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Quelques éléments de compréhension Avant d’entamer la première partie de cette thèse, il m’est apparu nécessaire de proposer au

Partie 1 – Contexte et questions éducatives éducatives

II.4 Le baccalauréat professionnel « Conduite et gestion de l’exploitation / entreprise agricole » (CGEA) entreprise agricole » (CGEA)

II.4 Le baccalauréat professionnel « Conduite et gestion de l’exploitation / entreprise agricole » (CGEA)

II.4.1 Un diplôme emblématique rénové dans une optique agro-écologique

Le baccalauréat professionnel CGEA, au même titre que le brevet professionnel Responsable d’entreprise agricole (BP REA), constitue un diplôme de référence de la capacité professionnelle agricole, indispensable à l’obtention des aides de l’État à l’installation. En ce sens, il est emblématique. Il l’est aussi par son importance dans l’enseignement agricole puisque 277 établissements proposeraient le baccalauréat professionnel CGEA selon l’Onisep35

soit 35% de l’ensemble des établissements de l’enseignement agricole technique public et privé. Les emplois-type ciblés par ce baccalauréat sont ceux d’agriculteur et de salarié agricole hautement qualifié dont le niveau d’emploi est le niveau IV (référentiel de diplôme 2018).

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Ce baccalauréat professionnel, emblématique donc à plusieurs titres, a été rénové en 2017 dans le cadre de l’axe 1 du plan EPA qui vise la rénovation de référentiels de diplômes et des pratiques pédagogiques. Lors de la présentation de cette rénovation, l’Inspection l’a ainsi introduite : « La rénovation du baccalauréat professionnel spécialités CGEA a pour objectif essentiel une meilleure prise en compte de l’agro-écologie dans la formation et la certification et de la diversité des systèmes de production actés par le Ministre dans le plan “Agro-écologie pour la France” et par la DGER dans le plan “Enseigner à produire autrement”. Cette approche intègre des leviers économiques, agronomiques, zootechniques et écologiques dans des systèmes variés de “polyculture-élevage” ». L’objectif est de moins spécialiser les élèves dès la voie professionnelle en supprimant notamment les options « système à dominante culture » et « système à dominante élevage ». La réforme capacitaire a été approfondie avec des épreuves certificatives rénovées, s’appuyant sur des situations professionnelles vécues. Le résumé du métier tel que présenté dans la fiche descriptive d’activités (FDA) du référentiel de diplôme précise : « Le métier de responsable d’entreprise agricole et celui de salarié-e hautement qualifié-e sont des métiers de plus en plus exigeants techniquement et "intensifs" en connaissances. Ce sont aussi des métiers de plus en plus polyvalents, valorisants et valorisés par la société. Le cœur du métier reste caractérisé par la relation de l’individu au vivant et sa capacité de gérer les cycles de productions, végétales et ou animales, grâce à un sens aigu de l’observation et une vision globale du fonctionnement de l’agroécosystème […] ». Les compétences requises y sont nombreuses et ce d’autant que la transition agro-écologique n’est pas simplement de l’ordre d’une initiation à la durabilité, dont on espère que les jeunes en feront quelque chose, mais qu’elle relève d’une transition conceptuelle, une rupture paradigmatique qui va avoir des effets dans le travail et dans les pratiques professionnelles. Les enjeux y sont donc considérables.

Sans entrer à ce stade dans l’étude de l’agro-écologie et des savoirs qu’elle suppose, il semble nécessaire d’insister sur le « défi d’intelligence » des pratiques agro-écologiques que Mayen a bien montré (2013, 2016). Pour lui : « Le défi posé par l’agro-écologie est un défi cognitif. Pas seulement un défi de connaissances, au sens de production de connaissances pour répondre aux besoins d’action et d’innovation des agriculteurs. C’est un défi d’apprentissage et d’éducation des capacités de penser. Ça l’est d’autant plus qu’un des enjeux fondamentaux souligné par tous les acteurs, est celui de la reconquête de leur autonomie par les agriculteurs, en particulier autonomie de décision et d’action. […]. L’autonomie cognitive concerne la connaissance et la compréhension du système sociotechnique agricole global, ses activités et

