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LA JURIDICTION ECCLÉSIASTIQUE EXERCÉE SUR UN TERRITOIRE

SECTION 2 LA RÉFORME ADMINISTRATIVE CIVILE SOUS DIOCLÉTIEN (285-293)

L’Église, quand elle commence à étendre son implantation au sein de l’Empire romain, cherche à prendre ses repères et à s’organiser dans toute l’οἰκουμένη. Elle profitera de deux périodes relativement paisibles, chacune d’une quarantaine d’années, dans le contexte plus large du temps des persécutions, c’est-à-dire avant la brève et violente persécution de Dèce en 250 et après la grande persécution de Valérien dans les années 257-259. L’édit de tolérance de l’empereur Gallien en 260 va donner aux chrétiens un espace de paix, jusqu’à la grande persécution de Dioclétien en 303-304 qui sera un véritable massacre en raison du nombre de ses victimes. Dans quelle mesure l’organisation ecclésiastique de cette époque empruntait-elle aux structures étatiques que Dioclétien avait mises en place après sa réforme militaire et administrative entre 285 et 293 ? Quelles conséquences l’organisation étatique, selon le régime mis en place par Dioclétien, pouvait-elle avoir sur les principes de la future organisation de l’Église et les compétences territoriales des évêques ?

L’examen des causes de la réforme de l’empereur, puis l’étude de l’organisation elle-même avec ses particularités, liées à telle ou telle partie de l’Empire, nous permettront d’éclairer ces questions.

Dioclétien, d’origine dalmate, devient en 285 l’unique empereur après sa victoire sur Carus et la mort des fils de ce dernier. Son avènement correspond à celui de l’état de

dominium. Dioclétien apparaît en même temps comme voulant à tout prix redonner à l’Empire

son ancienne gloire et sa « romanité ». Comme innovateur, il promeut des réformes, dont certaines deviendront inefficaces aussitôt après sa disparition de la scène politique. L’absolutisme monarchique imprègne la conscience de la grande majorité des sujets de l’Empire, surtout dans sa partie orientale. Cette absolutisation du pouvoir se manifeste notamment par les cérémonies de la cour : le manteau rouge est remplacé par le manteau de pourpre impérial avec des pierres précieuses, les audiences impériales sont réservées à un nombre très restreint de privilégiés. Les chroniqueurs Aurelius Victor49 et Eutrope50

témoignent du fait que Dioclétien aspire à diviniser le pouvoir. Il permet notamment qu’on l’appelle Seigneur et qu’on s’adresse à lui comme à un dieu51.

49 Aurelius Victor (320 – 390), homme politique et chroniqueur romain.

50 Eutrope (IVe s.), haut fonctionnaire et historien romain.

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En même temps que l’affirmation de cet absolutisme du pouvoir impérial, Dioclétien refuse la monarchie héréditaire : la succession doit être assurée par le choix du meilleur candidat. L’empereur s’écarte de la théologie solaire et tend à remettre en valeur le culte des divinités typiquement romaines : Jupiter et Hercule. Dans sa conception, ces divinités sont effectivement présentes dans la vie publique, surtout à travers l’exercice du pouvoir impérial.

L’établissement progressif du système de la tétrarchie (A) conduira au nouveau découpage administratif de l’Empire, dont héritera plus tard l’organisation ecclésiastique (B).

A. LA TÉTRARCHIE

La restauration de la gloire de l’ancienne Rome est l’objectif de Dioclétien. L’empereur est un ardent défenseur de la romanitas : il opte pour l’extension de la langue latine en tant que langue administrative en Orient et interdit la déformation du droit romain.

À son début, la réforme avait comme but principal d’empêcher dans l’avenir l’anarchie militaire. D’où la séparation du pouvoir militaire et administratif et l’instauration d’un nouveau système de gouvernement : la tétrarchie. Le pouvoir est désormais partagé entre quatre personnes : deux Augustes et deux Césars. L’élaboration de ce système particulier répondait avant tout à des exigences militaires, à savoir, protéger l’intégrité de l’Empire. Les points faibles qui menaçaient cette intégrité se trouvaient en Occident comme en Orient. En Occident, il s’agissait de la révolte des bacaudae en Gaule, avec leurs revendications sociales, et la rébellion de l’officier romano-batave Carausius, qui avec sa flotte dominait la Manche et les côtes de la Bretagne. L’Orient, quant à lui, connaissait des révoltes en Égypte auxquelles s’ajoutait la menace perse.

Le pouvoir impérial a progressivement associé un autre codirigeant, officier d’origine illyrienne, Valerius Maximien, un bon soldat énergique dévoué à Dioclétien. En 285, il est nommé César et, en 286, élu Auguste. La partition de l’Empire en Pars occidentalis et Pars

orientalis imperii ne signifie pas du tout l’indépendance envisagée des deux, ou encore moins

la division : elle est vécue comme une délimitation purement administrative du territoire en vue d’une meilleure gouvernance des parties éloignées. Pourtant cette partition conduira au

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processus inéluctable de division entre l’Orient et l’Occident, et, finalement, jouera un rôle dans la rupture de la communion entre la chrétienté des deux Partes imperii52.

