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Former à l’agro-écologie et éduquer au développement durable, des caractéristiques communes mais des enjeux différents caractéristiques communes mais des enjeux différents

LITTÉRATURE ET ACCEPTIONS DANS CETTE THÈSE

III.1 Former à l’agro-écologie et éduquer au développement durable, des caractéristiques communes mais des enjeux différents caractéristiques communes mais des enjeux différents

Pour le Dictionnaire critique des « éducations à » (Barthes & Al., 2017), l’éducation au développement durable est inscrite dans le champ de ces éducations qui portent le projet d’une éducation globale conjuguant des dimensions sociales, cognitives, affectives et éthiques. Elles sont en rupture avec une centration sur la seule question des savoirs, en ce sens qu’elles ne visent pas un « enseignement de » et elles ont une connotation idéologique forte. Selon eux, les « éducations à » ont plusieurs traits communs. Leur entrée se fait par des thématiques relatives à des questions et des enjeux, qui, de fait, ne sont pas purement disciplinaires ; elles sont en lien étroit avec les questions socialement vives (QSV) (Legardez et Simonneaux, 2011) « parce qu’elles sont censées apporter des solutions à des problèmes que les sciences et les pratiques sociales usuelles ne peuvent suffire à résoudre et qu’elles ont

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de forts enjeux sociopolitiques » (Barthes, 2017, p. 10) ; elles accordent une place importante au questionnement des valeurs ; enfin, elles ont comme objectif de faire évoluer des comportements ou des attitudes et, à ce titre, elles ne peuvent se développer qu’avec des pratiques impliquant les élèves (Ibid.). Parce qu’à enjeux sociopolitiques, les « éducations à » sont en partie tributaires des fluctuations et des hésitations politiques. S’agissant de l’EDD en particulier, ces flottements se retrouvent dans les textes d’encadrement (Lange, 2017a) : Asloum et Kalali (2013) montrent ainsi combien les circulaires, aussi bien dans l’enseignement agricole qu’à l’éducation nationale passent d’une logique biocentrée (1977), à une logique anthropocentrée à tendance technocentrique (2004) puis à tendance sociocentrique (depuis 2007). Ces caractéristiques communes posent, selon ces mêmes auteurs, trois grands problèmes. D’abord, elles remettent en cause les références et les légitimités installées entre une éducation patrimoniale, à la légitimité académique et une éducation citoyenne, à la légitimité sociale ; cette partition, comme le notent les auteurs laissant de côté l’enseignement professionnel. Enfin, elles posent la question de la place et du rôle de l’enseignant, notamment dans le second degré, qui, formé disciplinairement, doit les redéfinir au regard des fondamentaux disciplinaires qu’il doit traiter.

Si l’on s’en tient à ces caractéristiques et à ces enjeux, faire évoluer les comportements, instruire et éduquer, travailler les fondamentaux disciplinaires et les questions pluri-transdisciplinaires, « enseigner à produire autrement » a à voir avec les « éducations à » puisque ce plan vise un changement d’attitude (notamment vis-à-vis de la nature), une citoyenneté tout autant professionnelle que planétaire et suppose le traitement, pluridisciplinaire, de certaines questions. Pourtant, si des filiations existent, des différences sont aussi notables. C’est sans doute que le contexte particulier de l’enseignement agricole, tôt ouvert, même mal, aux questions pluridisciplinaires d’une part, confronté à une mission autant d’insertion professionnelle, sociale que scolaire, d’autre part, se démarque des questions posées à l’enseignement général puisqu’il s’agit ici d’un enseignement professionnel.

Avant de revenir aux questions que pose l’enseignement de l’agro-écologie, posons quelques caractéristiques communes avec l’éducation au développement durable, qui peuvent aider à comprendre les embarras des enseignants au regard d’enseigner à produire autrement, certains étant communs.

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III.1.1 Éducation à la durabilité et formation à l’agro-écologie, quelques caractéristiques communes

Les grands enjeux en termes de compétences nouvelles à travailler se retrouvent dans l’Appel de Marrakech de la Communauté éducative en développement durable - « Pas de transition sans éducation »42 lancé en novembre 2016 lors de la COP 22 de Marrakech. Cet appel, issu d’un compromis – singulier – entre des acteurs originaires tout à la fois du monde institutionnel, associatif et de la recherche en EDD dans l’espace francophone, puis largement partagé et repris par d’autres communautés, pointe plusieurs enjeux : celui d’une éducation à la complexité, à l’incertitude, au jugement… visant à développer la capacité d’agir de personnes « autonomes, responsables et citoyennes ». Il met en évidence que l’éducation au développement durable, vise, notamment, à permettre aux jeunes – et moins jeunes – de sortir de leurs cadres de référence habituels et que cela ne peut se faire sans repenser les pratiques enseignantes.

