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LA JURIDICTION ECCLÉSIASTIQUE EXERCÉE SUR UN TERRITOIRE

SECTION 2 – DE LA POLYARCHIE AU MONOÉPISCOPAT : LES SYNODES DE SÉLEUCIE DE 410 ET DE 420

B. LA PRIMAUTÉ DE L’ÉVÊQUE DE SÉLEUCIE-CTÉSIPHON ET LE PASSAGE A L’AUTOCÉPHALIE ABSOLUE DE L’ÉGLISE EN PERSE

2. L’autocéphalie absolue de l’Église perse

Quelles furent les causes qui avaient pu pousser les évêques réunis autour de Dadishō à décider l’autonomie absolue de leur Église ? Les Pères du synode de Markabta (424), avec Agapit de Bēth Lapat qui fut la cheville-ouvrière de ce synode, estimaient que les « Pères occidentaux » n’étaient plus en mesure d’aider l’Église de Perse comme cela avait été le cas auparavant. Ils craignaient également, que la possibilité de recourir à une autorité, qui serait autre que celle du catholicos de Séleucie-Ctésiphon, ou à toute autre autorité qui lui serait supérieure, favoriserait les intrigues et les divisions. Leur motivation était de surcroît politique, puisque les rois sassanides voyaient dans l’Empire romain leur ennemi durable. Dans l’Église, le recours à une autorité « occidentale » aurait donc été fortement désapprouvé par le pouvoir royal. L’intervention des « Occidentaux » dans les affaires de l’Église de Perse aurait été considérée comme une ingérence étrangère et aurait pu exposer les chrétiens de l’Empire perse aux dangers des persécutions.

Tous ces éléments expliquent le fait que le grand métropolitain de Séleucie ne pouvait que recevoir une juridiction plénière, universelle et sans appel.

L’argumentation d’ordre scripturaire d’Agapit de Bēth Lapat, pour comparer la primauté du catholicos de Séleucie sur les autres évêques à celle de l’apôtre Pierre sur les autres apôtres, appuyait cette décision588.

La création des nouvelles structures administratives de l’Église perse et la détermination de leur statut conforteront aussi désormais de l’autorité du catholicos. C’est ainsi que Yāhbalāhā (415-420) érigera en métropoles les sièges de Merv et de Rev-Ardashir589.

587 Ibid., p. 51, trad. p. 296.

588 Ibid., p. 50, trad. p. 294.

589 Parmi les métropolitains-signataires, réunis en synode par le catholicos Mar Akak en 486, figurait Pharoumé de Merv, cette ville ayant été érigée en métropole depuis Yāhbalāhā d’après le témoignage d’Ebedjésus. Il en était de même pour le métropolitain Ma’na de Rev-Adrashir, ibid., p. 299-300.

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L’évêque de Séleucie-Ctésiphon, dont l’autorité avait été souvent contestée par ses pairs des sièges plus anciens, est ainsi devenu le chef d’une Église totalement autocéphale, un chef dont « l’autorité souveraine » devra être « perpétuée et honorée, dans le principat de son

Église »590, un chef indépendant dans ses décisions qui seront sans appel et non-soumises à la

τάξις (l’ordre de préséances) des primats de l’Empire romain.

En même temps que s’établissait dans l’Empire romain, avec l’apparition des structures supra-provinciales, un ordre de préséances entre les patriarches, ordre au sein duquel l’évêque de Rome avait la charge de l’ultime tribunal d’appel, l’évêque de Séleucie-Ctésiphon affirmera son autorité absolue et sa primauté de juridiction sur les autres métropolitains et évêques de l’Empire sassanide. Cependant, son pouvoir sera restreint, lors du synode de Mar Joseph de 554, par l’obligation de consulter les évêques assistants pour prendre des décisions591. Avec l’établissement de ce principe synodal, c’est désormais en synode que le catholicos exercera son pouvoir législatif et judiciaire592. Son autorité dépassera largement les frontières perses au moment où seront érigées plus tardivement des métropoles jusqu’en Inde et en Chine septentrionale. Par ce fait, Église perse prétendra à une certaine universalité. Gagnée par la mouvance théologique de Théodore de Mopsueste593, après les querelles christologiques du concile de Chalcédoine (451) auquel elle n’avait pas participé, l’Église de Perse va de plus en plus se distinguer, tant des romano-byzantins que des monophysites du patriarcat d’Antioche. Les évêques perses vont alors s’unir autour de la figure du catholicos afin d’affermir l’identité de leur Église.

590 Synode de Mar Dadishō (424) ; ibid., p. 51, trad. p. 296.

591 Can. 7 du synode de Mar Joseph (554), ibid., p. 101, trad. p. 358.

592 Can. 6 du synode de Mar Isaac (410), déclaration du synode de Mar Babaï (497), et can. 15 du synode de Mar Ézéchiel (576), ibid., p. 25, trad. p. 264 ; p. 64, trad. p. 313 et p. 121, trad. p. 380.

