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Conclusion de la première partie

Dans cette partie, nous avons étudié l’action de Lafargue en tant que vulgarisateur de la pensé marxiste. Pour ce faire, nous avons défini deux grands axes.

Un premier avait vocation à définir la méthodologie suivie par Lafargue pour rendre accessibles à tous les rudiments de base du marxisme. Nous avons pu jugé de la pertinence de son analyse vouée à simplifier la théorie de la lutte des classes. En distinguant les différents types de liens psychologiques aliénant le monde ouvrier à la société capitaliste, Lafargue fait preuve d’un grand réalisme. Les principes de base définis par Marx se trouvent ici adapté pour se mettre au niveau de son auditoire. Son action nous semble primordiale : en donnant des preuves concrètes du carcan idéologique créé par la bourgeoisie dans les domaines sociaux, économiques, religieux et politiques, il éveille le prolétariat à la conscience de lutte des classes. D’une passivité et d’un égoïsme regrettable, le prolétariat va devenir une réelle force vive d’opposition patronale.

Nous conclurons sans grand doute que dans son combat contre les jougs sociaux, Lafargue n’apparaît pas avoir été inutile. Certes, in fine il apparaît comme un éducateur des masses, plus que comme un véritable marxiste. Dès lors, par la suite, les ardents défenseurs de la pensée marxiste lui reprocheront d’avoir été trop souvent superficiel et trop vague, donnant un aperçu trop approximatif de la pensée de Marx. Mais comment Lafargue aurait-il pu proposer une approche stricte de la pensée marxiste en France ? Le public n’y était pas préparé. La France était plus marquée par les théories de Proudhon et du communisme romantique anarchiste485 que par le nom de Marx au début des années 1880.

En considérant cet aspect, le travail de Lafargue apparaît comme remarquable. Il est aussi évident que Lafargue ne possédait pas les bases théoriques nécessaires, pour donner une analyse stricte de la pensée de son beau-père. Il n’est pas philosophe de formation et surtout ne parlera jamais l’allemand. Ce dernier point s’avère d’une importance capitale : durant toutes les premières années de propagande, Lafargue ne possède que peu de références théoriques en français ou en anglais. De ce fait, il définira lui-même les approches théoriques manquantes. Cette attitude devient rapidement hasardeuse. Lafargue n’est pas apte, en raison de sa formation scientifique et de ses conceptions politiques de jeunesse (fortement anarchistes), à donner une interprétation marxiste concernant les questions abordées. Ainsi, la difficulté de la place de l’action révolutionnaire dans la théorie marxiste constituera pour lui un problème insoluble. L’étude de cette question était le thème de notre deuxième axe de réflexion.

Engels et Marx, en ne cessant de reprendre Lafargue, parviennent à lui inculquer les notions principales. Néanmoins, son interprétation primaire des théories ou des situations se manifestera toujours avec une force considérable. L’exemple type est celui de la place de la révolution, qui revêt un rôle secondaire au sein d’une évolution globale chez Marx, et qui est le but primordial à atteindre pour Lafargue. Cette relecture du marxisme le conduira d’ailleurs à des aberrations idéologiques. Lafargue vivait dans une attente perpétuelle de preuves attestant de la survenance imminente d’un acte révolutionnaire. De même il contestait toute participation du parti communiste français à toute action de la vie politique au nom de la

485 Voir l’ouvrage remarquable de Daniel Guérin, L’anarchisme, Idées Gallimard, Saint-Amand (Cher), 1971, p. 192.

révolution. Son esprit ne pouvait concevoir une lutte contre le pouvoir bourgeois par les moyens mis en place par ce dernier. Engels contribua à son évolution théorique constante. Il réussit à le sensibiliser à l’importance que pouvaient revêtir les élections en tant que moyen de propagande. La révolution restant bien entendu le but final. Il serait atteint à long terme, en informant les masses.

Lafargue finira par accepter le recours aux urnes. Il en devint même un fervent utilisateur.

Grisé par les premiers succès, il dépassera à nouveau le cadre défini par Engels, en s’adonnant au clientélisme politique. La ligne directrice idéologique du P.O.F. (dont Lafargue est le théoricien) apparaît ainsi de moins en moins claire. Bientôt cette attitude de plus en plus légaliste et de moins en moins révolutionnaire, rencontrera une contestation idéologique lui permettant de se réaffirmer. Avec la montée électorale de la tendance socialiste dans son ensemble, la question de l’union des partis de gauche se pose. Cette union vient se heurter à deux positions marquées. Celle défendue par Lafargue : une ligne marxiste stricte, l’autre définie d’abord par Millerand (en 1896), puis par Jaurès, visant à modifier l’action socialiste, vers une participation gouvernementale.

Grâce à cet événement, Lafargue se réconcilie avec une vision marxiste plus orthodoxe.

L’âge aidant, l’étendue de ses connaissances de la pensée de Marx et Engels s’étant développée, il produit enfin une analyse pertinente des événements. Il parvient à une vision de la révolution, compatible avec les écrits de ses deux maîtres. L’affrontement entre Jaurès et Lafargue est le symbole de la division entre deux visions du socialisme différentes : une, basée sur une action immédiate au quotidien, l’autre visant un but à long terme, dont chaque minute vise la préparation.

Lafargue, après bien des atermoiements, parvient enfin à une vision marxiste orthodoxe.

Cette « prise de conscience » arrive cependant un peu tard. S’il était parvenu à comprendre plus tôt le marxisme dans sa conception de la révolution, l’action du P.O.F. aurait été sans doute plus convaincante auprès du public. Quoi qu’il en soit, son action fut globalement positive, permettant au P.O.F. de passer du statut de secte, à celui de véritable parti politique.

Même si elle est loin de la perfection, l’action de Lafargue en tant que vulgarisateur de la pensée marxiste s’avère positive. Elle n’est pas parfaite puisqu’il donne une vision du marxisme très fragmentaire et parfois contestable. Elle est toutefois positive puisqu’elle permet au marxisme de pénétrer définitivement le monde politique Français.

Nous allons maintenant étudier l’action de Lafargue en tant que théoricien de la pensée marxiste. Marx et Engels ont manqué de temps pour appliquer leurs théories à tous les domaines. Lafargue va tenter d’étendre le marxisme à des domaines encore inexploités. Nous allons ainsi pouvoir juger si son action y fut aussi positive que dans le domaine de la vulgarisation.