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Paradoxes et complexités du familier

Dans le document Eléments vers une éthique de l'habitation (Page 143-149)

D’une manière ou d’une autre, il semble que l’homme tente de se rendre familier le présent et la présence, tente d’assimiler les extériorités qu’il doit envisager dans et hors son habitat. Pour cela, il parcourt des processus de nominations, d’abstractions, de synthèses de ces éléments étrangers en vue de se les rendre familiers, de résister à ce qui lui résiste, et se rendre habitable ce qui ne lui est pas habitable  : l’imperceptible,

LEVINAS, Emmanuel, Totalité et Infini, op. cit., p.165.

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SCHÜTZ, Alfred, L’étranger (1944), Paris, Allia, 2003, p.38.

l’infigurable et l’impossible - l’étrangeté absolue. Ce processus d’assimilation, de «  familiarisation  » de l’étranger toutefois n’est pas sans poser quelques problèmes et paradoxes à qui voudrait le saisir. Nous en relevons ici quelques uns. 


Dans Revoir et oublier, Günther Anders témoigne d’une soirée littéraire, dans un palais viennois. Il décrit les contes lus, et commente : « Une diseuse les présente avec un sourire entendu. Les allusions sont d’ailleurs vraiment comprises. On est en famille » . 459

Voilà un premier élément à relever : le familier, n’est-ce pas cela - ce que l’on comprend

vraiment ? Je suis familier de tout cela signifie : je connais bien ces choses, elle me sont

habituelles, et, plus encore, nous nous comprenons bien. De la sorte, le familier n’est jamais véritablement questionné. Il n’est pas soumis à la conscience, à l’auto-critique, puisque tout lui semble intérieur. Tout comme aucun événement quotidien ne nécessite une longue explication460, ce qui nous est familier nous semble banal, et disparaît presque sous cette banalité. Il en est par exemple de la sorte dans les analyses bachelardiennes de la maison, dans lesquelles l’escalier que nous empruntons pour aller à notre chambre n’est pas entendu comme l’escalier de la cave ou celui du grenier, plus étranges et inquiétants, nimbés de mystères461. Mais l’escalier «  intermédiaire  », « courant », que nous empruntons plus fréquemment, nous n’y prêtons finalement plus attention…


Ainsi, alors que le familier est entièrement inscrit en nous jusqu’à modeler nos corps et nos habitudes, nos façons de penser et nos représentations du monde, il disparaît étrangement sous le quotidien et ses répétitions journalières. A force d’être le constituant de notre existence même, il finit par se confondre avec nous même, et nous ne voyons plus son omniprésence criante. De ce point de vue, le familier est ce à quoi on ne prête plus tant attention. Bruce Bégout :

« A longueur de temps donc, nous manipulons les mêmes objets, empruntons les mêmes trajets, fixons les mêmes panneaux et les mêmes personnes, employons les mêmes phrases stéréotypées, et pourtant objets, trajets, personnes, mots demeurent obscurs, voilés derrière leur netteté banale. Nous croyons toujours savoir, par une sorte de pressentiment familier, ce qu’ils sont et ce qu’ils font, et ce caractère d’évidence immédiate se suffit à lui-même. Leur insignifiance constitue leur parfait camouflage »462


De tout cela toutefois nous ne devons conclure que le «  familier  » soit l’exact lieu de l’absolument certain, du prévisible, du connu, bref, de l’ennui. Après tout, nous rappelle simplement Erwin Straus, «  la famille est le premier lieu du conflit entre le devoir et l’inclination »463. Et si la famille est bien une forme de dedans, au sens d’une

ANDERS, Günther, « Revoir et oublier » (1950-1951), in Journaux de l’exil et du retour (1985), op. cit., p.158.

459

« aucun événement quotidien ne nécessite une longue explication. Il ne suscite pas même l’ombre d’un doute

460

ou d’une question. C’est comme ça. Il est tenu pour sûr » BEGOUT, Bruce, Lieu commun, op. cit., p.11.

« L’escalier qui va à la cave, on le descend toujours. C’est sa descente qu’on retient dans les souvenirs, c’est la

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descente qui caractérise son onirisme. L’escalier qui monte à la chambre on le monte et on le descend. C’est une voie plus banale. Il est familier ». BACHELARD, Gaston, La poétique de l’espace, op. cit., p.41.