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ses effets, la place qu’on occupe vis-à-vis de lui. Elle concerne la connaissance de pratiques diversifiées, de pratiques différentes, de pratiques de substitution, puis des causes de leur efficience, des manières de les tester et de les adapter. Comme on l’a déjà noté, un grand nombre de pratiques agricoles ne sont tout simplement pas imaginées, pas pensées, pas pensables, du fait des limites de nos capacités à imaginer, et du fait de la présence d’un environnement homogène qui ne favorise pas les découvertes de l’hétérogénéité et de la diversité. L’autonomie cognitive concerne la capacité d’observer et d’interpréter, de se représenter des systèmes et des processus complexes pour pouvoir prendre des décisions d’action, de raisonner des espaces et des temporalités complexes, d’imaginer et d’expérimenter des solutions. Or, tout ceci ne va pas de soi. » (Mayen, 2016, p. 174). On le voit, nous sommes loin d’une pratique professionnelle qui, sous l’effet d’une politique de durabilité, se serait seulement normée, répondant ainsi à des exigences plus grandes. L’agro-écologie est un objet duquel les élèves sont peu familiers et pour lequel ils vont devoir se représenter conceptuellement des phénomènes complexes, le plus souvent non perceptibles. Contrairement à d’autres corps de métier, ou d’autres secteurs d’activité dans lesquels une organisation du travail de type fordiste existe encore, le retour du travail avec le vivant suppose qu’on ne puisse se contenter d’apprendre des procédures ou de mettre en œuvre des préconisations, aussi novatrices soient-elles. Enseigner à produire autrement en bac pro CGEA, c’est donc tout à la fois tenter de relever ce défi cognitif avec de jeunes élèves mais aussi les y faire adhérer.

II.4.2 Ce sur quoi porte la rénovation de ce diplôme

La rénovation du baccalauréat professionnel CGEA n’est pas mon objet de recherche. Pour autant, elle constitue un point de repère permettant d’apprécier la manière dont le plan « enseigner à produire autrement » s’inscrit dans la rénovation des diplômes. Elle est aussi le cadre prescriptif qui s’impose aux enseignants dont je vais mettre en évidence les principaux points.

Avant d’aller sur le fond, prenons la forme. Le processus de rénovation, qui vise un diplôme délivré au plan national, est très codifié. Dans l’enseignement initial, le « référentiel de diplôme » s’articule autour de trois documents : le référentiel professionnel, le référentiel de certification et le référentiel de formation. Le premier est construit à partir d’enquêtes,

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bibliographiques et à dire d’experts, par des délégués à l’ingénierie de formation (DRIF), puis discuté au sein d’une commission professionnelle consultative. Il est ainsi le résultat d’un consensus avec les partenaires professionnels. Le second, le référentiel de certification, est co-construit par l’inspection de l’enseignement agricole et AgroSup Dijon Éduter, en lien avec le référentiel professionnel. Enfin, le troisième, le référentiel de formation l’est par des enseignants et l’inspection de l’enseignement agricole. Tout au long de sa construction, le référentiel de diplôme fait l’objet de consultations (tant des enseignants que d’instances consultatives). Il peut donc être considéré comme un objet issu de divers compromis entre chercheurs, professionnels agricoles, enseignants et inspection de l’enseignement agricole.

Dans le référentiel de certification du baccalauréat professionnel CGEA de 2010, l’ancien donc, deux capacités professionnelles font une référence explicite à la durabilité : la C6 – « Élaborer un diagnostic global de l’entreprise agricole dans une perspective de durabilité » et la C10 – « Conduire un processus de production à l’échelle du système de culture / un atelier de production animale dans une perspective de durabilité ». La capacité C10 est certifiée sous forme de contrôle en cours de formation (CCF). La pression y est ainsi moins importante pour les enseignants que l’évaluation de la capacité C6, évaluée dans l’épreuve E6, épreuve terminale. Dans le livret relatif à cette épreuve, les auteurs du document stipulent que le dossier écrit « comporte toujours une présentation de l’environnement et des éléments du diagnostic (schéma de fonctionnement, points forts/faibles, …) et l’analyse d’une décision stratégique. L’approche globale de l’entreprise agricole (AGEA) demeure un outil incontournable qu’il est souhaitable cependant d’articuler au mieux avec le diagnostic de durabilité. La présentation des situations vécues peut venir en illustration de ces éléments ». Quant au diagnostic de durabilité, il y est précisé qu’« aucune méthode de durabilité (IDEA, RAD, Trame…) ne peut être imposée par le jury, et par conséquent le choix de la méthode ne peut être pénalisant. Il est possible que le candidat emprunte lui-même les indicateurs choisis dans divers outils. La justification du choix des indicateurs et la pertinence de l’analyse de l’entreprise qui en est issue seront mieux valorisés qu’une exhaustivité d’indicateurs au calcul plus ou moins approximatif et sans commentaire. Cependant, les indicateurs recouvriront au minimum les trois dimensions de la durabilité. Il est par contre fortement souhaité que le diagnostic de durabilité soit intégré au diagnostic global de l’entreprise ». Si le candidat peut emprunter des indicateurs dans divers outils, la réalité est que, le plus souvent, voire exclusivement, il utilise les indicateurs de la méthode travaillée en cours.

