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O UTILS THEORIQUES ET METHODOLOGIQUES EN D IDACTIQUE DES M ATHEMATIQUES

2.1 L A T HEORIE A NTHROPOLOGIQUE DU D IDACTIQUE

2.1.5 O RGANISATIONS DIDACTIQUES INSTITUTIONNELLES

Comme toute pratique régulièrement accomplie, l’organisation du processus d’enseignement- apprentissage peut être décrite, selon Bosch et Gascón (2002), par une modélisation en termes de système de tâches professorales et de techniques que l’enseignant a à sa disposition ou qu’il adapte ou élabore, ainsi que de système d’argumentations justificatives et interprétatives des techniques. De la même manière que nous l’avons souligné pour les organisations mathématiques, les organisations didactiques sont dépendantes des institutions en lesquelles a lieu l’enseignement, institutions qui à la fois sont contraintes et conditionnées par d’autres institutions scolaires, scientifiques et culturelles.

Bosch et Gascón indiquent que de telles organisations possèdent trois caractéristiques importantes : elles sont empiriques, spontanées et relatives au professeur. Ainsi, expliquent- ils :

[…] empirique, c’est-à-dire existant dans une institution concrète et en un moment historique déterminé, avec des caractéristiques et des limitations particulières. Ce caractère contingent de

puisse présenter des lacunes et des redondances, au point où certaines de ses composantes pourront sembler incohérentes, voire contradictoires, pour l’observateur extérieur.

[…] spontanée − d’une « ethnopraxéologie » −, en ce sens que les techniques qui l’engendrent ne sont pas nécessairement organisées à l’avance à partir d’un discours technologico-théorique établi et systématisé qui réponde à des exigences de justifications et de validations empiriques. De plus, il se peut que certains éléments de ces pratiques s’improvisent au fur et à mesure des événements, que beaucoup d’autres restent implicites − notamment au niveau technologico- théorique − et s’activent de manière fortement naturalisée.

Il s’agit enfin de la praxéologie du professeur, parce qu’elle recouvre l’ensemble de tâches dont le professeur est le principal protagoniste, bien que cela ne signifie pas qu’il agisse en tout de manière autonome. Cette « personnalisation » de la praxéologie fait que les éléments accidentels, les manques et les contradictions apparentes que contient toute praxéologie empirique sont davantage susceptibles d’être regardés comme des idiosyncrasies (personnalité, charisme, etc.) de son acteur principal : la praxéologie didactique spontanée du professeur déterminé dépend de ses assujettissements aux diverses institutions qu’il aura parcourues, ce qui lui confère sans doute une individualité ou une unité particulière (Bosch et Gascón, 2002, p. 24)

Ces trois caractéristiques déterminent alors ce qu’on nomme, une praxéologie didactique spontanée du professeur. Comme l’expliquent les auteurs, les différentes composantes de cette organisation didactique dans une institution donnée vont être en grande partie déterminées par les moyens que l’institution propose. De ce point de vue, il devient légitime de se poser la question : « Comment décrire ce didactique institutionnel qui nous éclairera sur ce que fait un professeur, sur ce qu’il peut faire ou pourrait faire pour réaliser l’ensemble des tâches professorales ? » (Ibid, p. 25). Le premier élément de réponse que les auteurs énoncent, tient dans l’élargissement de l’objet empirique de recherche : ce ne sera plus la praxéologie propre à un professeur, mais plutôt, ce seront les organisations didactiques dominantes dans l’institution considérée. En d’autres termes, les organisations didactiques institutionnelles sont déterminées par :

[…] les systèmes de types de tâches, de techniques, de technologies et de théories qui existent dans l’institution considérée et qui permettent aux sujets de l’institution de mettre en place, en les activant, des organisations mathématiques déterminées sous des conditions particulières données (Ibid., p. 26)

Dans ce sens, Bosch et Gascón ajoutent que :

Nous continuerons alors à avoir affaire à des praxéologies « empiriques » et « spontanées » (au sens précédemment décrit), mais ce ne seront plus les praxéologies d’une personne, mais celles « disponibles » dans l’institution (Ibid., p. 26)

D’après Gascón (2003, Bosch et Gascón, 2002), le modèle de l’espace des organisations didactiques possibles est un « système de référence » qui permet de repérer chacune des OD possibles par rapport à certaines propriétés de l’activité mathématique. Ainsi, en considérant l’ensemble des OM possibles à étudier dans une institution donnée I, Bosch et Gascón (2002 ; Gascón, 2003) montrent comment les différentes façons de concevoir dans I « ce que sont les mathématiques » peuvent être en correspondance avec certains « types » d’OD.

