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Partie 2. Les entretiens semi-directifs et les cartes cognitives

II. 3.4.2.2 L’offre en réponse à la demande en achat de poissons

II.4. Le rôle de l’orpaillage

II.4.2. Un impact indirect sur la Ressource

L’orpaillage a également un effet indirect sur la Ressource puisqu’il joue un rôle sur le changement de pratiques de pêche et sur la pression de pêche en général. Nous avons repris la même carte que précédemment, mais en écartant cette fois les variables concernant la santé des poissons ou leurs déplacements, cela donne la carte-figure 49.

II.4.2.1. L’orpaillage incite à changer de pratiques de pêche

L’orpaillage, nous l’avons vu, rend l’eau turbide et affecte la visibilité sous l’eau. Ce phénomène porte un coup de frein à l’ensemble des techniques de pêche qui font appel à la vue, que cela soit celle des poissons ou des pêcheurs. Sur la carte-figure 49, nous voyons que la « Turbidité des eaux » fait fortement baisser [ ,-3] la « Pêche à l’arc » montre un Aluku de Papaïchton, « Si l’eau était encore propre, je pêcherais toujours à l’arc» dit-il (H, 52 ans, Ppch). Un pêcheur de Twenké avance que la « Turbidité des eaux » affecte la pratique de la « Pêche à la canne », confirmé par un pêcheur de Loca et un autre d’Antecume-Pata qui montrent que l’eau turbide et la baisse de la « Visibilité sous l’eau » entraînent une baisse des « Captures à la canne à pêche ». Deux Amérindiens du HM montrent que la baisse de la « Visibilité sous l’eau » affecte moyennement [-2, ] la pratique de la « Pêche à la ligne », tandis qu’un autre le dit fortement [-3, ] à propos de la « Pêche au fusil harpon ». La « Pêche à la lance lors de la remontée des poissons » est affectée également par la « Turbidité des eaux », d’après un pêcheur d’Elahé. Au final, c’est l’ensemble des techniques de « Pêche à vue » et les « Captures aux engins à vue » qui sont fortement en baisse [-3, ], en raison du déclin de la « Visibilité sous l’eau », nous illustrent deux Amérindiens du HM.

Si nous poursuivons le cheminement des variables sur la carte-figure 49, nous nous apercevons que l’abandon de toutes ces techniques en raison de la turbidité de l’eau se fait toujours au profit des différentes pratiques de « Pêche au filet », qui -nous le verrons plus tard- apparaît comme plus impactant aux yeux des pêcheurs. Ainsi nous remarquons que l’orpaillage augmente la « Pêche au filet dérivant » [ ,2], la « Pêche au tramail monofilament mailles 3 (namonamo) » ou la « Pêche au tramail monofilament mailles 5 » selon respectivement deux arcs de force 2 et 3 et un arc de force 3. Le « Nombre de filets » est encouragé par ce phénomène nous indiquent deux Amérindiens du HM et au final neuf arcs amérindiens convergent vers la variable « Pêche au filet » depuis l’ensemble de ces facteurs cause. Pour illustrer ce phénomène, nous pouvons citer le témoignage éclairant d’un pêcheur d’Antecume-Pata : « Quand j’étais petit, j’essayais de tuer le hawahawa (Geophagus harreri) avec la flèche. Aujourd’hui les enfants ne savent pas flécher le poisson, car ils ne les voient pas. C’est pour ça que les gens préfèrent l’épervier ou le filet, car on n’a pas besoin de voir » (H, 40 ans, Ant.p). Ce n’est pas seulement la dégradation du milieu qui peut inciter à changer de pratiques de pêche, mais aussi l’offre de nouveaux produits générée par l’augmentation de l’activité aurifère. En effet, comme le montrent un pêcheur de Twenké et un autre de Papaïchton, la montée en puissance des « Commerçants chinois » a entrainé, selon une force moyenne à forte [2 et 3], une augmentation de la « Disponibilité en filet », ce qui a encouragé la « Pêche au filet ».

En résumé, l’orpaillage et ses nuisances, notamment la turbidité de l’eau, entraînent un abandon des techniques de pêche actives à vue, dont les pratiques traditionnelles de l’arc et de la canne en bois, au profit du filet. Le passage et l’adhésion au filet, en particulier le namonamo, se fait d’autant plus facilement qu’il devient directement disponible grâce aux nouveaux commerces de proximité ouverts

Figure 49. Carte-dirigée-ajustée entre la variable-émettrice-principale « Orpaillage» et la variable-réceptrice-principale « Ressource (espèces et milieu) ». Seules les variables concernant les effets indirects de l’orpaillage ont été maintenues.

