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À partir des années 1970, un enseignement marqué par la démesure productiviste et l’émergence des questions environnementales productiviste et l’émergence des questions environnementales

Quelques éléments de compréhension Avant d’entamer la première partie de cette thèse, il m’est apparu nécessaire de proposer au

Partie 1 – Contexte et questions éducatives éducatives

I.2 À partir des années 1970, un enseignement marqué par la démesure productiviste et l’émergence des questions environnementales productiviste et l’émergence des questions environnementales

Dans le même temps, dès les années 1970, selon Marshall (2008), des questions environnementales sont introduites dans l’enseignement agricole faisant en cela suite à la création du premier ministère de l’Environnement en 1971. La première période de cette introduction court selon lui des années 1970 au début des années 1980, période durant laquelle il précise que « l’enseignement agricole fait écho à ces préoccupations [environnementales]. On peut y distinguer un courant naturaliste avec la création en 1970 dans le Brevet de technicien agricole (BTA) et le bac D’, de la discipline écologie confiée aux biologistes, avec également le rôle pionnier du BTSA7 Protection de la nature ouvert au lycée agricole de Neuvic en 1971. Ce courant naturaliste est accompagné par le développement d’une activité pluridisciplinaire exemplaire, l’étude du milieu. Elle est exemplaire car elle contextualise le point de vue naturaliste en associant une approche écologique, une approche sociale et une approche culturelle d’un espace de nature façonné par les hommes » (Marshall, 2008, p. 124-125). C’est aussi l’époque de la création des centres d’expérimentation pédagogique de Florac et de Fouesnant formant à l’étude de milieu.

Mais les années 1970 sont aussi pour André Pochon celles de la « démesure des responsables agricoles » : « Dans ces années soixante-dix, un déferlement de publicité, d’enseignement, de vulgarisation s’abat alors sur les paysans et les persuade que le maïs est le progrès : plus de

7 Brevet de technicien supérieur agricole

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soucis avec les foins, plus de bêtes à surveiller au pâturage. Plus rien d’autre à faire que construire un silo en libre-service où les vaches mangent librement en permanence. Grasses comme des loches, rondes comme des tonneaux ! La recherche scientifique sur l’alimentation des bovins ne s’intéresse plus qu’au système fourrager à base de maïs : elle met ainsi au point une ration alimentaire qui associe le maïs (riche en énergie) et le soja (riche en protéines). Et la vulgarisation technique se concentre sur la culture du maïs et la réussite de l’ensilage » (Pochon, 2001, p. 30). Dans ce contexte, l’enseignement agricole a pour vocation de vulgariser les nouvelles bonnes pratiques agricoles, ce que Prévost résume ainsi : « Le système français de recherche-formation-développement, construit progressivement après 1945 pour un modèle de production agricole productiviste permettant d’accéder rapidement à l’autosuffisance alimentaire, avait clairement reparti les rôles, y compris au sein des domaines agricoles publics : (i) les organismes de recherche (Inra8, Cemagref9 devenu Irstea10) produisaient les connaissances génériques et les références scientifiques par des expérimentations nationales dans des stations expérimentales ; (ii) les instituts techniques produisaient des références technico-économiques pour les filières, au sein de leurs stations expérimentales et avec l’aide de réseaux d’agriculteurs ; (iii) les chambres d’agriculture diffusaient ces références chez les agriculteurs, et pouvaient les adapter localement par des essais dans leurs fermes expérimentales ; (iv) les écoles supérieures d’agronomie formaient les futurs ingénieurs agronomes à ces références et leur exploitation agricole était souvent confiée au centre Inra régional pour jouer le rôle de station expérimentale, mais était aussi utilisée comme atelier pédagogique ; (v) les lycées agricoles formaient les futurs agriculteurs aux références produites par la recherche et leur exploitation agricole était au mieux un lieu de démonstration et de formation pratique » (Prévost, 2013, 152-153). La formule originelle des Centres d’étude technique agricole, les CETA, dont le premier naquit en 1947, associant agriculteurs et chercheurs autour de problèmes contextualisés semble alors avoir fait long feu. À la fin des années 1970 cependant, les limites du modèle agricole productiviste commencent à être reconnues : René Dumont dès 1974, alors candidat à la présidence de la République, profère en levant son verre d’eau à la télévision : « Notre eau, source de vie, est menacée » ; c’est le constat aussi, à la fin de ces mêmes années, de la dépendance de l’Europe aux Etats-Unis, notamment en matière de protéines animales (tourteaux de soja) ; l’instauration en 1984 des quotas laitiers pour faire face à une surproduction structurelle qui entraine, en dix ans, le

