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Partie 2. Les entretiens semi-directifs et les cartes cognitives

II. Les résultats des entretiens et des cartes cognitives

II.1. Présentation des pêcheurs et de leur activité de pêche

II.1.2. Motivations à pêcher et rythme des sorties de pêche

La lecture de la carte-figure 41 permet de mettre en évidence la variable « Envie d’aller à la pêche ». Ce sont deux pêcheurs d’Antecume-Pata qui ont évoqué une influence moyenne [ ,2] sur leur « Activité de pêche ». Parmi les pêcheurs des deux communautés, et si on étudie le vocabulaire employé dans les entretiens, nous ne pouvons compter l’occurrence de l’emploi du verbe aimer pour s’exprimer autour de l’activité de pêche, en particulier autour des techniques ou des lieux préférés. Parmi les pêcheurs aluku, 50 % d’entre eux travaillent et disent pourtant se rendre à la pêche très régulièrement les week-ends ou les vacances. « Mes enfants aiment m’accompagner à la pêche. Tous les gars de Papaïchton aiment faire cela » nous dit un pêcheur de Papaïchton (H, 52 ans, Ppch). Nous comprenons que la pêche, dans les deux communautés, est avant tout liée à la notion de plaisir. A contrario, cette carte montre que des éléments perturbateurs peuvent aussi freiner la motivation à se rendre à la pêche comme l’orpaillage clandestin. Un jeune aluku de Loca parle déjà des conséquences de l’orpaillage clandestin dont nous parlerons plus précisément dans un prochain paragraphe. Les Amérindiens du HM avancent dans cette carte des arguments plus endogènes. Deux pêcheurs d’Antecume-Pata nous rappellent que la « Mauvaise santé du pêcheur » freine fortement [,-3] l’ « Activité de pêche » et un autre ne néglige pas l’influence négative [ ,-2] sur la pêche de l’activité sociale que constitue « La fête ». Relevons à ce propos son témoignage : « Je vais pêcher tous les jours, sauf s’il y a du cachiri85. Ce jour-là, je mange du bami86 ou les restes de poisson de la veille » (H, 41 ans, Ant.P). L’argumentaire de la santé et de l’aptitude physique déficientes est repris parfois dans les entretiens des deux communautés, surtout par les personnes les plus âgées. Par exemple un Aluku de Loca dit : « Quand j’étais en meilleure santé, je pouvais aller pêcher jusqu’à 4 fois par semaine » (H, 63 ans, Loca).

Le plaisir ou le déplaisir sont-ils les seuls facteurs qui influencent l’activité de pêche ?

Sur la figure 41, la variable « Nécessité de nourrir sa famille » est évoquée fortement [ ,3] par deux pêcheurs amérindiens du HM, tandis que cette dimension a été retrouvée chez les Aluku dans leurs entretiens. Dans un entretien, nous trouvons même cette phrase forte : « Nous interdire les poissons, ce serait comme nous tuer » (H, 60 ans, Ant.P). Un pêcheur aluku de Loca témoigne dans le même sens dans son entretien : « […] nous avons toujours eu l’habitude de chasser et pêcher. Le Parc ne peut pas nous interdire cette habitude, sinon on serait mal à l’aise » (H, 47 ans, Loca).

Ainsi, de nombreux entretiens témoignent de l’importance du poisson aujourd’hui. Ecoutons ceux de ces Amérindiens du HM : le premier d’un pêcheur d’Antecume-Pata « Notre principale consommation, c’est le poisson, pour tous les Wayana » (H, 52 ans, Ant.P) et celui de l’unique femme de notre échantillonnage : « Je mange au moins un repas de poisson par jour » (F, 32 ans, Twenké). Un pêcheur d’Antecume-Pata de 37 ans déclare que dans sa famille, les adultes mangent au moins 600 g de poisson par jour. Pour terminer, en réponse à la présentation de la planche illustrée des 63 espèces : « J’aime tous les poissons, le premier qui me tombe sous la main j’aimerai bien le manger » (H, 34 ans, Ant.P). En réalité, à l’instar de ce pêcheur, en dehors du fait que chacun à entre un à cinq poissons qu’il ne mange pas du tout ou n’apprécie guère, une très grande part des pêcheurs des deux communautés nous ont répondu qu’ils mangeaient la majorité des 63 poissons présentés.

