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CHAPITRE III – LE CADRE THÉORIQUE MOBILISÉ

II.3 L’approche épistémologique du modèle constructiviste bachelardien problématisé problématisé

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Nous avons vu que le constructivisme épistémologique concerne la conception que l’on a des relations entre les observations empiriques et les constructions théoriques. Nous avons vu aussi que problématiser serait tenir à distance les percepts, les évidences, au moins un temps, pour créer des outils conceptuels de traitement de différentes classes de problème. Cela nous amène à la question du concept et, plus largement, de la nature des savoirs.

Astolfi (2010a/2008), se référant à Legroux (2008/1981) et Popper (2009/1978), différencie l’information de la connaissance et du savoir :

- l’information est pour lui objective, extérieure au sujet qui en prend connaissance ; elle est stockable et mise en forme pour circuler ; elle se réfère au Monde 1 de Popper, celui des objets et des états physiques ;

- la connaissance, elle, est subjective ; elle est le résultat de l’expérience individuelle, une recombinaison idiosyncrasique de différentes informations. Elle se réfère au Monde 2 de Popper, celui des expériences subjectives et des états mentaux ;

- le savoir, quant à lui, est objectivé ; il est le fruit d’un processus de construction intellectuelle dans un cadre théorique particulier ; en ce qu’il permet de poser de nouvelles questions et de lire de façon nouvelle la « réalité » empirique, il est pour Astolfi « un goût nouveau au réel qui nous entoure » (p. 72). Il relève du Monde 3 de Popper, celui « des contenus de pensée objectifs ».

Passer de la connaissance au savoir suppose alors de s’affranchir de son expérience première et peut constituer une rupture épistémologique. Le savoir est ainsi construit par le sujet en s’appuyant sur un cadre théorique formalisé et il résulte d’une construction conceptuelle. Mais qu’est-ce qu’un concept ?

Perrenoud (2001, p. 22) parle de « modèle d’intelligibilité du réel ». Les concepts sont comme autant de repères à partir desquels les connaissances du domaine vont s’organiser, ce sont des outils de raisonnement scientifiques et professionnels à partir desquels les recherches d’informations et l’acquisition de nouvelles connaissances vont pouvoir se construire. Ce sont les noyaux essentiels qui permettent de hiérarchiser et d’organiser des connaissances dispersées et éparses. Pour Britt-Mari Barth (1987/2013) : « Quand on acquiert un concept, on apprend ainsi à reconnaître et à distinguer les attributs qui le spécifient. On apprend aussi la relation ou le rapport qu’il y a entre ces attributs, on le nomme par un mot qui est un symbole arbitraire, une étiquette. Cette étiquette nous permet de regrouper tous les exemples qui possèdent la même combinaison d’attributs dans la même catégorie, quelles que soient les

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différences par ailleurs. Malgré la différence entre une cerise, une pomme et un citron, on peut les classer dans la catégorie des fruits – à condition de connaître les attributs communs au concept de fruit » (Barth, 1987/2013, p. 35-36). S’appuyant sur Bruner, elle distingue trois types de concepts (p. 40-41) en fonction des relations entre attributs : des concepts conjonctifs dont les attributs sont tous présents, dans chaque exemple (relation et/et) ; des concepts disjonctifs dont les attributs ne sont pas tous nécessairement présents dans chaque exemple (relation soit/soit) ; des concepts relationnels qui ne se définissent que par rapport à un autre élément (exemple : petit). Elle distingue enfin les concepts en fonction de leur niveau de complexité – en fonction du nombre d’attributs et de valeurs précisant chaque attribut –, d’abstraction et de validité – scientifiques en discussion, scientifiques indiscutables, empiriques ou subjectifs (Ibid., p. 42) – ce qui en matière de savoirs hybrides est intéressant. Pour autant, il est important de noter que le concept n’a pas vocation à catégoriser. Astolfi (2010a, 2008) montre bien que la positivité de la catégorisation, vue comme une capacité cognitive de l’enfant, peut devenir un obstacle. Il donne l’exemple de l’enfant ayant appris les différents états de la matière (solide, liquide, gazeuse) et qui doit acquérir le changement d’état ; il doit alors suspendre sa pensée catégorielle pour l’ouvrir à de nouvelles conditions : celles de la température et de la pression. C’est que, insiste-t-il, le cognitif et le conceptuel sont souvent confondus alors que le cognitif relève du raisonnement logique quand le conceptuel relève d’une manière de penser le monde, spécifique à chaque discipline.

La dimension opératoire des concepts est fondamentale en didactique professionnelle puisqu’elle considère que ce sont eux qui, déployés en situation, organisent l’action des praticiens. Ces concepts peuvent être pragmatiques, construits lors de l’activité, l’usage ; ils sont souvent peu explicités voire difficilement formulables, mais ce sont eux qui permettent aux praticiens de fonder des diagnostics de situation grâce à des indicateurs qui y sont associés. Ils peuvent aussi être pragmatisés, c'est-à-dire issus de concepts techniques et/ou scientifiques, mais incorporés, de manière différente, au système de connaissance du praticien. Les concepts pragmatiques et pragmatisés ont donc comme fonction d’organiser l’action en situation.