Reprenons ici ces enjeux qui expriment en grande partie les raisons pour lesquelles durabilité et agro-écologie sont des objets difficiles pour les enseignants.

III.1.1.1 Le défi de la pensée complexe

Le premier défi relève de la pensée complexe (Morin, 1990, 1999). Celle-ci apparait essentielle pour appréhender le monde contemporain, tout à la fois composé d’objets hybrides et de réseaux sociotechniques relevant de domaines interconnectés, politiques, économiques, sociaux. La complexité peut être abordée via l’approche systémique (De Rosnay, 1975) consistant à décomposer des systèmes en niveaux d’observation, ou sous-systèmes, permettant de décrire les interrelations. Mais elle fait aussi référence à des processus, notamment de rétroaction et de récursivité, qui obligent à sortir d’une vision linéaire de la causalité. L’approche de la complexité ne focalise donc pas sur un facteur ni sur une simple relation de causalité. Pour Olivier Morin, les raisonnements à l’œuvre « procèdent d’une pensée réflexive ne suivant ni une logique déductive (qui partirait des lois universelles pour aller vers des explications ou des prédictions), ni une logique inductive (qui partirait des

42 http://reunifedd.fr/?articleforge_summary=signez-lappel-de-marrakech-de-la-communaute-educative-francophone-pas-de-transition-sans-education

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observations pour élaborer des théories universelles), mais constituent une démarche abductive en ce qu’elle vise l’élaboration d’une structure d’intelligibilité dans un contexte déterminé » (Morin, 2017, p. 66). D’autre part, selon Philippe Hertig, « […] Il s’agit aussi de déconstruire la confusion fréquente entre “compliqué” et “complexe”, qui conduit les enseignants à proposer à leur élèves des tâches qui les confrontent certes à une grande quantité d’informations, mais qui ne débouchent pas sur la construction d’outils de pensée opératoires permettant d’organiser les perceptions et les connaissances en les mettant en réseau » (Hertig, 2017, p. 80).

Quelques éléments peuvent être retenus de ces deux assertions :

- la pensée complexe doit être entrainée ; elle ne peut venir en fin de curriculum ;

- il ne s’agit pas de plonger les élèves dans des situations par trop complexes, mais d’organiser leur cheminement, à différents niveaux de leur curriculum, vers des niveaux de complexité de plus en plus élaborés ;

- la complexité doit faire l’objet d’un travail particulier « d’élaboration d’une structure d’intelligibilité », « d’outils de pensée opératoires », donc d’une conceptualisation. C’est à l’enseignant que revient ce travail en premier lieu.

III.1.1.2 Le défi lié à l’incertitude

Hertig ajoute : « Il convient néanmoins d’éviter un écueil, qui serait de s’en tenir à la description statique d’un système […]. Tout système complexe est susceptible d’évoluer de manière imprévisible, du fait des rétroactions ou des boucles de récursivité qui modifient l’état de ses composantes et induisent des processus d’émergence. Penser la complexité, c’est donc aussi être capable de prendre en compte l’incertitude lorsque l’on s’appuie sur une analyse systémique à des fins d’explication et de prospective » (Hertig, 2017, p. 79). En termes didactiques, cela suppose de sortir d’une vision du savoir scolaire comme objet forcément stabilisé, anhistorique et d’accepter que les savoirs soient une interprétation du réel, issus d’investigations, de modélisations et de controverses. Et ce, sans pour autant tomber dans le relativisme mais en pensant la connaissance non comme une vérité vraie mais comme une théorie, située et valable tant qu’elle n’a pas été infirmée. Or, mobiliser une pensée non déterministe, une pensée réellement systémique, comme le note Nicole Tutiaux-Guillon (2009) est en rupture avec le paradigme positiviste qui domine encore souvent les

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savoirs effectivement enseignés. En lien étroit avec le principe de non certitude, le principe de relativité ou de non-permanence se situe tout à la fois dans le temps, dans l’espace et dans le champ des relations sociales. Il implique de contextualiser la recherche d’hypothèses de solutions ou d’optimum et de penser les régulations dans ce qui s’apparente plus à un processus qu’à une recherche de solution unique, suffisante et universelle.

