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Objets de l’analyse didactique du travail « enseigner à produire autrement en baccalauréat professionnel CGEA » baccalauréat professionnel CGEA »

CHAPITRE III – LE CADRE THÉORIQUE MOBILISÉ

I.4 Objets de l’analyse didactique du travail « enseigner à produire autrement en baccalauréat professionnel CGEA » baccalauréat professionnel CGEA »

Une analyse didactique du travail repose, pour Mayen, sur quatre focales interdépendantes : l’analyse des manières d’agir et de penser, l’analyse du contexte et des évolutions du travail ; l’analyse de la situation donnée et l’analyse de l’activité (Mayen & Lainé, 2014). Dans les chapitres I et II du présent document, je me suis attachée à analyser le contexte et les évolutions du travail des enseignants de l’enseignement agricole au regard des prescriptions successives et à comprendre les caractéristiques agissantes qui influencent les situations d’enseignement-apprentissage proposées par les enseignants. L’analyse de l’activité des enseignants va, quant à elle, me permettre d’identifier la manière dont cette prescription se traduit en situation, les manières de faire, différentes, des enseignants, les propositions qu’ils tiennent pour vraies et qui orientent leur activité, ce avec quoi ils doivent faire. Elle devra être l’occasion d’analyser l’exécution de l’action (la situation d’enseignement-apprentissage) mais aussi ce qui oriente l’activité des enseignants, leurs embarras, difficultés, ajustements et réussites.

Les spécificités de ma recherche tiennent au fait que la prescription EPA est relativement récente et que si des formateurs, des chercheurs, ont écrit dessus, il n’existe pas d’experts-praticiens reconnus en tant que tels sur le sujet. L’analyse de l’activité ne peut donc reposer sur une comparaison professionnels / novices. Une seconde spécificité est que l’objet du service, ou de la médiation didactique, est un objet complexe, pas totalement stabilisé et peu circonscrit – la transition agro-écologique n’est pas l’apprentissage du sujet en grammaire – et que je ne peux donc comparer des activités portant sur un même objet sauf à restreindre ma recherche à la réduction de l’utilisation des pesticides par exemple, ce qui n’est qu’une partie d’enseigner à produire autrement. C’est aussi un domaine fortement discrétionnaire, pour lequel la prescription ne donne pas d’indication quant à sa mise en œuvre ; elle dépend donc fortement de l’interprétation qu’en font les enseignants. Nous avons aussi vu que certaines entrées pour l’analyse, comme la recherche de règles d’action, semblent problématiques dans des situations aussi ouvertes. Enfin, il s’agit pour moi de comprendre les difficultés des enseignants, les raisons pour lesquelles ils sont perturbés par la prescription enseigner à produire autrement afin de mieux les accompagner en les formant par l’analyse de leur travail et pour leur travail. L’identification des grands concepts organisateurs et des variables de leur activité, voire de quelques indicateurs ou critères permettant de les caractériser permettrait de mieux cibler les besoins en termes d’accompagnement. La mise en tension, ensuite, entre ce

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qu’enseigner à produire autrement promeut et les systèmes de représentations et d’action des enseignants dont l’activité aura été analysée permettra de formaliser une pré-structure conceptuelle de la situation enseigner à produire autrement en bac pro CGEA.

Le cadre théorique de la didactique professionnelle me permet ainsi de préciser ma finalité – tendre à construire une pré-structure conceptuelle de la situation EPA – par la mise en évidence des concepts qui organisent l’action des enseignants – leur système de représentations et d’action – en observant et analysant certains critères qui m’apparaissent discriminants au regard de la puissance d’agir des jeunes dans une perspective agro-écologique :

- les conditions de travail avec lesquelles les enseignants font ; - l’interprétation qu’ils font, en situation, de la prescription EPA ;

- la fonction qu’ils attribuent à la situation (primauté d’une activité constructive et/ou productive) ;

- le(s) objet(s) de leur travail, objet de service autant qu’objet d’usage ; - les instruments qu’ils utilisent, leur éventuelle instrumentalisation ;

- la manière dont ils coopèrent avec les autres, élèves et collègues, professionnels ; s’ils font preuve d’une capacité à se décentrer ;

- s’il y a trace, ou non, d’instrumentation des élèves ; - s’ils créent, un tant soit peu, du désir chez leurs élèves.

Eu égard à tout ce que j’ai pu relever en amont, il me semble qu’une attention particulière doit être portée sur le système de représentation – la conceptualisation – de l’agro-écologie qu’ont les enseignants en situation, sur celle qu’ils ont du rapport des élèves à l’agro-écologie ainsi que des processus d’enseignement-apprentissage, comme critères majeurs de la triple tension dans laquelle ils se trouvent.

C’est ensuite dans la mise en tension entre ces modèles mentaux des enseignants et les conditions de développement de cette puissance d’agir dans une perspective agro-écologique (§ III.3.4. du chapitre II) que va pouvoir se dessiner l’esquisse d’une structure conceptuelle d’EPA en baccalauréat professionnel CGEA.