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La rénovation du baccalauréat professionnel « Conduite et gestion de l’exploitation agricole » a débuté en septembre 2016 pour la formation en seconde professionnelle qui vise à initier dès la seconde les élèves aux approches agro-écologiques. Le référentiel rénové du baccalauréat professionnel « Conduite et gestion de l’entreprise agricole », à partir de la classe de 1ère donc, a quant à lui été créé par un arrêté du 27 février 2017. Dans ce référentiel rénové, les capacités professionnelles « prennent en compte la diversité des systèmes de production de polyculture-élevage ou de grandes cultures ». La prise en compte de l’agro-écologie et de la durabilité s’appuie sur des Situations professionnelles significatives (SPS) organisées en champs de compétences traitant notamment de « conduite du changement » et de « préservation et amélioration des sols et de la biodiversité fonctionnelle ». Les questions agro-écologiques et de durabilité sont par ailleurs évaluées dans plusieurs épreuves (les épreuves d’examen ont un effet prescripteur important même si les documents officiels peuvent être interprétés) notamment dans le cadre du CCF36 3 de l’épreuve E7, qui est une pratique explicitée durant laquelle le candidat doit réaliser un diagnostic de situation, proposer et justifier une (ou des) intervention(s) technique(s) au regard de la situation professionnelle qu’il vient de vivre et discuter ses propositions dans une perspective agro-écologique. Deux épreuves terminales viennent conforter la prise en compte de l’agro-écologie, dont la E5 (« réaliser des choix techniques dans le cadre d’un système de production ») durant laquelle le candidat doit justifier des choix techniques au niveau des processus de production, en lien avec la préservation d’une ou de plusieurs ressource(s) commune(s) identifiée(s) et la E6 (« piloter une entreprise agricole »), épreuve visant trois objectifs : 1) mettre en évidence dans une approche systémique, le fonctionnement de l’entreprise dans son contexte ; 2) identifier et analyser des points forts et des points faibles liés au fonctionnement ; 3) présenter des pistes d’évolution du système dans une perspective de durabilité. Pour cela, dans son dossier, le candidat « choisit et développe deux points fort(s) et/ou faible(s) du fonctionnement de l’entreprise, en prenant soin d’évoquer au moins deux des trois dimensions de la durabilité (technico-économique, environnementale, sociale) ». Si la notion de « ressources communes » pose question aux enseignants et si un débat peut s’instaurer autour de « l’utilisation de deux des trois dimensions de la durabilité », il n’en reste pas moins que le référentiel rénové tend à renforcer l’évaluation capacitaire en situation et/ou sur des cas concrets afin de mieux prendre en compte les raisonnements que l’agro-écologie promeut. Il est en cela en rupture avec

36 Contrôle continu en cours de formation

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l’ancien référentiel qui obligeait le jeune à en passer par des diagnostics de durabilité qui faisaient rarement sens pour eux.

La rénovation du baccalauréat professionnel CGEA est ainsi significative de ce que le plan « enseigner à produire autrement » promeut : une attention portée aux raisonnements agro-écologiques et donc aux savoirs (concepts et connaissances) mobilisés en situation par les élèves. En cela, elle change radicalement l’objet même des apprentissages et, de fait, les manières d’amener les élèves à les construire et donc, in fine, le travail des enseignants.

Si j’ai choisi d’analyser l’activité d’enseignants en lien avec les processus d’enseignement-apprentissage en baccalauréat professionnel CGEA, c’est parce que ce diplôme, qui vise spécifiquement le métier de responsable d’entreprise agricole et celui de salarié hautement qualifié, amène les élèves – même s’ils sont de plus en plus nombreux à poursuivre leurs études – à être directement en prise avec des situations de travail en tant qu’agriculteurs. L’enjeu est donc d’autant plus grand car, en ouvrant sur la capacité professionnelle agricole, il est censé avoir préparé les jeunes aux situations auxquelles ils auront affaire, notamment en termes agro-écologiques. C’est enfin parce que, de niveau IV, ce diplôme est couramment dévalorisé dans la sphère enseignante, et, qu’à ce titre, il est d’autant plus intéressant d’analyser la manière dont le saut cognitif promu par l’agro-écologie y est réellement pris en charge.

II.5 L’activité d’enseignement en lien avec l’agro-écologie en baccalauréat

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