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Quelques éléments de compréhension Avant d’entamer la première partie de cette thèse, il m’est apparu nécessaire de proposer au

Partie 1 – Contexte et questions éducatives éducatives

I.3 Un nouveau changement de paradigme agricole à la fin des années 1990

La troisième période relative à l’inscription des questions environnementales dans l’enseignement agricole correspond selon Marshall (2008) à celle de l’introduction du développement durable comme préoccupation majeure. La loi de 1992 introduit des mesures agri-environnementales et celle de 199914, relative notamment à la multifonctionnalité de l’agriculture, affirme les fonctions économiques, sociales et environnementales de l’agriculture et sa place dans « l’aménagement du territoire, en vue d’un développement

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durable ». Elle se traduit par les Contrats territoriaux d’exploitation (CTE) puis « […] dans la Loi sur le développement des territoire ruraux du 25 février 2005 dont l’exposé des motifs souligne : “L’Etat, garant de la cohésion nationale et de l’équité territoriale, préserve la diversité des territoires ruraux, participe à leur valorisation économique, sociale et environnementale, et définit les principes de leur développement durable” » (Ibid.).

Cette orientation se traduit dans l’enseignement agricole dès 1995 par un programme agri-environnemental dans quatorze exploitations d’établissements agricoles expérimentant les Plans de développement durable (PDD) en lien avec des centres de formation pour adultes. « Ce programme se donne comme but, entre autres, “d’offrir aux jeunes et autres actifs agricoles la formation nécessaire pour mener à bien les projets d’installation des exploitants aux nouveaux enjeux de la politique agricole.” Elle précède de peu la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, qui instaure une nouvelle collectivité territoriale, le pays, dans lequel les établissements d’enseignement agricole seront nombreux à s’investir » (Le Lorrain, 2018, p.123). L’agriculture durable est alors traitée, d’abord et avant tout, via les exploitations des établissements d’enseignement et de formation. Une démarche en trois temps est préconisée (Briel & Vilain, 1999 ; Vilain, 1999) : un diagnostic de territoire, un diagnostic environnemental et des scenarii d’évolution. Le dispositif est alors coordonné par l’un des établissements d’appui à l’enseignement agricole, le CEZ-Bergerie nationale de Rambouillet. C’est de ce programme national que naîtra, en lien avec l’INRA et l’enseignement supérieur agronomique, la première grille IDEA (Indicateurs de Durabilité des Exploitations Agricoles) en 2000 (Vilain, 2000).

Quant à la Loi d’orientation agricole (LOA) de 1999, elle précise « Le développement agricole a pour mission de contribuer à l’adaptation permanente de l’agriculture et du secteur de la transformation des produits agricoles aux évolutions scientifiques, technologiques, économiques et sociales dans le cadre des objectifs de développement durable, de qualité des produits, de protection de l’environnement, d’aménagement du territoire et de maintien de l’emploi en milieu rural » (Ibid., p.124).Un second plan triennal (1999-2002) est alors mis en place dans l’enseignement, le PNAD « Programme national Agriculture durable » ou opération « Démonstration agriculture durable » qui vise à diffuser plus largement les résultats du premier programme tout à la fois dans les différentes exploitations des établissements (25 sites sont désormais concernés) mais aussi dans les formations dispensées. Surtout, ce nouveau programme est conforté par la nomination d’animateurs régionaux agriculture durable (dénommés ARAD) chargés d’appuyer le programme en région. À partir

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de 1996, l’Éducation à l’environnement et au développement durable (EEDD) se développe sous forme de projets labellisés (opération Mille défis pour ma planète…) et d’opérations concrètes (tri des déchets, semaine alimentation, …).

