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O UTILS THEORIQUES ET METHODOLOGIQUES EN D IDACTIQUE DES M ATHEMATIQUES

2.1 L A T HEORIE A NTHROPOLOGIQUE DU D IDACTIQUE

2.1.2 P RAXEOLOGIES : MODELE DES ACTIVITES HUMAINES

Le modèle général d’une activité humaine, en particulier mathématique et de l’étude en mathématiques, repose sur trois postulats fondamentaux concernant les pratiques régulièrement accomplies. Le premier postulat, énoncé par Bosch et Chevallard (1999), affirme que,

1. Toute pratique institutionnelle se laisse analyser, de différents points de vue et de différentes façons, en un système de tâches relativement bien circonscrites, qui se découpent dans le flux de la pratique (p. 84)

Une tâche (t) réfère à une action qui s’applique à un objet relativement précis (Chevallard, 1999). Par exemple, résoudre l’équation x2 + 10x – 39 = 0 dans R+, dessiner un triangle

rectangle, estimer l’aire du jardin du quartier, chanter l’hymne national, etc. L’action est habituellement exprimée par un verbe qui définit, à lui seul, ce que l’on nomme un genre de tâches − résoudre, dessiner, estimer, chanter, etc. Quand les tâches précisent l’objet sur lequel s’effectuera l’action mais ne le particularisent pas, elles sont considérées comme des types de tâches (T). Ainsi, un type de tâches constitue donc un ensemble de tâches « de la même famille ». Par exemple, résoudre une équation du second degré, dessiner un polygone, estimer l’aire d’un terrain, chanter une chanson, etc. Remarquons que le découpage des tâches pour analyser une pratique est relatif à l’institution où se déroule la pratique, ou aux institutions d’où on l’observe.

2. L’accomplissement de toute tâche résulte de la mise en œuvre d’une technique (Ibid, p. 84)

Les techniques (τ) réfèrent, quant à elles, aux manières d’accomplir une tâche. Par exemple, pour résoudre l’équation x² + 10x – 39 = 0 dans R+, on pourrait utiliser l’une des trois

techniques suivantes :

Le couple ou bloc pratico-technique [T/τ], est identifié à ce que l’on nomme couramment un savoir-faire, à référer à la pratique ou à la praxis de l’activité. En général, dans la vie institutionnelle, n’est considérée comme valide qu’une seule manière d’accomplir un type de tâches, ou du moins, seulement un petit nombre de techniques sont reconnues valides.

Dans ce sens, il s’agit d’une gestion mémorielle, car les techniques non reconnues devraient forcément être oubliées. Ainsi, la plupart du temps et selon l’enjeu didactique, les techniques dites supérieures seront davantage reconnues et demandées dans I, car son champ d’effectivité est plus vaste.

Reprenons l’exposition de Bosch et Chevallard (1999) pour énoncer le troisième postulat. Il concerne les conditions et les contraintes qui permettent la production et l’utilisation des techniques et les types de tâches auxquelles elles sont relatives :

3. Pour pouvoir exister dans une institution, une technique doit apparaître comme un tant soit peu compréhensible, lisible et justifiée (p. 86)

Ainsi, il existe toujours une technologie (θ) relative à la technique − ou du moins un embryon de technologie −, qui correspond à un discours rationnel assurant que la technique permet bien de réaliser un type de tâches T. Le style de rationalité du discours technologique est relatif à

Pour résoudre cette équation, il faut : Diviser 10 par 4 : 2,5

Élever 2,5 au carré et multiplier par 4 : 2,52 × 4 = 25

Ajouter 39 : 25 + 39 = 64

Prendre la racine carrée de 64 : 64 = 8 Retrancher 2 fois 2,5 : 8 – 2 × 2,5 = 3 Vérifier : 32 + 10 × 3 = 9 + 30 = 39 Donner la solution : c’est 3.

Technique 1 x² + 10x – 39 = 0 1 10 -39 3 3 39 1 13 0 Donc, x² + 10x − 39 = (x−3)(x+13) Solution, x = 3 Technique 2 Δ = 10² − 4(−39) = 100 + 156 = 256 10 256 10 16 2 2 x= − ± =− ± ⇒ x = 3 Technique 3

l’institution dans laquelle il est produit. Comme Chevallard le note « en nombre de cas, même, certains éléments technologiques sont intégrés dans la technique » :

Ainsi en va-t-il traditionnellement en arithmétique élémentaire, où le même petit discours a une double fonction, technique et technologique, en ce qu’il permet tout à la fois de trouver le résultat demandé (fonction technique) et de justifier que c’est bien là le résultat attendu (fonction technologique), comme lorsqu’on dit : « Si 8 sucettes coûtent 10F, 24 sucettes, soit 3 fois 8 sucettes, coûteront 3 fois plus, soit 3 fois 10F » (Chevallard, 1999, p. 226)

Voyons un exemple d’un discours technologique tenu pour la première technique présentée pour la tâche20 : résoudre l’équation x² + 10x – 39 = 0 dans R+ :

On construit un carré de côté x, et on lui adjoint un rectangle de côtés x et 10. On obtient ainsi une figure géométrique d’aire 39 : c’est ce que traduit l’équation proposée. On va alors la manipuler par des découpages et recompositions. Ainsi, dans la figure 2, on découpe le rectangle de côtés x et 10 en « 4 bandes » : ceci justifie le passage dans lequel intervient la

division de 10 par 4. On recompose la figure de façon à obtenir la figure 3 dans laquelle les bandes de côtés x et 2,5 sont accolées aux côtés du carré de côté x.