Les révoltes en Orient et la menace perse ont conduit les deux Augustes à perfectionner davantage le gouvernement existant. En 293, ils ont procédé à l’élection des deux Césars : Galère pour l’Orient et Constance Chlore pour l’Occident53. Dans cette tétrarchie, il existait une hiérarchie : les Césars étaient subordonnés aux Augustes et leur rôle consistait plutôt à aider ces derniers dans l’exercice de leur fonction. Ils étaient en rapport de collégialité subordonnée avec les Augustes : le commandement militaire mis à la disposition des Césars était subordonné à celui des Augustes. Il y avait entre Dioclétien et Maximien aussi une sorte de disparité : Dioclétien était toujours le premier nommé dans les constitutions, même si elles traitaient des territoires sous la responsabilité de Maximien. Dans un manuscrit de 287, Maximien est appelé filius Augusti54. La succession n’était pas héréditaire, mais sélective et adoptive. Même si Lactance et Aurelius Victor parlent de la division de l’Empire entre quatre tétrarques55, il ne faut pas la comprendre comme étant une division absolue ou séparation, comme nous l’avons déjà indiqué précédemment.

L’idéal de ce système de monarchie élective, de ce gouvernement aristocratique, ne pouvait être atteint que s’il s’appuyait sur une personnalité forte et charismatique, telle que Dioclétien. Ce système va disparaître aussitôt après la disparition de Dioclétien.

On peut dire que vers la fin du IIIe siècle, l’Empire a retrouvé sa splendeur antique. Cependant cette réforme a eu des conséquences particulièrement significatives pour l’Italie, qui perd son statut prestigieux et devient une province comme une autre. D’ailleurs, la ville de Rome restait négligée : aucun des quatre souverains n’y établit sa capitale. L’Orient, par ses moyens économiques et de meilleures conditions de vie, attire les empereurs. Déjà Jules César envisageait de transférer la capitale à Alexandrie ou à Ilion, l’ancienne Troie56. Dioclétien lui-même préférait Nicomédie dans la province de Bithynie. Cette préférence pour l’Orient poussera Constantin à la construction de la nouvelle capitale de l’Empire, nouvelle Rome, à l’emplacement d’un lieu stratégique : Byzance.

52 Voir la carte dans les annexes, p. 730.

53 Voir AURELIUS VICTOR, Liber de cæsaribus, 39, 24.

54 Voir CHASTAGNOL (A.), « L’évolution politique du règne de Dioclétien (284-305) », in Revue internationale

d’histoire et d’archéologie (IVe - VIIe siècle), 1994, p. 23-31.

55 Voir LACTANCE, De mortibus persecutorum, 7, 2 : « Tres enim participes regni sui fecit, in quattor partes orbi

diviso ». ; voir aussi AURELIUS VICTOR, Liber de cæsaribus, 39, 30.

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B. RÉFORME DE L’ADMINISTRATION CIVILE ET ORGANISATION ECCLÉSIASTIQUE

Pour accentuer la centralisation et protéger les territoires les plus fragiles de l’Empire, il fallait renforcer la gouvernance sur place. Dioclétien va diviser les provinces existantes en deux ou plusieurs parties, de sorte qu’à chaque gouverneur sera attribué un territoire beaucoup moins étendu. Cela facilitera davantage le contrôle, la surveillance et le gouvernement sur place. Sans doute, ces mesures ont-elles été prises à la suite des révoltes en Bretagne et en Égypte 57. Si le nombre des provinces au début du règne de Dioclétien atteint une cinquantaine, il a quasiment doublé vers sa fin (huit provinces sont créées dans la seule Italie). Les provinces sont unies en de plus amples circonscriptions : diocèses (diœcesis,

διοίκησις), gouvernés par un vicaire (vices agens praefectorum praetorio), sous contrôle du

préfet du prétoire. Dans les années quatre-vingt-dix du IIe siècle, six diocèses furent créés en

Occident, trois en Illyrie et trois en Orient58. Les vicaires avaient avant tout une fonction juridictionnelle. À eux sont associés les rationales summarum et magistri rei privatae, c’est-à-dire les fonctionnaires préposés à la collecte des impôts.

Ainsi, selon le schéma de Laterculus Veronensis, vers 297 l’Empire était divisé en quatre préfectures, douze diocèses, et cent provinces (et encore plus, plus tard)59.

57 Voir DE GIOVANNI (L.), Istituzioni, scienza giuridica, codici nel mondo tardoantico. Alle radici di una nuova

storia, Roma, éd. L’Erma di Bretschneider, 2007, p 134.

