• Aucun résultat trouvé

Partie 2. Les entretiens semi-directifs et les cartes cognitives

II. 3.4.2.2 L’offre en réponse à la demande en achat de poissons

II.6. Perceptions de l’état de santé de la ressource par les pêcheurs et comment le préserver

II.6.5. L’information, l’éducation et la transmission

Au niveau de ce qui peut influencer le « Respect de l’environnement », nous trouvons sur la carte- figure 54 deux explications possibles. Deux pêcheurs, l’un de Kayodé, l’autre de Papaïchton, ont remarqué que l’ « Education à la pêche des jeunes » pouvait favoriser le « Respect de l’environnement ». Un pêcheur wayana d’Antecume-Pata explique à son tour que plus la « Sensibilisation à la préservation de la ressource » est importante, plus la « Ressource (espèces et milieu) » est protégée [ ,2]. En effet, d’après le pêcheur de Kayodé, cette « Education à la pêche des jeunes » les encourage à la « Pêche à la canne » et les écarte un peu [2,-1] de la « Pêche au filet ». Apprendre à bien pêcher, de la bonne manière, avec des techniques sélectives, apprendre à bien connaître son milieu, est un facteur de protection du milieu. Par exemple, une des façons de protéger la ressource, est d’apprendre aux jeunes la « Préservation des juvéniles », facteur assez significatif [-2 ,2], d’après trois Amérindiens du HM. Cette idée parait d’autant plus intéressante aujourd’hui qu’un autre pêcheur d’Elahé souligne que l’augmentation de la « Démographie du territoire » est une variable très dangereuse [ ,-3] pour le « Respect de l’environnement ». Nous voyons sur cette carte-figure 54, d’après un pêcheur d’Elahé, que moins il y a de « Respect de l’environnement », plus il y a de « Déchets » [3, ], avec toutes les conséquences qui s’ensuivent. Au contraire, plus il y a de « Respect de l’environnement », plus la « Ressource (espèces et milieu) » est protégée, d’après deux pêcheurs aluku [ ,2] et toujours le même pêcheur de Kayodé [ ,1].

En conclusion de ce paragraphe plusieurs choses sont à retenir. Tout d’abord les pêcheurs font dans l’ensemble l’observation d’une diminution de la ressource halieutique localement, mais qu’elle est considérée comme moins ou peu touchée dans les zones plus lointaines. Face à cette considération, les pêcheurs adoptent généralement une attitude prudente face à l’avenir, partagés entre la peur d’une réelle raréfaction de la ressource et l’idée que l’évolution de leur mode de vie diminuera leurs besoins en poisson, les éloignera de la pêche et permettra à la ressource de prospérer de nouveau. C’est ce que pensent déjà les Aluku, tandis que les Amérindiens en parlent comme un possible futur. En réponse à cette constatation, les Amérindiens du HM sont partagés face à leur capacité à réagir. Certains parlent de mesures de gestion prises collectivement de manière ponctuelle, en fonction de signaux d’alertes qu’ils détectent, tandis que d’autres sont pessimistes à l’idée que l’ensemble des villageois soient prêts à discuter et renoncer à leur intérêt personnel au profit du bien collectif et communautaire. Malgré tout et en opposition aux témoignages de Kayodé à propos du poids potentiel des chefs coutumiers, nous ressentons chez les Amérindiens du HM, une plus grande confiance en leur capacité de discussions collectives (grandes familles, clans, villageois), plutôt que

de s’en remettre directement aux tamusi121, dont l’autorité, ils le disent eux-mêmes, semble se déliter face à une fuite en avant.

C’est différent chez les Aluku. Sur ces grandes questions économico-environnementales d’intérêt collectifs, les Aluku estiment qu’elles sont du ressort de leurs capitaines, de leur gaan man, qui doivent décider et donner leurs directives au peuple. Malheureusement, les pêcheurs que nous avons interrogés constatent une perte de compétence et d’influence de la part de leurs chefs coutumiers, ce qui laisse un vide décisionnel, une place au libre arbitre de chacun et empêche des actions communes.