On complète alors la figure 3 de façon à obtenir un nouveau carré (figure 4 ci-contre). Ce dernier carré s’obtient en ajoutant « 4 petits carrés ». Chacun d’entre eux ayant une aire de (2,5)2. Lorsqu’on multiplie ensuite par 4 et que l’on ajoute 39, on obtient alors l’aire du grand carré, soit 64. On peut, en en prenant la racine carrée, obtenir la mesure de son côté : 8. Il ne reste plus alors qu’à retrancher 2 fois 2,5 pour obtenir x.

En outre, il existe des techniques qui deviennent « autotechnologiques », car elles sont les seules reconnues par l’institution. Par conséquent, le discours rationnel construit relève de la logique suivante : cette manière d’accomplir la tâche n’exige pas de justification parce qu’elle est la bonne manière de faire dans I.

20

L’exemple du développement technique et technologique relatif à cette tâche a été reproduit de Matheron (1999-2000). Voir cette référence pour compléter l’explication de la praxéologie ponctuelle.

Fig. 3 : l’aire est toujours de 39 Fig. 1 : l’aire totale est de 39 Fig. 2 : le rectangle de côté x et 10 est

partagé en 4 bandes de côté x et =2,510

4

Deux autres fonctions du discours technologique sont commentées par l’auteur : une fonction explicative et une autre, productrice. La première expose pourquoi la technique « donne bien ce qui est attendu » ; tandis que la seconde réfère aux discours rationnels justificateurs et explicatifs, qui n’ont pas été exploités comme tels ; ce que Chevallard souligne comme relevant d’un phénomène de sous-exploitation.

La constitution d’une technologie implique donc un travail de mémoire car les justifications qui seront établies mobilisent des connaissances passées qui s’articulent pour valider une technique.

Le troisième postulat mentionné ci-dessus implique aussi, d’après Bosch et Chevallard, l’existence d’un discours justificateur, explicatif et producteur des technologies, c’est-à-dire, une technologie de la technologie. Ce nouveau discours est connu sous le nom de théorie (Θ). Pour le dernier exemple présenté ci-dessus, on présuppose des propriétés de certaines figures et de leurs aires ou la possibilité de déterminer des longueurs à partir d’aires, comme des éléments d’une théorie (Matheron, 1999-2000).

Ces deux éléments, technologie et théorie, forment conjointement un bloc qualifié de technologico-théorique [θ, Θ]. Il définit le logos pour la praxis ; praxis et logos constituent le « savoir ». L’articulation de la praxis et du logos donne forme à ce que Chevallard nomme une organisation praxéologique, ou seulement une praxéologie ou une organisation, [T, τ, θ, Θ]. Quand l’organisation est relative à un type de tâches mathématiques, on la nomme une organisation mathématique (OM).

Complexes de praxéologies

Les praxéologies peuvent se regrouper selon l’élément autour duquel d’autres composantes de l’organisation varient. Autour d’un seul type de tâches, on trouve les organisations dites ponctuelles, qui sont notées [T, τ, θ, Θ]. Comme l’explique Chevallard (1999), on ne rencontre que rarement des praxéologies ponctuelles,

Généralement, en une institution I donnée, une théorie Θ répond de plusieurs technologies θj,

dont chacune à son tour justifie et rend intelligibles plusieurs techniques τij correspondant à autant de types de tâches Tij (p. 229)

Les organisations ponctuelles qui se regroupement autour d’une technologique déterminée sont nommées praxéologies locales, [Ti, τi, θ, Θ]. Les praxéologies locales relatives à une

même théorie, [Tij, τij, θj, Θ], sont connues comme des praxéologies régionales. Finalement, on nomme organisations globales, notées [Tijk, τijk, θjk, Θk], « le complexe praxéologique obtenu dans une institution donnée, par l’agrégation de plusieurs organisations régionales correspondant à plusieurs théories Θk ».

Pour illustrer ces complexes d’organisations, nous renvoyons à l’article (Matheron 1999- 2000) qui exemplifie, à partir du théorème de Thalès chacun des types d’organisation mentionnés.

La modélisation présentée ci-dessus permet de décrire le degré de « complétude » d’une organisation mathématique (Fonseca, 2004), par rapport aux types de tâches étudiés et à la portée des éléments technologiques en jeu. Une telle description est à la base de possibles analyses qui examinent jusqu’à quel degré, la variable « complétude d’une OM » peut-elle influencer les éléments du passé à mobiliser lors de l’évocation de connaissances en classe.