593 Théodore de Mopsueste (352/355 – 428), disciple de Diodore de Tarse est une des figures les plus illustres de l’école théologique d’Antioche. La doctrine de Théodore de Mopsueste et celle de Diodore de Tarse constituèrent le fondement théologique de l’école d’Édesse et, plus tard, de celle de Nisibe. Trois ans après la mort de Théodore de Mopsueste (en 431), le concile d’Éphèse a condamné des thèses christologiques inspirées par ses écrits sous le nom de nestorianisme. Pour l’Église perse, ce théologien restera au contraire la référence de l’orthodoxie. Dès 484, il sera appelé « l’Interprète par excellence » des textes bibliques. La redécouverte en 1932 de ses homélies catéchétiques, publiées en 1949, a permis de faire une réévaluation de leur portée christologique et de conclure que la condamnation posthume de Théodore lors du concile d’Éphèse se fondait sur des passages falsifiés. Voir Les homélies catéchétiques de Théodore de Mopsueste, TONNEAU (R.) et DEVREESSE

(R.) trad., Studi et Testi, t. 145, Città del Vaticano, Biblioteca apostolica vaticana, 1949 ; voir aussi AMANN (É.), « La doctrine christologique de Théodore de Mopsueste », Revue des Sciences Religieuses, 1934, V, 14, 2, p. 161-190 ; DEVREESSE (R.), Essai sur Théodore de Mopsueste, Studi e testi, t. 141, Città del Vaticano, Biblioteca apostolica vaticana, 1948, VII – 439 p.

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Après la fermeture de l’école d’Édesse décidée par l’empereur Zénon en 489594, un grand nombre d’enseignants et d’élèves s’étaient alors installés à Nisibe. À l’invitation du métropolitain de Nisibe, Bar Sauma (457-496 ?), ancien directeur de l’école d’Édesse, Narsai refonda une nouvelle école de théologie où la doctrine de Théodore de Mopsueste sera enseignée.

Les monophysites, à leur tour, chassés de l’Empire byzantin, essayèrent de trouver refuge en Perse, mais ils furent confrontés à l’hostilité extrême de l’Église locale et du pouvoir civil. Nous savons que c’est avec le concours de Bar Sauma et à son initiative, que le roi Pērōz Ier (459-484) avait mené une persécution sanglante contre les monophysites dans l’Empire et qu’il avait réservé un accueil favorable à la doctrine nestorienne.

C’est à partir du pontificat de Mar Akak (485-496), que l’Église perse a affirmé définitivement son identité doctrinale nestorienne et qu’elle a élaboré une discipline et une organisation propre. Le roi Kavadh Ier, monté sur le trône en 488, était convaincu que l’unité de la doctrine parmi les chrétiens relevait de l’intérêt de l’État. C’est pourquoi il fit imposer le nestorianisme comme unique doctrine de l’Église perse, opposée à la doctrine des chrétiens du pays-ennemi, l’Empire romain. Toute autre doctrine chrétienne était interdite.

594 L’école théologique d’Édesse (appelée à partir de 363 « École des Perses ») était le centre principal de la pensée théologique de l’Église Perse et le centre de formation de son haut clergé. Ses origines remontent traditionnellement à Éphrem le Syrien qui s’était installé à Édesse après la prise de sa ville natale de Nisibe par les Sassanides en 363. Cette école de la tradition antiochienne s’appuyait sur l’autorité doctrinale de Théodore de Mopsueste et de Diodore de Tarse. Troublée par les querelles christologiques, elle fut fermée par l’empereur Zénon et l’évêque d’Édesse Qūrā en 489. Voir TISSERANT (Eugène), « Nestorienne (l’Église) », Dictionnaire de

théologie catholique, Paris, Letouzey et Ané, 1931, t. XI, 1, col. 173-174; HAYES (Ernest-Richard), L’École d’Édesse, Syriac Studies Library, t. 103, New Jersey, Gorgias Press, 2012.

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CONCLUSION DU CHAPITRE

Ainsi, dans l’Empire perse, le contexte politique des persécutions ne permettait pas à l’Église d’établir une organisation administrative semblable à celle qui s’était mise en place dans l’Empire romain. Composée de communautés autochtones de culture syriaque et de communautés hellénisantes issues des déportations, elle était confrontée aux problèmes générés par la polyarchie et par les conflits incessants au sein de l’épiscopat. Le dilemme quant à déterminer s’il fallait privilégier l’autorité des évêques des sièges plus anciens ou l’autorité de l’évêque de la capitale a été définitivement résolu en faveur de celui-ci, avec l’appui des évêques occidentaux et du roi Yazdgerd Ier (399-420) en personne lors du Ier concile de Séleucie de 410. L’introduction du symbole de Nicée et la réception des conciles tenus dans l’Empire romain ont fourni à l’Église perse un instrument précieux qui pouvait désormais l’aider à mettre en place une organisation administrative ecclésiastique centralisée et garantir l’unité doctrinale et disciplinaire.

L’autocéphalie absolue de l’Église d’Orient et les prérogatives de l’évêque de Séleucie-Ctésiphon déclarées au concile de Markabta en 424, n’aboutiront pas pour autant au repli de l’Église perse sur elle-même dans les limites des six provinces intérieures de l’Empire. Tournée désormais vers les provinces frontalières, dites « provinces de l’extérieur » et vers les autres pays orientaux dont elle assurera l’évangélisation, l’Église perse devra envisager de nouveaux modèles d’organisation administrative, en s’adaptant au contexte socio-politique de chaque région. À côté de l’organisation métropolitaine qui constituait dans l’Empire romain l’unique modèle-type de l’organisation ecclésiastique, l’Église perse inventera d’autres modèles.

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– CHAPITRE II –

AUTORITÉ TERRITOIRIALE ET MISSIONS DU PATRIARCAT DE

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