BEGOUT, Bruce, Lieu commun, op. cit., p.11.

462

STRAUS, Erwin, Du sens des sens, op. cit., p.387.

permanence, face à un dehors compris comme fluctuation, c’est à dire que, pour le dire avec Bernard Salignon :

«  Si l’histoire établit que la dialectique du dedans et du dehors repose sur l’idée que l’intérieur est permanence et repos et que l’extérieur est mouvement et turbulence, il n’en demeure pas moins ici que l’intérieur n’est pas pensable en ces termes seulement  ; il est aussi le lieu du polemos grec, le lieu où la famille rejoue et vit sa violence et son calme. Tout comme le corps humain, l’intérieur du chez-soi est l’espace de la pulsion, du désir, de l’amour et de la haine. Parfois même il devient le lieu du déchirement et de la violence »464


La famille est la première demeure de la confrontation avec un autre, qui, s’il n’est pas un étranger, n’en reste pas moins une pure altérité. Dans l’espace qu’il déploie et la possibilité que l’individu peut trouver en lui pour accueillir l’autre, le familier est fondamentalement tourné vers ce dont il se détache. Soit, sous les mots Emmanuel Lévinas  : «  l’intimité que déjà la familiarité suppose - est une intimité avec quelqu’un. L’intériorité du recueillement est une solitude dans un monde déjà humain. Le recueillement se réfère à un accueil  » . En cela, «  la présence «  chez soi  » déborde 465

l’apparente simplicité que lui trouve l’analyse abstraite du «  pour soi  »  »   : habiter, 466

c’est être chez soi tourné vers autrui, autant que parfois, être chez autrui pour soi…


A partir de quand le familier nous devient-il familier  ? La disparition de

l’attention à l’égard d’un élément pourrait être une preuve efficace, témoignant de l’accomplissement du processus de familiarisation à l’égard d’un objet, d’un lieu, ou d’un vivant. Mais comment penser pouvoir mesurer la disparition  ? De nombreux auteurs ont entendu le familier comme, littéralement, ce qui nous a été légué par notre famille. Du monde de l’enfance, nous habitons le monde présent - ce que retraduisent d’ailleurs très expressément nos habitats, gouvernés par ces origines. Bernard Salignon, citant Jacqueline Palmade, le précise  : «  la maison de l’enfance est un organisateur conscient ou inconscient du mode d’investissement de l’habiter de notre vie d’adulte », et poursuit : « la maison de l’enfance persiste comme lieu » .
467

Pour appuyer encore ce point, nous pourrions noter ce fait que nombre d’auteurs ont proposé  : l’habitation humaine passe aussi par la langue et le langage, l’habitation humaine se réalise en ceux-ci. Heidegger déjà l’écrivait, nous le rendons ici de façon synthétique par les propos de George Steiner : « Heidegger postule maintenant la primauté absolue du langage  :  «  le langage est la maison de l’être. Dans son abri, habite l’homme » (…) l’être vit essentiellement dans et par le langage » . Et Michel 468

Foucault avança lui aussi dans une direction similaire :

« Dans cette impossibilité où je me suis trouvé d’utiliser mon propre langage, je me suis aperçu, d’abord que celui-ci avait une épaisseur, une consistance, qu’il n’était pas simplement comme l’air qu’on respire, une transparence absolument insensible, ensuite qu’il avait ses lois propres, qu’il avait ses corridors, ses

SALIGNON, Bernard, Qu’est-ce qu’habiter ?, op. cit., p.59.

464

LEVINAS, Emmanuel, Totalité et infini, op. cit., p.165.

465

Idem, p.167.

466

SALIGNON, Bernard, Qu’est-ce qu’habiter ?, op. cit., p.77.