Le défi lié à l’incertitude pose donc une nécessaire interrogation de l’épistémologie dominante dans le monde enseignant et, d’autre part, implique de penser en situation et de penser, outre les résultats de l’action, ses conséquences à plus long terme ainsi que d’envisager des, et non une, hypothèses de solutions.

III.1.1.3 Le défi de la capabilisation

Un troisième enjeu est de renforcer le pouvoir d’agir des populations et des individus. Nous y reviendrons relativement à la transition agro-écologique. L’empowerment est le terme anglophone qui s’est le plus développé pour signifier ce renforcement du pouvoir d’agir. Il vise ce que nous appellerions l’autonomisation des individus, quand d’autres parlent de

capacitation ou de capabilisation. Pour Normand, l’empowerment se centre « sur les compétences de base des élèves [et] repose sur une prise en compte de l’élève qui apprend en contexte selon une pluralité d’engagements reconnaissant la diversité de ses capacités cognitives et émotionnelles. Plutôt qu’une attitude passive face à la transmission des savoirs, il est attendu que la classe soit active en développant des stratégies de coopération et de mutualisation des compétences et des connaissances progressivement acquises. L’enseignant devient alors un guide ou un facilitateur orientant la conduite des élèves dans un environnement de travail alternant travail en groupes et travail autonome […] » (Normand, 2017, p. 419). Cette capacitation a à voir avec l’action. Et comme l’écrit Lange : « Il convient plutôt de donner [à l’idée d’action] la dimension supérieure de la praxis au sens d’Aristote, c'est-à-dire un faire qui implique la pensée et qui participe de l’éthique et du politique, ce qui constitue une troisième manière d’envisager l’EDD. Dépasser le dualisme de l’intellectuel et de la pratique est alors la condition nécessaire permettant l’émergence d’une citoyenneté active » (Lange, 2011, p. 73). Il s’agit alors de tendre vers l’élève auteur, « [qui] conjugue en harmonie le faire et le dire, l’action et le discours, c’est l’élève idéal type attendu qui devient alors la visée éducative d’un curriculum de l’EDD » (Lange & Al., 2010, p. 4).

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Nous retiendrons là encore deux principes : plus que l’érudition, viser le développement de la puissance d’agir des jeunes, nous y reviendrons, et dépasser l’opposition stérile entre théorie et pratique.

III.1.1.4 La question de la citoyenneté

C’est la question de la citoyenneté et de l’éducation à la citoyenneté que pose l’EDD. Se référant à l’histoire-géographie comme discipline scolaire, Tutiaux-Guillon (2009) montre combien le modèle disciplinaire installé depuis un siècle est inscrit dans le positivisme et combien il structure les savoirs de ces disciplines. Elle montre que le projet républicain pour l’histoire-géographie suppose la recherche d’un consensus qui exclut toute controverse et écarte ce qui divise. Elle montre que le discours tenu dans la classe est censé être dénué de point de vue, de subjectivité : il ne peut-être que vérité objective. Et de mettre en évidence deux conceptions de la citoyenneté : celle, française, républicaine, pensée depuis la Révolution comme « un dépassement des particularismes et des appartenances à des groupes réels. […] fondée sur une séparation forte de la sphère publique (politique) et de la sphère privée. Pour se dépouiller dans la vie publique de ses identités vécues et vives, le citoyen doit être éclairé, instruit, conduit à faire usage de la Raison : c’est le rôle de l’École. Or la thématique du développement durable brouille la frontière entre questions d’intérêts locaux ou singuliers et questions d’intérêt général, entre questions privées et questions publiques. Elle rend manifeste que les comportements individuels, privés, ont des effets à d’autres échelles sociales et spatiales. Elle mobilise des savoirs scientifiques, des savoirs d’experts, des savoirs vernaculaires, des savoirs d’expérience – en même temps que des valeurs. Elle brouille les frontières entre morale, éthique et politique » (Ibid., p. 152). Ce faisant, Tuttiaux-Guillon interroge la conception de la citoyenneté, en propose une autre non plus centrée sur les identités mais sur les compétences : compétences à résoudre des conflits qui naissent de la pluralité, compétences à « assumer son point de vue, à l’argumenter, à participer au débat public ».