Il s’agit d’un espace à trois dimensions où chaque point de l’espace modélise une organisation didactique idéale possible. Les axes représentent trois des moments de l’étude mentionnés plus haut : le moment technologico-théorique (θ/Θ), le moment du travail de la technique (T/τ) et le moment exploratoire (Ex). Sur chacun de ces axes les auteurs placent une organisation didactique nommée unidimensionnelle ou de premier niveau. Leur nom est dû au fait qu’elles privilégient un seul moment didactique, celui qu’elle-même désigne, en accordant un rôle assez secondaire aux autres dimensions de l’étude. De cette manière, nous avons les OD idéales théoricistes (liées à θ/Θ), technicistes (T/τ) et modernistes (Ex) (voir figure ci- dessous).

Les OD théoricistes mettent l’accent sur les connaissances achevées et cristallisées en « théories » (Gascón, 2003). Comme Gascón le relève, le théoriciste identifie « enseigner et apprendre les mathématiques » avec « enseigner et apprendre des théories ». En conséquence, le processus d’étude commence − et l’auteur indique qu’on pourrait dire que le processus même finit −, au moment où l’enseignant montre ces théories. L’auteur signale que pour les institutions où ces OD dominent, les élèves

ont des difficultés à utiliser adéquatement un théorème, appliquer une technique mathématique ou vérifier si un objet mathématique satisfait ou non une des clauses d’une définition. Enfin, est désigné comme caractéristique principale de ces OD le fait qu’elles ignorent le processus de l’activité mathématique, en mettant de côté « la genèse et le développement des connaissances mathématiques ».

Ex T/τ θ/Θ Théoricistes Technicis tes Moder nistes Figure 4 : Organisations didactiques de premier niveau

Les OD technicistes émergent comme réaction aux OD précédentes. Le techniciste met l’accent sur le plus rudimentaire du moment du travail de la technique. Ces organisations relèguent à un rôle assez secondaire les problèmes pour lesquels on doit élaborer la séquence de techniques adéquates, construire une stratégie, afin de les résoudre. En d’autres termes, les techniques qui ne sont pas algorithmiques sont quasiment exclues.

Pour Gascón, ces deux OD unidimensionnelles, théoriciste et techniciste, peuvent être une conséquence de la domination implicite dans la classe du programme épistémologique24 connu sous le nom de : l’euclidianisme. D’après Gascón (2001), le Programme Euclidien propose que

todo conocimiento matemático puede deducirse de un conjunto finito de proposiciones trivialmente verdaderas (axiomas) que constan de términos perfectamente conocidos (términos

primitivos). La verdad de los axiomas fluye entonces desde los axiomas hasta los teoremas por

los canales deductivos de transmisión de verdad (pruebas) (pp. 131 − 132)

La principale caractéristique de ce Programme est donc la « banalisation » des connaissances mathématiques. Quand une telle « banalisation », continue l’auteur, pénètre dans les systèmes didactiques scolaires, elle provoque aussi la « banalisation » du processus d’enseignement. En d’autres termes, ce processus est considéré comme étant mécanique et complètement contrôlable par l’enseignant. Les deux OD idéales décrites plus haut partagent cet effet : l’une par réduction des mathématiques à l’étude des théories, et l’autre par le fait que l’on se limite à la mise en œuvre des techniques rudimentaires.

Les OD modernistes associent l’activité mathématique à l’exploration de problèmes « non banals ». Ces organisations identifient « apprendre les mathématiques » avec « apprendre l’activité exploratoire de problèmes ». Ainsi, le processus d’apprentissage est pour elles un processus de découverte inductive et autonome. Pour ces organisations, la notion de problème « non banal » est proche de celle de « problème type olympiade ». Comme remarque Gascón (2003), c’est pour cela que l’isolement et la décontextualisation des problèmes y sont accentués. Enfin, les OD modernistes simulent la non-existence de manières de faire systématiques qui puissent être enseignées dans l’institution scolaire.