58 Voir Laterculus Veronensis, éd. MOMMSEN (Th.), Verzeichniss der Römischen Provinzen aufgesetzt im 297, in

Abhandlungen der Königlichen Akademie der Wissenschaften zu Berlin, phil.-hist. Klasse, Berlin, 1862, p. 491-492. 59 L’Empire romain reçoit l’organisation territoriale et administrative suivante :

I. La Præfectura Orientis sous l’autorité de l’Auguste d’Orient, résidant à Nicomédie, avec ses diocèses : 1. Le diocèse d’Orient, avec la capitale à Antioche, qui réunit les territoires suivants : Arabie, Syrie,

Palestine, Phénicie, Cilicie, Isaurie, Chypre et Égypte (en tout dix-sept provinces) ;

2. Le diocèse du Pont, avec la capitale à Césarée de Cappadoce, qui s’étend sur le nord, centre et

nord-est de l’Asie Mineure et l’Arménie (sept provinces en tout) ;

3. Le diocèse d’Asie, dont la capitale est Éphèse, qui englobe les territoires de la partie occidentale de

l’Asie Mineure et les îles (sept provinces et l’Asie proconsulaire qui n’est pas soumise à l’autorité du vicaire) ;

4. Le diocèse de Thrace avec Héraclée comme capitale, qui réunit sept provinces se trouvant sur la partie

orientale des Balkans.

II. La Præfectura Illyricum, placée sous l’autorité du César d’Orient, dont la capitale se trouvait d’abord à

Syrmium, puis sera implantée à Thessalonique. Cette préfecture ne comportait qu’un seul diocèse, celui de Mésie, qui s’étendait sur la quasi-totalité de la péninsule balkanique, avec sept provinces, dont l’Achaïe proconsulaire non soumise à l’autorité du vicaire.

III. La Præfectura Italiæ avec Milan pour capitale, où résidait ordinairement l’Auguste d’Occident, était

composée des diocèses suivants :

1. Le diocèse de Pannonie avec ses sept provinces ;

2. Le diocèse d’Italie (treize provinces). Il était divisé en deux vicariats avec comme villes principales,

Milan et Ravenne. La ville de Rome, comme plus tard Constantinople, était soumise directement à l’autorité du

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Les termes pour désigner les différents échelons de cette division administrative civile sont les suivants :

- Empire romain (Imperium romanum, Βασιλεία Ῥωμαίων); - pars Orientis, pars Occidentis ;

- diocèse (diœcesis, διοίκησις) : ce terme sera adopté d’abord par l’Église d’Afrique, puis par toute l’Église d’Occident et se substituera à celui de παροικία pour désigner l’unité administrative soumise à la juridiction d’un seul évêque ;

- province (provincia, ἐπαρχία) : en Orient, ce terme grec d’éparchie, désignant une province, s’appliquera plus tard au territoire sous la juridiction d’un évêque ;

- cité (civitas, πόλις) : dans l’organisation générale de l’Église, les évêques des villes auront un rôle prépondérant, surtout ceux de la capitale de la province ;

- village (vicus, χώρα) : les évêques de campagne (chorévêques) auront un pouvoir très limité, étant soumis à ceux de la ville.

L’Église, surtout en Orient, va commencer à calquer son organisation administrative sur celle de l’Empire60. Les unions de plusieurs Églises épiscopales (de παροικία) dans les limites d’une circonscription civile deviennent des provinces ecclésiastiques avec un métropolitain à sa tête (au sein d’un diocèse civil). Vers le début du IIIe siècle, trois provinces ecclésiastiques ont reçu un statut spécial : Rome, Alexandrie et Antioche. Au IVe siècle, le siège de Constantinople se rajoute à ces trois provinces. Le siège de Jérusalem sera aussi considéré d’une manière honorable, mais il n’aura cet honneur que grâce au rayonnement spirituel de la ville, et pas du tout en raison de sa position dans l’Empire, tout à fait insignifiante au point de vue administratif. Les métropolitains de ces cinq sièges recevront à partir du Ve siècle le titre de patriarche.

3. Le diocèse d’Afrique (sept provinces, dont l’Afrique proconsulaire, qui échappait à l’autorité du

vicaire).

IV. La Præfectura Galliæ, dont la capitale était d’abord à Trêves et ensuite à Arles, était sous la responsabilité

du César d’Occident et comprenait les diocèses suivants :

1. Le diocèse des Gaules (Gaule septentrionale et Gaule moyenne avec en tout huit provinces), 2. Le diocèse de Vienne avec ses huit provinces.

3. Le diocèse des Bretagnes (quatre provinces),

4. Le diocèse des Hispanies et Maurétanie (six provinces).

60 Pour les concordances entre les provinces ecclésiastiques et celles de l’Empire, voir VOGEL (Cyrille), « Circonscriptions ecclésiastiques et ressorts administratifs civils durant la première moitié du IVe siècle (du concile de Nicée (325) au concile d’Antioche (341) », Géographie administrative et politique d’Alexandre à

Mahomet, Actes du colloque de Strasbourg, 14-16 juin 1979, Université des sciences humaines de Strasbourg,

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