En filigrane, ce que l’EDD interroge, c’est donc aussi la capacité des élèves à distinguer ce qui relève de la connaissance de ce qui relève de la croyance. Cela rejoint les débats, prégnants dans les QSV, mais aussi dans le domaine de l’éducation aux médias, entre opinions et savoirs. King et Kichener (2014) montrent que les principaux fondements du

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modèle du jugement réflexif concernent le mode de perception de la connaissance et le mode de justification des croyances : une véritable pensée réflexive étant caractérisée par le fait qu’un individu perçoit la connaissance comme étant le résultat d’une investigation et non comme une connaissance non contradictoire parce qu’obtenue par observation ou par une figure d’autorité.

C’est l’épistémologie enseignante, là encore, qui est interrogée. Les savoirs, au moins ceux qui paraissent les plus essentiels, ne peuvent être présentés comme des vérités universelles (le discours ex cathedra dont parlait Henri Janne) ni comme des savoirs « neutres ». Il s’agirait de faire avec la multiréférentialité des savoirs tout en en proposant un décryptage.

III.1.1.5 La question des valeurs

Reste une grande question que pose l’EDD, qui est celle de la question des valeurs qui vient là aussi heurter la culture enseignante. Tutiaux-Guillon le traduit ainsi : « La prise en compte des valeurs comme dimension explicite de la réflexion contraste avec les représentations dominantes de neutralité de l’enseignement, de respect de la liberté de penser des élèves ; d’objectivité scientifique, surtout si ces valeurs sont une composante potentielle d’un projet de société à construire ou à critiquer. L’éducation aux valeurs […], peut se heurter à la déontologie professionnelle des enseignants » (Tutiaux-Guillon, 2014, p. 216). Fabre choisit de répondre à cette question par la prudence, « les Idées (l’idée de famille, de nation, d’école, d’homme ou de femme) [n’étant] plus des essences stables, mais des problématiques » (Fabre, 2016b, p. 17), il s’agit de former les jeunes au questionnement éthique et, à nouveau, d’en appeler à une voie moyenne entre intégrisme, comme repli sur les réponses, et relativisme, comme liquéfaction complète du questionnement. Il ajoute « Je crois cependant que le rôle de l’école, par rapport aux autres institutions et à la société civile, est de cultiver la réflexivité morale. […]. La prudence nous introduit ainsi dans un monde où rien ne peut valoir de manière absolue – ce qui déconcerte l’intégriste –, mais où peut s’effectuer malgré tout la recherche d’une décision la plus sensée possible, celle du juste milieu, ce qui suppose que toutes ne se valent pas, comme le croit le relativiste » (Ibid., p. 27). Et c’est « apprendre à problématiser en éthique », c'est-à-dire prendre le temps de réfléchir, de faire le tour du problème, de se distancier des évidences et des préjugés qui doit permettre cette posture de réflexivité éthique. La problématisation des questions socialement vives peut ainsi éviter « le moralisme, l’inculcation idéologique ou le catéchisme de bonnes pratiques. […] ». (Ibid., p.

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28). Lange dans son article Savoirs dans le Dictionnaire des « éducations à » ajoute que « le processus de didactisation n’est plus une transposition d’un savoir savant préalable en un savoir enseigné [mais que] le processus de didactisation, et la posture qui lui est associée, proposent ainsi de lutter contre la réification des savoirs en prônant pour l’enseignement un retour réflexif sur leur contexte d’élaboration, une recherche des obstacles potentiels dont ils sont porteurs et une reconstruction en situation éducative visant à leur donner du sens pour l’apprenant. Posant tout le rapport à la théorie à la pratique et à l’action, la didactisation des savoirs est donc une question elle-même complexe » (Lange, 2017b, p. 561).

La question des valeurs interpelle donc l’enseignement puisque, là encore, il ne s’agit pas simplement d’informer les élèves. Dans cette conception, le savoir n’est pas un savoir mort, une notion académique qu’il conviendrait d’enseigner mais un savoir conceptuel, opératoire visant la capacité à vouloir, savoir et pouvoir agir. Et pour cela, il s’agit d’une part de problématiser, de remonter au problème qui fonde l’action, et, d’autre part, de permettre aux jeunes d’être réflexifs quant à leurs propres opinions en engageant, avec eux, des activités leur permettant de se décentrer de leur seul point de vue.