La nature du savoir enseigné a ainsi à voir avec la problématisation. L’épistémologie propositionnaliste de l’école méconnait la problématicité des savoirs nous dit Fabre (2011), les transformations intellectuelles ne peuvent venir du notionnel, de l’information, elles ne peuvent être que conceptuelles. Un èthos de la problématisation nous dit-il, ne peut se construire sur des savoirs morts, chosifiés : « Il faut dénoncer la réduction du savoir à des

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propositions indépendantes, décontextualisées, sans relation aucune aux questions auxquelles pourtant elles répondent » (Ibid, p. 122). Dans Éduquer pour un monde problématique (2011), il observe qu’une « pédagogie de la problématisation […] ne saurait cependant s’effectuer que sur la base d’une triple inscription du savoir que Dewey avait déjà entrevue, mais qu’il reviendra à Bachelard d’expliciter : a) sa dimension génétique, son histoire ; b) sa fécondité dans de nouveaux problèmes ; c) sans oublier son incorporation théorique dans des systèmes rationnels, ce que la didactique appelle “ l’institutionnalisation” du savoir. Garder au savoir sa “saveur”, selon l’expression d’Astolfi, ce serait permettre une circulation entres ces dimensions » (Fabre, 2011, p. 126). La prise en charge des dimensions historique, opératoire et structurale du savoir, et leur articulation entre elles, est donc tout à la fois un indicateur de l’épistémologie enseignante et d’une possible problématisation. Il y a volonté de problématisation lorsque les enseignants ambitionnent « une schématisation fonctionnelle du réel qui renonce à tout embrasser et à reproduire la réalité mais vise plutôt à construire des outils pour penser et agir » (Fabre, 2011, p. 71). Ces savoirs, ces outils de la pensée, ces concepts qui permettent de diagnostiquer une situation et donc d’agir dessus sont donc fondamentaux dans le développement de la puissance d’agir puisqu’ils constituent autant de ressources pour les jeunes. Rabardel (2005) définit ainsi le sujet capable en mettant en évidence le passage du sujet disant « je sais » à celui qui dit « je peux », c'est-à-dire un sujet qui se positionne dans l’agir avant de se positionner dans le savoir mais qui oriente son action grâce à son savoir.

En somme, les concepts sont des repères, des noyaux à partir desquels les connaissances s’organisent et se structurent. Ce sont des outils intellectuels destinés à résoudre une famille de problème. Ils sont le fruit d’un processus de construction intellectuelle dans un cadre théorique ou d’action, donné. À ce titre, ils résultent d’un effort d’objectivation. Ils servent à penser et agir en situation, à raisonner, poser des diagnostics. Ce sont des « modèles d’intelligibilité du réel » qui ne viennent pas remplir un vide mais transformer des connaissances. Ils permettent d’agir sur le réel au sens où ils permettent de sortir de la seule perception / intuition pour se construire du réel une représentation réfléchie. Ce faisant, ils permettent d’introduire du doute et du questionnement, de comprendre les causes de ce que l’on fait, d’en anticiper les effets. Les concepts ont pour conséquences de simplifier le réel (le « styliser ») ; de voir mieux et plus loin (l’effet « épaules du géant ») ; mais ils ne peuvent être appliqués de manière abrupte et déductive. Ils peuvent revêtir plusieurs formes : disciplinaires, a-disciplinaire, professionnelles ; être concrets, abstraits ; pragmatiques,

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pragmatisés. En matière d’enseignement, ils sont définis par une dénomination (un mot) ; une signification (une définition) ; une genèse et une évolution (dimension historique) ; une représentation parfois schématique ; un fondement, ce à quoi ils se rattachent (dimension structurale) ; une fécondité pour comprendre le monde et agir sur lui (dimension opératoire). Les concepts de chaque discipline, notamment les plus intégrateurs, nécessitent de ce fait d’être identifiés, tout comme les obstacles à leur appropriation. Nous bouclons là avec l’identification des savoirs robustes en agronomie que Mayen appelle de ses vœux. Mais, dans l’enseignement, les concepts sont aussi sujets à des risques de naturalisation / réification dès lors qu’ils commencent à appartenir au langage commun / scolaire. En effet, la réélaboration des savoirs par les enseignants, leur instrumentalisation, peut aussi bien les amener à les abréger (Astolfi, 2010b/2008), en faisant ainsi de simples outils d’étiquetage qu’à les élémenter, c'est-à-dire les designer ou permettre d’en comprendre le dessin et le dessein (Ibid. p. 46).

À ce stade, l’approche épistémologique du cadre théorique constructiviste bachelardien

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