Initié en octobre 2002 par la DGER15 en partenariat avec le ministère de l’Écologie et du Développement durable et l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’énergie), s’ensuit un nouveau programme, le PNADDD « Programme national Agriculture durable, développement durable », triennal lui aussi, et qui court de 2003 à 2006. Celui-ci porte sur deux axes (Laidin, 2007) : un axe agricole (axe 1), consacré à l’agriculture durable dans les exploitations agricoles des lycées et dans les formations professionnelles initiales et continues ; un axe à portée plus générale (axe 2), avec une expérimentation pour « étendre la durabilité à l’ensemble de l’établissement scolaire et aux processus de formation et d’éducation dans toutes les filières de l’enseignement agricole ». La capitalisation du PNADDD montre cependant la difficulté à entrer pleinement dans des démarches systémiques permettant de dépasser la somme d’actions ayant trait au développement durable, même si certains établissements développent une approche transversale (Gaborieau & Peltier, 2011). À partir de 2005, c’est l’engagement dans des démarches d’Agenda 21 d’établissements d’enseignement et de formation (125 établissements sont concernés), à l’instar des Agendas 21 territoriaux, qui se développe, dans le cadre notamment du RNEDD16. Trois grandes tendances s’observent alors (Gaborieau & Peltier, 2013) : 1) des établissements, les plus nombreux, qui à l’issue d’inventaires, collectionnent des actions collectives, le plus souvent en lien avec des économies de ressources ; 2) des établissements ayant abordé un certain nombre de thématiques, proches d’une approche globale mais qui peinent à faire aboutir leur démarche ; 3) ceux, rares, qui se sont posés la question du sens de leurs actions et qui interrogent la culture professionnelle, y compris pédagogique, de leurs acteurs.

Enfin, avec la circulaire C2007-2015 du 12 septembre 2007 « Éducation en vue du développement durable dans les établissements d’enseignement et de formation professionnelle agricoles et dans les établissements d’enseignement supérieur agronomique, agro-alimentaire, vétérinaire et paysager, publics et privés sous contrat avec l’État », les

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Direction générale de la recherche et de l’enseignement du ministère de l’Agriculture ; elle a pour mission de mettre en œuvre la politique en matière d'enseignement agricole et de formation continue et participe à la définition et à l'animation de la politique en matière de recherche agronomique, biotechnologique et vétérinaire.

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référentiels de formation sont aussi touchés. Trois leviers sont alors actionnés (Randi, 2008, p. 131) :

- « apporter des savoirs d’ordre scientifique, historique et culturel nécessaires à la compréhension des enjeux du développement durable ;

- apporter des savoirs d’ordre scientifique et technique pour l’action professionnelle ; - proposer des démarches permettant à chacun de se positionner dans le débat et comme

acteur. »

L’idée est de favoriser, via la rénovation des référentiels de formation, une approche pluridisciplinaire intégrant les sciences de la nature et les sciences humaines et sociales afin de favoriser une meilleure compréhension de la complexité. Francine Randi, inspectrice pédagogique, précise alors que « des problématiques nouvelles ont été intégrées au cours des rénovations de programmes, comme le bien-être animal, la biodiversité… correspondant à des exigences importantes à prendre en compte, en particulier dans un cadre professionnel. Diverses approches permettent de concrétiser ou de contextualiser le développement durable dans l’enseignement :

- renforcer une approche naturaliste impliquant des démarches de terrain (biologie-écologie, agronomie et zootechnie, aménagement…) et s’appuyer sur des problématiques concrètes, sur l’étude systémique, sur des méthodes de suivi… ; - valoriser les différents espaces de l’EPL (exploitations, parcs…) pour une mise en

situation permettant le questionnement et le raisonnement » (Randi, 2008, p.133). L’introduction de l’éducation en vue d’un développement durable se traduit donc par de nouvelles entrées thématiques voire par une volonté d’impacter les pratiques enseignantes, notamment en termes de recours aux situations concrètes comme autant de sources susceptibles d’améliorer la compréhension des jeunes des changements en cours. Et ce, à l’instar du module EATC – Écologie, Agronomie, Territoire et Citoyenneté – introduit en 2000. Ce module de détermination en classe de seconde générale a en effet l’ambition de « mettre les élèves en situation de mieux percevoir le contexte dans lequel s’inscrivent les activités agricoles et d’aménagement » (Chollet, 2001, p. 9) ; le référentiel invite alors à « réaliser “une approche pluridisciplinaire concertée” » intégrant, plus que juxtaposant, les apports des sciences de la nature et ceux des sciences sociales. Pour autant, de manière générale, l’inscription de l’EDD dans les référentiels, même si elle prône des changements de pratiques enseignantes en lien avec la pluridisciplinarité et plébiscite la pédagogie de projet,

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en reste à l’état de préconisations et change peu les pratiques des enseignants. À titre d’exemple, en 2013, répondant à la commande de la DGER sur l’« évaluation des stratégies et résultats de positionnement des établissements (notamment à travers leurs exploitations et ateliers technologiques) sur les principaux plans d’action publique » du ministère, l’inspection devait présenter « un bilan avant ce nouvel engagement pour “Produire autrement” et “ Enseigner et former à produire autrement” ». La forme de ce bilan montre combien la question de la durabilité dans l’enseignement agricole reste, d’abord et avant tout, une question de pratiques agricoles. Ainsi, dans ce rapport, sur huit thématiques traitées, seule la dernière concerne les questions d’enseignement17 (DGER, 2013) et ce, essentiellement du point de vue des activités affichées (comptages biodiversité animale et végétale, pose de nichoirs) et non des pratiques enseignantes mises en œuvre.

