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O UTILS THEORIQUES ET METHODOLOGIQUES EN D IDACTIQUE DES M ATHEMATIQUES

2.1 L A T HEORIE A NTHROPOLOGIQUE DU D IDACTIQUE

2.1.1 N OTIONS FONDAMENTALES

En Théorie Anthropologique du Didactique, à la base de la modélisation du cognitif, se trouvent quatre notions fondamentales : celles d’objet, de rapport, de personne et d’institution. Dans ce qui suit, nous reprenons certains éléments de la présentation de ces notions qui ont été exposées par Chevallard dans son article approche anthropologique du rapport au savoir et didactique des mathématiques (2003). Ces notions constituent les outils de base pour présenter la problématique de recherche (voir chapitre 4) qui nous occupe. Toute entité quelconque (matérielle ou immatérielle) qui existe pour au moins un individu est considérée comme étant un objet. Par suite, tout est objet : une voiture, un graphique, le concept d’intégrale, un souvenir, le symbole Σ, la sensation de peur, etc.

La notion de rapport personnel d’un individu à un objet o, est le système noté R(x, o), de toutes les interactions que cet individu peut avoir avec l’objet : le penser, le toucher, le calculer, en parler, en manger, etc. Dans ce sens, la notion de rapport n’est pas considérée dans son acception intellectualiste, remarque Chevallard : on a un rapport à la brosse à dents, au métro, au Président, à la notion de dérivée, etc.

La personne X est le couple formé par un individu et l’ensemble de rapports personnels aux objets qu’il a formés à un moment donné de l’histoire de cet individu. Dans ce sens, on dit que ce qui peut changer, ce sont les rapports que les individus entretiennent aux objets, donc les personnes ; l’invariant est donc l’individu.

En articulant les trois notions que nous avons introduites, Chevallard définit connaître un objet o, comme avoir un rapport à o. Ainsi, la personne X connaît o s’il existe R(X, o). L’univers cognitif de X, est représenté par l’ensemble U(x) = { (o, R(X, o)) / R(X, o) ≠ ∅}. Cette modélisation du cognitif en termes d’« objets » et de « rapports » à ces objets a un caractère large. Ce caractère favorise l’appréciation de ce qui est en jeu lors de la remémoration par des personnes et qui, comme nous l’avons vu en 1.1, dépasse les limitations de certaines approches : les rapports aux contextes, aux situations, aux assujettissements, etc.

Suivant la modélisation du cognitif, Chevallard (2003) présente la notion d’institution de la manière suivante :

Une institution I est un dispositif social « total », qui peut certes n’avoir qu’une extension très réduite dans l’espace social (il existe des « micro-institutions »), mais qui permet – et impose – à ses sujets, c’est-à-dire aux personnes x qui viennent y occuper les différentes

positions p offertes dans I, la mise en jeu de manières de faire et de penser propres (p. 82)

Comme il l’indique, le sens de la notion n’est pas celui bureaucratique dans lequel on l’entend souvent (l’armée, l’Eglise, l’Etat, etc.), mais est plutôt proche de celui que lui a donné Douglas (1999), et que nous avons cité au paragraphe 1.1. Ainsi, nous dirons que notre monde est composé de plusieurs institutions dont chacune admet un environnement qui est un univers culturel, et en même temps, « toute institution peut fonctionner comme univers culturel pour d’autres institutions » (Chevallard, 1986, p. 97). De tels univers sont formés par plusieurs éléments référant à des pratiques, sans se limiter à ceux partagés par une société en particulier. Ainsi, on pourrait penser à l’institution du « basket », dont l’univers peut être intégré par les joueurs (amateurs ou professionnels), les espaces destinés à jouer, les règles du jeu, les chansons des supporteurs, les grandes ligues comme le NBA, leurs joueurs les plus connus, etc.

Pour toute institution I, il existe ce que Chevallard (1992) appelle un temps institutionnel t1, notion qui est une extension de la notion de temps didactique déjà présenté dans la TD. L’ensemble des objets institutionnels17 dépend donc de ce temps institutionnel, de la manière dont il enregistre certains changements au sein de I :

A chaque « instant » t, de nouveaux objets institutionnels apparaissent, tandis que d’autres disparaissent (pour n’être plus, par exemple, qu’institutionnellement visibles depuis I). Il en va de même des rapports institutionnels, RI(O,t). D’une manière générale, toutes les notions

relatives à I dépendent de tI (p. 89)

Cette dynamique des « objets » et « rapports », qui apparaissent et disparaissent, dirigée par les assujettissements institutionnels, prend un caractère important lorsqu’il s’agit de la dimension mnésique des sujets de l’institution. Notamment, pour ce qui concerne les

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« A chaque institution I est associé un ensemble d’objets, OI, dit ensemble des objets institutionnels (pour I), qui est l’ensemble des objets O que connaît I, c’est-à-dire pour lesquels existe un rapport institutionnel RI(O). Un objet O est institutionnel pour I, autrement dit existe pour I, si I a défini un rapport (institutionnel) à O » (Chevallard, 1992, p. 88).

