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Partie 2. Les entretiens semi-directifs et les cartes cognitives

II. Les résultats des entretiens et des cartes cognitives

II.1. Présentation des pêcheurs et de leur activité de pêche

II.1.3. Autres motivations d’ordre culturel

Nous trouvons dans les entretiens et la carte-figure 41 quelques références portant sur la notion de zone de pêche du pêcheur. Elle est liée à plusieurs facteurs.

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Notons d’abord qu’ils sont 80 % chez les Aluku et 86 % chez les Amérindiens du HM à nous avoir déclaré que théoriquement ils pouvaient se rendre n’importe où sur le fleuve pour pêcher. Les 20 % et 16 % autres avancent des arguments culturels qui sont de l’ordre historique et familial chez les Aluku et liés à des jolok89 et des ipo90 chez les Amérindiens du HM. Chez les Aluku cela peut concerner une petite zone ou une crique dans son ensemble. Chez les Amérindiens du HM, cela concerne des espaces très limités géographiquement, comme une zone de saut ou un bassin créé par le creux d’un méandre par exemple.

Au vu des entretiens, les trois facteurs les plus limitants et qui définissent finalement le mieux la zone de pêche quotidienne d’un village, concernent les dépenses en carburant, le temps et la difficulté d’accès liés aux déplacements en pirogue et aux contraintes topographiques et hydrologiques. Il s’ensuit que, concernant les pêches à la journée, chaque village dispose naturellement d’une zone d’exploitation qui lui est prioritairement, mais non exclusivement, dévolue et par extension, tout l’amont du cours d’eau de laquelle elle dépend. Ainsi, comme observable sur la carte-figure 41, un pêcheur d’Antecume-Pata nous dit que c’est le « Territoire de pêche du village » qui lui dicte, certes de manière moyenne [ ,2], ses lieux de pêche. Ces derniers, et c’est lié à la zone d’exploitation du village, peuvent parfois être orientés par la zone d’ « Abattis » familiale [ ,2].

Malgré tout, ces territoires semblent très perméables aux autres communautés villageoises puisqu’ils sont confondus avec la voie de communication que constitue le fleuve et que, comme vu plus haut, chacun peut aller pêcher théoriquement n’importe où. Pourtant au sein de nos entretiens, nous trouvons des témoignages d’Amérindiens du HM qui laissent entendre une réalité de territoires d’exploitation villageois à respecter tacitement. Voici un témoignage venant de Twenké : « Avant j’allais sur le Tampock sans m’arrêter et on m’a fait la remarque [à Kayodé]. Maintenant je m’arrête à l’aller et au retour, je donne quelque chose à la capitaine et à la famille » (H, 46 ans, Twenké). Un autre de Kayodé justement pour répliquer : « Je ne vais jamais sur les autres fleuves, car les gens d’Anapaïkë, en particulier X, nous empêchent d’aller là-bas, mais eux viennent sur notre fleuve ! Cette année, on va tenter d’aller sur l’Oulémali, mais si cela pose problème, on les empêchera de venir sur notre rivière » (H, 67 ans, Kayodé). Terminons avec le témoignage d’un jeune de Pidima, plus consensuel : « On ne descend pas dans la zone des sauts, car elle est plutôt considérée comme étant celle d’Antecume-Pata. Mais ceux d’Antecume-Pata peuvent venir là sans problème, de toute façon ils ne viennent que de temps en temps » (H, 26 ans, Pidima).

En conclusion, chez les Amérindiens du HM, il existe bien des territoires tacites, liés essentiellement à la position géographique des villages. Ces zones sont perméables et parfois superposées. Elles sont respectées de fait au niveau des pêches à la journée, mais leur existence peut être prétextée en cas d’une utilisation trop fréquente et exagérée de la part de pêcheurs allochtones. Cela pose essentiellement un problème aux habitants des bassins de vie de Twenké et Anapaïkë, car étant positionnés dans la partie médiane du bassin d’exploitation des villages amérindiens du HM, ils sont obligés en cas d’expédition, de pénétrer sur les fleuves dont les habitants de Kayodé d’un côté et ceux d’Antecume-Pata et Pidima de l’autre se sont donnés la garde. Ce fait ne semble pas exister chez les Aluku entre eux, et nous n’avons pas de témoignages d’Amérindiens du HM les critiquant à propos de leurs expéditions de pêche en amont de leurs villages91.

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Selon la définition de Chapuis (1998), Jolok désigne toute entité considérée comme appartenant au Monde Autre et est potentiellement dangereuse. Pour plus de précision, lire Martin (2014).

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Selon les discours recueillis par Chapuis, ipo est un terme générique qui s’applique à tous les jolok aquatiques en même temps qu’à un des trois types de jolok aquatique (Martin, 2014).

91 La fréquence des expéditions aluku en amont des villages amérindiens du HM est estimée dans la première

II.1.3.2. Des facteurs alimentaires d’ordre culturel

Sur cette carte-figure 41, un jeune d’Antecume-Pata relate que certains « Interdits alimentaires culturels » peuvent influencer son choix d’espèces ciblées et donc son « Activité de pêche ». Ce facteur semble bien limité parmi eux, puisqu’ils ne sont que deux autres à l’avoir évoqué dans leur carte : un pour dire que cela n’avait aucune incidence sur la Ressource et l’autre pour dire que les poissons interdits étaient distribués à d’autres personnes pour lesquelles ils ne le sont pas. Les Aluku ont également des interdits alimentaires culturels mais ne les ont pas évoqués en ces termes dans leur carte ou leurs entretiens. Comme les Amérindiens du HM, ils ont listé les poissons qu’ils n’apprécient pas (cf. annexe 14), mais pour dire, à l’instar des premiers, qu’ils les rejettent à l’eau ou les distribuent à d’autres, ce qui dans tous les cas ne réduit pas le nombre de poissons capturés. En conclusion, les facteurs liés aux croyances n’impactent que très peu et de manière très ponctuelle l’activité des pêcheurs des deux communautés. Nous allons voir qu’il en est tout autrement pour les facteurs naturels.

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