8 Institut National de la Recherche Agronomique 9

Centre d'Étude du Machinisme Agricole et du Génie Rural des Eaux et Forêts 10 Institut National de Recherche en Sciences et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture

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départ de 200 000 producteurs de la filière en France ; à quoi il faut ajouter la flambée du cours des énergies fossiles, le scandale du bœuf aux hormones, la mise en évidence de l’accumulation des pesticides tout au long de la chaine alimentaire… Mais des résistances s’affirment. Métral & Al, précisent que dès le début des années 1980, « les coopératives agricoles, les chambres d’agriculture et l’Union des industries de protection des plantes (UIPP) promeuvent la “parcelle zéro défaut”, à l’attention des agriculteurs intensifs ; pour ces derniers, la parcelle de culture devient la vitrine de leur compétence et de leur réussite. Les centres de recherche agronomique participent à la mise au point d’innovations, instruisent des protocoles et conseillent les décideurs : le modèle est à la plante saine. Des alliances entre une partie de la recherche agronomique, les agriculteurs “conventionnels”, les firmes et l’UIPP diffusent un discours technique standardisé (disqualifiant l’agronomie) sur les menaces que font peser les bio-agresseurs et sur le confort généré par le recours aux pesticides. La mise en cause de l’innocuité des pesticides est “neutralisée” par des contrôles des pesticides comparables à ceux effectués pour les médicaments. Ainsi les firmes, la structure de contrôle des pesticides, une recherche agronomique analytique plutôt que techno-centrée, et la FNSEA11 s’opposent à une recherche agronomique d’approche systémique portée par des spécialistes de la santé et des écologistes, dont les arguments ne diffusent pas dans la sphère publique » (Métral & Al., 2016, p.30). L’agronomie, en tant que discipline clairement identifiée dans les programmes au début des années 1970, peine ainsi à se faire reconnaitre et « l’emploi et la définition du terme agronomie ne semblent pas très stabilisés avec le maintien de la distinction “agronomie / phytotechnie” dans certains référentiels jusqu’à la fin des années 90 » (Gailleton & Moronval, 2013, p. 52). C’est aussi durant ces années-là que se renforcent deux obstacles majeurs à l’agro-écologie, la conception du sol comme substrat plutôt que comme milieu de vie et « […] l’obstacle prototypique de la représentation de ce qu’est un “champ propre” car exempt d’adventices12

vs un “champ propre” qui est exempt d’intrants chimiques » (Mayen, 2016, p.170).

L’agriculture occidentale évolue ainsi énormément dans les décennies 1970-1990 et de moderne, devient véritablement productiviste. Les changements de l’agriculture influencent par ailleurs le travail en agriculture. Mayen (2017), à la suite de Girard (2014) montre combien la simplification du travail en agriculture implique des formes d’activités cognitives

11 Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles.

12 «Enagronomie, on appelle adventice toute plante poussant dans unchampcultivé, sans y avoir été intentionnellement mise par l’agriculteur cette année-là » (définition issue du portail « les mots de l’agronomie » dont le projet est porté par l’INRA). Pour aller plus loin : https://lorexplor.istex.fr/mots-agronomie.fr/index.php/Adventice