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Mot générique utilisé en français pour dénommer la bière traditionnelle de tubercule (manioc, igname, patate douce, etc). Il est employé également pour désigner le contexte festif et collectif organisé autour de la consommation de cette boisson.

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Plat d’origine surinamienne, constitué de spaghettis revenues en sauce, accompagnées d’une viande ou d’un poisson fris (le plus souvent du poulet congelé). Il est préparé et vendu par quelques personnes à l’occasion des fêtes, dans des barquettes en polystyrène.

La pêche est-elle un besoin vital dans les deux communautés aujourd’hui, comme le laissent supposer les arguments ci-dessus ?

Dans les entretiens, nous trouvons cinq Aluku sur dix et 21 Amérindiens du HM sur 35 qui déclarent avoir transmis ou vouloir transmettre à leurs enfants leurs connaissances sur le milieu et la pêche. « Pour moi c’est important d’apprendre aux jeunes pour qu’ils se débrouillent dans la vie » nous dit un Aluku (H, 52 ans, Ppch), « J’ai envie d’apprendre à mes enfants mes connaissances, car pêcher est le savoir-faire minimum d’un homme wayana, quand ils auront une famille » confirme un jeune amérindien du HM (H, 23 ans, Kayodé).

Pour démontrer plus fortement cette relation vitale à la pêche, intéressons-nous d’abord au rythme des sorties de pêche chez les Amérindiens du HM, exprimé dans les entretiens. Au niveau des expéditions, ils sont 57 % à déclarer s’y rendre, selon un rythme moyen de 2,7 fois par an pour trois à cinq jours minimum87. Au niveau des pêches à la journée, les plus significatives des pêches vivrières, 54 % (19 pêcheurs) nous parlent d’une périodicité d’au moins deux à trois fois par semaine, dont 11 % de quatre à cinq fois et encore 11 % tous les jours (respectivement quatre pêcheurs). Les pêcheurs qui n’ont pas témoigné dans ce sens sont des personnes âgées et fatiguées. Même parmi les huit pêcheurs amérindiens du HM qui ont un emploi, six d’entre eux disent poser des filets régulièrement la nuit, dont trois de deux à trois fois par semaine sans compter les week-ends. Quelques témoignages nous aident à mieux comprendre ce rythme. Voici celui d’un jeune d’Elahé : « Je vais pêcher quand je n’ai plus de poisson chez moi, donc tous les deux-trois jours environ. Tout le monde fait comme ça » (H, 25 ans, Elahé) et celui d’un doyen d’Antecume-Pata : « Je ne pêche pas tous les jours, environ un jour sur deux. Quand je n’y vais pas, c’est mon fils qui me pourvoit » (H, 66 ans, Ant.P). Ecoutons également celui d’un doyen de Kayodé : « Mon régime dépend de l’envie de manger. Si j’en ai marre du poisson, je vais à la chasse, parfois aussi j’ai envie d’un poulet » (H, 67 ans, Kayodé) et un autre d’Elahé : « Si j’attrape beaucoup de poissons et qu’on ne m’en achète pas, je boucane et attends trois jours pour y retourner » (H, 49 ans, Elahé). Nous avons-là toutes les raisons qui rythment l’activité de pêche chez les Amérindiens du HM : le besoin d’avoir du poisson chez soi tous les jours ou presque, à moins d’alterner avec la chasse ou d’acheter des produits importés, la répartition des sorties de pêche et l’entraide au sein de la famille, la possibilité de conserver le poisson quelques jours, mais également la vente. Nous retrouvons deux de ces variables dans la carte-figure 41, ainsi la « Conservation des aliments » et la « Chasse » diminuent l’ «Activité de pêche » selon une force moyenne [ ,-2].

