l’Église locale, à cause de moines trop intrusifs, défend la construction de monastères ou d’oratoires sans l’assentiment de l’évêque de la ville. Les moines n’ont pas le droit de se mêler des affaires de l’Église locale, encore moins de la vie séculière. L’évêque, à son tour, doit

184 Voir JOANNOU (P.-P.),Les canons des Synodes Particuliers, op. cit, p. 15 et 22. 185 Ibid., p. 106-107.

186 Ibid., p. 147.

187 Ibid., p. 148.

188 Voir JOANNOU (P.-P.),Les canons des Conciles Œcuméniques, op. cit., p. 80. 189 Ibid., 148-149.

190 Voir JOANNOU (P.-P.),Les canons des Synodes Particuliers, op. cit, p. 22. 191 Voir JOANNOU (P.-P.),Les canons des Conciles Œcuméniques, op. cit., p. 162.

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pourvoir à l’entretien des monastères (Chalc., canon 4)192. Les monastères, comme les sanctuaires des martyrs et les hospices, sont placés sous sa juridiction (Chalc., canon 8)193. Le concile Prime-Second de Constantinople (861) réitérera la règle sur la construction des monastères, qui nécessite l’autorisation de l’évêque du lieu (canon 1er)194.

Ce même concile, particulièrement sensible aux risques de schisme, prendra des mesures sévères vis-à-vis des prêtres ou des diacres qui, sous prétexte de fautes imputables à leur évêque, omettent la commémoration de son nom dans la liturgie eucharistique. Cette omission sera considérée comme un cas de schisme et le clerc en question encourra une peine de déposition et de privation de son honneur. Les religieux et les laïcs qui suivraient un tel clergé seraient aussi séparés de l’Église (P.-S., canon 13)195. Le même principe disciplinaire est adopté quand il s’agit de la relation de l’évêque avec son métropolitain. L’évêque doit commémorer son nom lors de la liturgie eucharistique, alors même qu’il a un grief contre le métropolitain, ceci afin d’éviter le schisme, sinon cet évêque est dépouillé de sa dignité (P.-S., canon 14)196. L’observance des diptyques constituait ainsi un signe très révélateur de la communion ecclésiale.

Les évêques de la ville ont plus d’autorité que ceux de la campagne, qui ne sont que des chorévêques dont le pouvoir est très limité. Mais les conciles vont progressivement s’opposer à l’ordination d’évêques pour la campagne. En ce sens, le concile de Laodicée enjoint les chorévêques déjà constitués de n’entreprendre aucune activité pastorale sans l’accord de l’évêque de la ville (canon 57)197.

La règle de la stabilité est claire : il est interdit à l’évêque de quitter sa propre Église pour s’emparer d’une autre. Le transfert des évêques est absolument interdit par le concile d’Antioche (canon 21)198. Néanmoins, les Canons Apostoliques (v. 400) prévoient la possibilité de ce changement seulement dans le cas où un grand nombre d’évêques le jugent utile pour le bien de l’Église et à condition qu’ils demandent à l’évêque en question de passer d’un siège à l’autre (canon 14) 199. Hosius de Cordoue, lors du concile de Sardique (343-344), demande

192 Ibid., p. 72-74.

193 Ibid., p. 75-76.

194 Voir JOANNOU (P.-P.),Les canons des Synodes Particuliers, op. cit., p. 447-449. 195 Ibid., p. 470-472.

196 Ibid., p. 472-473. 197 Ibid., p. 153.

198 Ibid., p. 121.

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que « la très mauvaise habitude » de passer d’une ville à une autre, pratiquée par certains évêques, soit éradiquée (canon 1er)200. Il explique que de telles transitions, pratiquement toujours d’une ville moins importante vers une ville plus importante, étaient motivées par l’avarice et l’avidité de pouvoir. Les coupables de ce genre devaient être châtiés sévèrement : ils seront privés de la communion, même s’ils veulent y accéder comme de simples laïcs. Personne ne peut chercher à satisfaire ses prétentions sur une autre Église en présentant une lettre du peuple de celle-ci : cela donne des motifs pour le soupçonner de corruption, et la peine précitée lui sera infligée (Sard., canon 2)201. Finalement, le concile œcuménique de Chalcédoine (451) déclare que les canons des Pères, qui interdisent le transfert des évêques, comme d’autres clercs, doivent être respectés (canon 5)202.

Le concile d’Ancyre (314) apporte un éclairage sur un autre problème : quelquefois des évêques non agréés par leur peuple s’introduisent dans d’autres Églises et créent des troubles dans ce peuple contre l’évêque du lieu. Dans ce cas, ils sont privés de communion. En revanche il leur est permis de se retirer dans le lieu où ils étaient prêtres auparavant (canon 18)203. Un évêque libre, sans communauté, qui s’introduit dans une communauté où le siège épiscopal est vacant, sans l’autorisation du synode complet, c'est-à-dire du rassemblement des évêques de la province présidé par le métropolitain, est considéré comme usurpateur, même si le peuple qu’il prétendait diriger se prononce favorablement à son sujet (Ant., canon 16)204.

Les principes communs concernant les chrétiens voyageurs en général sont d’autant plus valables pour les évêques. Dans leurs déplacements, ces derniers ne peuvent être admis dans d’autres Églises qu’en présentant leurs lettres testimoniales (συστατική επιστολή,

litterae commendaticiæ). Ces lettres devront être soigneusement examinées, afin d’être

assuré que l’évêque qui se présente est un personnage fiable qui professe une doctrine saine et qui ne mettra pas de désordre ni de trouble dans la communauté (Can. Ap., canon 33)205, car, dit le canon, « il arrive bien des surprises ». Le concile de Sardique (343-344) interdit le

200 Ibid., p. 159-160.

201 Ibid., p. 161.

202 Cependant Socrate le Scolastique (v. 380-450) dans son Histoire ecclésiastique donne une série d’exemples de translation des évêques d’un évêché à un autre en disant : « Les anciens ne faisaient point de difficulté de

transférer un évêque d’une ville à une autre, lorsqu’ils le jugeaient nécessaire ». Voir SOCRATE DE CONSTANTINOPLE,

Histoire ecclésiastique, Livre VII, ch. 36, Paris, Cerf, 2007, SC, n° 507, p. 128-133. 203 Voir JOANNOU (P.-P.),Les canons des Synodes Particuliers, op. cit, p. 69. 204 Ibid., p. 117.

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déplacement d’un évêque dans une autre province sans l’invitation des évêques de celle-ci (canon 3)206.

Concernant les relations entre les évêques d’une même province, ils doivent reconnaître leur primat comme chef, celui-ci étant garant de leur communion. Le métropolitain doit prendre les décisions en accord avec tous les évêques de la province, et il revient à ces derniers de s’occuper uniquement de l’Église de leur ville et des campagnes qui en dépendent (Can. Ap., canon 34)207.

Dans le cas d’un différend entre deux évêques de la même province, aucun d’eux ne peut recourir à l’arbitrage des évêques d’une autre province, la partie condamnée ayant toujours la possibilité de faire appel à l’évêque de Rome (Sard., canon 3)208. Seule la sentence de l’évêque de Rome serait sans appel. Dès lors, lorsqu’un évêque est déposé par d’autres évêques, aucun successeur à son siège ne sera désigné avant que ne soit prononcée la sentence définitive (Sard., canon 4) 209.

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