« objets » et les « rapports aux objets » à oublier au fur et à mesure que le temps didactique avance, ainsi que les changements dans l’institution qui les font oublier.

Suivant l’exposition de Chevallard (1992) une personne devient un « sujet d’une institution I » quand elle devient « assujettie » à I. Au sein de toute institution, il existe plusieurs positions p légitimées. Ainsi, pour chacune de ces positions il existe le « rapport à l’objet o qui devrait être, idéalement, celui des sujets de I en position p », ce rapport est nommé rapport institutionnel et noté par RI(p, o). Autrement dit, il s’agit de « ce qui se fait dans »

l’institution I, avec l’objet de savoir o, lorsque la personne occupe la position p (Chevallard, 1989). Un « bon sujet » de I en position p par rapport un objet o, est la personne placée dans cette position dont le rapport à o est conforme au rapport institutionnel établi dans I. En d’autres termes, si R(X, o) ≅ RI(p, o)18. Il y a ainsi une dialectique des rapports institutionnels et des rapports personnels : les premiers fournissent les conditions et les contraintes sous lesquelles se créent et évoluent les seconds, et en retour les seconds, lorsqu’ils sont idoines aux premiers, viennent les soutenir (Chevallard, 1989). En tout cas, l’auteur remarque que RI(p, o) n’est le rapport personnel d’aucune personne. Autrement dit : conformité n’est pas

identité. Remarquons donc, que la « mémoire institutionnelle » (voir paragraphe 1.2.5) présentée par Matheron est constituée par les souvenirs des RI établis en I.

La théorisation, telle qu’elle est exposée en 1989, mentionne un troisième terme dont l’existence apparaît déjà dans L’esquisse d’une théorie formelle du didactique donnée en 1986 : le rapport officiel. Il s’agit du rapport que l’institution donne à voir de l’objet o depuis la position p, lorsque l’objet est enjeu didactique. A terme, la nécessité de sortir de la relation didactique pousse le rapport officiel à évoluer vers le rapport institutionnel.

L’intention didactique − consubstantielle des sociétés humaines19

et associée à tout ce qui est relatif à l’étude ou à l’aide à l’étude d’un savoir − est cristallisée, dans les univers culturels contemporains, en des institutions auxquelles on a attribué une mission d’enseignement. De telles institutions scolaires assument la prise en charge de la responsabilité de faire apprendre par les élèves certaines œuvres, ou éléments de ces œuvres, jugées indispensables par la société et la noosphère. En conséquence, un tel mandat est porteur d’intentions sociales, d’un univers culturel, qui se transmet aux acteurs des institutions (Chevallard, 1988) et qu’on

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Dans une institution donnée, le rapport personnel a deux composantes : une publique et une autre privée. Le verdict de conformité de R(X, o) à RI(p, o) est fondé sur la composante publique, celle qui se donne à voir dans I, c’est-à-dire la composante ostensive.

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« L’idée du didactique, l’idée d’étude, c’est-à-dire, fondamentalement, l’idée de faire quelque chose afin d’apprendre quelque chose (« savoir ») ou d’apprendre à faire quelque chose (« savoir-faire »), paraît en fait

interprète aussi en termes d’assujettissements. Ainsi, dans ces institutions, afin de respecter le contrat qui leur est assigné, sont réalisées diverses pratiques : aller en classe, respecter une certaine politesse, assister aux fêtes religieuses pour certaines écoles, participer à la vie du foyer des élèves, etc. Dans ce travail, nous nous intéressons essentiellement à celles pour lesquelles les objets et rapports aux objets du savoir, déjà connus des élèves, sont réactivés. Dans le paragraphe suivant, nous présentons le modèle mis à disposition par la TAD pour analyser les activités humaines, en particulier les activités enseignantes relatives à l’étude des mathématiques. Pratiques que nous observons pour avoir accès à des phénomènes mnésiques (voir paragraphe 4.2.1) Remarquons d’avance qu’un tel modèle pourrait être appliqué aussi pour décrire l’accomplissement des tâches didactiques, notamment parmi elles la gestion de la mémoire.