467

STEINER, George, Martin Heidegger, op. cit., p.72-165.

chemins de facilité, ses lignes, ses pentes, ses côtes, ses aspérités, bref qu’il avait une physionomie et qu’il formait un paysage où l’on pouvait se promener et découvrir au détour des mots, autour des phrases, brusquement, des points de vue qui n’apparaissaient pas auparavant. Dans cette Suède où je devais parler un langage qui m’était étranger, j’ai compris que mon langage, avec sa physionomie soudain particulière, je pouvais l’habiter comme étant le lieu le plus secret mais le plus sûr de ma résidence dans ce lieu sans lieu que constitue le pays étranger dans lequel on se trouve. Finalement la seule patrie réelle, le seul sol sur lequel on puisse marcher, la seule maison où l’on puisse s’arrêter et s’abriter, c’est bien le langage, celui qu’on a appris depuis l’enfance. Il s’est agi pour moi, alors, de réanimer ce langage, de me bâtir une sorte de petite maison de langage dont je serais le maître et dont je connaîtrais les recoins »469

Tous nos arguments concourent à penser que, par le biais de la langue maternelle (expression illustrant elle aussi le familier à l’oeuvre), mais aussi par nos habitats et leurs structurations, l’habitation humaine se fonde sur un critère de familiarité qui remonte à jusqu’à l’enfance et, de là, structure nos existences entières. C’est que, comme l’a très justement remarqué Félix Guattari, «  La recherche d’un Territoire ou d’une patrie existentielle ne passe pas nécessairement par celle d’une terre natale ou d’une filiation de lointaine origine (…) Toutes sortes de «  nationalités  » déterritorialisées sont concevables, telles que la musique, la poésie… »470. Dans la langue aussi, l’être trouve donc une forme de patrie existentielle, « terre natale », peut-être. Mais cela signifie-t-il pour autant que le familier, lui, ne renvoie qu’à l’enfance ? Non : il existe des entités qui nous sont familières bien que nous ne les ayons jamais rencontrées dans la famille de notre enfance ; il existe des entités qui nous deviennent familières. Günther Anders, encore : « Ce baroque jésuite m’est familier, même si ce n’est pas dans la jeunesse mais dans la vieillesse qu’il m’est devenu familier » . 
471

A nouveau survient alors notre questionnement précédent : à partir de quand le

familier nous devient-il familier ? Il nous faut tout d’abord nous demander si c’est bien

d’une question de temps qu’il s’agit. La doxa voudrait entendre le familier comme « ce à quoi nous sommes habitués », et ce, depuis longtemps. Pourtant, chacun a pu déjà faire l’expérience de rencontrer une chose ou un lieu inconnu et d’y trouver un étrange sentiment de familiarité, d’y reconnaître comme un air de famille. Serait-ce alors simplement une figure de ressemblance, une simple similitude, sans aucun lien de parenté avec ce qui est notre « vraie famille » ?


Notons à ce sujet que le familier tout d’abord n’est pas qu’en famille. Pierre Sansot a bien montré à cet égard que le bistrot par exemple, est fondamentalement constitué par une « familiarité permanente »472, bien que le lieu soit, par définition, un endroit d’échange et de rencontre, avec, justement, ce qui n’est pas notre famille. Ou, de la même façon qu’un quartier de ville - qui par définition dépasse notre cadre

! FOUCAULT, Michel, Le beau danger, Entretiens avec Claude Bonnefoy [1968], 2011, p.30-31. 469

GUATTARI, Félix, Les trois écologies, op. cit., p.66.

470

ANDERS, Günther, « Breslau (1966) », in Visite dans l’Hadès (1997), op. cit., p.117.

471

SANSOT, Pierre, Poétique de la ville, op. cit., p.25.

familial, nous devient généralement, une fois pratiqué suffisamment, « familier » . 
473

De retour dans la ville de son enfance, Günther Anders constate, hésitant, les changements survenus ; il note que la disparition d’une partie du bâti fait aujourd’hui prendre au bâti restant de bien étranges allures : 

« Quelques-unes des maisons monofamiliales cossues et, à l’époque où elles ont été construites, l’époque du Kaiser, très modernes, sont encore debout (…) Chacun d’elles a son visage qui, soudain, m’est à nouveau très familier, même si, ne formant plus un trio avec ceux des maisons qui lui étaient autrefois voisines, mais jouant aujourd’hui en solo, celui-ci est en même temps devenu très étrange (…) et, pendant un instant, cela me remplit tout simplement d’indignation que pas une seule de ces maisons ne se sente poussée à réclamer en criant ses voisines qui ne sont plus là »474


