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O UTILS THEORIQUES ET METHODOLOGIQUES EN D IDACTIQUE DES M ATHEMATIQUES

C. Contrats fortement didactiques portant sur un savoir ‘nouveau’ […]

2.3 S UR LA NOTION DE MILIEU

Une autre notion fondamentale dans la Didactique des Mathématiques en France est celle de milieu. Contrairement au milieu présenté dans la théorie piagétienne, auquel l’enfant s’adapte pour apprendre, le milieu pour Brousseau (1986) doit être chargé d’intentions didactiques pour être capable d’« induire chez l’élève toutes les connaissances culturelles que l’on souhaite qu’il acquière ». Ainsi, dans sa modélisation systémique des connaissances et savoirs, Brousseau (1988) affirme,

Pour représenter convenablement le fonctionnement non didactique des connaissances, nous devons adopter le plus souvent des situations dans lesquelles les états du jeu sont déterminés alternativement par le joueur et par un SYSTEME antagoniste qui modifie les états du jeu de façon non contrôlée par le joueur. Ce système, nous l’avons déjà signalé, est pour l’observateur une modélisation de l’environnement et de ses réponses pertinentes pour l’apprentissage en cours […] C’est ce système antagoniste que nous avons proposé d’appeler

milieu (pp. 320 – 321)

Illustrons son propos par le cas d’une séquence d’enseignement des applications linéaires proposée aux élèves à l’école Michelet33. Un puzzle (voir figure ci-dessous) est présenté à la classe, l’objectif est de fabriquer des puzzles semblables, plus grands que le modèle, en respectant la règle suivante : « le segment qui mesure quatre centimètres sur le modèle devra mesurer sept centimètres » sur la reproduction. La plupart des élèves peuvent penser qu’il faut

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En 1972 se crée l’« école pour l’observation des enfants qui apprennent les mathématiques. Cette école,, « Jules Michelet » de Talence, deviendra progressivement une Ecole pour l’Observation de l’Enseignement des Mathématiques, COREM (Centre d’Observation et de Recherches sur l’Enseignement des Mathématiques) »

ajouter 3 centimètres à toutes les dimensions. Ce faisant, le résultat c’est que les morceaux ne se raccordent pas. C’est donc cet état du système

antagoniste (les rétroactions du puzzle) qui devrait amener des changements des états du jeu des élèves. Par exemple, les élèves s’adonnent à la recherche de l’image de 8 : « 4 → 7 alors 8 → 14 » et « il faudrait l’image de 1 ». Ces réponses montrent la modification d’état du jeu des joueurs, en passant d’une réponse intuitive ou donnée au hasard − « ajouter 3 » − à une possible anticipation de la solution. De cette manière,

Le système antagoniste apparaît ainsi comme dénué d’intentions, non finalisé mais, par les rétroactions renvoyées au sujet actif qui opère sur lui, il est cependant capable de provoquer des modifications des actions immédiates ou à venir du sujet, et ce faisant, de lui permettre d’apprendre une connaissance nouvelle (Matheron, 2000, p. 107)

Une telle connaissance nouvelle peut être identifiée dans notre exemple à une forme particulière des applications linéaires (la nécessité d’avoir des segments tels que f(a) + f(b) = f(c) dès lors que a + b = c). En conclusion, et suivant Perrin-Glorian (1999), « le milieu [chez Brousseau] est la cause des adaptations du sujet et les rapports de l’élève à la situation adidactique sont réglés par le contrat didactique » (p. 285).

Au sein de l’anthropologie cognitive (Chevallard, 1992), la notion du milieu est reprise en termes de rapports institutionnels et de contrats institutionnels, en définissant donc un milieu de nature institutionnelle :

On désigne par CI(T), et on nomme contrat institutionnel relatif à I au temps t, l’ensemble des

couples (O, RI(O, t)), où O est un élément 34

de OI(t). On nomme alors milieu institutionnel

relatif à I au temps t, et on note MI(t), le sous-ensemble de CI(t) formé des couples

(O, RI(O, t)) « stables » au temps t (p. 89)

La notion de « stabilité » est notamment prise au sens institutionnel aussi. En d’autres termes, pour les sujets de l’institution I les couples (O, RI(O, t)) qui intègrent le milieu seront stables

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D’après Chevallard (1992), comme nous l’avons vu plus haut, « à chaque institution I est associé un ensemble d’objets, OI, dit ensemble des objets institutionnels (pour I), qui est l’ensemble des objets O que connaît I, c’est- à-dire pour lesquels existe un rapport institutionnel RI(O) […] L’ensemble OI dépend de t = tI, et il serait donc plus exact de le noter OI(t) » (p. 88)

6 5 2 7 9 6 4 2 5 7 5 2

Figure 8 : « Puzzle » d’une

s’ils apparaissent comme « allant de soi, transparents, non problématiques ». Or, comme l’indique l’auteur, le fonctionnement du système didactique implique des changements dans le milieu, et par conséquent, des « déstabilisations » provisoires seront nécessaires. Ainsi,

Certains des éléments du milieu vont être déstabilisés et cesseront momentanément d’appartenir au milieu, avant de s’y restabiliser ensuite, dans une organisation économiquement et écologiquement différente (Ibid, p. 95)

Une telle dynamique de « stabilisation – déstabilisation » des objets, donne au milieu une double dimension. D’une part, le milieu apparaît subjectivement comme un donné, ses éléments semblent doués « d’une objectivité échappant au contrôle et à l’intentionnalité de l’institution », ils sont « stables ». D’autre part, il est continuellement construit, c’est le processus de « mésogénèse », car justement le fonctionnement de la relation didactique l’oblige à évoluer35. C’est dans ce renouvellement continu des milieux, régulé par le contrat didactique, que la gestion de la mémoire retrouve son importance majeure : l’enseignant est obligé d’aménager un milieu qui est à la base du fonctionnement de tout système didactique, mais il est contraint de ne pas dire directement les choses aux élèves, car justement d’après le contrat, l’interaction didactique suppose que ceux-ci fassent leur ce qu’ils ont à étudier. La tâche didactique de gérer la mémoire est donc une nécessité que l’on va retrouver en filigrane dans ce renouvellement continu des milieux.