Selon Gascón (2001), les modèles enseignants modernistes reposent sur le programme épistémologique nommé « quasi-empirique », selon lequel

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D’après les auteurs, un modèle épistémologique général des mathématiques correspond à « une manière particulière et relativement précise d’interpréter et de décrire ce qu’est l’activité mathématique − et donc ce en quoi consiste le fait de « construire des mathématiques » » (Bosch et Gascón, 2002, p. 33).

tanto el origen como el método de la matemática, e incluso su propia justificación, ha de provenir, como en el caso de las otras ciencias, de la « experiencia » […] sin tomar esta noción en el sentido empirista más elemental, sino en un sentido más sofisticado de « experiencia matemática » (Gascón, 2001, p. 137)

En d’autres termes, ce qui justifie une théorie mathématique n’est ni le caractère non questionnable des axiomes, ni leur cohérence, mais seulement qu’on puisse, à partir d’eux, déduire certains résultats essentiels. Ainsi, le patron du développement des mathématiques est au sein de ce programme décrit par Lakatos en termes de conjecture, preuves et réfutations. Une fois établies les OD de premier niveau ou unidimensionnelles, Bosch et Gascón (2002 ; Gascón, 2003) présentent dans un deuxième niveau, les OD dites « idéales » qui intègrent deux des moments représentés sur les axes du repère. On obtient ainsi les OD classiques (articulant les θ/Θ et T/τ), les OD empiristes (intégrant les T/τ et Ex) et les OD constructivistes (combinant les θ/Θ et Ex).

Les OD classiques se caractérisent par une certaine trivialisation de l’activité de résolution de problèmes. En conséquence, dans les institutions où prédominent ces OD, les enseignants rencontrent des difficultés pour « motiver » et « justifier » l’introduction de nouveaux concepts. Ces organisations s’appuient aussi au niveau du « programme épistémologique » sur ce qu’ils nomment l’« euclidianisme ». Comme nous l’avons indiqué, au sein des institutions où ce programme prédomine, prévaut le principe

que « l’activité mathématique se construit à partir de la donnée des définitions, axiomes et principaux théorèmes, le reste découlant « facilement » de ceux-ci » (Bosch et Gascón, 2002, p. 33).

Les auteurs caractérisent les OD empiristes par le rôle prépondérant que ces organisations attribuent à l’activité de résolution de problèmes comme moteur de l’étude. Elles se distinguent aussi par le fait qu’elles considèrent l’apprentissage des mathématiques comme un

Ex T/τ θ/Θ Théoricistes Technicistes Moder nistes Empiristes Classiques Constructivistes

Figure 5 : Organisations didactiques de deuxième niveau

processus inductif fondé sur l’imitation et la pratique. Ces organisations sont bâties sur les modèles épistémologiques « quasi-empiriques ».

Un cas particulier d’organisations empiristes est présenté sous le nom de « procedimentalisme ». L’auteur nomme « procéduralistes» les OD dont les formes d’organisation de l’étude ont pour principal objectif la maîtrise de systèmes structurés de techniques heuristiques, au sens de non-algorithmiques. Gascón précise que ces organisations peuvent venir en appui à la dé-trivialisation de la connaissance mathématique, c’est-à-dire du technicisme, car elles permettent un développement du travail de la technique au-delà des techniques les plus simples.

Enfin, nous avons les OD constructivistes comme celles qui intègrent les moments de constitution d’un bloc technologico-théorique (θ/Θ) et celui de l’exploration du type de tâches. Elles sont caractérisées par le fait de considérer que « l’apprentissage est un processus actif de construction [des connaissances] à partir d’acquis antérieurs et sous des contraintes déterminées » (Bosch et Gascón, 2002, p. 33). Par conséquent, l’activité de résolution de problèmes est privilégiée et placée dans une activité plus large de construction de connaissances. Ces OD sont fondées sur des modèles épistémologiques « constructivistes ». Gascón (2001) propose de caractériser l’épistémologie constructiviste de la manière suivante :

