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Partie 2. Les entretiens semi-directifs et les cartes cognitives

II. 3.4.2.2 L’offre en réponse à la demande en achat de poissons

II.6. Perceptions de l’état de santé de la ressource par les pêcheurs et comment le préserver

II.6.3. La coutume et l’auto-gestion en question

Face à cette constatation d’ensemble des pêcheurs, comment réagissent-ils ? La gestion de la ressource est-elle perçue par les pêcheurs comme une nécessité aujourd’hui ? Est-elle déjà un fait coutumier ? L’Etat doit-il s’impliquer et comment ? L’auto-gestion est-elle possible et comment ? La carte-figure 54 répond en partie à ces questions.

Nous pouvons voir sur la carte-figure 54, que quelques pêcheurs prêtent une importance particulière au rôle que les chefs coutumiers peuvent jouer en faveur de la préservation de la ressource. Selon un pêcheur de Kayodé, plus l’ « autorité des chefs coutumiers » est forte, plus ils peuvent encourager la mise en place d’ « Actions villageoises concertées de gestion » [ ,3]. D’après cette fois un pêcheur d’Antecume-Pata, ces « Actions villageoises concertées de gestion » sont l’occasion de faire de la « Sensibilisation à la préservation de la Ressource » et de l’encourager [ ,1]. Ainsi, nous trouvons trois arcs, tous émanant de pêcheurs de Kayodé, qui présentent le fait que des « Actions villageoises concertées de gestion » seraient très influentes et positives en faveur de la « Ressource (espèces et milieu) » [ ,3]. Voici deux exemples que propose l’un d’entre eux : « Cette année, tous les Wayana ont discuté d’un commun accord de ne pas pêcher les alumasi (Prochilodus rubrotaeniatus) lors de leur remontée pour le frayage. […] Comme il n’y avait pas assez de poissons cette année, on a décidé de ne pas faire de grosse nivrée sur le Tampock » (H, 38 ans, Kayodé). Pourtant, face à lui nous trouvons des témoignages opposés : «On parle de ce problème de diminution du poisson entre nous au village. Cela m’arrive d’en discuter avec ma femme, de ce qu’on pourrait faire pour que les poissons reviennent. Ce sera difficile d’en discuter vraiment entre tous les villageois, car certains seront contre,

les jeunes qui n’ont pas de vision de l’avenir ou les pêcheurs commerciaux » (H, 53 ans, Kayodé). La compréhension entre générations ne semble effectivement pas toujours évidente, voici ce que rétorque un jeune d’Elahé : « On se pose ce genre de question entre jeunes. Les anciens ne comprennent pas ces choses-là » (H, 25 ans, Elahé).

Les liens faits par les pêcheurs de Kayodé dans la carte-figure 54 sont d’autant plus importants qu’ils ont vécu l’influence d’un capitaine très respecté, il y a quelques années. Voici le témoignage qui en parle le mieux en complément de la carte-cognitive : « Le capitaine Aliman-hé était respecté. Il aimait la canne et interdisait les filets à proximité. Il disait de ne pas les utiliser dans les environs jusqu’au Saut Tampock pour préserver la ressource à proximité du village. Après son décès en 1998, il n’y avait plus de respect pour l’environnement et tout le monde s’est mis à poser des filets à proximité du village. L’ancien capitaine avait une vision de l’avenir, ceux qui ont suivi non » (H, 53 ans, Kayodé). De la même façon le doyen des pêcheurs, le capitaine de Pidima, estime que l’autorité coutumière a un rôle important. Pour lui, moins l’ « Autorité des chefs coutumiers » est importante, moins il peut se permettre le « Contrôle des passages des expéditions » [-3, ]. Il évoque ce problème par son côté négatif, car il regrette qu’aujourd’hui, son autorité soit dépassée par un contexte social qui a changé et qui l’empêche de jouer ce rôle de régulateur. Selon lui, les pirogues partant en expédition ne s’arrêtent plus dans son village pour lui demander l’autorisation d’aller chasser, pêcher, nivrer plus haut sur le fleuve, en amont de Pidima. Il rajoute également : « Je ne tolère pas vraiment l’utilisation des filets, car je considère cela comme un danger pour les poissons. Les jeunes utilisent surtout ça, mais comme c’est pour nourrir leur famille, je ne peux rien dire » (H, 80 ans, Pidima).

Les Aluku aussi ont insisté sur le rôle de leurs autorités coutumières en faveur de la ressource, mais ne se sont prononcés que sur la gestion des nivrées. Ils ont indiqué que la fréquence des nivrées pouvait faire l’objet d’une « Régulation coutumière aluku », et induisent qu’une diminution des nivrées serait alors positive pour la « Ressource (espèces et milieu) ». Sur cette relation évoquée par 7 pêcheurs aluku sur 10, nous pouvons remarquer tout de même, que ces derniers accordent davantage de force à l’impact négatif de la nivrée sur la « Ressource (espèces et milieu) », qu’à sa valeur positive grâce à une utilisation régulée [2,-3]. Il semblerait, d’après cette différence de valeurs, que la régulation coutumière ne puisse suffire à assurer un équilibre total entre la pratique de la nivrée et la Ressource halieutique. Dans les entretiens, les pêcheurs aluku sont plutôt critiques envers leurs chefs coutumiers d’aujourd’hui : « Pour la nivrée, normalement il y avait une loi. Si tu veux nivrer, tu dois demander au Grand Man, qui décide d’un jour collectif. Quand on fait une grosse nivrée, on attend 5 ans avant de recommencer ». Un autre renchérit : « Avant, la nivrée se faisait selon la loi traditionnelle, mais maintenant ce n’est plus le cas. Nous n’avons plus de bons chefs coutumiers, ils sont là pour l’argent. Avec Papa Difou118 c’était bien, il y avait cette loi »119. Pour terminer sur ces points de vue, et pour illustrer le lien entre « Corruption des chefs coutumiers » et « Orpaillage » [ ,3] (carte-figure 54), le premier pêcheur rajoute : « Le système du fleuve ne marche plus. Si les capitaines voulaient, ils pourraient faire quelque chose, mais à la place ils prennent une taxe sur les pondos120 ». Ainsi, nous voyons que les règles coutumières marchaient auparavant, mais que les chefs coutumiers contemporains sont accusés de ne plus être à la hauteur et même d’être corrompus.

118

Papa Difou a été Gaan Man des Aluku de 1937 jusqu’à sa mort en 1967. Tolinga lui a succédé.

119

Il faut nuancer les propos de ces pêcheurs. En effet, nous savons par ailleurs que récemment les chefs coutumiers avaient bien interdit la nivrée pour cinq ans et que cela avait été respecté.

120

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