Que tirer de ce récit  ? Le fait peut-être que le «  familier  » ne soit pas une caractéristique attachée à un objet, mais un sentiment donné par un contexte plus large ; et que dès que ce contexte change, ou disparaît, il arrive que l’objet familier lui même puisse prendre soudainement une tournure étrange, nous apparaître brusquement comme étranger, revêtir une inquiétante étrangeté…

Unheimlichkeit

La notion d’Unheimlichkeit fut analysée pour la première fois par Ernst Jentsch dans son Zur Psychologie des Unheimlichen de 1906. Repris et popularisé par Freud en 1919 dans Das Unheimliche, le concept est formé sur une base intraduisible en français475  : le préfixe -un, qui signifie la privation et l’adjectif heimlich qui signifie le familier depuis la racine heim, qui nomme la maison au sens du foyer, c’est-à-dire au sens de son équivalent anglais home, par différence avec house.


Le heimlich, le familier donc, est ce qui a trait au foyer. Et, l’unheimlich pourrait-on donc penser, est l’étrange, ce qui, tout simplement, n’a pas les caractéristiques de la maison. Mais, note Freud, sa signification est plus complexe :

« Le mot allemand « unheimlich » est manifestement l’opposé de « heimlich, heimisch, vertraut » (termes signifiant intime, « de la maison », familier), et on pourrait en conclure que quelque chose est effrayant

« Les habitants disaient « mon quartier » comme on dit « ma famille », « ma maison ». On y était né, on y

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avait souffert et connu quelque bonheur. On y vieillirait et on aimerait y mourir en paix (…) Qu’avaient donc ses habitants de commun entre eux ? Sinon d’avoir posé leurs yeux sur le même paysage, d’avoir acquis au fond de leur corps la familiarité de certains trottoirs, de certaines devantures ? L’homme devenait l’égal de l’homme parce que le quartier se montrait l’égal de tous les hommes » Idem, p.394.

ANDERS, Günther, « Breslau (1966) », in Visite dans l’Hadès (1997), op. cit., p.62.

474

« La traduction L’inquiétante étrangeté, proposée d’abord par Marie Bonaparte, reprise en 1985 par Bertrand 475

Féron (éd. Gallimard), a toujours suscité de nombreuses réserves. Les traducteurs eux-mêmes admettent qu’elle « présente plusieurs défauts » (B. Féron) (…) Aussi, d’autres traductions ont-elles été proposées : le non-familier, « l’étrange familier » (François Roustang), « l’inquiétante familiarité » (Dadoun). Nous suggèrerions volontiers : les démons familiers. Mais le terme n’est-il pas, comme l’avait compris Marie Bonaparte, sans équivalent en français ? Freud, lui-même, ayant consulté de nombreux dictionnaires, constatait que « dans beaucoup de langues, un mot désignant cette nuance particulière de l’effrayant fait défaut  » (IE, p. 39)  ». STIRN, François, « Remarques préliminaires », in L’inquiétante étrangeté, Paris, Hatier, 1987.

justement parce que pas connu, pas familier. Mais, bien entendu, n’est pas effrayant tout ce qui est nouveau, tout ce qui n’est pas familier ; le rapport ne saurait être inversé (…) « Unheimliche » n’est en réalité rien de nouveau, d’étranger, mais bien plutôt quelque chose de familier, depuis toujours, à la vie psychique, et que le processus du refoulement seul a rendu autre »476.

Ainsi l’Unheimliche ne désigne-t-il rien de nouveau, d’autre, mais plutôt un élément familier qui soudain, nous apparaît surprenant, étrange, voire donc inquiétant. De cela il nous faut noter pour notre étude le fait supplémentaire que le familier n’est nullement une qualité stable d’un objet. En effet, nous l’avions évoqué avec Anders précédemment, il ne semble déjà pas que « familier » soit une caractéristique qui puisse être donnée à un élément indépendamment du contexte de cet élément : représentez-vous, pour vous en convaincre, l’objet qui, chez représentez-vous, vous est le plus familier, et imaginez-le seul au milieu de la banquise, ou flottant en orbite autour de la Lune… 