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peu complexes et d’assez faible exigence : « Les évolutions de l’agriculture, dans la deuxième partie du XXème siècle, ont tendu à en réduire la pénibilité, la complexité et l’incertitude. […]. Sur le plan du travail cognitif, la réduction de la complexité est réalisée par deux grandes voies : la distribution du travail entre acteurs et structures intervenant dans une chaîne de production, le développement d’artefacts de différentes natures : machines, produits phytosanitaires, logiciels informatiques, géomatique, protocoles et procédures, etc. Artefacts dont la conception, mais aussi plus récemment l’usage même, ne relèvent plus entièrement de la maîtrise de l’agriculteur. Ces deux processus conduisent à une “simplification” des opérations de diagnostic, de surveillance et de contrôle, d’interprétation des états et des évolutions, de construction de scénarii d’action, de prises de décision et, enfin d’évaluation. On constate que le niveau d’exigence en termes de connaissances et de capacité de raisonnement est limité, d’une part, et que les occasions d’apprendre sont réduites » (Mayen, 2017, p. 171). Le système d’enseignement et de formation agricole s’aligne alors sur l’agriculture conventionnelle et « en réduit les exigences en matière de connaissances et d’activités cognitives complexes » (Mayen, 2017, p. 167).

Il faut attendre une seconde période, entre 1985 et 1995, selon Marshall (op.cit.) – époque marquée par les craintes liées à la réduction de la couche d’ozone, par la publication du livre vert sur les perspectives de la Politique agricole commune (PAC) et les réformes agri-environnementales de la PAC de 199213 – pour qu’à nouveau l’enseignement agricole s’ouvre à ces préoccupations. C’est ainsi que les questions environnementales sont introduites dans les référentiels des filières, y compris de production, et que nait le secteur Aménagement de l’espace et protection de l’environnement dont le Brevet d’études professionnelles agricoles (BEPA) Entretien de l’espace rural, le BTA Gestion de la faune sauvage, les BTSA Gestion et protection de la nature et Gestion et maîtrise de l’eau.

Au début des années 1990, coexistent ainsi dans l’enseignement agricole deux tendances, l’une qui vise la préservation de la nature, dans un sens strict de protection contre les effets néfastes de l’homme, considéré comme en dehors de la nature, et une autre tendance qui vise d’abord la production (agricole et horticole), éventuellement sous contrainte environnementale. Cette « partition » n’est que le reflet du vieux débat de la fin du 19ème siècle aux États-Unis entre les partisans d’une protection radicale, une sanctuarisation des espaces naturels portée par les prévervationnistes admettant par ailleurs, qu’en dehors des espaces de nature sanctuarisés, le développement puisse se faire sans aucune contrainte et

13 Règlement CEE 2078/92

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ceux, partisans d’un compromis entre écosystèmes et activités, soutenus par les conservationnistes. L’enseignement agricole, dans son offre de formation, traduit alors ces questionnements relatifs aux rapports homme-nature entre opposition et intégration.

Durant cette période, les conditions de l’agriculture conventionnelle, productiviste – via notamment les processus de standardisation, de spécialisation et d’homogénéisation – changent ainsi le travail en agriculture et les situations de travail elles-mêmes deviennent à faible potentiel de développement pour les agriculteurs. Elles limitent les exigences cognitives ainsi que les opportunités de mobiliser connaissances et raisonnements complexes en situation. Si la formation agricole garde alors globalement des ambitions éducatives, la moindre exigence de savoirs en situation de travail amène les enseignants-formateurs à préparer les apprenants à ces situations et donc à changer eux aussi les objets de leurs enseignements et à accompagner ce mouvement. L’ambition éducative n’est sans doute plus alors à l’émancipation du jeune, dont on sait qu’une partie des tâches, notamment d’orientation et de contrôle de l’action, seront réalisées par d’autres (le conseil, les outils d’aide à la décision…) mais à son insertion professionnelle. L’enseignement agricole ne brade peut-être pas ses ambitions mais, immergé dans les réalités, idées et pratiques professionnelles en cours, il accompagne cette simplification du travail par la simplification des raisonnements. Les situations de travail en agriculture, par effet rebond, influent ainsi sur les enseignements. La prise en charge des questions environnementales semble acquise alors même qu’en réalité, l’environnement et le vivant, s’ils sont introduits dans les formations, y compris professionnelles, le sont dans les secteurs de la préservation de la nature plus que dans ceux de la production.

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