II.4.2.2. L’orpaillage modifie la pression de pêche

Comme nous l’avons déjà remarqué plus haut, l’orpaillage participe à l’augmentation de la démographie du territoire, notamment par l’élévation du « Nombre d’orpailleurs clandestins ». Nous voyons sur cette carte-figure 49, que d’après trois pêcheurs amérindiens du HM, cela peut entraîner directement une augmentation de la «Pression de pêche », de la «Demande en poisson » et même du « Nombre de filets » [ , 2]. De la même façon, un pêcheur de Loca a fait une relation directe entre l’augmentation de l’ « Orpaillage » et celle de l’ « Activité de pêche » [des clandestins] [ ,3]: « La turbidité n’est pas vraiment un frein à la pêche au gros comme le nyamaa (Hoplias aimra) ou le lowi (Pseudoplatistoma fasciatum). Par exemple, malgré la turbidité, la crique Dorlin est particulièrement poissonneuse sur les zones où les orpailleurs ne s’arrêtent pas. Par contre, là où ils travaillent, il n’y a plus rien » (H, 38 ans, Loca).

A l’opposé, l’orpaillage a tendance à réduire la pression de pêche des pêcheurs locaux. Selon trois pêcheurs aluku, l’augmentation de la « Turbidité des eaux » ou du « Déplacement des poissons vers des eaux claires » sont tels qu’ils affectent le « Plaisir de pêcher dans un bon environnement » [ ,-2] ou entraînent une « Consommation d’essence » supplémentaire importante [ ,3] pour se rendre dans des zones non-impactées. « Je préfère le Litani car maintenant l’eau est vraiment sale du côté Tampok. Les poissons ne voient pas les appâts. Les filets non plus, attrapent peu en eau sale. Les poissons cherchent des eaux plus claires» (H, 49 ans, Elahé). Autant de raisons qui participent à un « Découragement des pêcheurs » et finalement font chuter le « Nombre total de pêcheurs » [ ,-2] ou au contraire, augmentent le « Besoin de rentabilité » de ceux qui maintiennent leur activité [ ,2]. Il semble pourtant que ce soit le côté rédhibitoire de l’orpaillage sur le désir de se rendre à la pêche qui s’avère le plus marquant. Un Aluku de Loca, a déclaré que l’augmentation de l’ « Orpaillage » impactait [ ,-2] sur la « Sécurité » de sa personne et de ses biens : « Quand je vais en expédition, je prends le fusil, mais je ne marche pas en forêt. C’est par peur de me faire voler mon matériel resté au bord » (H, 38 ans, Loca). Un jeune d’Elahé renchéri : « L’arrivée des Chinois facilite l’implantation des illégaux. Cela nous dérange dans notre pêche la nuit, au niveau de la sécurité » (H, 25 ans, Elahé). Allant dans le même sens, nous voyons sur la carte-figure 49 que l’ « Offre de nouveaux produits alimentaires importés et variés » proposés par les nombreux commerçants chinois nouvellement installés à proximité de la plupart des villages108 peut faire baisser la « Demande en poisson » fortement [ ,-3] d’après un pêcheur de Twenké et du même coup la « Pression de pêche » d’après deux autres pêcheurs amérindiens du HM et aluku. Nous avons vu également plus haut, que le « Mercure » contenu dans certains poissons peut inciter à la « Consommation de produits congelés importés », ce qui peut également réduire la « Pression de pêche ».

En conclusion, les orpailleurs clandestins sont accusés d’augmenter la pression de pêche à proximité des zones minières, mais de freiner l’activité de pêche des habitants en provoquant la dégradation du milieu et un sentiment d’insécurité. Les nouveaux produits alimentaires proposés par les commerçants chinois peuvent limiter la nécessité des habitants à pêcher. Du point de vue de la pression de pêche, les conséquences de l’orpaillage sont donc ambivalentes.

108

Selon mes observations personnelles, l’installation des premiers commerçants chinois côté Suriname date de 2005 (sauf celui de yahou-pachi en amont de Talwen plus ancien), mais a pris une ampleur considérable à

En conclusion générale sur l’orpaillage, nous retiendrons que pour les pêcheurs interrogés des deux communautés, l’orpaillage modifie profondément le milieu, a un impact direct négatif sur la Ressource et la santé des habitants ; il renforce les causes et effets du changement de mode de vie, notamment à propos des pratiques de pêche et des modes de consommation.

Maintenant que nous avons bien situé nos pêcheurs au sein de leur système, le rôle de la démographie, des changements de vie et de l’orpaillage, il nous reste à saisir les perceptions que les pêcheurs ont des conséquences de ce système sur la Ressource et voir s’ils ont une réflexion individuelle ou collective sur sa gestion et son avenir.

Figure 50. Carte-dirigée-ajustée entre les variables-émettrices-principales « Pêche à l’épervier », « Pêche à la ligne », « Pêche à vue» et la variable-réceptrice-principale « Ressource (espèces et milieu) ».

II.5. Perceptions de l’impact des différentes pratiques de pêche sur la Ressource

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