A cela nous pouvons désormais ajouter avec Freud que le « familier » ne soit pas un critère définitif  : tout ce qui est familier peut aussi, soudainement, «  par refoulement  » nous dit Freud, être vu comme étrangement inquiétant. Bruce Bégout écrit lui aussi sur ce caractère éphémère et surprenant de l’Unheimlichkeit, qu’il traduit plus précisément et explicitement par inquiétante étrangeté du familier :


« Telle est l’Unheimlichkeit (l’inquiétante étrangeté du familier), cette brisure subite de la certitude que tout sera comme il a toujours été, cette rupture de notre confiance aveugle et naïve dans le monde que notre action journalière a patiemment domestiqué. Elle ne désigne pas, comme on est porté à l’affirmer trop rapidement, une irruption du terrible dans la sérénité du familier, (…), mais le moment où l’élément familier de notre vie, dépossédé de cette typification persévérante de la sédimentation des paroles et des actes, retourne à son étrangeté originelle, à ce qu’il n’a jamais cessé d’être en fait sans le paraître (…). C’est en cela très exactement que consiste à nos yeux l’Unheimlich, lorsque l’ordinaire nous dévoile sa nature cachée et nous renvoie à l’illusion de croire que l’on allait pouvoir ainsi se l’approprier dans la consommation quotidienne et le tenir en laisse » 477

Par l’Unheimliche, « nous avons vu quelque chose des milliers de fois et nous ne l’avons pourtant jamais vu. Une question nous force à le considérer vraiment pour la première fois  » . Ce phénomène n’est pas rare, et on pourrait facilement s’amuser à 478

chercher des descriptions de ses effets dans les récits et analyses des penseurs de l’architecture, du paysage et de la ville. Relevons brièvement deux des écrits de Pierre Sansot avant de poursuivre notre chemin  : «  La rue très longue apparaît, cependant, étouffante, écrasante. Nous sommes en présence d’un paradoxe topologique : quoique spacieuse, la rue sinistre provoque une sensation d’étouffement ; sans doute ne peut-elle que se rétrécir ou encore déboucher sur des grues ; sans doute, nous étouffe-t-elle moins par ses dimensions qui demeurent normales que par l’atmosphère qui y règne » . Ou 479

encore : « une petite place charmante, avec son jet d’eau central, peut devenir sinistre.

FREUD, Sigmund, « L’inquiétante étrangeté » (1919), Gallimard, 1933, I-II 476

BEGOUT, Bruce, Lieu commun, 2011, p.168-169

477

STRAUS, Erwin, Du sens des sens, op. cit., p.376.

478

SANSOT, Pierre, Poétique de la ville, op. cit., p.403.

Quoi, pourtant, de plus délimité, de plus provincial, de plus rassurant  !  »480. L’inquiétante étrangeté des lieux habités survient sans prévenir, démontrant s’il le fallait qu’«  il reste toujours à habiter  » . L’Umheimlichkeit «  constitue le fond de notre vie 481

quotidienne, en ce qu’elle peut à tout moment percer le filet protecteur des habitudes et des conventions familières pour en révéler soudainement la nature instable et mensongère » , en ce qu’elle illustre finalement la capacité de l’habitation à se jouer du 482

familier et de l’étranger par delà nos a-priori, dans une simultanéité et une complexité qui semble parfois dépasser notre capacité de conceptualisation.


Comme le remarque Henri Maldiney, «  le climat de l’art est celui d’une inquiétante étrangeté  »483. Mais nos chez-soi eux-mêmes ne sont-ils pas les terrains de jeu privilégiés de ces refoulements psychiques que décrit Freud  ? Bruce Bégout à nouveau  : «  alors que tout indiquait que le mystère devait se tenir au loin, en retrait, dans la distance même qu’il faut pour gravir la butte et pénétrer dans la demeure inamicale, il surgit subitement au sein de la tranquillité familière du quotidien  »484. L’étranger n’est pas forcément le lointain au sens physique, et l’étrangeté n’est même jamais aussi forte que lorsqu’elle fait face à notre banale intimité quotidienne…

Dans le document Eléments vers une éthique de l'habitation (Page 143-149)