En comparaison, regardons maintenant le rythme des sorties chez les Aluku aujourd’hui. D’après leurs témoignages, sept sur les dix ont évoqué les expéditions. Hormis un pêcheur de Papaïchton qui passe trois nuits par semaine sur l’eau dans une logique professionnelle, les autres disent s’y rendre une à deux fois par mois, en général pour une ou deux nuits, rarement plus. La périodicité des expéditions est donc bien plus importante que chez les Amérindiens du HM, mais le temps resté sur place est plus court. Au niveau des sorties à la journée, ils sont sept sur les dix à les avoir évoquées. Leur périodicité est plus faible que chez les Amérindiens du HM. Ainsi, ils ne sont que deux sur les sept à dire s’y rendre deux fois par semaine. Les autres parlent de « parfois », « de temps en temps », « le week-end ou les vacances » et même « deux fois par mois » pour le dernier.

Par ailleurs, six sur dix avancent des arguments similaires à ce témoignage d’un pêcheur de Loca : « Ce que je pêche, c’est en priorité pour ma famille, mais s’il y a assez, je vends. Je partage un peu aussi, à ceux qui sont trop vieux pour aller à la pêche dans mon village ».

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Nous voyons que si la notion vivrière existe, elle est moins flagrante que chez les Amérindiens du HM. En effet, aucun pêcheur n’évoque la nécessité de se rendre à la pêche quotidiennement d’une part et que l’argument de vente n’est jamais loin d’autre part. Il reste qu’hormis deux pêcheurs qui déclarent tout vendre, tous les autres disent d’abord pourvoir en poissons ceux qui ne vont pas à la pêche, en premier lieu leur famille ou les personnes âgées avec qui on partage. La périodicité peut s’expliquer aussi par le fait que les Aluku ont l’électricité et des congélateurs qui fonctionnent en permanence, contrairement à la plupart des Amérindiens du HM. C’est pourquoi, ils peuvent ne se rendre à la pêche que lorsqu’ils savent qu’il y a du poisson et qu’ils préfèrent rester sur place le temps nécessaire de pêcher de quoi alimenter pour un temps le congélateur ou avoir suffisamment à vendre88. Ceci peut expliquer la différence de fonctionnement au niveau du rythme des sorties à la journée ou des expéditions entre les Aluku et les Amérindiens du HM.

Que cela soit chez les Aluku ou les Amérindiens, l’alternative à la pêche peut être la chasse ou la consommation de produits importés. Par contre, nous remarquons que l’élevage n’est pas mentionné dans les entretiens et les cartes cognitives, à l’image d’une réalité observée sur les rivages du fleuve chez les Amérindiens du HM ou chez les Aluku. Un seul pêcheur, un jeune d’Elahé nous en a parlé dans sa carte, où Il explique que des contraintes trop importantes empêchent l’élevage de se développer, ce qui oblige à s’adonner plus particulièrement à la pêche pour se pourvoir en protéines. Son lien exprimé entre « Elevage » et « Pression de pêche » apparaît sans le détail dans la carte- figure 41 [2, ].

En conclusion, si le plaisir guide en général l’ensemble de nos pêcheurs, il y a bien dans les deux communautés également, l’idée d’une nécessité de se procurer du poisson pour vivre. Néanmoins, la façon de l’obtenir est différente d’un côté et de l’autre. Il y a un fonctionnement inversé entre les Amérindiens du HM et les Aluku :

- les Amérindiens sortent beaucoup à la journée et peu en expédition ; leurs expéditions sont lointaines et durent plusieurs jours.

- les Aluku sortent moins souvent à la journée et souvent en expédition. Néanmoins, ces expéditions sont courtes, souvent d’une seule nuit et peu éloignées.

La pêche quotidienne et les expéditions n’ayant pas les mêmes objectifs a priori, les expéditions étant probablement plus portées sur la vente et les pêches à la journée sur le vivrier, nous pouvons en conclure que l’argument commercial est important chez les Aluku et que les pratiques vivrières sont moins nécessaires chez eux. Pour eux, le plaisir se double d’une volonté de joindre l’utile à l’agréable, par le gain d’argent d’une part et par l’action sociale de fournir en poissons les habitants qui ne pêchent pas d’autre part. Au contraire, chez les Amérindiens du HM, la recherche et la gestion active de la Ressource issue de la nature garde un caractère impératif au jour le jour et concerne tout le monde et toutes les générations, même les salariés.

Malgré cette différence, l’activité de pêche de chacun des pêcheurs des deux communautés est également modulée par d’autres facteurs d’ordre culturels et géographiques.

II.1.3. Autres motivations d’ordre culturel

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