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Les obligations des élus du capital

Première partie - Paul Lafargue : représentant en parole divine…

Paragraphe 2 – La Patrie et l’Argent

C- Les obligations des élus du capital

Les patrons doivent eux aussi respecter certaines règles. L’application de principes leur permet de rester dans les bonnes grâces du Dieu capital. Cependant,« Le Dieu capital accorde sa grâce sans raisons et la retire sans causes », comme Lafargue le montre dans la partie intitulée « Les lamentations de Job-Rotschild334 », dans laquelle un bourgeois se retrouve ruiné.

Le nombre des élus du Dieu capital représente un tout petit nombre d’individus, s’amenuisant de jour en jour. La mission de l’élu est simple dans l’intitulé, mais complexe dans sa réalisation. Il se doit d’accroître la part de capital en sa possession. Pour parvenir à ce but ultime, il se focalise sur ce but unique. Tout le reste revêt une importance secondaire, car le Dieu capital :

- « […] s’élève au-dessus des vaines démarcations qui parquent les mortels dans une patrie et dans un parti ; avant d’être russe ou polonais, français ou prussien, anglais ou irlandais, blanc ou noir, l’élu est exploiteur ; il n’est monarchiste ou républicain, conservateur ou radical, catholique ou libre-penseur, que par-dessus le marché. L’or a une couleur ; mais devant lui les opinions des capitalistes n’ont point de couleur335 ».

L’élu ne doit faire preuve ni de sentiment, ni d’état d’âme, concernant la façon de gagner de l’argent. Ainsi, il ne fabrique pas un produit dans l’optique de faire de la qualité, mais juste pour faire le plus de bénéfice possible !

Le statut de capitaliste constitue un privilège :

- « En élevant l’homme à la dignité de capitaliste, je lui transmets une partie de ma toute puissance sur les hommes et les choses336 ».

Lafargue force alors encore le trait :

333 Paul Lafargue, La religion du capital, op. cit., p. 74.

334 Ibid., p. 118.

335 Ibid., p. 97.

336 Ibid., p. 98.

- « Parce que j’en fais mon élu, le capitaliste incarne la vertu, la beauté, le génie. Les hommes trouvent sa sottise spirituelle, ils affirment que son génie n’a que faire de la science des pédants ; les poètes lui demandent l’inspiration, et les artistes reçoivent à genoux ses critiques comme les arrêts du goût ; les femmes jurent qu’il est le Don Juan idéal ; les philosophes érigent ses vices en vertus ; les économistes découvrent que son oisiveté est la force motrice du monde social337 ».

Le capitaliste devient donc la gamme étalon de la société humaine. Il est le référentiel absolu sur lequel tout se base : les créations intellectuelles, artistiques, littéraires… Si le bourgeois apprécie une œuvre, c’est la consécration et le succès pour son auteur338. La société entière est dédiée au capitaliste : la morale reflète ses goûts et passions et la loi son intérêt ! - « Le capitaliste est la loi. Les législateurs rédigent les Codes selon sa convenance, et les philosophes accommodent la morale selon ses mœurs. Ses actions sont justes et bonnes. Tout acte qui blesse ses intérêts est crime et sera puni339 ».

Le Dieu capital n’est pas un Dieu juste : il ne recherche ni la probité, ni le talent. Il choisit qui il veut ! Les tares des capitalistes sont là pour le prouver (dixit Lafargue).

Le capitaliste constitue la verge frappant les salariés indociles, considérant que :

- « Le temps du salarié est de l’argent : chaque minute qu’il perd est un vol qu’il commet340 ».

Un fois la journée de travail achevée, le salarié se repose. En aucun cas il ne doit se fatiguer en dehors du travail. Il faut qu’il soit au meilleur de sa forme pour le lendemain ! Le capitaliste veille particulièrement à une bonne application de ce point car :

- « Un capitaliste qui exploitait au maximum la journée d’un salarié, ne perdait pas la sienne341 ».

Le capitaliste se doit de « presser » ses employés pour en extraire tout ce qu’il peut. Une fois le salarié vidé de sa substance, il s’en débarrasse ! Les hommes, les femmes, les enfants ne doivent représenter à ses yeux que des machines à profit. De ce fait, il se prononce contre la peine de mort, parce que tout être vivant est potentiellement exploitable. Il ne faut pas enlever de la main d’œuvre !

Les hommes dénués de capital se transforment en marchandise, en offrant leurs muscles, leur cerveau et leurs vertus. Face aux élus de ce Dieu, tous les hommes sont égaux : tous courbés sous leur exploitation. La vertu, la science et le travail ne représentent rien, à partir du moment où ils sont dénués de capital. La science égare les hommes. La vertu et le travail les précipitent dans la misère. L’élu doit, durant toute sa vie, ne jamais oublier l’omnipotence du Dieu capital, qui va çà et là comme cela lui chante, commandant aux choses vivantes et aussi aux choses mortes.

