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CHAPITRE III – LE CADRE THÉORIQUE MOBILISÉ

II.1 Le modèle constructiviste bachelardien dans les processus d’enseignement- d’enseignement-apprentissage d’enseignement-apprentissage

Si le processus d’enseignement-apprentissage est la visée de toute relation pédagogique, selon que l’on pense plus l’enseignement ou l’apprentissage, les pédagogies se différencient.

Traditionnellement, au moins en France, la pédagogie s’entend comme celle « des idées claires », il s’agit d’énoncer et d’expliquer, le plus clairement et le plus nettement possible, une vérité, pour que celle-ci soit assurée d’être entendue et, surtout, comprise. Cette vision, relayée par les médias, correspond aussi à des réalités dans l’enseignement : ce sont les pédagogies traditionnelles dites de la transmission, de la connaissance ou de l’empreinte, pour lesquelles il s’agit de « remplir » de connaissances la tête par ailleurs « vide » d’un élève afin

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qu’il sache (fig. 9). C’est l’exemple type de cette enseignante qui dit : « J’avais l’habitude de parler… parler… […] parce que j’espérais que cela serait plus clair pour eux » (in Fleury, 2010, p.51).

Figure 9 - Le modèle traditionnel transmissif (Arsac & Al., in Astolfi, 2010a/1992, p. 131) Pour Houssaye (1988), pour qui toute situation pédagogique s’articule autour de trois pôles – le savoir, les élèves et les enseignants – et pour qui toute pédagogie privilégie une relation entre deux de ces trois éléments, excluant l’un des tiers, le modèle traditionnel, qu’il nomme le processus « enseigner », privilégie l’axe professeur-savoir, le tiers exclu étant les élèves. Ces pédagogies sont centrées sur la transmission de savoirs constitués, de contenus structurés mais peu interrogeables. Pratiquées avec des élèves motivés et dont les conceptions sont proches de celles de leurs « maîtres », elles ont toutes les chances de réussir. Mais l’hétérogénéité des publics d’aujourd’hui rend leur efficacité moins grande et l’hybridation des savoirs que l’agro-écologie suppose interroge quant à leur efficience au moins dans le cadre d’EPA.

Une seconde manière d’envisager la pédagogie, en lien avec les théories cognitivistes, est de penser l’apprentissage comme des processus internes du sujet interagissant avec son environnement. Ce sont les pédagogies dites « actives », qui font du savoir le produit de l’activité de l’élève avec son environnement. Ces pédagogies, en lien avec des conceptions humanistes, ont comme intérêt de reconnaître l’élève comme personne. Elles s’intéressent ainsi à l’apprenant, à ses intérêts propres, à son autonomisation et à sa socialisation (courants de l’École active, de l’Éducation nouvelle, de la pédagogie libertaire ou de la pédagogie « socialiste et productive » de Freinet…) (fig. 10). L’idée est de permettre à l’apprenant d’exprimer ses potentialités. Sur le triangle pédagogique de Houssaye (1988), la relation privilégiée est ici entre le professeur et les élèves, qu’il nomme le processus « former ». Ces pédagogies ont à voir avec ce que Marguerite Altet (1997/2013) nomme le courant puero-centriste, qui a pour finalité de développer l’élève-personne, et le courant socio-centriste dont le but est de former un homme social.

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Figure 10 - Le modèle de la pédagogie active (???)

Or, si la construction de l’élève-personne et de l’homme social est une nécessité, à elle seule, elle ne peut suffire à construire les raisonnements complexes que l’agro-écologie promeut. Une troisième manière d’envisager la pédagogie est issue des travaux de Skinner qui, considérant les structures mentales comme des boites noires (auxquelles on n’avait pas accès à l’époque), s’intéresse avant tout aux entrées et aux sorties d’un processus de formation. De là découlent l’enseignement programmé, une bonne partie de la pédagogie par objectifs et l’enseignement assisté par ordinateur tel que pensé dans les années 1970. C’est le comportement final attendu de l’élève qui est évalué en dernière instance, comportement au sens de la maîtrise d’une connaissance (classer, distinguer, nommer, …) et non au sens « mentaliste » du terme (Astolfi, 2010a/1992). C’est ce qu’Altet nomme le courant techno-centriste de la pédagogie (1997/2013), qui vise l’adaptation de l’élève à la société technique et industrielle. Pour ce faire, l’apprentissage résulte d’une suite de conditionnements en autant de tâches réduites et parcellisées qu’il est possible d’imaginer. Cette pédagogie béhavioriste, en se centrant elle-aussi sur l’élève et non sur le discours de l’enseignant, est intéressante en ce qu’elle change le statut de l’erreur : celle-ci n’est plus, de fait, seulement imputable à l’élève mais peut être à la charge du programme, donc de l’enseignant. Pour Astolfi, elle est une pédagogie de la réussite en ce sens « qu’elle essaie de prendre les moyens d’éviter l’erreur, grâce à un découpage de l’apprentissage en unités aussi petites qu’il sera nécessaire » (Ibid., 2010a/1992, p. 126) (fig. 11) :

Figure 11 - Le modèle béhavioriste (Arsac & Al., in Astolfi, 2010a/1992, p. 131)

Là je n’ai pas de dessin…

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Mais il note aussi : « Avec le modèle du conditionnement, c’est un peu comme si on faisait gravir à l’élève un escalier mais en disposant toutes les marches à plat, les unes à côté des autres mais toutes au même niveau. De telle sorte qu’il peut bien satisfaire à toutes les étapes intermédiaires de l’apprentissage (il est passé sur chaque marche) mais sans nécessairement s’élever ! » (Ibid., p. 127). Sans mésestimer certaines valeurs du béhaviorisme, Astofi note tout de même qu’il « peut vite conduire à une sorte de psittacisme scolaire » (Ibid., p. 127). Or, outre que les recherches en neurosciences cognitives et en psychologie ont évoluées, la répétition mécanique d’une tâche ne parait pas à même de permettre les raisonnements complexes que l’agro-écologie suppose.