On le voit, les différents enjeux de l’éducation au développement durable ne sont pas évidents à appréhender, ni pour les enseignants, ni pour leurs élèves : du coté des élèves, l’EDD les invite tout à la fois à se confronter – au réel et entre eux – et à en être perturbés, tout autant qu’à avoir confiance en eux pour oser innover, élaborer et réfléchir leurs propres savoirs, à pouvoir les mobiliser. Du côté des enseignants (Pellaud, 2011), l’EDD interroge leur image et leur rôle, leur modèle didactique, leur épistémologie, leur organisation du travail (pluri-trans-disciplinaire), la manière dont ils donnent du sens, ou non, aux savoirs abordés. Ce sont aussi les modèles didactiques et épistémologiques qui sont interrogés, l’école ayant toujours fonctionné peu ou prou sur un modèle empiriste qui peut se résumer à un enseignant qui divulgue son savoir à des élèves, dans une relation frontale. Or, l’émergence de la pensée complexe, de la non certitude, de la capacitation ; l’irruption des valeurs et celles des représentations, des élèves comme des enseignants, dans les questions traitées ; celle d’une nouvelle forme de citoyenneté… interrogent ce savoir de type positiviste. Elles interrogent aussi le lien longtemps privilégié entre l’enseignant et son savoir au profit du lien entre élèves et savoirs.

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De plus, l’élève n’est pas un élève épistémique, un citoyen abstrait. Il a en tête des connaissances, des opinions, des conceptions à prendre en charge. Reprenant les grands modèles pédagogiques, Francine Pellaud note de son côté que « la pédagogie issue du modèle empiriste […] peut tout à fait porter ses fruits si le public possède le même cadre de référence que l’enseignant […] et surtout, s’il se pose les mêmes questions que lui. […]. Maintenant, si nous souhaitons les changements de paradigmes décrits plus haut, incluant une réflexion profonde sur nos valeurs, nos a priori, nos croyances, ces modèles restent trop frustes. Approchons-nous alors d’une modélisation plus adéquate en nous référant à Bachelard et ses “obstacles épistémologiques” » (Pellaud, 2011, p. 126-127).

Nous voyons combien l’irruption de ces objets nouveaux, mêlant pratiques et éthique, est susceptible de bouleverser l’enseignement. Nous voyons aussi combien l’EDD tend, de manière forte, vers l’idée d’élève capable, vers le développement de sa puissance d’agir. Une puissance d’agir qu’il me parait nécessaire de mieux définir dans une perspective agro-écologique. Ceci dit, nous en sommes restés jusqu’ici à l’EDD, dans sa généricité. Or, « enseigner à produire autrement » diffère de l’EDD en ce qu’elle est une formation pour l’action et qu’elle se situe dans le contexte d’un enseignement à visée professionnalisante.

III.1.2 La spécificité d’enseigner à produire autrement : un enseignement professionnel

Diemer et Marquat (2014), notent que les « éducations à » se placent en rupture avec le modèle standard de l’enseignement traditionnel en ce sens qu’elles amènent l’enseignant à raccrocher le savoir scientifique aux pratiques sociales et à inscrire leur démarche pédagogique dans le réel. Or, l’enseignement professionnel est, ou devrait être, de fait, dans ce réel.

En 1994, Fabre, s’interrogeant sur le sens du terme formation a travaillé sur les différentes logiques et visages de la formation, incluant la formation professionnelle (qu’elle soit initiale ou continue). Il note : « Former – comme processus – c’est […] toujours former quelqu’un à quelque chose, par quelque chose et pour quelque chose » (Fabre, 1994/2006, p. 25). Trois logiques sont alors en tension : la logique didactique, qui relève du former à ; la logique psychologique, qui relève du former par et qui vise le développement personnel, et la logique socio-économique, qui relève pour sa part du former pour et qui vise l’adaptation aux

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contextes culturels et professionnels. Pour lui, ces trois logiques ne sont pas exclusives, elles sont en tension. Plus tard (2017a, 2017b), il note que, dans ces trois logiques, on retrouve le

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