Face à la coutume, l’Etat ne semble pas pour le moment être un acteur très important sur ces questions aux yeux des pêcheurs. Ces derniers sont partagés entre l’idée que l’Etat pourrait les aider grâce à ses moyens en terme de sensibilisation, de lutte contre la pollution, et l’idée qu’il mette en place une réglementation si contraignante qu’ils se retrouveraient dans l’obligation d’abandonner certaines de leurs pratiques culturelles. Pourtant, la plupart sont persuadés que l’augmentation de la population est un facteur décuplant de pollution et que l’éducation familiale ou même publique est d’autant plus importante aujourd’hui pour préserver des valeurs environnementalistes qui passent par des pratiques de pêche respectueuses.

Conclusion

En conclusion générale de cette partie, nous pouvons d’abord rappeler que nous avions choisi de garder un niveau de détail important de variables quant aux rangs de l’ontologie, privilégiant l’usage de cartes thématiques ajustées pour garder de la visibilité. De ce fait, sur l’ensemble des 203 variables-génériques utilisées par les pêcheurs des deux communautés dans les cartes cognitives, seules 22 n’apparaissent pas dans les 16 cartes-assemblées proposées, ayant été éliminées par le traitement informatique. Parmi elles, 17 font pourtant référence à des sujets traités dans les cartes, mais abordés par le biais d’autres variables plus exemplaires. Les six restantes peuvent être considérées comme légèrement hors-sujet (« Passage du franc à l’euro », « Prix de la viande », « Goût des gibiers », « Topographie plate », « Vitesse du courant »). Nous avons choisi de ne pas prendre en compte ces quelques variables « oubliées de l’informatique », car elles n’apportaient pas d’éléments supplémentaires à notre démonstration. Par ailleurs, à l’analyse des variables employées par chacune des communautés (cf. annexe 18), nous nous rendons compte que nous trouvons parmi les 68 variables-générique communes aux deux communautés, l’ensemble des thèmes que nous avons traités. Les variables propres à chacune des communautés ne font que rajouter du détail à la vision générale commune. Nous ne trouvons en fait que très peu de sujets propres à chaque communauté, mais la manière dont chacune les traite ou insiste dessus nous a permis de distinguer de nettes différences de vision et d’appréciation entre Aluku et Amérindiens du HM. La différence de points de vue entre villages tout comme celle entre générations a souvent été perceptible grâce aux témoignages, peu dans les cartes cognitives. Nous étions alors dans un niveau de détail très fin, tenant généralement de l’exemple démonstratif et généralisable à la communauté. Toutefois, cela nous a parfois aidé à entrevoir des différences au sein de chaque communauté, comme celle du degré de spécialisation entre les pêcheurs de Loca ou Papaïchton par exemple, ou encore les différentes façons d’envisager le futur selon les générations chez les Amérindiens du HM.

121

Par ailleurs, si nous avons remarqué une majorité d’arcs et de variables uniques à la lecture des différentes cartes-assemblées, nous constatons que ces dernières ont l’immense intérêt de rassembler sur un même document l’ensemble des idées individuelles qui, cumulées, représentent la pensée collective, chacune apportant sa pierre à l’édifice. Si un pêcheur a focalisé sa pensée sur une idée et négligé d’autres variables, d’autres pêcheurs ont pu s’intéresser à ces variables et combler le manque laissé par ce premier pêcheur, et ainsi de suite. Les cartes-cognitives assemblées montrent que « l’on pense mieux à plusieurs têtes » et que l’intelligence collective est plus féconde ! Ainsi, nous pouvons confirmer que notre échantillonnage était pertinent et que tous les sujets importants ont pu être traités à un certain niveau de détails et de nuances.

Entre les résultats des enquêtes de débarquements et les cartes cognitives et les entretiens, il nous reste maintenant à discuter en quoi ces trois sources de données sont complémentaires et nous permettent d’évaluer et de se prononcer sur les pêcheries du Haut-Maroni et de la situation de l’anthropo-écosystème qu’elles constituent aujourd’hui. C’est l’objet de la troisième partie.

Documents relatifs