Le bon capitaliste transforme la vie des salariés en capital. Ce capital est présent en chaque chose, à l’origine de toute production et de tout échange : rien ne se fait et ne se crée sans lui. Il domestique la nature au service de l’homme, par le recours à la science. L’élu doit prendre en considération la migration perpétuelle du capital : il passe d’une chose à l’autre, sans arrêt, en s’accroissant à chaque étape.

337 Ibid., p. 95.

338 Nous verrons ultérieurement (supra p. 298) quelle analyse Lafargue effectuait du mouvement romantique, un mouvement littéraire bourgeois par excellence.

339 Paul Lafargue, La religion du capital, op. cit., p. 96.

340 Ibid., p. 102.

341 Ibid., p. 103.

- « Ma substance ne meurt pas ; mais ses formes sont périssables342 ».

L’esprit du capital se forge dans le crédit ; cette substance volatile qui n’a pas besoin de corps. Le lieu de culte et de rassemblement des élus s’appelle la bourse. Ce lieu magique a pour particularité la transformation des usines en morceaux de papiers passant de main en main.

Lafargue énonce avec humour que le bon accomplissement de la tâche de l’élu nécessite de sa part une absence d’activité, car cela risquerait de l’éloigner de son but : accumuler des profits.

- « Le travail éreinte, tue et n’enrichit pas : on amasse de la fortune, non pas en travaillant, mais en faisant travailler les autres343 ».

Le capitaliste laisse aux scientifiques et aux économistes la peine de chercher des solutions, qui une fois trouvées, deviennent la propriété du patron. Les salariés travaillent uniquement pour que le capitaliste paresse. Tous les salariés possèdent une tâche utile, un rôle précis, contribuant à l’œuvre collective. Seul le bourgeois est inutile ! Il ne produit selon Lafargue que du guano humain… Lafargue rappelle à ce propos que le Dieu capital « […]

engraisse l’élu d’un bien-être perpétuel ; car qu’y a-t-il de meilleur et de plus réel sur terre que de boire, manger, paillarder et se réjouir ? - le reste n’est que vanité et rongement de l’esprit344 ».

L’élu se moque de toutes les interrogations de la société, étant trop occupé à écouter ses plaisirs. De toute façon, il sait que tout possède un prix345. Le capitaliste n’a d’avis figé sur rien. Il adapte ses principes en fonction des besoins qu’il peut avoir :

- « Il n’a aucun principe : pas même le principe de n’avoir pas de principes346 ».

Pour terminer sur ce sujet, nous résumerons ici, quelques adages capitalistes imaginés par Lafargue :

- L’argent et tout ce qui rapporte n’a pas d’odeur. Il rachète ses qualités honteuses par sa quantité et tient lieu de vertu à celui qui en possède !

- Les bonnes actions ne rapportent pas ; mieux vaut faire du profit.

- Les ouvriers sont comme les chevaux : bon ou mauvais ils ont besoin d’un coup d’éperon régulier. De ce fait le bon donne plus et le mauvais aussi !

- Le salarié ne donnant plus de profits doit être rejeté comme un vieux fruit.

- Pas de pitié pour la révolte.

- Le travail du salarié constitue la source la plus rapide de profit.

- Voler en grand et restituer en petit, c’est la philanthropie.

- Coopération = faire coopérer les salariés à l’accroissement de la fortune capitaliste - Participation = prendre la plus grosse part des fruits du travail.

- Le capitaliste libertaire ne pratique pas l’aumône, ne voulant pas enlever la liberté au salarié de mourir de faim.

- Hommes = machines à produire et à consommer. Le capitaliste achète les uns et court après les autres.

342 Ibid., p. 92.

343 Ibid., p. 103.

344 Ibid., p. 95.

345 En matière politique, l’élu préfère le suffrage universel au suffrage restreint, car avec le premier il n’a à acheter que les élus, alors que dans le second il doit acheter les électeurs et les élus !

346 Ibid., p. 100.

- L’élu possède deux langues. Une pour acheter, l’autre pour vendre. Il faut mentir, car l’honnêteté était le poison des affaires… et ne se fier qu’à soi. « Voler tout le monde, c’est voler personne ».

- Promettre = bonhomie et urbanité ; tenir une promesse = faiblesse mentale.

- Argent = âme du capitaliste et mobile de ses actes.

- Vertu et travail ne présentent une utilité que chez autrui.

En guise de conclusion, nous résumerons l’ouvrage de Lafargue par quelques mots.

Le Dieu capital roi du monde, est à l’origine de tous les troubles : l’envie, la discorde, le meurtre, la mésentente, la guerre, la haine… Ce Dieu implacable prospère sur la souffrance humaine, n’épargnant personne, pas même ses anciens élus. Le salarié est son prisonnier, car qu’importe où il va, puisqu’il se retrouve toujours exploité. Le monde n’obéit plus à aucune règle. Les hommes s’entre-dévorent et les valeurs, les vertus n’ont plus cours…

Le raisonnement de Lafargue le conduit à penser que cet état de fait contribue à créer le moule de la future société communiste…