Para abordar el problema epistemológico es imprescindible utilizar como base empírica, al lado de los hechos que proporciona la historia de la ciencia, los que proporciona el estudio del desarrollo psicogenético (p. 144)

D’après l’auteur, cet argument repose sur le postulat selon lequel les instruments et mécanismes qui courent d’une période de l’histoire de la science à une autre sont analogues à ceux qui « déterminent la transition d’un passage psychogénétique à un autre ». L’incidence de ce modèle dans les modèles enseignants détermine deux OD institutionnelles : les OD constructivistes psychologiques et les OD constructivistes mathématiques ou modélisationnistes.

Les OD constructivistes psychologiques s’identifient avec les OD constructivistes qui ne font aucune référence explicite à la nature mathématique de l’activité de construction des connaissances, ni au contexte dans lequel cette construction s’effectue. Il s’agit ainsi, d’un processus psychologique, et non pas d’une activité d’ordre mathématique en elle même. L’auteur décrit à l’aide des caractéristiques de ce qu’Arsac (1988) nomme une « situation-

problème », le rôle que joue l’activité de résolution des problèmes dans le constructivisme psychologique :

- El alumno ha de poder introducirse en la resolución del problema y ha de poder discernir lo que es una solución posible.

- Los conocimientos del alumno deben ser, en principio, insuficientes para resolver el problema.

- La « situación problema » debe permitir al alumno decidir si una solución determinada es

correcta o no.

- El conocimiento que se desea que el alumno adquiera (« construya ») debe ser la

herramienta más adecuada para resolver el problema (p. 9)25

L’« apprentissage des mathématiques » au sein des OD modélisationnistes, est interprété comme « un processus de construction de connaissances mathématiques (relatifs à un système mathématique ou extra-mathématique) qui s’accomplit en utilisant un modèle mathématique d’un tel système » (Gascón, 2003, p. 9). Par conséquent, l’activité de résolution de problèmes est considérée à l’intérieur d’une activité plus large de modélisation mathématique. L’objectif de la résolution de problèmes s’identifie alors avec l’obtention de connaissances sur le système modélisé.

Remarquons que chacun des axes qui définissent les organisations de premier niveau décrites ci-dessus (modernistes, théoricistes et technicistes) peut être considéré comme un cas extrême26 d’OD empiristes, classiques ou constructivistes.

Enfin, comme les auteurs l’indiquent, chaque modèle enseignant ou organisation didactique institutionnelle conditionne, jusqu’à un certain degré, « la manière d’organiser et gérer le processus d’enseignement des mathématiques ». En particulier, nous dirons donc que les OD idéales dominantes dans la classe ont aussi une incidence sur la gestion par les professeurs de la mémoire didactique de la classe. Dans ce sens, le modèle de l’espace des OD possibles est

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Dans cette description, nous reconnaissons certaines des caractéristiques de ce que Brousseau (1986) a nommé une situation a-didactique. Néanmoins, comme cela est pointé par Schneider & Mercier (2005) les caractéristiques possibles d’une situation-problème « ne constituent pas un cadre théorique consistant en raison même du fait que leur choix autorise des exemples fort diversifiés dont certains peut-être pourraient s’apparenter aux jeux adidactiques de Brousseau mais d’autres leur sont totalement étrangers ». Les auteurs continuent en exemplifiant cette posture par le cas des situations-problèmes proposées par Arsac : « C’est par de tels biais qu’on voit donner le statut de situation-problème à ce que Arsac et al. (1988) appellent le problème ouvert, centré sur la démarche de recherche sans chercher une quelconque construction conceptuelle » (p. 9).

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Comme le remarque Gascón (2003), « los tipos de OD que hemos esquematizado muy brevemente son tipos

ideales que no han existido ni existirán nunca en estado puro en ninguna institución escolar. Las OD

un outil pour caractériser une partie du fonctionnement des classes. Ceci en visant l’étude des assujettissements qui pourraient affecter la gestion mémorielle.

Dans le paragraphe suivant, nous abordons l’exposé d’autres types de conditions et contraintes du processus d’enseignement : les niveaux de co-détermination didactique.