Récemment, Assude, Mercier et Sensevy (2007) ont étudié l’action didactique du professeur dans la dynamique des milieux, dans les classes de CP. Chez ces auteurs, le milieu est considéré comme le « système de contraintes et de ressources, aussi bien matérielles que symboliques, dans lequel évoluent l’élève et le professeur » (p. 226). C’est-à-dire qu’il n’est pas nécessairement « milieu d’une situation adidactique ».

Nous pourrions interpréter d’une autre manière la notion de milieu donnée par Assude, Mercier et Sensevy (2007) en utilisant la définition du milieu, donnée par Chevallard, en termes d’ensemble de couples (O, RI(O, t)) « stables » au temps t. D’une part, nous dirions qu’un système de contraintes et de ressources dans lequel évoluent l’élève et le professeur, délimite ou rend possible la stabilisation de certains objets (ostensifs et non-ostensifs) et de certains rapports à ces objets. D’autre part, la reconnaissance d’objets dans une institution en tant qu’« objets stables » rend possible l’installation de contraintes et conditions (ou des

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Nous renvoyons aux analyses de Perrin-Glorian (1999) pour approfondir sur l’articulation du concept du milieu dans différents cadres théoriques.

changements de celles qui étaient établies) qui intègrent un système dans lequel évoluent l’élève et le professeur.

Dans le travail d’Assude et collaborateurs, les milieux sont présentés aussi comme des moyens de régulation de la relation didactique. Ils décrivent au moins trois dynamiques des milieux à l’intérieur desquelles l’action du professeur est étudiée :

Une première dynamique tient à la dévolution d’un rapport adéquat au milieu puisque certaines potentialités du milieu sont investies par les élèves, sous le contrôle du contrat didactique […] La dévolution apparaît alors comme un processus complexe qui ne se réduit pas à l’engagement d’un sujet dans une tâche prescrite [… elle suppose] un engagement du professeur dans le travail du savoir, notamment dans une analyse préalable qui lui permet de préciser les enjeux de la situation et, en particulier, un certain vocabulaire et/ou un système stable de notations

Une deuxième dynamique tient au fait que le milieu est objet de régulation, notamment par certains processus d’expansion ou de réduction de ce même milieu […] l’expansion du milieu est double : soit que le professeur apporte des informations ou des énoncés contradictoire […] soit que le professeur apporte des éléments problématiques qui pourraient orienter le travail de l’élève vers une dialectique de formulation et validation […] Par opposition, certains milieux sont tellement « extensifs » que le professeur va procéder à des réductions qui lui permettent de préciser l’enjeu de savoir par élimination des propositions ou des interprétations apportées par les élèves

Une troisième dynamique tient aux différentes manières dont le partage topogénétique et les différentes postures du professeur et des élèves peuvent influencer le jeu ou être influencés

par le jeu avec le milieu […] le maître peut à certains moments faire partie intégrante du

milieu (en jouant avec et contre l’élève) et à d’autres moments le maître peut être à l’extérieur du milieu en créant une distance qui lui permettra de mieux réguler la suite du travail de l’élève (Assude, Mercier et Sensevy, 2007, pp. 249-250, c’est nous qui soulignons)

Les actions des professeurs au sein des dynamiques mentionnées qui concernent les phénomènes de dévolution, de délimitation des milieux et de partage topogénétique, peuvent être interprétées en termes de gestes accomplis par les enseignants pour gérer la mémoire didactique des élèves. Nous reviendrons sur ce point lors du chapitre 4 sur la problématique de recherche et principalement dans les analyses des résultats.

2.4 RESUME

Dans ce chapitre nous avons présenté la modélisation d’une partie de la réalité didactique au sein de laquelle nous inscrivons notre travail : la Théorie Anthropologique du Didactique. Nous avons ainsi abordé les notions fondamentales à la base de la modélisation du cognitif : objet, rapport, personne et institution, le modèle de l’activité de l’étude en mathématiques en termes de praxéologies mathématiques et didactiques, et le système des conditions et des contraintes selon lesquelles se déterminent les praxéologies reconstruites en classe. Deux autres notions nécessaires à l’analyse des pratiques enseignantes, et en particulier pour ce qui relève de la gestion de la mémoire, ont été exposées : celle de contrat didactique et celle de milieu.

L’exposition succincte de la TAD que nous avons présentée, ainsi que de quelques autres références conceptuelles, sont les outils théoriques à partir desquels nous modélisons une partie de la réalité dans la classe. En particulier, nous utilisons fortement le modèle du cognitif exposé pour nous référer aux phénomènes mnésiques qui nous occupent : ceux relatifs à l’aide que le professeur apporte aux élèves pour se remémorer.

Une fois décrit notre référent conceptuel et les notions théoriques de description et d’analyse qui outillent notre recherche, nous abordons, dans le chapitre suivant, nos premières délimitations concernant notre objet d’étude. Puis, nous exposons l’étude exploratoire que nous avons menée en France, afin de construire des bases de départ pour observer comment le professeur prend en compte, la plupart du temps de manière implicite, la dimension mémorielle de la classe.

CHAPITRE 3

V

ERS UNE PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE

UNE ETUDE EXPLORATOIRE

3.1 Importance de l’objet d’étude