L’introduction du développement et de l’agriculture durables n’aboutit ainsi que peu à un questionnement sur les enseignements. Il s’agit d’abord et avant tout d’apporter des savoirs propositionnels, des « savoirs que », relatifs aux enjeux environnementaux et sociaux de la durabilité, y compris en termes professionnels. L’accent est mis de manière forte sur la contextualisation des problématiques, l’utilisation des exploitations agricoles et des ateliers technologiques des établissements. La mise en projet est plébiscitée ainsi que la pluridisciplinarité notamment entre sciences de la nature et sciences sociales. Le changement de modèle – dont agricole – est posé comme nécessaire et passe notamment par la « démonstration », essentiellement via les exploitations mais aussi dans les actions de gestion des ressources naturelles opérées par les établissements.

17 Ci-après les huit thématiques traitées : 1) la réduction de l’usage des pesticides en lien avec le plan Écophyto 2018 ; 2) la performance énergétique des exploitations agricoles qui peut se traduire dans une recherche d’autonomie énergétique ; 3) la réflexion préalable à la certification haute valeur environnementale en agriculture (HVE) ; 4) l’appui au développement de l’agriculture biologique ; 5) la prise en compte de la biodiversité dans les itinéraires techniques agricoles (SNB) ; 6) la gestion quantitative et qualitative de l’eau ; 7) le programme national pour l’alimentation (PNA) présenté par le ministre de l’Agriculture en septembre 2010 et son volet « innover et créer des connaissances pour des modèles alimentaires durables et de qualité » ; 8) les actions des établissements dans le champ du développement durable : Agenda 21 et éducation au développement durable (EDD).

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Si les systèmes agricoles sont interrogés, les répercussions des changements de pratiques dans les situations de travail des agriculteurs ne le sont pas, non plus que leurs répercussions dans l’enseignement et la formation.

Les discours sont nombreux, ils portent sur la pluridisciplinarité, la pédagogie par projet, la démonstration via les exploitations des établissements d’enseignement… Mais cette cohorte d’injonctions et de préconisations ne s’appuie pas sur la réalité des pratiques effectives et ne cherche pas à travailler les nœuds rencontrés par les enseignants. Elle traduit un objectif, traiter de durabilité agricole mais ne s’intéresse que peu aux situations de travail réelles des acteurs, agriculteurs comme enseignants-formateurs. Ces incitations, emballées dans des discours généraux, ne se traduisent que difficilement dans les faits, elles ne peuvent être prises en charge, empoignées réellement, faute de traductions opératoires.

Surtout, il s’agit d’incitations (les référentiels affirment la nécessité de penser « dans une perspective de développement durable ») par petites touches, laissées à l’appréciation des équipes, localement, qui, de fait, ne peuvent qu’aboutir à des initiatives personnelles, voire interpersonnelles, locales, des projets hors du cœur des enseignements… Les mêmes recettes que par le passé sont plébiscitées : étude de milieu, enquêtes sur le territoire, le terrain, projets pluridisciplinaires… comme si ces orientations étaient innovantes et puissantes en elles-mêmes. Les nœuds ne sont pas exposés : ce que suppose la durabilité dans le travail des agriculteurs, à quels défis ils vont devoir faire face, quels savoirs, quelles capacités essentiel(le)s sont à travailler, comment est-il possible de créer des situations d’apprentissage réellement apprenantes pour tendre vers cet objectif ? Les mêmes ressorts sont invoqués, la pluridisciplinarité et l’ancrage dans des territoires, sans qu’ils ne soient problématisés : à quelles conditions ces ressorts peuvent-ils servir des apprentissages en lien avec un réel changement de paradigme, y compris dans le travail ?

À la différence d’« enseigner à produire autrement », les programmes agriculture et développement durables n’ont que peu interrogé les pratiques enseignantes.

I.4 Un accompagnement des changements de modèles mais dans lequel la

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