Au-delà d’enseigner à produire autrement, l’activité d’enseignement varie en fonction des finalités éducatives des enseignants et de leurs conceptions des apprentissages et donc de leur métier : « En fonction des apports des sciences humaines et en fonction des options pédagogiques retenues, les processus d’enseignement et d’apprentissage et leurs rapports, ont

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été conçus de manière différente » (Altet, 1997/2013, p. 3). Dans le couple enseignement-apprentissage, l’un peut alors prendre le pas sur l’autre et, en matière de « enseigner à produire autrement », qui vise l’apprentissage de raisonnements complexes en situation, ce ne peut être neutre. La seconde partie de mon cadre théorique s’attache ainsi à présenter le cadre théorique d’une pédagogie constructiviste bachelardienne problématisée.

II Le cadre théorique d’une pédagogie constructiviste bachelardienne problématisée

Ce cadre théorique est issu du réseau pédagogique « Enseigner autrement », né au milieu des années 1990 à Coutances, dans la Manche, à l’initiative d’une enseignante d’histoire-géographie, Bernadette Fleury. C’était un réseau pédagogique en ce sens qu’il a permis à ses membres de s’interroger sur leurs pratiques, d’être vigilant quant à leur action éducative. Il l’a été aussi dans la mesure où il était à l’articulation de la recherche et de la pratique et qu’il a produit des savoirs pragmatiques, une vision de l’éducation, un savoir expérientiel et des concepts pour « naviguer » au mieux dans la multiplicité des pratiques envisageables. Ce réseau pensait l’enseignement-apprentissage dans un cadre constructiviste, considérait par ailleurs comme nécessaire l’acquisition d’une culture pédagogique et didactique et promouvait l’analyse de pratiques pédagogiques en collectif comme moyen d’améliorer l’activité professionnelle. À l’occasion du colloque de 2010 « Enseigner autrement, oui mais comment ? », Fabre définissait ainsi la pédagogie : « La pédagogie, dit Durkheim, est une théorie et non une pratique. Mais c’est une théorie un peu spéciale. D’abord c’est une théorie qui ne prétend pas au statut de science. Alors que les sciences de l’éducation décrivent et expliquent les phénomènes éducatifs sans intention de les transformer, la pédagogie vise à les transformer, à les améliorer. C’est donc une théorie qui prend forme d’une réflexion sur l’expérience, sur les pratiques » (2010, p. 31). Ce sont ces cheminements pédagogiques que le réseau s’est donné à explorer avec comme mission de renforcer les compétences pédagogiques des enseignants et formateurs de toutes disciplines. De nombreux articles (Fleury & Fabre, 2005, 2017 ; Fleury, 2009a, 2010) ont fait mention du long et difficile travail de problématisation des pratiques enseignantes mais aussi des effets bénéfiques de l’accompagnement de ce réseau sur les enseignants-formateurs.

Il est important de noter que, au-delà de la proximité des termes « Enseigner autrement » et « enseigner à produire autrement », ces deux réseaux, l’un pédagogique, l’autre institutionnel (pour ce qui est du réseau des référents « enseigner à produire autrement »), historiquement,

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n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Pour autant, des enseignants du réseau « Enseigner autrement » se sont eux aussi emparés de cette injonction, convaincus qu’on ne peut pas enseigner ni former à « produire autrement » aujourd’hui et demain comme on a formé hier à l’agriculture productiviste en enseignant un modèle unique, basé sur l’inculcation de savoirs universels et non questionnables. Nous verrons par la suite comment les deux courants conceptuels, celui de la pédagogie constructiviste dans lequel la problématisation occupe une place centrale et celui de la didactique professionnelle qui s’intéresse au travail, à ses évolutions et aux processus d’apprentissage dans et par le travail se sont retrouvés autour de l’évolution du travail avec le vivant (Mayen & Lainé, 2014) et se sont avérés complémentaires.

Avant de développer le cœur d’une approche constructiviste bachelardienne problématisée, il m’apparait important de la situer dans le paysage composite des courants pédagogiques relatifs aux processus d’enseignement-apprentissage et de voir en quoi elle me parait susceptible d’être la plus pertinente au regard des enjeux d’EPA. Ceci fait, cette approche sera rapidement abordée au travers des trois courants qui l’irriguent : l’épistémologie constructiviste, la psychanalyse de la connaissance et la problématisation. Enfin, je prolongerai cette approche par ce que Jean-Pierre Astolfi nomme les trois constructivismes : épistémologique, psychologique et pédagogique. Cette explicitation me permettra d’identifier d’autres critères qu’il me parait pertinent d’observer relativement à l’activité d’enseignants dans la perspective d’« enseigner à produire autrement ».

II.1 Le modèle constructiviste bachelardien dans les processus

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