Enfin, il est un quatrième modèle (composite, comme tous les autres) qui, en lien avec la psychologie cognitive va reconsidérer l’apprentissage et va le relier à celui de savoir en situant la problématique, non au niveau des produits et des résultats, mais au niveau du fonctionnement cognitif et affectif de l’élève. Pour Astolfi, « Le projet d’enseignement constructiviste en revient au “mentalisme” qu’avait cru pouvoir exclure le béhaviorisme et il s’intéresse sur ce qui se passe dans la fameuse “boite noire”, tout en conservant la centration principale sur l’élève apprenant » (Astolfi, 2010a/1992, p. 127). Pour lui, la caractéristique principale des modèles constructivistes est la place qui y est accordée à l’erreur : loin d’être une déficience de l’élève, elle est recherchée en ce qu’elle fait partie du processus d’apprentissage puisqu’elle exprime tout à la fois une part de la structure mentale de l’élève et ce sur quoi il va falloir travailler. Pour Houssaye (1988), la relation privilégiée est alors entre les élèves et le savoir, ce qu’il nomme le processus « apprendre ». Astolfi identifie pour sa part deux variantes au constructivisme : un constructivisme qu’il qualifie de modèle de la « découverte », hérité notamment de Piaget, qui présente l’apprentissage comme un processus « naturel », d’autostructuration, qui privilégie l’activité de l’élève par lui-même dans l’activité intellectuelle qu’il déploie en situation. Mais si ce modèle de la découverte peut être intéressant, il semble relativement peu compatible, seul, avec les objectifs d’enseigner à produire autrement qui suppose des raisonnements complexes : comment chaque élève pourrait-il refaire le chemin de la découverte de cette complexité ? La seconde variante du constructivisme, héritée cette fois-ci de Gaston Bachelard, n’oblitère pas la place centrale du sujet apprenant mais travaille également les structures mentales des élèves ET la structure conceptuelle du savoir. Les développements des didactiques disciplinaires ont effectivement remis au gout du jour la question des obstacles épistémologiques que rencontrent les élèves pour s’approprier le savoir, considéré non pas comme le produit de découvertes mais comme

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le résultat d’une démarche de construction intellectuelle. L’objectif devient alors de construire des situations d’apprentissage conçues pour bousculer ces obstacles (la phase de déséquilibre) et amener les jeunes à construire un nouvel équilibre – ici un savoir conceptuel (fig. 12).

Figure 12 - Le modèle constructiviste (Arsac & Al., in Astolfi, 2010a/1992, p. 131) C’est à l’enseignant qu’incombe de construire cette situation d’apprentissage qui doit permettre de mobiliser la pensée pour construire le savoir visé. Et de la rendre apprenante. Les récents travaux d’Olivier Houdé (2014), dans la continuité de ceux de Kahneman, montrent effectivement combien la pensée est paresseuse et qu’elle n’est mobilisée que si la situation l’exige. Le constructivisme d’inspiration bachelardienne dit donc tout à la fois que le savoir est un construit, que c’est à l’élève de construire son savoir et que c’est à l’enseignant de construire la situation d’apprentissage le lui permettant. La fonction de l’enseignant se déplace ainsi d’une fonction d’enseignement et de distribution des savoirs à une fonction de médiation dans les apprentissages, d’organisation de situations d’apprentissage pour ses élèves et d’aide à l’apprentissage. Elle suppose de se centrer davantage sur ce que les élèves font plus que sur ce que l’enseignant fait (3ème principe de John Hattie, 2013). Cette perspective semble plus en phase avec EPA en ce sens qu’elle resitue le savoir non comme une vérité non questionnable mais comme un construit, qui suppose un retour réflexif sur son contexte d’élaboration, une recherche des obstacles potentiels dont il est porteur et une reconstruction en situation éducative visant à lui donner du sens.

Pour Astolfi (2010c), proposer une pédagogie constructiviste bachelardienne suppose que les enseignants aient déjà effectué pour eux-mêmes une triple révolution constructiviste – les trois constructivismes –, aux plans épistémologique, psychologique et pédagogique. Une triple révolution qui n’est pas faite, au moins en France. Car si le paysage des courants pédagogiques usités est encore relativement composite alors que les théories constructivistes sont « les réponses actuelles à des problèmes qui ont longtemps fait controverse et qui ont été conquis au cours d’une histoire théorique » (Astolfi, 2010b, p. 127), c’est sans doute que l’épistémologie de leur discipline reste finalement assez méconnue des enseignants eux-mêmes. D’où la nécessité de faire un détour, d’une part par les théories épistémologiques

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positivistes et constructivistes mais aussi par la psychanalyse de la connaissance et, puisque nous parlons d’une approche constructiviste problématisée, par la problématisation à l’école.

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