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Partie 2. Les entretiens semi-directifs et les cartes cognitives

I. Matériel et méthode des entretiens semi-directifs et des cartes cognitives

I.2. Entretiens semi-directifs et élaboration des cartes cognitives sur le terrain

I.3.4. L’ontologie et la carte cognitive

Une limite possible de la carte cognitive est sa grande souplesse, traitant de notions mal définies (Aissaoui et al., 2003) ou floues (Kosko, 1986). L’utilisation d’une ontologie peut alors aider à pallier ce problème et est même indispensable pour fusionner un ensemble de cartes individuelles.

Le terme « ontologie » est un mot que l’informatique a intégré dans son vocabulaire au début des années 1990 (Chauvin, 2010), mais selon un sens différent de la philosophie ou de l’anthropologie qui l’entendent en tant qu’ « étude de l’être ».

L’informatique s’est trouvée face à des contraintes de langage à formaliser pour que différents agents ou machines puissent se comprendre, échanger et traiter des informations. Ainsi, pour que deux agents communiquent, ils ont besoin d’une terminologie commune (langage) et d’une sémantique commune univoque (signification des termes) (Poignonec, 2006). Ce sont ces deux principes qui définissent la base d’une ontologie au sens informatique.

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Une ontologie est avant tout le vocabulaire d’un domaine (Carley & Palmquist, 1992; Ethier, 2004). Nous reprenons ici la définition donnée par (Bonneau de Beaufort et al., 2010) : « Une ontologie est une base de connaissances qui décrit les concepts généraux d’un domaine et les relations qui peuvent lier ces concepts ». C’est pourquoi, avant d’établir une nouvelle ontologie, il est impératif de rechercher au préalable l’existence d’une ontologie déjà réalisée sur le domaine étudié ou un domaine proche (White, 2004). Dans notre cas, nous n’en avons trouvé aucune de pertinente et en langue française. Nous avons dû entièrement l’élaborer.

Comme nous l’avons déjà expliqué ci-dessus, nous avons choisi de construire les cartes cognitives selon une perspective subjectiviste (Cossette, 2008). Cela signifie que nous n’avons pas élaboré d’ontologie a priori. Il s’ensuit que chaque concepteur de sa carte cognitive individuelle (chaque pêcheur) a apporté ses propres variables avec son propre vocabulaire, ses propres termes ou expressions, parfois à des niveaux d’échelle différents pour exprimer la même idée. Dans cette étude on nomme carte-cognitive-originale une carte cognitive individuelle telle qu’elle a été conçue originalement par un concepteur avec son propre vocabulaire de variables.

Toutefois, ces cartes-cognitives-originales ne pouvant être comparées en l’état, il était nécessaire de structurer l’ensemble des variables dans un cadre formel, de fusionner les variables synonymes, et de les hiérarchiser de manière à établir un référentiel commun à l’ensemble des pêcheurs.

A l’issue de toutes les rencontres avec les 45 pêcheurs et la construction de leurs cartes cognitives, 733 variables tournant autour de la variable principale et imposée « Ressource (espèce et milieu) » ont été évoquées. Nous appelons variables d’acteurs ces variables originales (Poignonec, 2006). Nombre de ces variables d’acteurs étaient souvent synonymes, mais exprimées différemment, ou reliées entre elles. L’ensemble de ces variables d’acteurs constituent le vocabulaire ou lexique de base de l’étude (Carley & Palmquist, 1992) et définissent le domaine sur lequel bâtir l’ontologie, afin d’harmoniser ce vocabulaire et pouvoir comparer les cartes cognitives individuelles ou les regrouper.  La première étape a constitué à identifier les situations de synonymies et choisir une terminologie et une sémantique propres à la nouvelle variable qui devait les définir. Ces nouvelles variables définies par nous-même pour intégrer l’ontologie s’appellent des variables génériques (Poignonec, 2006). Nous avons défini ces variables génériques en nous appuyant généralement sur le terme le plus fréquemment utilisé par les pêcheurs. Quand nous choisissons une variable d’acteur comme pouvant être une variable générique, alors celles-ci se confondent. Une fois cette ontologie définie, nous avons pu reprendre chaque carte-cognitive-originale en remplaçant les variables d’acteurs par les variables génériques correspondantes. A l’issue de cette opération, chaque carte cognitive individuelle est devenue une carte-cognitive-attribuée (Le Dorze et al., 2012). Une carte-cognitive-attribuée est donc une carte cognitive individuelle attribuée à un concepteur, mais dont le vocabulaire des variables originales a été adapté à posteriori selon l’ontologie.

 La seconde étape a consisté à classer toutes les variables génériques en groupes de domaine (ou de parenté). L’ontologie prend alors la forme d’une taxonomie (figure 30). Chaque variable se situe à un embranchement de cet arbre de classification et chaque niveau d’embranchement correspond à un rang. Au sein de chaque rang, selon une logique holarchique, une variable va être composée ou en partie définie par l’ensemble des éléments du rang supérieur de l’embranchement et va être une des composantes de celui du rang inférieur. Cette variable définissant un rang est alors appelée variable de classe (Poignonec, 2006). Parfois, pour définir un groupe de domaine avec une variable générique qui n’existait pas, nous avons dû en créer une nouvelle qu’on nomme variable importée. Les relations

entre les variables peuvent aussi se lire comme des relations de parenté générationnelles. Des 733 variables d’acteurs obtenues au départ, nous sommes passés à une ontologie constituée de 202 variables génériques et de 11 variables importées, que nous avons réparties sur cinq rangs. Nous présentons en annexe 15 la liste et la définition contextualisée au domaine de chacune de ces variables.

Figure 30. Structure d’un arbre ontologique, définition des variables de classe et des relations de parenté entre variables : D’après Poignonec, 2006

 La dernière étape de ce processus, indispensable, consiste en une validation de cette ontologie finale par un groupe de chercheurs externes à son élaboration que nous présentons en annexe 16. En effet, la classification des variables selon une ontologie introduit inévitablement un biais dû à la subjectivité de celui qui la construit. Le regroupement par domaine et par parenté correspond à la sensibilité de l’auteur et une autre personne aurait pu élaborer une toute autre classification. La validation de l’ontologie par plusieurs personnes permet de discuter de la pertinence du classement et de s’assurer qu’il correspond à la sensibilité générale partagée ou au sens commun. Par ailleurs, pour pallier partiellement ce biais, nous avons parfois opéré un multi-classement des variables. Par exemple, la variable « Argent disponible » se trouve à la fois enfant de « Changements culturels liés à la globalisation » et de « Envie d’aller à la pêche ». Ceci permet de multiplier les possibilités de résultats proposés par l’ordinateur suite à une requête qui lui est faite. Il reste néanmoins que cette validation a été réalisée en l’absence de représentants des pêcheurs pourtant considérés comme experts dans cette étude. Ce classement taxonomique ne prend donc pas en compte la manière dont les communautés amérindiennes du HM et les Aluku catégorisent et classent les éléments du monde qui les entoure. Celle-ci est non seulement différente de celle des chercheurs mais connaît aussi des variables selon les groupes.

Même si les pêcheurs ne sont pas intervenus dans le classement de leurs variables, il était important de vérifier s’ils avaient, ensemble, embrasser le maximum de variables propres à bien représenter leur perception de l’anthropo-écosystème étudié.

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